Le président chinois, Xi Jinping, et son homologue russe, Vladimir Poutine, se sont retrouvés lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), à Samarcande (Ouzbékistan), le 15 septembre. Le contexte était plus guerrier (Ukraine, Taiwan, Arménie …) que lors de leur précédente entrevue aux J.O. d’hiver de Pékin. La phraséologie du sommet a beaucoup tourné autour du slogan d’un ‘’ordre international plus juste’’. Xi a assuré que la Chine ‘’était disposée à travailler avec la Russie pour assumer son rôle de grande puissance’’, ce qui signifie, dans les circonstances prévalentes, que Pékin fera ce qu’il faut pour épargner à Moscou isolement et réprobation. Dans tous les cas, l’adversaire désigné est l’Occident. Pour Poutine, ceci implique de donner carte blanche à Xi pour une possible invasion de Taiwan, en échange de la ‘’retenue’’ chinoise manifestée sur l’Ukraine. Quant aux petits arrangements bilatéraux, on n’en saura rien. Autant le dire, cette mise en scène d’une Russie »au cœur du système international et respectée par les leaders du monde » n’a pas convaincu. La Chine lui propose des béquilles mais pas réellement une alliance; l’Inde de Narendra Modi a posé assez brutalement la question de l’agression de l’Ukraine. Pour »couronner » le tout, la non invitation de Vladimir Poutine aux obsèques de la défunte reine d’Angleterre achève d’humilier le paria du Kremlin, jusqu’à le faire crier au »blasphème » (sic).
Son ‘’partenariat de temps de guerre mais sans la guerre’’ passe, avec Pékin par des échanges commerciaux en très forte hausse en soutien de Moscou, alors que les sanctions occidentales affectent l’économie russe. L’économie de guerre russe est particulièrement avide de microprocesseurs et autres articles électroniques et de toute une gamme de métaux; Mais Pékin reste prudent et s’emploie à ne pas s’exposer aux sanctions frappant son partenaire. Les finances du Kremlin sont soutenues par un surplus d’importations. Entre janvier et août, la Chine a ainsi acheté moitié plus de produits russes – essentiellement des hydrocarbures – qu’à la même période de 2021. Dans l’autre sens,les exportations vers la Russie ont bondi de 9,4 % au premier semestre. On imagine que Poutine réclame à cor et à cri des armes et des munitions que Xi se garde de lui fournir. L’OCS est, entre autres, une instance de coopération militaire.
Cette institution a été formalisée en 2001, succédant au précédent ‘’Groupe de Shanghai’’ de 1996, un forum régional créé par la Chine, la Russie et quatre États d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan et Tadjikistan). Elle s’est élargie à l’Inde et au Pakistan en 2016, puis à l’Iran en 2021 et compte désormais une vingtaine d’Etats.
Elle répondait à l’origine aux craintes suscitées par la montée de l’islamisme au sein des nouvelles républiques indépendantes d’Asie centrale issues de l’éclatement de l’URSS. Au-delà de la stabilité de cette région sous tension, se profilait la menace d’une contamination des populations du Xinjiang appartenant aux mêmes ethnies turcophones de part et d’autre des frontières. Devenue ‘’Organisation de Coopération de Shanghai’’, en 2001, avec un siège établi à Pékin, elle se veut toujours une antidote aux ’’ menaces du terrorisme, de l’extrémisme et du séparatisme’’.
L’OCS est devenue l’un des fers de lance de la géopolitique russe, dont le tournant vers l’Asie, amorcé dès 1996, s’est amplifié sous Vladimir Poutine dans les années 2010, en même temps que se détériorent ses relations avec les Occidentaux. En période de conflit avec l’Ouest – comme c’est le cas actuellement – la carte géostratégique de l’Asie rompt l’isolement de son pays et solidifie un contre-poids à l’influence occidentale. C’est une alternative à sa propension à soumettre l’Europe.
Ayant intégré comme membres, observateurs ou invités, de nombreux pays (dont la Biélorussie, le Cambodge, l’Afghanistan, la Turquie, l’Azerbaïdjan, etc.), elle a acquis une assise importante : les 3/5ème de l’Eurasie et 43 % de la population mondiale. Elle cherche donc à se doter, dans les affaires du monde, de leviers de contre-influence face à Washington et aux Européens, dans un contexte longtemps marqué par l’unilatéralisme américain. Mais la démonstration n’est pas totalement patente alors que, sous la vague montante de l’anti-occidentalisme, pointe encore, chez beaucoup, les principes résilients du non-alignement (un mouvement, hélas, sur le déclin).
Avec l’arrivée de l’Inde et du Pakistan dans ce cénacle, l’Organisation s’applique à élaborer une diplomatie triangulaire plus complexe. Le ‘’partenariat stratégique’’ de Moscou avec la Chine reste la pierre angulaire de l’édifice, traversé, par ailleurs, de multiples divergences d’intérêts nationaux et de contentieux bilatéraux persistants. La guerre d’Ukraine et la présence de l’Iran ont achevé de radicaliser cette alliance dépourvue de Traité de défense. Les accords signés portent sur le nucléaire civil (ce qui fait l’affaire de Téhéran), l’exploitation des ressources énergétiques, l’industrie de l’armement et le commerce.
On pourrait dire qu’à son insu, la reine Elisabeth II a rendu un excellent service à l’Occident le jour de ses funérailles. Ou que le nouvel ordre international dont se gaussent certains reflèterait surtout la généralisation de tous les désordres et de tous les maux.