Il y avait un temps où le petit émirat du Qatar avait besoin de la France pour faire respecter son existence. Nicolas Sarkozy l’a particulièrement choyé dans les années 1990, lui offrant des armes performantes pour assurer sa défense, l’encourageant à acquérir en franchise fiscale un empire immobilier à Paris et dans l’Hexagone, l’invitant à se forger l’image d’une puissance de premier rang dans le monde du football, aux dépens même de certains critères éthiques. Ceci l’a bien aidé à faire gagner sa candidature à l’organisation du ‘’Mondial de tous les excès’’, qui a débuté, douze ans plus tard, le 20 novembre.
L’histoire de ce pays est jeune : trois émirs s’y sont succédé depuis sa séparation du Royaume Uni. Mais, pour le moins, elle est assez chargée… et son ascension internationale à vitesse ‘’balistique’’ explique la persistance de ses archaïsmes autant que les critiques qu’il s’attire à l’international. S’y mêlent une insolente épopée énergétique et commerciale, avec les impacts écologiques et sociaux que l’on peut imaginer, un tapageux comportement de ‘’nouveau riche’’ avide cherchant à se mettre partout en avant, des choix géopolitiques hasardeux au sein du monde arabe, un voisinage jaloux, la disgrâce du wahhabisme, enfin, commune aux Etats du Golfe.
L’attribution de la Coupe du Monde au Qatar, en 2010, par la Fédération internationale de Football (Fifa) n’a guère choqué initialement. Malgré ses bizarreries – l’énorme budget et le coût humain cruel du chantier, la tenue de l’évènement en plein hiver, la climatisation générale des sites – rien n’annonçait que la fête pourrait être gâchée. Il n’est pas sûr qu’elle le soit, d’ailleurs, les récriminations mondiales ayant fait de cette péninsule étroite du Golfe un Etat ‘’people’’, chic et choc, incontournable. Le buzz fait désormais partie de son identité mondaine. Tamim Al Thani, l’émir actuel, est un pragmatique qui saura escamoter quelque temps la pudibonderie austère de la Religion, même si le tournant consistant à accueillir ‘’tous les supporteurs’’ (comprendre ‘’dont les minorités sexuelles’’) reste en travers de la gorge de ses sujets intégristes. Il mettra ce qu’il faut d’argent pour se faire pardonner les contributions quatariennes à la misère de la main d’œuvre et à la crise climatique. Il saura faire donner ses médias (dont Al Jézira) – le véritable étendard médiatique de l’Emirat – et flatter ceux des autres.
Est-ce la perspective d’un triomphe par le ‘’soft power’’ de ce pays du Golfe gorgé de pétrodollars et trop vite promu en puissance ? Sans doute, oui. L’accès à la gloire sera officiellement celui de l’émir, Tamim Al Thani, âgé de42 ans, au pouvoir depuis 2013. Il se sera sorti vainqueur du parcours d’obstacles de la préparation de la Coupe. Ces lauriers seront partagés avec son père, le cheikh Hamad, âgé de 70 ans, dont le rôle a été crucial dans le miracle gazier comme dans la désignation par la FIFA. La famille va s’auto-glorifier. De fait, la finale du Mondial est programmée le 18 décembre, jour de la fête nationale du Qatar célébrant cheikh Jassim Al Thani, le père-fondateur du Qatar.
Le pays part pourtant d’une situation peu enviable, lorsqu’il a fait le pari audacieux de l’exploitation de l’immense gisement de gaz offshore qu’il partage avec le colosse Iranien, son voisin sur la rive Est. Il y a investi plusieurs fois son PIB sans maîtriser ses débouchés d’exportation, faute de gazoduc. Mais il a gagné la manche en transformant, le premier, son pactole inerte en gaz naturel liquéfié exportable par la voie des mers. Les remous les plus sérieux seront venus du blocus des années 2017-2020, imposé sur terre et dans les airs, lorsque Doha a été mis au ban par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn. L’Emirat a alors payé l’hostilité que lui avait valu son engagement massif derrière les Frères musulmans de Mohammed Morsi, après le chute du président égyptien Hosni Moubarak. A son rôle très décrié dans le printemps arabe de 2011 s’ajoutait des soupçons de culpabilité complaisante à l’égard de Téhéran. Enfin, sa prétention à la notoriété mondiale à travers la coupe du monde de football avait achevé d’exciter la jalousie saoudienne (le Qatar est le premier Etat arabe à tenir cet évènement). Une telle accumulation de revers aurait dû faire un sort à ce prestigieux projet. Mais dans sa quête, le petit peuple des Qataris (300.000 âmes) a puisé une forte cohésion et n’a rien cédé. Le prince saoudien Mohamed ben Salman a fini par lâcher sa proie et par rétablir les communications et la circulation des biens et des personnes en 2017.
Le Qatar reste enfin le pays du Golfe le plus coopératif avec l’Occident au sein de l’OPAEP (les pays arabes exportateurs) ce qui laisse présager que nos gouvernements ne lui feront pas de misère. Doha n’a plus besoin de Paris mais, quid de la réciproque … ? Alors, vive la ballon rond !