* 12 octobre – L’Europe mariée sous la communauté.

La France se voit de longue date comme conceptrice de l’architecture de sécurité européenne. Elle est à l’origine de la toute récente réunion inaugurale à Prague de la Communauté Politique Européenne, un succès qui pourrait néanmoins s’avérer transitoire.

Au lendemain de la chute du mur, alors que la Russie d’Eltsine plongeait en dépression psy, le président Mitterrand avait imaginé une ‘’Confédération européenne », presque symétrique au concept actuel. L’objectif en était alors de recréer une filiation russe à l’ensemble européen, du moins une appartenance limitée aux questions de sécurité collective. Il fallait éviter un repli agressif de la Russie sur ses frustrations d’empire démembré. Parallèlement au ’’partenariat stratégique’’ de portée limitée que l’OTAN proposait à Moscou, l’Europe des 15 lui aurait ouvert une possibilité d’arrimage relatif sur le plus long terme. Le recul de son glacis et la réunification allemande justifiaient une main tendue vers Boris Eltsine. Ce fut très mal perçu par les PECO, les ex-satellites ralliés à l’Ouest et tournés vers Washington, puissance non-invitée dans ce cercle. Polonais, Tchèques et autres Hongrois attendant leur salut de l’OTAN sous leadership américain, le grandiose et pacifique projet avait rapidement capoté. On pourra s’interroger sur les incidences de ce rendez-vous historique manqué sur les affrontements actuels.

Dans le concept lancé par Emmanuel Macron, l’Amérique n’est pas, non plus, embarquée à bord. Ceci est sans importance, d’ailleurs, l’OTAN étant plus que jamais la coalition occidentale à l’œuvre. Au sommet pan-européen de Prague, la mobilisation s’est faite, cette fois, contre l’agresseur russe, à l’inverse du projet Mitterrand. La concertation dans le format UE + 17 a donc d’emblée exclu toute association de la Fédération de Russie et de sa comparse biélorusse. L’ordonnancement correspond bien à l’air du temps conflictuel depuis l’annexion de la Crimée en 2014. L’Ukraine participait au sommet par visioconférence, l’Amérique pouvait rester sereine, n’ayant aucun motif valable à s’inquiéter de l’exercice (même si certains y songeaient).

La grand-messe de Prague a dès lors connu un succès de participation, sinon des avancées majeures sur le fond.  Elle a projeté la vision symbolique d’une ‘’ Grande Europe’’ réunie et solidaire qui se renforçait face à une Russie isolée dans sa bulle.  C’était important pour crédibiliser son engagement de long terme à soutenir l’Ukraine. L’attribution du Prix Nobel de la Paix à  trois acteurs associatifs engagés contre la barbarie du régime Poutine a produit une impression comparable : l’auto-galvanisation des valeurs démocratiques. C’était nécessaire. Sera-ce durable ?

Tout cela répond au besoin conjoncturel de rehausser la stature des dirigeants du Vieux Continent. Vladimir Poutine les tient pour quantités négligeables et ne se laissera pas impressionner par leur unanimité de façade. Celle-ci, d’ailleurs ne va pas résoudre les questions matérielles et pratiques que posent la guerre de l’énergie menée par Poutine. Surtout, les organisateurs du sommet de Prague se sont arrachés les cheveux sur des problèmes de compatibilité d’humeur entre participants. Sur la façon d’aborder les pénuries d’énergie, les 44 pays se divisent et ce, même au sein de l’Union Européenne. Des coalitions se forment à nouveau entre ‘’frugaux, à forte capacité d’intervention financière’’ et  ‘’fauchés du Sud’’. L’application des sanctions touchant la Russie et la Biélorussie (l’UE en est à son huitième train de mesures), l’amplitude de l’aide militaire destinée à l’Ukraine, l’accueil des exilés, les voies politico-juridiques d’une future sortie de guerre sont autant de sujets qui clivent. Sans oublier les tensions post-Brexit persistantes sur l’application du protocole sur l’Irlande du Nord, les joutes intracommunautaires autour de l’État de droit et du fonctionnement de la Justice, le jeu ambivalent de la Turquie (qui roule pour elle-même), le conflit arméno-azerbaïdjanais, etc. L’Ouest, on le sait, n’est pas un monolithe, surtout lorsque la France s’exprime.

Peu importe, au fond, qu’au delà de l’agression qui rassemble contre elle les démocraties, les dossiers avancent ou non au sein de la Communauté Politique Européenne. Même s’ils se dispersent dans les multiples institutions européennes, occidentales ou mondiales conçues pour leur traitement, la réunion des Européens aura été créatrice d’un élan collectif utile au moment opportun, tandis que la vie des Etats poursuivra son cours ici et là, sur la rose des vents de la géopolitique.

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