* 7 décembre – Dissuader les ‘’pirates de la dissuasion’’

Dans le contexte de la guerre hybride contre l’Occident et de l’invasion de l’Ukraine, la dissuasion française est prise à contre par les préceptes russes d’emploi de l’arme comme un instrument offensif sur un champ de bataille extérieur. Le président Macron a jugé bon de revenir, le 9 novembre, à Toulon, sur sa perception de la menace telle que la conceptualise l’analyse française.

Ce réajustement des ‘’lignes rouges’’ franchies par l’adversaire qui déclencheraient ou non une réaction des armes tactiques nucléaires nationales intervient après ses propos du 12 octobre. Ce jour-là, son exposé avait laissé à penser que le recours russe à une frappe, en Ukraine ou dans les confins occidentaux de ce pays, n’appellerait pas de réplique nucléaire de la part de la France. Venant après sa phrase sur la nécessité de ‘’ne pas humilier la Russie’’, cela avait quelque peu ‘’défrisé’’ certains proches alliés de Paris, à l’Est de l’Europe et aussi en Allemagne, qui se sont, bien sûr, gardés de tout commentaire public. Sur le fond, la question est singulièrement complexe à trancher. Est-ce vraiment réaliste de la part d’un ‘’petite’’ puissance nucléaire de prétendre sanctuariser tout son continent ?

Quand bien même cette limite posée à la dissuasion française correspond à ce que beaucoup d’experts occidentaux pensent sans le dire, M. Macron a effectué un retour très visible à sa position initiale d’avant-guerre. Exposée en février 2020, lors de son seul discours de référence sur la dissuasion, celle-ci postule : ‘’aujourd’hui plus encore qu’hier, les intérêts vitaux de la France ont une dimension européenne’’. Plus question donc d’en limiter précisément les contours et, surtout, de paraître se raviser sous l’effet des menaces de Vladimir Poutine. Ce retour aux sources n’est pas qu’une question de subtilités : c’est le rétablissement d’une posture paradoxalement plus solide construite sur l’ambiguïté dissuasive. Elle répond mieux à la menace de la guerre hybride et au flou que ce type d’offensive sur des front multiples (cognitif, cyber, spatial, par les réseaux sociaux, politique et militaire…) entretient sur la détermination précise de la ‘’ligne rouge des intérêts vitaux’’.

Sommes-nous entrés dans le ‘’troisième âge nucléaire’’, celui du XXI ème Siècle, dans l’art de la piraterie nucléaire ? L’un des enseignements les moins prévus du conflit en Ukraine, lequel promet d’être long, est que la dissuasion peut être inversée. Même par une grande puissance, elle peut être utilisée en outil d’agression militaire ‘’classique’’, notamment pour isoler de ses alliés le pays-cible victime de l’offensive. On assiste là à un retournement complet de la façon dont l’atome militaire avait été considéré jusqu’ici : la dissuasion comme meilleur moyen d’empêcher une guerre entre puissances nucléaires majeures, dotées de tout le spectre de l’arme, du tactique au stratégique.

 Il reste que le jeu des décideurs autour du postulat de la ‘’destruction mutuelle assurée’’ connaît, par définition, un préambule psychologique complexe. L’emploi ou non de l’Arme est précédé d’une suite d’affirmations fortes, sans preuve ni certitude aucune pour la partie adverse. En bref, Poutine parle et menace, en mode déclaratoire. Alors, il joue au poker ? On doute en effet qu’il passe jamais à l’acte, sauf à avoir perdu ses repères politiques et tout discernement. Ce serait au point de finalement provoquer la destruction de son pays, le plus vaste du monde. Le bluff participe de son style professionnel, celui d’un menteur expert du FSB. Faut-il lui accorder l’honneur de tenir ouvertement compte de ses rugissements froids et calculés ? La doctrine poutinienne sert en premier lieu de levier d’effroi et de pression sur les opinions publiques. Raison de plus pour ne pas se laisser prendre au piège en lui faisant spectaculairement écho. Les réseaux sociaux, toujours eux, s’en chargent déjà trop bien. Oublions la doctrine russe et, d’ailleurs, ni vous ni moi n’avons à en connaître, n’étant pas président !

Le conflit armé en cours n’en est pas moins sous-tendu par le spectre d’un débordement du territoire ukrainien ouvrant la voie à un élargissement à la zone OTAN dans son ensemble. On l’a perçu dans l’émoi qui a surgi autour du missile antiaérien retombé en Pologne, le 15 novembre. Après ce coup d’adrénaline, une désescalade verbale s’est fait jour dans cette ‘’crise du siècle’’.

Concentrons plutôt notre attention sur les fourbes attaques du général Hiver…

* 6 décembre – Iran : bonnes mœurs et mauvais meurtres

L’Iran a-t-il vraiment annoncé l’abolition de la police des mœurs à l’origine de l’arrestation de la jeune Mahsa Amini ? La mort en détention de cette jeune femme avait provoqué une vague de contestation qui perdure depuis près de trois mois. Le procureur, Mohammad Jafar Montazeri, a avancé cette hypothèse et également annoncé que ‘’le Parlement et le pouvoir judiciaire travaillaient sur le port du voile obligatoire. Il n’a pas précisé ce qui pourrait être modifié dans la loi de 1983 l’ayant imposé quatre ans après la révolution islamique. La décision est donc encore virtuelle mais déjà difficile à interpréter. Elle survient à la veille d’une tentative de grève générale qui constituera un test décisif pour la révolution en marche. Est-on en présence d’une vraie concession faite à la jeunesse du Pays – peu suivie par les générations plus âgées – ou d’une tentative de manipulation des manifestants ? Ou encore d’un cafouillage au sein du pouvoir théocratique ?

Rappelons que cette question ultra-sensible (le droit individuel de se voiler ou non) a conduit à la mort de plus de 300 jeunes manifestants depuis la mi-septembre. De part et d’autre se joue désormais le jeu de la mise à bas du régime des mollahs ou de l’enfermement de la génération montante dans une soumission abjecte. La ‘’révolution des femmes’’ succède à la vague de contestation de juin 2009 (liée à l’élection truquée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence), à une première bronca contre le voile, en 2017, et à un mécontentement très large devant l’état calamiteux de l’économie et le chômage massif. L’avenir tiendra à la convergence des luttes en cours ou, au contraire, à leur éparpillement. La frustration des jeunes résulte aussi de l’enfermement du Pays dans un contexte de confrontation avec les pays voisins et avec l’Occident, lequel reste un phare, qui fascine la nouvelle génération.

La réponse du Guide et de son régime est toujours la même depuis 2009 : une répression sans pitié. Khamenei garde à l’esprit la fin du régime du Shah, en 1979, malgré toute une suite de réformes tardives et de concessions sociales qui n’avaient fait qu’accentuer sa posture défensive et son image de faiblesse. De plus, il n’est pas dans la mentalité des Ayatollahs, qui forment désormais une ploutocratie, de céder quoi que ce soit de leur dictature à la ‘’population d’en bas’’.

Aucun scénario ne s’impose encore : une convergence de toutes les classes d’âge pourrait faire basculer l’Iran dans la guerre civile. Une nouvelle révolution pourrait s’ensuivre. Un répit assorti de quelques desserrements des contraintes ne changera pas grand-chose et risque surtout de déboucher sur un regain ultérieur de répression faisant de nombreuses victimes. Un putsch en sous-main des Pasdarans aux dépens de l’autorité du clergé (pour sauvegarder leur Etat dans l’Etat) transformerait l’Iran en dictature militaire classique, à l’image de ses voisins arabes, englués dans leur mauvaise gouvernance.

Sauf à vivre dans l’œil du typhon, il serait vain de prendre un pari. Inch’Allah !

* 5 Décembre – L’allié franc

La suprême coquetterie de la diplomatie française est de prétendre ne jamais s’aligner sur son plus grand allié. Dès le premier jour de sa visite d’Etat à Washington, le président français a célébré sur le tapis rouge l’amitié franco-américaine, à sa façon. Les deux républiques sœurs devaient ‘’essayer ensemble d’être à la hauteur de ce que l’Histoire a scellé entre [elles], une alliance plus forte que tout ». L’ère de la ‘’frime machiste’’ pour tenter d’amadouer D. Trump étant heureusement révolue, entre dirigeants amis on en vient à se parler franchement. Emmanuel ne s’est pas privé d’entonner ce registre diplomatique bien français.

Première à bénéficier d’une visite d’Etat sous la présidence Biden, la France veut, avant tout, s’afficher comme un partenaire qui pèse parmi les Européens et, accessoirement, dans le monde. Ensuite, elle souhaite obtenir de Joe Biden la confirmation sans équivoque qu’il soutient le développement d’une Europe de la Défense. Une multitude d’autres sujets ont été discutés – espace, nucléaire, Ukraine, Chine, Iran, climat –, sans révéler d’inflexions de part et d’autre de positions connues à l’avance.

Si la dénonciation du ‘’marché du siècle’’ des sous-marins australiens, inspirée par Washington, a trouvé un épilogue pragmatique avec la compensation financière accordée par Canberra, la question de la participation à l’alliance AUKUS (Australie, Royaume Uni, USA) n’a toujours pas trouvé sa conclusion. Elle a en fait été discrètement contournée pendant la visite. Présente dans la zone Indopacifique – ce que nul ne nie –la France aurait-elle modéré son envie obstinée d’en être donc d’en découdre ? Il n’est pourtant pas dans sa vocation stratégique de se muer en obstacle militaire à l’hégémonisme rampant de la Chine dans la région. Surtout, dans la dimension nucléaire. Se tenir à l’écart d’un clash stratégique avec Pékin parait plus conforme à son approche réaliste et modérée de l’Extrême-Orient. Elle a donc dû se raviser, d’autant plus que c’est désormais sur le front Est de l’Europe que s’exerce, disons, sa ‘’solidarité primordiale’’ au sein de l’Alliance atlantique.

Concernant la guerre en Ukraine, la conférence de presse commune a laissé entrevoir, dans la fraternité d’armes, un décalage de perspective géopolitique. Pour les Etats Unis, l’engagement dans la défense de la souveraineté de Kiev est puissant mais plutôt circonstanciel, sur une échelle de temps limitée. Il importe d’éroder au maximum la capacité offensive de la Russie et de clore la guerre sur un retrait rétablissant le statuquo initial. Joe Biden n’exclut pas de prendre langue, dans un tel scenario, avec Vladimir Poutine, lorsque celui-ci demandera l’armistice. La position française de garder un canal d’échanges avec le Kremlin parait plus exigeante sur le long terme : établir une paix juste et durable dans le temps, conforme à la Charte des Nations Unies et pleinement définie aux revendications souveraines de Kiev, ce qui pose la question épineuse de la récupération de la Crimée, celle du jugement des coupables de crime d’agression et implique des conditions précises pour réintégrer la Russie dans le concert européen. La différence d’angle découle de la géographie : Washington ne souhaite pas se laisser détourner de ses priorités stratégiques : l’endiguement de l’expansion chinoise et la primauté du leadership mondial.

Globalement les deux pays ont pu projeter l’image de solides alliés capables de pondération et de lucidité. Il n’en a pas été de même sur les sujets de l’économie.

En l’occurrence, Macron n’a pas mâché ses mots. D’emblée, il a plaidé contre l’Inflation Reduction Act – un programme ‘’super agressif’’ de subventions massives à l’environnement, destiné aux entreprises basées aux Etats Unis.  Le plan d’investissement de 430 milliards de dollars qui le sous-tend alloue 370 milliards à la réduction de 40 %, d’ici à 2030, des émissions de gaz à effet de serre. Il constitue aux yeux européens une aide massive à l’export et une forte incitation à délocaliser l’investissement européen vers les USA. L’opération, vu son ampleur, menace, selon Macron, de ‘’fragmenter l’Occident’’. L’expression est plutôt alarmiste.

Cette loi constitue pourtant un beau succès de Joe Biden, qui a obtenu de haut vol son adoption par le Congrès. Elle n’est guère susceptible d’aménagements. Et ce n’est que pour la forme que Paris recommande de veiller à synchroniser (au sein du G 8 ?) les programmes des deux rives atlantiques poursuivant les mêmes objectifs et susceptibles d’être ‘’décidés ensemble’’. L’actualité des derniers mois – la crise énergétique et le coût de la guerre en Ukraine – commencent au contraire à creuser un ‘’décalage’’ entre l’Europe et les Etats-Unis. Car ‘’Europe’’ est sans doute le mot clé. L’investissement en Europe, ainsi mis en danger, risquerait de vaciller et de faire du Vieux Monde une simple ‘’variable d’ajustement’’ dans le bras de fer entre Washington et Pékin…

Sans doute, le message (plus que subliminal) est principalement adressé à Bruxelles : l’arme d’un ‘’Buy European Act’’ – franchement protectionniste – serait-elle devenue la seule efficace contre le rouleau compresseur des subventions américaines ? C’est une belle vision culpabilisante pour le partenaire américain mais fort peu réaliste. Le marché unique est de taille supérieure et il peut en théorie répliquer souverainement. Cette thèse instillera-t-elle de la mauvaise conscience au géant américain ? Ce serait méconnaître le nationalisme du Congrès. Qui doutera encore que l’allié français n’est pas ‘’aligné’’ ?

* 01 décembre – Les Vingt-Sept face à l’exode du Sud

Sans atteindre le niveau de la ‘’crise des réfugiés’’ de 2015-2016, les flux migratoires entrants sont redevenus un point sensible dans l’agenda européen.  Par rapport à 2021, les arrivées aux frontières extérieures connaissent une forte hausse : 280 000 de janvier à octobre inclus, soit + 77 %…

Deux semaines après la crise franco-italienne autour de l’Ocean-Viking, les ministres européens de l’intérieur, réunis à Bruxelles en Conseil extraordinaire à la demande de Paris, ont approuvé, le 25 novembre, un plan d’action ‘’afin de ne pas reproduire ce genre de situation’’. On se souvient que le 11 novembre le gouvernement français avait accepté, à titre exceptionnel, le débarquement à Toulon des 234 passagers de l’Ocean-Viking, après le refus du gouvernement de Giorgia Meloni d’accueillir ce navire humanitaire bloqué au large des côtes italiennes. Il promet qu’il n’accueillera plus désormais des demandeurs d’asile parvenus en Italie, tant que Rome ne respectera pas le droit de la mer (l’obligation de sauvetage). On voudrait bien savoir à ce propos qui le respecte : la Libye, l’agence Frontex, l’Italie, la France jusqu’à récemment ?

La poussée est plus forte encore sur la route des Balkans : + 168 % sur la même période. La Commission prépare donc un autre plan d’action à cet effet. La possibilité d’une nouvelle vague d’arrivées d’Ukrainiens cet hiver rend l’adaptation aux circonstances encore plus complexe.

Le plan d’action ‘’italien’’ concocté par la Commission européenne propose 20 mesures, notamment pour renforcer la coopération avec la Tunisie, la Libye ou l’Egypte (avec la Turquie, c’est une cause perdue), afin de  »prévenir les départs et augmenter les renvois d’exilés en situation irrégulière ». Il prévoit aussi une meilleure coordination et un échange d’informations entre Etats et ONG secourant des migrants en mer, et vise à promouvoir des discussions au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI) sur des lignes directrices applicables aux bateaux effectuant des opérations de sauvetage en mer. Est-ce à dire que le droit de la mer pourra être appliqué de façon sélective ou que les pays du Sud de la Méditerranée, surchargés de tous les migrants du monde arrivant par voie de terre, devront, de plus, ouvrir leurs ports aux navires de sauvetage qui croisent dans leurs eaux territoriales ? Telle est en tout cas l’intention professée par le ministre Darmanin, qui s’intéresse peu au casse-tête imposé aux pays de premier accueil.

Une unanimité s’est fait jour sur un socle minimum, mais, comme le reconnait la Commission, ce ne sera pas la solution définitive tant que les Etats membres n’arriveront pas à conclure une réforme commune de leurs politiques de la migration et de l’asile = = au sein-même de l’Union européenne = =. Depuis plus de deux ans, le sujet tient de Arlésienne. Il bute, entre autres, sur la redéfinition (pour cause de non-application) du mécanisme temporaire – arrêté en juin, à l’initiative de la France – opérant la répartition des arrivants ‘’parmi les pays européens non-riverains’’. Pour soulager les Etats méditerranéens, une douzaine s’était engagée de façon volontaire à accueillir sur un an quelque 8 000 demandeurs d’asile arrivés dans ces pays sud-européens. La France et l’Allemagne devaient en prendre chacune 3 500. Paris s’est pourtant montré très restrictif s’agissant des quotas qui lui étaient assignés et a finalement suspendu ses relocalisations depuis l’Italie. La torsion de bras est claire : pas de prise en charge française sans accueil dans les ports italiens.

Le ministre italien, Matteo Piantedosi, a été invité à venir à Paris par son homologue, avant une prochaine réunion des ministres de l’intérieur prévue le 8 décembre à Bruxelles. Va-t-on assister à un exemple de ‘’commedia dell’arte’’, à une partie de catch ou à une fraternisation latine larmoyante ?

* 29 novembre – Immobilités chinoises

La Chine pèse lourd sur les affaires du monde, mais elle est aussi une vaste prison à ciel ouvert. Transformée en société de surveillance, dardée de mouchards et de contrôles de ses citoyens, elle a affronté la pandémie du Covid comme un défi à l’autorité de la direction du Parti. Celle-ci a fait de la politique d’isolement, destinée à empêcher toute contagion collective, une cause sacrée et surtout un manège infernal. Seule au monde à persévérer dans la politique ‘’zéro Covid’’, elle l’a pratiquée avec une inflexibilité et un mépris des libertés individuelles à rendre fous les mieux résignés de ses sujets. Au bout de trois ans de ce régime carcéral absurde à répétition, sans résultat probant, la révolte est survenue et la nature humaine reprend un peu partout le dessus : l’expression d’une révolte contre l’enfermement et contre les ‘’enfermeurs’’.

Les ouvriers de Foxconn à Zhengzhou ont sauté les murs et les barrières. Canton s’est mobilisé, clashant avec les forces de l’ordre. A Shanghaï, des milliers de jeunes ont occupé la rue et affronté la police après le drame de l’incendie d’Urumqi. Pékin à suivi (la prestigieuse université Tsinghua, n° 1 du Pays), puis Canton à nouveau, Wuhan, Chengdu, Xi An… une trainée de poudre relie entre elles les grandes métropoles de l’empire  urbain qu’est la Chine. C’est un phénomène nouveau, lié à l’ère numérique. Le raz le bol est devenu général, qu’il saisisse les strates ouvrières enfermées dans leurs usines ou les campus privés de vie normale, voire d’avenir. Le moment est à ‘’briser les cages pour prendre son envol’’. L’exaspération est à son summum depuis ces trois ans où se sont ont accumulés les cas de suicide, les mises au chômage, l’injustice arbitraire, un régime punitif pour tous. Infinitésimaux en nombre à l’échelle du Pays, les rebelles brandissant des feuilles blanches – dénonciation habile de la censure et du vide de leurs vies gâchées – parlent pour une population très large. Les réseaux sociaux, dont le contenu ‘’viral’’ est vite effacé ont rendu leur rébellion populaire. Le Parti veille à une censure immédiate. Il est peu probable que le contrôle total que s’y est construit Xi Jinping puisse être entamé si peu de temps après le  »congrès de son apothéose », mais un débat sur l’assouplissement de la ligne sanitaire couplé à une chasse aux contestataires pourrait bien s’immiscer dans son ordonnancement monolithique. De toute façon, aucune alternative de pouvoir n’est concevable en Chine.

 Le 26 novembre, des centaines de jeunes gens ont scandé‘’ Xi Jinping, démission !’’ ou encore ‘’A bas le Parti communiste !’’. Cela ne sera pas pardonné, pas plus que le Tian An Men de 1989, qui encensait la ‘’5 ème modernisation’’ (la démocratie) et vomissait la corruption et le népotisme. Comme il y a 33 ans, les gérontes psychorigides du Bureau politique vont vouloir ‘’refermer la cage’’.  Même si la jeunesse ne brandit pas encore de slogans politiques élaborés, sa lutte ne peut que se radicaliser compte tenu de la volonté féroce qu’aura le pouvoir de l’étouffer par tous les moyens. Le plus probable est que la lourde machine de la répression s’en prendra aux individus les plus repérables et misera sur la peur du chaos et de l’anarchie d’une majorité de Chinois  »embourgeoisés » pour déconsidérer le mouvement. La brutalité des procédés répressifs matera les autres par la peur.

Moins d’un mois après le ‘’triomphe’’ de XI Jinping, consacré par le 26 ème Congrès du Parti, le coup est rude, porté au maître absolu de la Chine. Inflexible et surtout piégé dans sa propre ‘’idéologie sanitaire du zéro Covid’’, il est inimaginable qu’il fasse marche arrière. Aucune notion d’humanisme n’est susceptible de lui traverser l’esprit : il est le gardien de la forteresse. D’ailleurs, tout abandon précipité de la politique de confinement systématique d’énormes collectifs humains pourrait conduire à l’exposition massive au virus d’une population mal vaccinée et insuffisamment préparée à y faire face. A partir des 40.000 nouveaux cas par jour actuellement recensés, la contagion pourrait alors exploser et rapidement dépasser les possibilités du système sanitaire chinois. En même temps, poursuivre l’enfermement des gens ne mènera nulle part, à plus long terme, sinon à faire exploser la révolte. Tel est le dilemme insoluble de ‘’l’Oncle Xi’’.

* 28 novembre – Dans l’œil persan du nucléaire

Le torchon brule être l’Iran et l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA). On en est même à des provocations et des représailles du côté de la République islamique. Celle-ci accélère sa course vers le nucléaire militaire. On s’en alarme à la lumière des multiples indicateurs convergents :

* Deux nouvelles usines de production d’uranium enrichi – Natanz II et Fordo – ont été mises en route avec des centrifugeuses ultra performantes ;

* Selon l’AIEA, l’Iran dispose de 386 kgs de matière fissile enrichie à 20%  et de 62 kgs, à 60%. L’engagement qu’il avait pris en 2015bspécifiait un taux limite de 3,67% ;

* La fuite en avant est ancienne. Avec la mise en service de Natanz II (ligne de production à 60 %) et la dénonciation assumée de toutes les limites par le pacte JCPOA passé en 2015 avec les six Etats mandatés par la communauté internationale (USA-Russie-Chine-France-Royaume Uni et RFA), elle a pris un tour radical depuis la reprise de contact d’avril 2021. Le retour dans les négociations des Etats Unis de Joe Biden n’a eu aucun effet positif sur l’attitude obstinée de Téhéran.

De fait, depuis quatre ans, la République islamique rejette toutes les obligations précédemment acceptées et s’affranchit de toute discipline de non-prolifération. Elle a commis presque toutes les transgressions prohibées par le TNP, hormis l’essai et l’emploi de l’Arme.

Sa ‘’nucléarisation’’ vise une capacité de domination régionale au Grand Moyen-Orient, autant, qu’une sanctuarisation de son territoire. Elle cherche à repousser l’influence américaine mais anticipe aussi de former des binômes de confrontation avec Israël et les émirats sunnites du Golfe. Dans le premier cas, l’adversaire est déjà nucléaire. Dans le second, ils pourraient rapidement se rapprocher du seuil. La région évolue dans un parti pris de prolifération entre les Etats. Le ‘’Grand diable américain’’ n’est pas – à l’image de la Corée du Nord – son unique souci obsessionnel ni sa cible, même s’il est utilisé en prétexte pour son programme nucléaire.

Les deux récentes résolutions passées au sein de l’Agence de Vienne, déplorant le manque de coopération de Téhéran ont rencontré des répliques rageuses du côté de l’intéressé. Les déclarations américaine et européenne laissant entrevoir une aggravation des sanctions n’ont pu qu’amplifier le phénomène, engendrant de nouvelles menaces de vengeance. Tous les ponts directs sont pratiquement rompus.

Le durcissement de ton de la République islamique procède d’une stratégie de rupture dont on peut imputer la responsabilité au Guide, l’ayatollah Khamenei mais qui porte aussi la marque du fer de lance du régime chiite théocratique, à savoir les Gardiens de la Révolution (Pasdarans), véritable ‘’empire au sein de l’Etat’’. L’un comme les autres sont depuis deux mois à la pointe de la répression – sans pitié – de la ‘’Révolution des Femmes’’ (qui est aussi celle des classes urbanisées). Le port du voile et l’accès au statut de puissance nucléaire de facto constituant deux facettes du système de pouvoir et de contrainte, on ne s’étonnera pas de la dérive ‘’furieuse’’ de l’Iran officiel. On peut s’attendre que le rééquilibrage des pouvoirs qui s’opère au sein des organes dirigeants accorderont un peu moins d’autorité aux prélats et plus de contrôle pour leurs prétoriens galonnés.

Quant au reste du monde, il n’a guère de recette pour enrayer le cours nucléaire de l’Iran.

* 24 novembre – État promoteur du terrorisme

 Les eurodéputés ont décidé que l’Union Européenne pouvait désormais considérer la Russie comme un État ‘’promoteur du terrorisme’’. Par 494 voix pour, 58 voix contre et 44 abstentions, iIs ont voté ‘’oui’’ le 23 novembre, jugeant que l’armée de Moscou employait des moyens relevant du ‘’terrorisme’’. En adoptant ce texte, le Législatif européen réaffirme un soutien sans faille à l’Ukraine, comme le lui avait demandé le président Volodymyr Zelensky. Sa résolution s’applique également aux méfaits commis par le groupe Wagner. Elle n’a de valeur que consultative, celle d’une recommandation. Elle incarne plutôt la voix de la conscience au sein de l’identité européenne. L’Union européenne s’aligne, en fait, sur les États-Unis, où les deux chambres du Congrès avaient adopté une position similaire, ainsi que le Canada. Contrairement à ces deux pays, l’Europe ne dispose cependant pas de législation spécifique en la matière. De plus les exécutifs nord-américains sont plus prudents dans la formulation de leurs griefs. Ainsi, le chef d’Etat-major américain a appelé l’Ukraine à ‘’consolider ses gains à la table des négociations’’, une table à laquelle pense également le président français même si ce créneau de l’Histoire n’est pas encore survenu.

Le terme ‘’terrorisme’’ est de nature politique et morale, mais il ne connaît aucune définition juridique internationale. Admettons qu’il soit mérité : il implique alors la quête d’un châtiment complet. C’est neutraliser entièrement (physiquement et politiquement) puis juger le coupable. Le monde ne se limite pas à l’Occident. Serait-il prêt, un jour, à sanctionner les coupables ? La réponse est ‘’non’’. En l’occurrence, le chef de guerre le plus criminel n’est autre que le président, élu et soutenu par une majorité de la population de la seconde ou troisième puissance militaire du monde. Ce n’est sans doute pas demain que, depuis son box d’inculpé, il aura à rendre des comptes au juge international, sur fond de décors d’une Russie sous administration de justice.

La Russie est bien coupable d’agresser massivement les civils ukrainiens et d’en massacrer un grand nombre. Le qualificatif le plus fort doit être décerné à sa rage de destruction des infrastructures énergétiques (à Zaporijia, les dégâts sur les installations nucléaires seraient ‘’colossaux’’, selon l’AEIA), comme des hôpitaux, des écoles ou encore des abris. Tous ses actes d’invasion, de massacres aveugles et d’occupation violent le droit international et le droit humanitaire international. Les crimes de guerre se sont accumulés créant tout un système de terreur et d’assassinats. On est donc bien dans un registre combiné entre crime contre l’humanité et règne de la terreur. Elle devra en affronter les conséquences.

La condamnation de la Russie par l’U.E reste pleinement justifiée dans les faits. Après ce vote, le site internet du Parlement européen a d’ailleurs été la cible d’une attaque informatique en représailles, ce qui démontre encore, s’il le fallait, que l’hostilité russe embrasse, au-delà de l’Ukraine, les institutions démocratiques de l’Occident. Mais la politique de défense n’est pas faite que de valeurs et de jugements et la recherche d’une sortie de guerre sera une autre paire de manches. Le rapport de forces devra concéder sa place au pragmatisme sans lequel rien n’aboutit.

Il faudra donc voir dans les semaines et les mois à venir comment s’appliquera cette résolution et qu’elle en est sa véritable portée.

* 23 novembre – Les mauvais coups de Guangong

Guangong (un avatar de Mars), le dieu extrême-oriental de la guerre, est de retour, avec sa face écarlate et ses yeux exorbités.

Dans les années 1990, il nous avait amené les guerres des Balkans au sein de l’ex-Yougoslavie (dont la Bosnie), aux franges de l’Arménie et de l’Asie centrale ex-soviétique : nous n’avions pas tiqué. Il a fait souffler le vent du terrorisme jihadiste sur l’Europe, dans la décennie suivante. Cela nous a alors a poussé à intervenir militairement – même si ce fut sans succès – en Afghanistan, en Iraq, puis au Sahel : nous étions fort courroucés. Il s’est fait manipulateur de la démocratie et il a brouillé notre jugement en exploitant les réseaux sociaux à l’occasion des grands scrutins déterminant le cours de nos démocraties. Il s’est démultiplié à propos du Brexit et de l’alternance populiste portant au pouvoir Donald Trump aux Etats-Unis : on s’est dit : que ce mauvais vent s’arrête !

Il a ensuite pris le visage fuyant et hypocrite de la guerre dite hybride, lors de la renaissance de la guerre froide autour des émancipations ukrainienne et biélorusse : dans notre quotidien, la vie sur internet et la sécurité de nos infrastructure se sont teintés de risques. Ils sont désormais perçus comme inhérents au ‘’système’’ : nous sommes devenus pessimistes et méfiants. Mais nous sommes cru encore en paix. Les dernières illusions sont tombées au spectacle de la seconde guerre d’annexion de l’Ukraine : la ‘’question russe’’ réintroduisait le guerre froide sur fond de course au nucléaire latente. Aujourd’hui, Moscou nous coupe le gaz, nous menace d’un holocauste nucléaire, nous crie au visage que nous sommes les ennemis détestés que l’on veut abattre : nous voilà comme deux ronds de flan …

Au diable le déni de l’agression ! Nous revoilà tout proches de la guerre de Grand Papa. Le 15 novembre, un anti-missile est tombé sur la Pologne et l’article IV (consultations de crise) de la Charte de l’Alliance atlantique a été invoqué. Le ‘’Mein Kampf’’ d’Adolphe renaît sous la forme de ‘’l’opération spéciale’’ (très spéciale, en effet) du sieur Vladimir. L’Histoire est repartie dans les années 1940 : elle boucle la boucle et ne se stabilisera plus, contrairement aux hypothèses benoîtes du faux prophète américain Francis Fukuyama (‘’la Fin de l’Histoire et le dernier homme’’). Il faut se réarmer, moralement et militairement pour la ‘’haute intensité’’. Qui l’aurait cru lorsque le mur de Berlin est tombé, il y a 33ans ?  Pas moi (ni l’Ours), soyons honnêtes.

Aux frontières de l’Union européenne, les gens meurent sous les bombes et les missiles, victimes d’une tentative folle d’annihiler ce qu’on ne peut pas leur arracher par la force. Les champs de bataille sont aussi des champs de torture. Les enfants sont enlevés par centaines de milliers pour être russifiés. Des ‘’camps de filtrage’’ sont dressés dans les profondeurs du territoire russe. Les centrales nucléaires sont bombardées. De l’autre bord, Moscou envoie au casse-pipe ses soldats ethniquement non-russes : Tchétchènes, Ingouche, Bouriates, etc., profitant de l’occasion pour ménager son vivier primordial de Russes ethniques (24 soldats morts seulement à Moscou, sur peut-être 100.000 tombés au combat). Cette offensive russe est bien d’essence coloniale, portant la marque d’un empire continental jacobin et cleptomane, devenu toxique et tueur. Le groupe privé Wagner et ses guerriers sans âme s’émancipent politiquement et deviennent un Etat dans l’Etat, jugeant avec mépris l’armée étatique. Poutine n’est pas à l’abri.

De la paix froide, on passe à une sorte de guerre totale, néanmoins pondérée par la dissuasion nucléaire et aussi, un peu, par le comportement resté humain des Ukrainiens. Ils incarnent la résistance à la barbarie pure, l’arrière populaire soutenant l’avant combattant : on les admire et on doit les soutenir, ne serait-ce qu’en tant qu’alliés également placés sous la menace poutinienne. Les peuples qui veulent se libérer finissent par l’emporter. Mais au prix de quels méandres arriverons-nous, un jour, à négocier une paix qui soit juste, légale et durable, une vraie paix ?

Clausewitz estimait que la guerre est un caméléon. Ses voies, buts et moyens varient au gré des circonstances. C’est un tourbillon incontrôlable qui ne maintient que l’apparence d’une certaine cohérence, grâce à la propagande. Il emporte les décideurs vers des stratégies qu’ils n’avaient pas initialement décidées ni même voulues. Les défis à la raison, même celle qui sert les pires causes, conduisent à une forme de chaos universel. Telle est bien la dimension globale des conséquences de cette guerre : elle entrave la vie au Nord et compromet le développement au Sud. L’humanité envers soi-même comme envers les siens se perd en route. On le sent, mais on ne veut pas se l’avouer, car la marche arrière est impossible… et la marche avant, elle, est suicidaire. C’est là que se trouve aujourd’hui l’inflexible Vladimir Poutine, assurément plus très loin de sa faillite finale.

Un autre problème est que pour les Azerbaïdjanais, Turcs, Rwandais, Erythréens… – et même jusqu’à l’immense Chine – le ton est donné d’un retour de l’annexionnisme guerrier ,sur toile de fond de célébration de l’enterrement du droit. L’Europe devra réécrire sa propre vision stratégique du monde en termes bien plus tranchants et sur le long terme. Le G 20 s’exprime, grâce à elle, contre la guerre en Ukraine. Taïwan ne sera pas annexée dès demain. Mais le nouveau ‘’désordre mondial’’ appelle contre lui un retour général aux valeurs – actualisées – qui avaient fondé la Charte de San Francisco de l’ONU. Une entreprise titanesque, s’il en est !

* 22 novembre – Du foot et du gaz

Il y avait un temps où le petit émirat du Qatar avait besoin de la France pour faire respecter son existence. Nicolas Sarkozy l’a particulièrement choyé dans les années 1990, lui offrant des armes performantes pour assurer sa défense, l’encourageant à acquérir en franchise fiscale un empire immobilier à Paris et dans l’Hexagone, l’invitant à se forger l’image d’une puissance de premier rang dans le monde du football, aux dépens même de certains critères éthiques. Ceci l’a bien aidé à faire gagner sa candidature à l’organisation du ‘’Mondial de tous les excès’’, qui a débuté, douze ans plus tard, le 20 novembre.  

L’histoire de ce pays est jeune : trois émirs s’y sont succédé depuis sa séparation du Royaume Uni. Mais, pour le moins, elle est assez chargée… et son ascension internationale à vitesse ‘’balistique’’ explique la persistance de ses archaïsmes autant que les critiques qu’il s’attire à l’international. S’y mêlent  une insolente épopée énergétique et commerciale, avec les impacts écologiques et sociaux que l’on peut imaginer, un tapageux comportement de ‘’nouveau riche’’ avide cherchant à se mettre partout en avant, des choix géopolitiques hasardeux au sein du monde arabe, un voisinage jaloux, la disgrâce du wahhabisme, enfin, commune aux Etats du Golfe.

L’attribution de la Coupe du Monde au Qatar, en 2010, par la Fédération internationale de Football (Fifa) n’a guère choqué initialement. Malgré ses bizarreries – l’énorme budget et le coût humain cruel du chantier, la tenue de l’évènement en plein hiver, la climatisation générale des sites – rien n’annonçait que la fête pourrait être gâchée. Il n’est pas sûr qu’elle le soit, d’ailleurs, les récriminations mondiales ayant fait de cette péninsule étroite du Golfe un Etat ‘’people’’, chic et choc, incontournable. Le buzz fait désormais partie de son identité mondaine. Tamim Al Thani, l’émir actuel, est un pragmatique qui saura escamoter quelque temps la pudibonderie austère de la Religion, même si le tournant consistant à accueillir ‘’tous les supporteurs’’ (comprendre ‘’dont les minorités sexuelles’’) reste en travers de la gorge de ses sujets intégristes. Il mettra ce qu’il faut d’argent pour se faire pardonner les contributions quatariennes à la misère de la main d’œuvre et à la crise climatique. Il saura faire donner ses médias (dont Al Jézira) – le véritable étendard médiatique de l’Emirat – et flatter ceux des autres.

Est-ce la perspective d’un triomphe par le ‘’soft power’’ de ce pays du Golfe gorgé de pétrodollars et trop vite promu en puissance ? Sans doute, oui. L’accès à la gloire sera officiellement celui de l’émir, Tamim Al Thani, âgé de42 ans, au pouvoir depuis 2013. Il se sera sorti vainqueur du parcours d’obstacles de la préparation de la Coupe. Ces lauriers seront partagés avec son père, le cheikh Hamad, âgé de 70 ans, dont le rôle a été crucial dans le miracle gazier comme dans la désignation par la FIFA. La famille va s’auto-glorifier. De fait, la finale du Mondial est programmée le 18 décembre, jour de la fête nationale du Qatar célébrant cheikh Jassim Al Thani, le père-fondateur du Qatar.

Le pays part pourtant d’une situation peu enviable, lorsqu’il a fait le pari audacieux de l’exploitation de l’immense gisement de gaz offshore qu’il partage avec le colosse Iranien, son voisin sur la rive Est. Il y a investi plusieurs fois son PIB sans maîtriser ses débouchés d’exportation, faute de gazoduc. Mais il a gagné la manche en transformant, le premier, son pactole inerte en gaz naturel liquéfié exportable par la voie des mers. Les remous les plus sérieux seront venus du blocus des années 2017-2020, imposé sur terre et dans les airs, lorsque Doha a été mis au ban par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn. L’Emirat a alors payé l’hostilité que lui avait valu son engagement massif derrière les Frères musulmans de Mohammed Morsi, après le chute du président égyptien Hosni Moubarak. A son rôle très décrié dans le printemps arabe de 2011 s’ajoutait des soupçons de culpabilité complaisante à l’égard de Téhéran. Enfin, sa prétention à la notoriété mondiale à travers la coupe du monde de football avait achevé d’exciter la jalousie saoudienne (le Qatar est le premier Etat arabe à tenir cet évènement). Une telle accumulation de revers aurait dû faire un sort à ce prestigieux projet. Mais dans sa quête, le petit peuple des Qataris (300.000 âmes) a puisé une forte cohésion et n’a rien cédé. Le prince saoudien Mohamed ben Salman a fini par lâcher sa proie et par rétablir les communications et la circulation des biens et des personnes en 2017.

Le Qatar reste enfin le pays du Golfe le plus coopératif avec l’Occident au sein de l’OPAEP (les pays arabes exportateurs) ce qui laisse présager que nos gouvernements ne lui feront pas de misère. Doha n’a plus besoin de Paris mais, quid de la réciproque … ? Alors, vive la ballon rond !

* 22 novembre – La COP, à l’ombre des derricks

Bôôf ! La COP 27 s’achève sur un bilan mi-figue, mi-raisin… plus ou moins inutile, plus ou moins sauvée, dit-on. Personne n’en attendait un énorme sursaut. Cet outil de la méthode Coué collective, destiné à émuler les gouvernements, n’est pas, il est vrai, le moteur primordial de la politique de prévention d’un dérèglement toujours plus grave du climat. Les peuples pèsent plus lourd que leurs dirigeants sur la prévention comme sur l’adaptation… mais en ordre totalement dispersé. Les lobbies industriels les plus puissants étaient, eux aussi, à Charm El Cheikh pour verdir leur image et s’assurer que la révolution climatique n’irait pas trop loin. La COP fait le point à la croisée de forces hétérogènes qui sont aux prises entre elles. Elle offre surtout un semblant de coordination mondiale, ingrédient indispensable mais qui reste faible et à la merci du rapport de force géopolitique.

Bref, un accord  »mou » a été trouvé in extremis, le 19 novembre, sur la question des dégâts climatiques subis par les pays pauvres les plus vulnérables au climat. Un fonds spécifique sera dédié à la mobilisation des fonds (en clair : des prêts et non des dons) pour compenser leurs pertes et dommages. Il établira des protocoles de fonctionnement puis répartira entre eux des moyens financiers. Ces derniers sont encore très peu abondés en promesses (350 Mns pour un besoin chiffrable en milliards). Un ‘’comité de transition’’ mixte Nord / Sud doit encore en préciser la marche générale. On n’est donc pas encore parvenu à destination. Bien qu’un peu improvisé, c’était le principal point à émerger sous la lumière des médias, celui aussi qui a bloqué les laborieuses négociations de la conférence durant deux semaines. La présidence égyptienne, peu visionnaire et faiblement militante, a tardivement rempli son rôle de bons offices mais a minima. La conversion de l’UE au financement de cette demande de trente ans des pays du Sud a entrainé le ralliement des Etats Unis. La présidence a trainé des pieds pour épargner à la Chine et à l’Arabie saoudite, rétives d’avoir à contribuer, à concéder quelques ressources.

Pour le reste, on chercherait en vain des progrès visibles par rapport à la COP de Paris et à celle, dernière en date, de Glasgow. L’objectif de 1,5 % de réchauffement maximum d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère pré-industrielle – une pure chimère, cette ligne rouge étant déjà presqu’atteinte – reste paradoxalement inchangé. Point donc d’objectif renforcé en matière de diminution des émissions. La vérité factuelle est que si les politiques annoncées devaient pleinement être mises en œuvre (ce dont on pourrait douter), l’horizon 2100 se stabiliserait entre + 2,5 et + 3 °.

Côté énergie, des ‘’efforts’’ sont demandés mais pas vraiment des résultats supplémentaires. La sortie du pétrole et du gaz n’est pas mentionnée. Seule, la fin des subventions inefficaces aux carburants fossiles devrait être recherchée.  Celle, progressive, du charbon n’est accompagnée d’aucune échéance de calendrier précise, même si le recours accéléré aux énergies renouvelables est  »recommandé » en relais. Au total, c’est une douche pour les doux rêveurs aspirant à une transition énergétique d’ampleur révolutionnaire. Pour l’UE, Frans Timmermans a conclu :  »l’avenir ne nous remerciera pas ».

Et voici une autre douche, peut-être, sur l’horizon calendaire : la prochaine COP28 se tiendra ‘’à l’ombre des derricks’’, aux Emirats arabes unis (à Dubaï), fin 2023. C’est dire combien la transition climatique s’émancipe des rentes polluantes du vieux monde…

* 17 novembre – Bonnes idées pour le G 20

Plusieurs bonnes idées et une certaine sagesse cartésienne imprègnent les interventions françaises à l’occasion du G 20 de Bali.

* Ce qu’il convient de retenir du discours d’Emmanuel Macron, ce sont d’abord les circonstances prenant le forme d’un dramatique incident de tir ukrainien par-delà la frontière polonaise. Cela invitait à la circonspection. Le champion du ‘’en même temps’’ s’en est bien tiré, évoquant la ‘’journée terrible pour l’Ukraine et le peuple ukrainien’’ au cours de laquelle plus de 85 missiles avaient frappé le pays agressé. Devant la presse, alors que toutes les hypothèses semblaient possibles, il a notamment recommandé la prudence et souligné l’épreuve terrible affectant les villes de Kiev, Lviv et Kharkiv touchées par des frappes russes et privées d’électricité par des températures glacées.

* Autre bonne idée : Emmanuel Macron a dit avoir discuté, avec le président chinois Xi Jinping, du principe d’une visite de sa part en Chine au début de 2023.  L’existence d’un espace de convergence – y compris avec les grands émergents, la Chine et l’Inde – devrait faciliter une intermédiation française pour pousser la Russie à la désescalade. Le président français souhaite voir la Chine jouer un rôle de persuasion sur Moscou dans l’optique d’une sortie de guerre, symétriquement aux sanctions des Occidentaux. Une première étape serait d’éviter une reprise violente de l’offensive russe au cours des prochains mois, quand le refourbissement des arsenaux, le changement des conditions météo et l’arrivée des nouvelles classes mobilisées en renfort réhausseront l’intensité des combats.

* Emmanuel Macron a sèchement lancé un appel au calme à l’Iran, dénonçant l’agressivité croissante de la République islamique à l’égard de la France. Celle-ci, dit-il, aurait toujours été dans une approche de discussion, de respect du pouvoir iranien(?!) – ça se discute – et donc déplorait les récentes  prises en otages de ses nationaux (il y en a sept, aux mains des Pasdarans et du clergé chiite), des actes ‘’inadmissibles’’. Téhéran est priée de ‘’revenir au calme’’, au respect des ressortissants français et à l’esprit de coopération. Ceci une fois dit, Paris sait réserver ‘’un chien de sa chienne’’, en retour aux mollahs. Il lui suffit de magnifier ‘’le courage et la légitimité’’ de la révolution des femmes et de la jeunesse iranienne, après des semaines de manifestations. Qui plus est, après la réception de dissidentes le 11 novembre à l’Élysée, tant fustigée par Téhéran. Plus cela sera désagréable aux autorités iraniennes, moins elle se privera de ce petit plaisir vengeur. En y rajoutant  un rien de provocation aux titre de ses valeurs universelles : ‘’Ces femmes et ces jeunes défendent nos valeurs, nos principes universels… Je dis ‘’nous’’, je ne parle pas de la France. Ils sont universels, ce sont aussi ceux de notre Charte des Nations Unies : l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de chaque être humain’’. On entend d’ici grincer les dents des théocrates barbus : ils répliquent en accusant Paris de se cacher derrière la révolution populaire en cours. In fine, la France fustige la récente série de frappes de missiles et de drones sur les communautés kurdes sur le sol iraqien. Non qu’elle fasse encore grand-chose pour ses anciens alliés.

* Autre bonne idée : au même titre que l’Union européenne qui en est membre, Paris dit soutenir l’intégration pleine et entière de l’Union africaine au G20, comme ‘’élément clé’’ de la recomposition des « règles de gouvernance des institutions internationales’’. C’est de bon sens. Cet élan de solidarité est peut-être une pure vue de l’esprit mais, formellement, elle réhaussera le crédit de l’ancienne métropole coloniale auprès des Etats-clients qui la boudent désormais.

* Le président français a également annoncé son projet de s’atteler aux conditions d’un véritable ‘’choc de financement vers le Sud’’  par la tenue, en juin prochain à Paris, d’une conférence internationale sur un nouveau pacte financier Nord-Sud. Cette logique s’impose : ‘’nous ne devons pas, nous ne pouvons pas demander à ces pays de soutenir le multilatéralisme, si celui-ci n’est pas en capacité de répondre à leurs urgences vitales’’. Bonnes idées et paroles fortes qui seront peut-être suivies d’actes. Mais le président a bien d’autres chats à fouetter…

* 16 novembre – Pluie de missiles, orage diplomatique

Frisson, … l’Occident – et le monde – se sont perçus, un court moment, confrontés au scénario cauchemar d’un engrenage entre l’OTAN et la Russie, après que des éléments de missile se sont abimés en territoire polonais, à quelques kms de la frontière ukrainienne. Le G 20 a débattu l’affaire, par ailleurs soumise à consultations à l’OTAN, au titre de l’article IV de la Charte atlantique. Pour la première fois depuis 1945, le sol de l’Union européenne semblait ciblé par une frappe d’agression. Une enquête est en cours. La circonspection s’est néanmoins imposée, vu la hauteur exceptionnelle des enjeux et les conséquences potentielles d’une éventuelle réplique occidentale. On se souviendra du 16 novembre comme ouvrant des perspectives inédites qui donnent le vertige. Le réflexe de prudence a été sage : le gouvernement polonais a vite sonné la fin d’alerte, de l’alerte précisément déclenchée par la retombée d’un anti-missile ukrainien. Il s’agirait d’un effet collatéral de la ‘’pluie de missiles’’  précipitée sur l’Ukraine par l’armée d’invasion russe.

Bien que très malheureux (il a fait deux victimes), l’épisode a fourni une illustration saisissante de l’acharnement russe à détruire son voisin de l’Ouest, là où il ne peut pas le mettre sous sa botte. Il est survenu au lendemain d’une cuisante défaite russe dans la cité sudiste de Kherson, libérée grâce à l’alliance de la vaillance ukrainienne avec les armes occidentales. S’en est suivie la vengeance de Moscou sur les villes ukrainiennes, visant à en détruire les infrastructures et à terroriser leurs populations, plongées dans la pénombre et dans le froid.

Le moment (mal) choisi ne pouvait qu’impressionner les participants aux deux grands fora internationaux en cours : la COP 27 de Charm El Sheikh et, plus encore, la réunion du G 20, à Bali. Partant, la propension du monde émergent – et même de la Chine – à l’évitement du sujet a été battue en brèche. L’isolement patent de la délégation russe, conduite par Serguei Lavroff, combinée à la plume habile de la délégation française, ont produit un texte articulé autour de la ‘’condamnation de la guerre, qui sape l’économie mondiale’’. Personne ne contestant le fait que l’initiative en est imputable à la seule Russie, la responsabilité de l’agresseur ressort bien en filigrane. Nouvelle défaite, diplomatique, celle-là, pour Poutine.

Souhaitons-lui tous les déboires d’une action criminelle ratée et la contestation du peuple russe, en retour.