* 22 novembre – Du foot et du gaz

Il y avait un temps où le petit émirat du Qatar avait besoin de la France pour faire respecter son existence. Nicolas Sarkozy l’a particulièrement choyé dans les années 1990, lui offrant des armes performantes pour assurer sa défense, l’encourageant à acquérir en franchise fiscale un empire immobilier à Paris et dans l’Hexagone, l’invitant à se forger l’image d’une puissance de premier rang dans le monde du football, aux dépens même de certains critères éthiques. Ceci l’a bien aidé à faire gagner sa candidature à l’organisation du ‘’Mondial de tous les excès’’, qui a débuté, douze ans plus tard, le 20 novembre.  

L’histoire de ce pays est jeune : trois émirs s’y sont succédé depuis sa séparation du Royaume Uni. Mais, pour le moins, elle est assez chargée… et son ascension internationale à vitesse ‘’balistique’’ explique la persistance de ses archaïsmes autant que les critiques qu’il s’attire à l’international. S’y mêlent  une insolente épopée énergétique et commerciale, avec les impacts écologiques et sociaux que l’on peut imaginer, un tapageux comportement de ‘’nouveau riche’’ avide cherchant à se mettre partout en avant, des choix géopolitiques hasardeux au sein du monde arabe, un voisinage jaloux, la disgrâce du wahhabisme, enfin, commune aux Etats du Golfe.

L’attribution de la Coupe du Monde au Qatar, en 2010, par la Fédération internationale de Football (Fifa) n’a guère choqué initialement. Malgré ses bizarreries – l’énorme budget et le coût humain cruel du chantier, la tenue de l’évènement en plein hiver, la climatisation générale des sites – rien n’annonçait que la fête pourrait être gâchée. Il n’est pas sûr qu’elle le soit, d’ailleurs, les récriminations mondiales ayant fait de cette péninsule étroite du Golfe un Etat ‘’people’’, chic et choc, incontournable. Le buzz fait désormais partie de son identité mondaine. Tamim Al Thani, l’émir actuel, est un pragmatique qui saura escamoter quelque temps la pudibonderie austère de la Religion, même si le tournant consistant à accueillir ‘’tous les supporteurs’’ (comprendre ‘’dont les minorités sexuelles’’) reste en travers de la gorge de ses sujets intégristes. Il mettra ce qu’il faut d’argent pour se faire pardonner les contributions quatariennes à la misère de la main d’œuvre et à la crise climatique. Il saura faire donner ses médias (dont Al Jézira) – le véritable étendard médiatique de l’Emirat – et flatter ceux des autres.

Est-ce la perspective d’un triomphe par le ‘’soft power’’ de ce pays du Golfe gorgé de pétrodollars et trop vite promu en puissance ? Sans doute, oui. L’accès à la gloire sera officiellement celui de l’émir, Tamim Al Thani, âgé de42 ans, au pouvoir depuis 2013. Il se sera sorti vainqueur du parcours d’obstacles de la préparation de la Coupe. Ces lauriers seront partagés avec son père, le cheikh Hamad, âgé de 70 ans, dont le rôle a été crucial dans le miracle gazier comme dans la désignation par la FIFA. La famille va s’auto-glorifier. De fait, la finale du Mondial est programmée le 18 décembre, jour de la fête nationale du Qatar célébrant cheikh Jassim Al Thani, le père-fondateur du Qatar.

Le pays part pourtant d’une situation peu enviable, lorsqu’il a fait le pari audacieux de l’exploitation de l’immense gisement de gaz offshore qu’il partage avec le colosse Iranien, son voisin sur la rive Est. Il y a investi plusieurs fois son PIB sans maîtriser ses débouchés d’exportation, faute de gazoduc. Mais il a gagné la manche en transformant, le premier, son pactole inerte en gaz naturel liquéfié exportable par la voie des mers. Les remous les plus sérieux seront venus du blocus des années 2017-2020, imposé sur terre et dans les airs, lorsque Doha a été mis au ban par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn. L’Emirat a alors payé l’hostilité que lui avait valu son engagement massif derrière les Frères musulmans de Mohammed Morsi, après le chute du président égyptien Hosni Moubarak. A son rôle très décrié dans le printemps arabe de 2011 s’ajoutait des soupçons de culpabilité complaisante à l’égard de Téhéran. Enfin, sa prétention à la notoriété mondiale à travers la coupe du monde de football avait achevé d’exciter la jalousie saoudienne (le Qatar est le premier Etat arabe à tenir cet évènement). Une telle accumulation de revers aurait dû faire un sort à ce prestigieux projet. Mais dans sa quête, le petit peuple des Qataris (300.000 âmes) a puisé une forte cohésion et n’a rien cédé. Le prince saoudien Mohamed ben Salman a fini par lâcher sa proie et par rétablir les communications et la circulation des biens et des personnes en 2017.

Le Qatar reste enfin le pays du Golfe le plus coopératif avec l’Occident au sein de l’OPAEP (les pays arabes exportateurs) ce qui laisse présager que nos gouvernements ne lui feront pas de misère. Doha n’a plus besoin de Paris mais, quid de la réciproque … ? Alors, vive la ballon rond !

* 22 novembre – La COP, à l’ombre des derricks

Bôôf ! La COP 27 s’achève sur un bilan mi-figue, mi-raisin… plus ou moins inutile, plus ou moins sauvée, dit-on. Personne n’en attendait un énorme sursaut. Cet outil de la méthode Coué collective, destiné à émuler les gouvernements, n’est pas, il est vrai, le moteur primordial de la politique de prévention d’un dérèglement toujours plus grave du climat. Les peuples pèsent plus lourd que leurs dirigeants sur la prévention comme sur l’adaptation… mais en ordre totalement dispersé. Les lobbies industriels les plus puissants étaient, eux aussi, à Charm El Cheikh pour verdir leur image et s’assurer que la révolution climatique n’irait pas trop loin. La COP fait le point à la croisée de forces hétérogènes qui sont aux prises entre elles. Elle offre surtout un semblant de coordination mondiale, ingrédient indispensable mais qui reste faible et à la merci du rapport de force géopolitique.

Bref, un accord  »mou » a été trouvé in extremis, le 19 novembre, sur la question des dégâts climatiques subis par les pays pauvres les plus vulnérables au climat. Un fonds spécifique sera dédié à la mobilisation des fonds (en clair : des prêts et non des dons) pour compenser leurs pertes et dommages. Il établira des protocoles de fonctionnement puis répartira entre eux des moyens financiers. Ces derniers sont encore très peu abondés en promesses (350 Mns pour un besoin chiffrable en milliards). Un ‘’comité de transition’’ mixte Nord / Sud doit encore en préciser la marche générale. On n’est donc pas encore parvenu à destination. Bien qu’un peu improvisé, c’était le principal point à émerger sous la lumière des médias, celui aussi qui a bloqué les laborieuses négociations de la conférence durant deux semaines. La présidence égyptienne, peu visionnaire et faiblement militante, a tardivement rempli son rôle de bons offices mais a minima. La conversion de l’UE au financement de cette demande de trente ans des pays du Sud a entrainé le ralliement des Etats Unis. La présidence a trainé des pieds pour épargner à la Chine et à l’Arabie saoudite, rétives d’avoir à contribuer, à concéder quelques ressources.

Pour le reste, on chercherait en vain des progrès visibles par rapport à la COP de Paris et à celle, dernière en date, de Glasgow. L’objectif de 1,5 % de réchauffement maximum d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère pré-industrielle – une pure chimère, cette ligne rouge étant déjà presqu’atteinte – reste paradoxalement inchangé. Point donc d’objectif renforcé en matière de diminution des émissions. La vérité factuelle est que si les politiques annoncées devaient pleinement être mises en œuvre (ce dont on pourrait douter), l’horizon 2100 se stabiliserait entre + 2,5 et + 3 °.

Côté énergie, des ‘’efforts’’ sont demandés mais pas vraiment des résultats supplémentaires. La sortie du pétrole et du gaz n’est pas mentionnée. Seule, la fin des subventions inefficaces aux carburants fossiles devrait être recherchée.  Celle, progressive, du charbon n’est accompagnée d’aucune échéance de calendrier précise, même si le recours accéléré aux énergies renouvelables est  »recommandé » en relais. Au total, c’est une douche pour les doux rêveurs aspirant à une transition énergétique d’ampleur révolutionnaire. Pour l’UE, Frans Timmermans a conclu :  »l’avenir ne nous remerciera pas ».

Et voici une autre douche, peut-être, sur l’horizon calendaire : la prochaine COP28 se tiendra ‘’à l’ombre des derricks’’, aux Emirats arabes unis (à Dubaï), fin 2023. C’est dire combien la transition climatique s’émancipe des rentes polluantes du vieux monde…

* 9 mai – Un monde d’antagonismes

Etrange journée symptomatique des divisions – que dis-je, des grands écarts – du monde actuel. Le 9 mai marque à la fois la  »Saint Schuman », fête de l’Europe, et la célébration de la fin de la seconde guerre mondiale, du côté ex-soviétique. Deux modèles s’affichent dans le plus total antagonisme.

A Strasbourg, le président français réélu va tenter de marquer les esprits avant la fin de son mandat de six mois ( »présidence de l’U.E »). Il clôt solennellement la Convention sur l’avenir de l’Europe. On veut croire qu’elle en a un. Déjà, le Brexit ne fait plus recette : l’économie est à l’arrêt et Boris Johnson vient de prendre une dérouillée électorale. Même l’Ulster  »unioniste » passe doucement à une autre union, avec sa sœur républicaine. L’Union des 27 a soutenu ce choc là et les suivants : Covid, crise économique (encore à se développer) et maintenant l’invasion de l’Ukraine, où, à l’exception de la Hongrie, elle s’engage dans une guerre par proxy pour le droit et la démocratie. Cela doit surprendre et même énerver un peu à Moscou, où les présidentielles françaises ouvraient d’autres calculs. Mais, puisqu’il s’agit de l’Union Européenne, gardons à l’esprit la fragilité de son ciment. Entre le 27, tout d’abord, où une victoire électorale  »populiste » peut lézarder l’édifice, entre les institutions européennes et les populations ensuite.

Le statu quo n’est plus tenable dans la durée, bonne raison pour invoquer l’esprit imaginatif et pondéré de Schuman (et de Jean Monnet, en coulisse). Même si la géopolitique impose une forme  »défensive » d’élargissement à l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie – sans intégration immédiate sur les autres plans – ce réflexe de sauvegarde des démocraties va contribuer à alourdir le vaisseau européen plutôt qu’à gonfler sa voilure. Cela ne facilitera pas le passage à un Parlement élu avec une proportion de transnationalité appelée à grandir. Il faut bien pourtant que les citoyens du continent prennent conscience d’être collectivement – et non pas par quotas -, les maîtres du Législatif. De même, s’agissant de la Commission, dont la présidente actuelle est en tous points à la hauteur mais pas élue. Puisqu’à l’échelon continental, on n’est pas prêt à choisir le  »président élu de l’Europe », veillons au minimum à ce que le Parlement élise le chef/ la cheffe de l’autre pilier institutionnel qu’est la Commission. Quant aux politiques, maintenant que l’Union s’est pas mal extraite de l »’obsession de Maastricht », il est grand temps de s’atteler à l’Europe sociale (le Royaume Uni ne peut plus la bloquer), à celle de la défense (pas seulement au niveau des matériels mais des budgets, des états-majors et des hommes), aux questions de l’énergie et de la santé aussi, qu’Ursula von der Leyen a pris à bras-le-corps, à l’investissement dans la recherche, le climat et l’autonomie industrielle. Tout cela est inscrit dans la feuille de route, mais les européens ne se sont pas approprié celle-ci, qui n’est pas à l’abri de possibles déraillements ou de spasmes politiques. Et la guerre comme la stagflation menacent.

Certes, le 9 mai vit l’Union soviétique triompher du nazisme dans sa  »grande guerre patriotique ». Respect pour l’histoire, mais n’allons pas croire que sans le fardeau porté par les alliés, ce triomphe  »en solo » en aurait été un. L’Union soviétique a eu ses héros, tout comme les autres belligérants. Sa masse et la manière de ses états-majors de traiter leurs troupes comme chair à canon en ont fauché bien plus que dans les autres camps (en 1942, pour un Messerschmidt 109 abattu, la VF russe, de taille supérieure, perdait 20 chasseurs). Mais la chose qui rend inintéressant le grand défilé de la victoire, à Moscou est son révisionnisme éhonté. Le tableau historique est entièrement réécrit en fonction des méfaits présents et des outrances de la propagande poutinienne : les Ukrainien incarnent le Reich, les Occidentaux, de fourbes alliés des Hitlériens, le bunker volant du maître du Kremlin et tous ses  »hyper-missiles », de sortie pour l’occasion déversent sur nous des menaces d’Apocalypse (d’ailleurs mal comprise, par rapport à la version de l’apôtre Jean).

Une conclusion s’impose : suivre l’actualité de Strasbourg ; exprimer quelques sarcasmes pour le médiocre cirque de Moscou et revenir à ce qui compte.

* 25 avril – ‘’Ouf !’’

Le Pays a conduit, sans dégât majeur, sa consultation de ouf (excusez la familiarité !). L’Europe et une bonne partie du monde pousse en effet un grand ‘’ouf !’’. C’est l’expression française à l’ordre du jour, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. Ouf : 23% des suffrages seulement à la haine de l’Europe : Viktor Orban a perdu hier un disciple et allié en la personne du premier ministre illibéral, intégriste, le Sieur Janez Jansa. Les Slovènes l’ont lourdement éjecté, par les urnes : quel beau pays montagneux de deux millions d’habitants !.. voisin de la Hongrie, on l’oublia, Na !

Place au preux Robert Golob, qui a remporté une victoire sans pareille depuis l’indépendance de 1991, avec 41 des 90 sièges parlementaires. Il a fait campagne sur le rétablissement d’une société libre et ouverte, sur la base d’un programme de centre gauche et écologiste. Son mandat clair, pro-européen, dépite sûrement le sinistre Attila de Budapest. Il réjouit fortement les instances bruxelloises, les partenaires européens et, j’imagine, les Français en premier lieu, puisque Paris détient la présidence des 27 jusqu’à la fin-mai.  Encore : ‘’Ouf !’’

Mais l’Ours tourne sa patte autour de son oreille en roulant des yeux ronds, d’une façon qui pourrait signifier : ‘’ça va pas la tête !’’. Ah bon ? On aurait tenu aussi un scrutin en France, comme en Slovénie ? Tiens … vraiment ? Moi, je ne peux  pas tout savoir, tout enregistrer, tout commenter, c’est ouf. L’Ours me signale que des flots de félicitations tombent sur le vainqueur à Paris, un individu aux yeux bleus. Je suis sûr que M. Golob s’est fendu d’un beau message fleuri, même si on attend encore celui de Poutine taché de poudre et de sang.  Et tout cette belle littérature serait rédigée en français, pour que le destinataire comprenne bien qu’il ne faut pas rigoler avec l’Europe, les institutions de la Démocratie, le combat exigeant pour une paix juste en Ukraine (on ne répètera pas assez que les paix injustes sont du poison), le climat, etc. Alors, le petit français vernis, il va avoir du pain bio multi graines sur la planche. Un travail de ouf pour rendre le monde un peu moins ouf. Vous m’avez compris ?

Ouf !

* 20 avril – Diplomatie du silence des cimetières

Il y aurait, face au scrutin présidentiel français, 10 millions de malheureux qui ne se reconnaissent pas dans l’un ou l’autre des camps en présence. D’ailleurs, l’Ours à lunettes qui s’agite à l’intérieur de ce blog me paraît un peu morose sur le plan partisan. Il suit habituellement deux principes contradictoires :

(1) considérer la politique intérieure et l’action extérieure d’un pays comme formant un tout indissociable. (2) et ne pas trop s’aventurer dans les arcanes du militantisme partisan et toutes ces choses qui fâchent. Comme toute règle française s’impose essentiellement par l’existence d’exceptions, alors il transgresse.

Le Monde a titré : ‘’Marine Le Pen projette une diplomatie à l’opposé de celle d’Emmanuel Macron’’. Le Blog de l’Ours n’est pas sûr que les penchants de politique étrangère de cette dame et de ce monsieur traduisent fidèlement ceux – assez émotionnels – des électeurs français. Que ceux-ci trouvent le monde trop global, trop fracturé ou dangereusement complexe, on ne les a pas habitués, pour autant, à exprimer leurs convictions sous forme de programme, dans un domaine aussi ‘’régalien’’. D’ailleurs, à l’heure d’introduire leur bulletin dans l’urne, qui penserait à faire son régal du régalien (sinon l’Ours) ?

La candidate à la présidentielle prône la diplomatie du silence et de l’action confidentielle, proche de la définition, très régalienne, du putsch. C’est précisément le style de gouvernance autoritaire auquel les historiens imputent la première guerre mondiale. Mauvais présage, donc. Elle a présenté un programme de politique internationale que l’on pourrait décrire comme un brouillard autarcique, en rupture avec les principaux préceptes qui, depuis le Moyen-Age ont tenté d’apporte un peu d’ordre et quelques espoirs de paix et de démocratie. Une vraie Marine de guerre. Si on devait la voir barrer à la passerelle, cette ‘’diplomatie du silence’’ tonnerait comme un canon, à travers la planète.

Premier coup de gros calibre : l’amitié et même l’alliance qu’elle avait nouées avec Vladimir Poutine seraient confirmée ‘’dès un traité de paix signé entre la Russie et l’Ukraine ». Cette  »opération (de destruction) spéciale » sur le voisin et sa population ne serait donc qu’une innocente chamaillerie, une simple parenthèse vite refermée par une réconciliation scellée dans les bonnes formes diplomatiques. Croit-elle vraiment à l’imminence d’une si belle ‘’happy end’’ sur les rives du Dniepr ? A-t-elle juste oublié que la Russie de Poutine règle ses comptes non seulement avec l’Ukraine (pays qui, selon l’ami Vlad, n’existerait pas mais aussi avec 500 millions d’Européens ‘’ennemis’’ qu’il veut soumettre à son obsession impériale ? Nul doute que la dame adopterait bien vite la conception de la neutralité super-conciliante envers l’Est, que la Finlande récuse et que l’Ukraine voudrait encadrer de vraies et solides garanties. La France de Marine adopterait, seule, la posture de la ‘’bonne Ukraine de Ouest’’, telle qu’on la dicte au Kremlin. Au conseil de sécurité de l’ONU, elle s’alignerait amicalement sur Moscou, pour traiter de la guerre ou de la paix.

Il en serait ainsi, pour un autre motif : qu’elle serait sortie de sa propre initiative, du volet militaire de l’Alliance atlantique. Partant, elle aurait donc renoncé à la défense de l’Europe, telle que le Continent la conçoit, et à la sienne propre, devenue impossible. Aucune vision autonome de ce côté-là, l’alliance avec la Russie reprenant la main sur sa diplomatie, dès que le fût des canons aurait tant soi peu refroidi. D’ailleurs, bonne fille, la France s’attellerait à une troisième alliance, entre la Russie et l’OTAN, cette fois. Il n’y aurait plus qu’à renvoyer les Américains chez eux, comme l’ont fait les braves barbus afghans. Une fois l’Europe ‘’réarrimée à la Russie’’, une ère de paix s’ouvrirait, au soleil de laquelle l’Union Européenne – pas question de la quitter, rassure-t-elle – se disloquerait rapidement autour d’une France exécrée, coupable toutes les méfiances et désordres qu’on imagine.

Cette mutation de la France-puissance en une ‘’hyper-Hongrie’’(sensiblement plus  »illibérale » et xénophobe que celle de Budapest), ne briserait pas, selon la rhétorique RN, le duo franco-allemand. Simplement, il faudrait cesser tout ‘’aveuglement à l’égard de Berlin’’ (et de son chancelier rouge). On arrêterait aussitôt tout échange politico-militaire et toute coopération de défense avec les Rhénans maudits. Ajoutez à cela des expulsions à tour de bras de membres de familles étrangères séparées ou de couples mixtes, la fin des naturalisations et de la nationalité par droit du sol, enfin, la remise en cause du droit communautaire et du droit humanitaire, etc., Plutôt qu’un rayonnement de la France dans le monde, s’imposera sa forte imprégnation idéologique par la préférence nationale, rabougrie, allant de pair avec un mépris assumé des institutions (dont la Constitution et le Parlement) et, pour tout dire, un hubris de diplomatie provocatrice. Cela ne pourrait qu’isoler la France et l’abaisser à l’international. Tous les ingrédients de la politique intérieure de la dame sont là et transpirent de son plan d’action extérieure. Point de barrière entre l’ordre intérieur et l’action extérieure, répétons le !

Pour qui aime la fermer et aller mourir à la guerre (sans broncher), le bulletin doit aller à la ‘’diplomatie silencieuse (et l’action confidentielle)’’.

* 6 avril – Dévastation et spéculation

En ordre de marche ou en débris calcinés, les colonnes de chars n’arrêtent pas les spéculateurs. Le redéploiement sur le Donbass et sur le littoral de la cohorte russe laisse derrière lui d’indicibles charniers. La thèse d’une vengeance aveugle face à une résistance ukrainienne qui a contrarié ses plans est largement documentée : sur le terrain, les atrocités ont été constatées par de nombreuses sources. Le tribunal Pénal International aura de la matière pour alimenter ses réquisitoires. Au Conseil de Sécurité des Nations Unies, l’administration américaine avance l’existence de ‘’camps de filtration’’, destinés à déporter des populations ukrainiennes vers des destinations inconnues en Russie. De même source (à vérifier) plus de 600.000 personnes en seraient déjà victimes … pour laisser la place à des colons russes ? Après Staline et Hitler, de telles monstruosités glacent le sang.

Pendant ce temps-là, les marchés boursiers continuent – sans ciller – leur petit bonhomme de chemin. Les volumes d’échange sur les dettes d’entreprises russes et ukrainiennes ont bondi, de 100 millions de dollars avant le 24 février à 300 millions, voire 500 millions de dollars, au cours de mars. Selon un analyste financier de la place de Paris, les boursicoteurs cherchent à se défaire de leurs actifs russes ou ukrainiens et « il n’y a jamais eu autant de transactions sur des valeurs russes depuis mars 2020 ». Ces actions, ukrainiennes comme russes, sont devenues ‘’toxiques’’ et les agents économiques s’en débarrassent rapidement, pour des raisons qui tiennent tant aux risques financiers encourus qu’à leur réputation auprès des clients.

Mais, à en croire le Financial Times, la spéculation marche à double sens : une grosse dizaine de ‘’profiteurs de guerre’’, spécialisés dans l’achat et la revente de dettes souveraines de pays en faillite financière, s’emploient à ‘’faire de l’argent’’ sur la Russie et l’Ukraine » (le journal financier cite Aurelius, Silver Point ou Golden Tree). Pour une poignée de dollars, ils rachètent l’Ukraine sacrifiée et la Russie exsangue. Ils espèrent revendre leurs proies plus tard, à prix d’or.

Y aurait-il quelque chose d’indécent dans notre bréviaire économique ?

* 24 mars – Le coût (coup ?) de la résistance

Kiev tient bon et, avec un soutien crescendo de l’Occident, l’Ukraine s’installe dans une résistance durable à l’Agresseur. Le conflit, lancé par Vladimir Poutine il y a juste un mois, va durer pour empêcher qu’on aboutisse à la paix injuste des cimetières. La guerre joyeuse n’existant pas, elle engendrera des coûts douloureux pour tous. C’est déjà la cas pour les Ukrainiens, dont les sacrifices immenses nous sautent littéralement aux yeux. Mais les  »coups des coûts » concerneront inévitablement les Européens des confins de la Mer Noire ou des Balkans et, enfin, les pays de l’Union européenne en situation d’être le pilier de la résistance. Que sont-ils prêts à concéder en confort, niveau de vie, effort de défense, tranquillité à la survie de leurs voisins, à la résistance de Kiev, pour la sauvegarde de leurs libertés démocratiques chèrement acquises et toujours fragiles ?

Hier, le président Zelensky s’est adressé à l’Assemblée nationale française, comme il le fait jour après jour au démocraties occidentales. Il semble admettre que, sauf à déclencher une déflagration mondiale, l’arme principale à retourner contre Poutine est l’assèchement total et rapide de l’économie de guerre russe par voie de blocus et d’isolement. La stratégie des Etats-soutiens de l’Ukraine reste pourtant hésitante et, pour le moins contradictoire matière de commerce. Zelensky demande que l’ensemble de l’approvisionnement européen en gaz et pétrole russe soit coupé, ce qui priverait l’Agresseur de près d’un milliard de dollars par jour. Il exige que les entreprises occidentales installées en Russie cessent d’être  »sponsors » de l’offensive de l’armée russe. Citant les grands groupes français investisseurs dans le pays de l’Ours, il met l’U.E – dont la France – face à la responsabilité de traduire pleinement les mots par des actes courageux.

Cette guerre à nos portes en dit long sur la  »conscience citoyenne » de nos entreprises. Il est clair que, sans l’énorme pression des médias et de la société civile, la CAC 40 et ses homologues européens n’auraient pas bougé d’un pouce. En défaut de conscience civique, seules les lois du marketing peuvent atteindre nos capitaines d’industrie. En caricaturant : si les consommateurs écœurés ne manifestaient pas une certaine prédisposition à boycotter leurs produits et à siffler leurs pubs, rien ne leur causerait du souci. Partisans du  »on ne fait pas de politique (seulement, de l’argent) » , ils s’ajustent sans y penser à celle des dictateurs.

Voyez tel grand cimentier au Moyen-Orient qui a  »salarié » des jihadistes criminels de guerre. Ou encore un grand pétrolier tricolore opérant en Birmanie, qui a bénéficié du servage et se perd aujourd’hui en concussion avec des narco-généraux assassins de leur peuple. Nous voyons le même protéger son juteux commerce gazier avec la Russie, en nous parlant du pétrole qu’il arrêterait d’acheter en 2023. Hors-sujet, de la pure infox ! Un troisième, royalement installé sur le marché du bricolage, nous prie de lui f..tre la paix, idiots que nous sommes, qui risquerions de précipiter sa nationalisation par Poutine (pour lui, le vrai sujet se limite à ça). Un quatrième, qui vend 600.000 véhicules locaux par an et moins de cent milles badgées de son logo, continuera à fabriquer et à vendre ces dernières. Dans les années 1940, il avait plus qu’un peu travaillé pour la Wehrmacht. et la liste est longue : 700 firmes françaises en Russie …

Pour ces champions français, la Paix n’est pas un but primordial, la démocratie génère plutôt un surcoût qu’une motivation. Le marketing règne en maître et la Bourse veille. On a le droit de se demander s’ils sont des amis de la Démocratie et de la Justice à travers le monde. Au-delà, la question est posée : ces grandes entreprises joueront elles jamais le jeu dans le combat qui nous attend contre le dérèglement du climat ? Dans sa candeur, Adam Smith imaginait que les lois du marché fonctionneraient bien, parce que les acteurs économiques seraient, par culture et par définition, attachés à la vertu. Pauvre Adam…

* 18 mars – De la vodka dans le gaz

Sans dessus-dessous est donc le monde géopolitique, après l’agression de l’Ukraine. Avant le 24 février, les crises bloquaient partout, avec, peut-être, la paradoxale exception du dialogue des Six (les cinq permanents du Conseil de Sécurité plus l’Allemagne) avec l’Iran, sur la prolifération nucléaire. On a d’ailleurs cédé à l’exigence de Moscou d’être exemptée des sanctions occidentales dans ses échanges avec Téhéran. Exception intéressante. Ailleurs, les blocages deviennent des fractures entre blocs antagonistes et les Etats  »voyous » s’en donnent à cœur joie (Corée du Nord, Erythrée, Mali et Centrafrique, …). Les rideaux de fer qui tombent sont sans doute le motif principal à voir se profiler une  »nouvelle guerre froide », d’ailleurs plus chaude que l’indiquerait ce terme et en plus que deux blocs.

Le plus extraordinaire, vu de l’observatoire de l’Ours, c’est de voir l’Europe réarmer et s’engager dans une guerre en sous-main (le mot guerre est fortement déconseillé, à l’Ouest aussi) contre l’envahisseur russe. Les Etats Unis se découvrent deux fronts et deux adversaires, alors qu’ils s’efforçaient de faire  »pivoter » sur l’extrême orient leur axe de priorité stratégique. Réveil en grande alarme face à la Russie de Poutine et mise en garde à la Chine :  »n’allez pas au secours de l’Agresseur ». Biden se retrouve, un peu fortuitement, à la tête de la coalition occidentale des démocraties. A Kiev, Volodymyr Zelensky l’appelle à diriger la  »contre-guerre », quitte à en élargir le théâtre au monde entier. Mais on dirait la même chose, à sa place. L’Europe n’est pas encore prête pour gérer, en son nom, la crise. Il faudra attendre des années pour  »européaniser » l’Alliance atlantique, y rééquilibrer le pouvoir politique. En attendant, on se serre les coudes, à l’Ouest.

La France n’est pas la dernière à participer à – nous dirons –  »l’effort de soutien à la défense ukrainienne ». Depuis l’emploi des premiers gaz de guerre, à Ypres en avril 1915, elle détient une responsabilité mondiale spécifique : celle de faire respecter la Convention d’interdiction des armes chimiques (en vigueur depuis 1997). En tant que première victime de cette arme de destruction massive (ADM), elle est missionnée d’être le premier garant contre son usage. L’engagement va en fait de la fabrication, du stockage … jusqu’à l’emploi. Pourtant, on a laissé la Russie, comme la Syrie et jadis l’Irak, constituer des stocks de cette arme prohibée. On sait qu’en 2013, Paris et surtout Washington ont renoncé à réagir conformément à leurs responsabilités, lors des attaques chimiques de Bachar (avec le soutien russe) contre des quartiers  »rebelles » de Damas.

Comme pour l’emploi éventuel de l’arme nucléaire par Vladimir Poutine (Paris possédant la seule force de dissuasion activable au sein de l’U.E), celui de l’arsenal chimique illégal de la Russie en Ukraine (ou ailleurs) placerait la France sur l’avant-scène de la riposte. Qui plus est, dans la doctrine stratégique française, « toutes les ADM entrent ensemble dans la dissuasion et donc dans la préparation de la riposte ». Face à une agression chimique ou biologique, l’option d’un recours au nucléaire est posée. Aux termes des Traités de l’Union, ce principe – valable pour sanctuariser le territoire français – connaitrait nécessairement un champ d’application plus large, si l’Europe devait être attaquée. Actuellement, les bombes russes restent  »conventionnelles », mais elles tombent néanmoins à quelques dizaines de kilomètres des frontières européennes, en Pologne. Affaire à suivre.

En de telles circonstances, l’Ours géopolitique est perplexe d’entendre le patron de la diplomatie française, après avoir accusé la Russie de  »faire semblant de négocier avec l’Ukraine » (une évidence), énoncer qu’en cas d’extermination du peuple ukrainien par l’arme chimique ou biologique,  »les sanctions économiques que l’on prendrait seraient absolument massives et radicales, sans tabou ». Seulement  »économiques », les sanctions ?! Est-ce à dire qu’on arrêterait, par exemple, de fournir l’armée russe en viseurs, capteurs, systèmes de ciblage made in France ? Apparemment, quelque chose se dégonfle dans la fière posture de la diplomatie française. Si advenait, ce scénario extrême – heureusement improbable (on l’espère) -, le devoir de la France envers le monde serait, en bon pompier, de détruire immédiatement les stocks chimiques ou bio incriminés … sur le territoire de l’utilisateur. En contournant l’Ukraine, bien entendu, pour ne pas devenir belligérant sur ce théâtre d »opérations militaires spéciales ».

Vous avez le droit d’avoir le tournis.

* 16 mars – L’Evangile selon Vladimir

 »Aimez vos ennemis ». On ne lira jamais cela dans l’Evangile selon Vladimir. Le  »toujours pire » qu’il affectionne ne laisse entrevoir aucune trace d’humanité, seulement un orgueil démesuré emprunt de malfaisance. Face à la destruction qu’il incarne, que pourrait-on faire qui soit moral (voire de légal) afin de soutenir l’Ukraine ?

Avant tout, il faudrait protéger le président Zelensky et son gouvernement. Les dirigeants ukrainiens semblent prêts à aller jusqu’au sacrifice personnel, à succomber héroïquement sur le Champ d’Honneur. Mais, lorsque le moment ultime viendra, la survie sur la terre d’Europe d’un gouvernement ukrainien en exil sera politiquement trop cruciale pour qu’ils s’exposent à la mort. Si leur chute advenait en l’absence d’une formule de continuité hors de leurs frontières, elle débouchait sur un dangereux vide de pouvoir. Une administration  »Quisling » (ou Laval), illégitime, les remplacerait, à la botte de l’occupant. Celle-ci devrait d’emblée être sanctionnée en usurpatrice et expulsée du système international. Parallèlement, organiser politiquement les opposants russes – par exemple à Paris – insufflerait du courage à leurs concitoyens résistant encore dans la  »prison. des peuples ». C’est un minimum sur le plan légal.

Exclure la Russie des Nations Unies ouvrirait des possibilités pour aller plus loin. Notamment, pour amener Poutine et ses proches à répondre personnellement de leurs crimes et pour permettre alors aux Russes d’organiser leur avenir, en retournant sous la Charte de l’ONU et sous l’Etat de droit. L’Assemblée générale des Nations Unies n’a pas explicitement ce pouvoir, à l’heure qu’il est, mais des précédents existe (guerre de Corée et vote de l’AG pour une intervention militaire) et les juristes sauraient trouver des biais pour contourner le veto russe, dans l’hypothèse d’une demande politique fortement majoritaire.

 Dans la gamme ‘’flexion de muscles’’, que Vladimir décrypte bien, il serait légitime et légal de  »bloquer » les groupes armés étrangers ou non constitués, complices de crimes de guerre aux côtés de la soldatesque russe. Les nervis syriens de Bachar, qui ont massacré leurs concitoyens, n’ont aucun droit à débarquer, armés, en Europe pour recommencer partout Alep. Dans le ciel du Proche-Orient, les avions qui les transportent sur le front ukrainien pourraient bien disparaître des radars en cours de route. Sans regret aucun. De même, le mercenariat étant, comme la piraterie, prohibé par le droit international, les tueurs de Wagner à l’international – qui ne valent pas mieux – pourraient trouver le chemin des tribunaux, si on les y aidait un peu. On commencerait par l’Afrique sub-saharienne, où le rapport de forces ne leur est pas si favorable. Et il y a toujours, bien sûr, les livraisons d’armes, la guerre électronique, le renseignement et … chuuut ! … les opérations spéciales (pas celles de Vladimir), les sanctions, la guerre des médias déjà gagnée …

Au total, donc, rien d’illégal, ni rien qui implique de pénétrer en force sur le champ de bataille ukrainien. Juste des signaux bien clairs. Ils disent que les Occidentaux présumés ‘’dégénérés’’ sont quand même à prendre au sérieux. D’ailleurs, aucun terrorisme – même proclamé ‘’chrétien’’ – n’est plus vivable ou plus acceptable qu’un autre. C’est l’évangile de l’Ours. Une jolie chanson pour conclure :

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Quand les hommes vivront d’amour
Il n’y aura plus de misère
Les soldats seront troubadours
Mais nous, nous serons morts mon frère

Dans la grande chaîne de la vie
Où il fallait que nous passions
Où il fallait que nous soyons
Nous aurons eu la mauvaise partie

Quand les hommes vivront d’amour
Il n’y aura plus de misère
Les soldats seront troubadours
Mais nous nous serons morts, mon frère

Dans la grande chaîne de la vie
Pour qu’il y ait un meilleur temps
Il faut toujours quelques perdants
De la sagesse ici bas c’est le prix

Quand les hommes vivront d’amour
Il n’y aura plus de misère
Les soldats seront troubadours
Mais nous nous serons morts, mon frère

(1978 Raymond Levesque – Robert Charlebois)

* 9 mars – Le droit, notre garde-fou

La brève d’hier parlait des  »jeux pernicieux » du dictateur russe avec la vie de civils innocents. Le nombre de conflits violents déclenchés de son fait depuis sa trouble accession au pouvoir, en 2000, est tel que l’on y voit une vocation à la cruauté. Ceci, toujours pour des gains prédateurs sous-tendus par un nationalisme paranoïaque (à divers degrés le nationalisme, comme on le dit,  »c’est la haine »). La dénonciation de son profond mépris pour le droit international humanitaire n’est pas nouvelle. Il agit donc en pleine connaissance de cause, en pleine jouissance de son pouvoir meurtrier absolu.

L’intervention militaire elle-même de la Russie contre l’Ukraine constitue une agression, au sens du droit international. À cela s’ajoute le fait que les comportements russes relèvent, dans beaucoup de cas, de violations des lois et coutumes de la guerre, définies par les Conventions de Genève et de la Haye. Elles incluent des attaques délibérées et des frappes aveugles sur des populations civiles. La prohibition de ces crimes porte aussi sur l’utilisation d’armes non discriminantes (ne faisant aucune distinction entre des cibles civiles et militaires).

Le droit international humanitaire, issu du droit de la guerre, considère comme civil toute personne ne participant pas aux hostilités. Les journalistes, le corps médical et les aumôniers qui interviennent dans les zones de combat (sans arme) restent des civils.  Un militaire sorti des hostilités, est lui aussi considéré comme civil, dès lors qu’il capitule ou est invalidé sur le champ de bataille. Les maisons, les immeubles, les hôpitaux, les écoles, les lieux de cultes, les bâtiments administratifs et tout ce qui fait partie du quotidien de la population sans revêtir de rôle militaire doit aussi être protégé, selon ce droit très ancien développé au fil des conflits.

Sans doute faudrait-il y ajouter quelques articles concernant l’arme nucléaire, envisagée sous un angle offensif (pour une première frappe multiple dans un pays non-en-guerre ou non-belligérant). L’atome, plus que tout autre type de feu ne distingue aucune catégorie humaine parmi ses cibles et anéantit tout. Certes, il ‘y a pas de  »gendarme » dans le système international qui soit capable d’arrêter l’offensive de la deuxième armée du monde, nucléarisée qui plus est. Néanmoins, il serait concevable de créer une coalition à l’échelle du monde pour exclure l’agresseur de toute forme de coopération, d’échanges, de jouissance de droits.

En janvier 1943, la conférence de Casablanca avait rassemblé les démocraties autour d’une vision du droit qui s’et concrétisée fin 1944 avec l’Organisation des Nations Unies. Aujourd’hui, les nations de l’Occident resserrent les rangs face à l’agression frappant l’Ukraine. Il faut aller plus loin et penser, au plus tôt, au  »coup d’après ». Sans doute serait-il nécessaire de renforcer considérablement l’autorité propre des Nations Unies sur les Etats qui la composent (pour sortir de la situation inverse actuelle). Le droit de veto permanent et définitif accordé aux cinq vainqueurs de 1945 = dont la Russie et la Chine = n’est plus justifiable. Ad minima, l’Assemblée générale de New York, renforcée et dotée de nouveaux pouvoirs d’urgence, pourrait, dans ce schéma, destituer un Etat recourant à la terreur contre les populations civiles. En aucun cas, une fois exclu de l’ONU, le coupable ne pourrait faire entendre sa voix, tout au moins avant d’avoir admis sa faute et indemnisé ses victimes.

Nous ne sommes plus en 1944-45 : ce sont les enfants à naître dans ce monde de la guerre du 21 ème siècle, potentiellement plus destructrice que la seconde guerre mondiale, qu’il nous faut protéger. Une démocratie de portée universelle, ancrée dans un droit humanitaire plus exigeant et dotée de toute la gamme de forces que les défis imposent, est-ce un rêve plus fou que celui caressé à Casablanca, il y a huit décennies ?

* 26 février – Double tranchant

Sous le feu des missiles et de la piétaille russes, Kiev est en passe d’être liquidée. La résistance est héroïque, mais le jeu, par trop inégal. Les experts militaires sont unanimes : l’Ukraine ne tiendra plus très longtemps. Peut-être, une guérilla de résistants prendra-t-elle le maquis …

Plutôt assez unie, l’Europe ne trouve pas de réplique à la mesure de l’agression qui la frappe. Le président français constate que  »la guerre va durer ». S’arrêtera-t-elle aux frontières orientales de l’U.E ? Face à l’armée d’Attila, on voit mal quelle coexistence pacifique pourrait s’instaurer (du moins, en l’absence de Sainte Geneviève). Les hordes de Poutine accumulent les crimes de guerre partout où on les lance. C’est Grozny à Kiev, Lviv, Kharkiv, Marioupol et ailleurs.

Les sanctions occidentales vont mordre les économies russe et biélorusse à moyen terme, lorsque l’Ukraine n’existera plus. Elles suivront une logique de progression par étapes, crescendo. Les Américains frappent la finance russe, du moins certaines banques dont ils gèlent les avoirs chez eux (mais pas dans les paradis fiscaux) et l’utilisation du dollar. Ils hésitent encore à tarir les échanges commerciaux en expulsant la Russie du réseau interbancaire SWIFT. Les Européens, à fortiori, conscients qu’ils sont des graves retour de bâton qu’ils infligeraient à leur approvisionnement en gaz mais également, en blé, en métaux rares, en droits de survol, etc. Plus de 700 entreprises françaises en Russie se trouvent, par exemple, menacées de faillite. Que Poutine et Lavrov soient privés de leurs comptes bancaires en Occident tient de la symbolique pure. Les croit-on assez stupides pour avoir laissé leurs  »petites économies » chez l’ennemi, tandis qu’ils planifiaient leurs opérations depuis des mois sinon des ans ?

Les sanctions portant sur la technologie, l’aéronautique comme sur les besoins de refinancement de l’économie ne sont pas négligeables. Cependant, elles vont livrer la Russie à une situation de dépendance à la fois opportune, face à sa mise en quarantaine internationale, et périlleuse pour elle, à long terme. C’est une aubaine pour le régime de Xi Jinping, qui accroitra son emprise sur Moscou tout en lorgnant sur les richesses et l’espace de la Sibérie. Pékin va s’employer, bien sûr, à cacher son jeu et à jouer sur tous les tableaux.

Il y aura-t-il plus d’effet du côté des sanctions non-dites ? Celles-ci interviennent dans les sphères de l’armement (et de l’échelon d’expertise associé), du conseil et du renseignement, également des opérations de cyber-guerre, de guerre électronique et satellitaire. Elles peuvent théoriquement monter en puissance jusqu’à une mise en alerte des forces nucléaires stratégiques, avec les échanges de message qu’on imagine alors entre les protagonistes. Il s’agit, à chaque étape, de réagir fortement au franchissement de lignes rouges notifiées au camp d’en face. Ceci étant mentionné, sans soupçon, pour l’heure, qu’on en arrive là.

Protéger, le cas échéant exfiltrer le président Volodymyr Zelensky serait un vrai point marqué sur l’échiquier géopolitique. Son assassinat est – Poutine l’a bien fait comprendre – le but n° un de l’offensive en cours sur Kiev. Liquider le régime, les institutions et les bases populaires de la démocratie constitue le but de guerre n° deux. J-Y Le Drian a laissé à entendre que la France chercherait une parade. Transférer à l’abri un gouvernement ukrainien en exil serait bien le moins que puisse tenter une démocratie restée à distance des combats.

Des centaines de milliers d’Ukrainiens éprouvés et malheureux affluent aux frontières orientales de l’Europe. Précisément, dans ces régions qui voulaient s’enfermer derrière des murs pour refouler les exilés. Cette fois, les arrivants seront accueillis. Sans ironie, quelle conversion soudaine à la solidarité humaine ! Après tout, tant mieux !

* 21 février – Fil du rasoir

Un week-end de dingues ! Les jeux olympiques de Pékin dans leur  »bulle sanitaire » s’achevant sur une belle réussite technique et une flambée d’hostilités aux portes de l’Europe, dont on s’attend à ce qu’elle dégénère. Mais on se refuse encore à la qualifier de ‘guerre’, tant qu’elle n’entraine pas – directement – dans la tourmente les plus grandes puissances militaires. On a du mal à relier les faits entre eux : 15 médailles et un triomphe technique pour la Chine… aucune mention sérieuse de ses problèmes de droits humains (comme quoi la controverse touchant les Ouigours, Hongkong, le Tibet, les derniers libres penseurs chinois, c’était du pipeau : on s’est tous aplatis) … l’hypothèse dramatisante d’attaques coordonnées de la Russie sur son ‘front ouest’ et de la RPC contre Taiwan. N’en jetez plus !

Face à Pékin, les Etats occidentaux, du moins ceux qui prônaient un boycott politique, se sont pris une piteuse raclée. Ceux qui, à reculons, ont répondu à l’appel du monde du sport (lequel se fiche bien des Ouigours) se sont montrés muets dans leur complaisance. Le  »génocide » dont on s’inquiète est, celui-là, factice et concerne quelques milliers d’habitants des territoires rebelles du Donbass, expédiés manu militari en Russie pour y jouer les réfugiés éplorés. La machine de propagande tourne à fond pour nous démontrer que le  »vilain » président ukrainien Zelensky est en train de broyer sous le fer et le feu des Russes innocents (ils viennent de recevoir leur passeport) qu’il complote d’exterminer.  »Poutine le chevaleresque » est tenu de les secourir et surtout de venger l’affront. Donc il prépare une phase 2 de sa phase 1, qui est déjà une guerre : 1500 obus échangés dans la journée, des morts civils et militaires n’est-ce qu’une routine insignifiante ?

Et pourtant, la recherche opiniâtre de la paix – ou du moins d’un armistice – n’est pas épuisée. Dans son ambiguïté insondable, Poutine accepte encore qu’on lui parle. Pas pour concéder quoi que ce soit à la raison mais, quand même, pour avoir deux fers au feu. Une alternative fragile à la guerre de grande dimension devra toujours être tentée. On ne peut que saluer la navette téléphonique du président français entre Moscou et Washington. La perspective d’un sommet Biden – Poutine, dans une situation aussi explosive, constitue un acte de sauvetage (encore une fois, sans issue claire). Elle valait bien que, pour cela, Emmanuel Macron accepte de concéder sur le format. A cet épisode en duopole succéderait une réunion plus large incluant l’Europe et l’Ukraine. Sur le fond, l’agenda ne pourrait autre que  »sauver la face du soldat Poutine » et lui permettre de retirer ses troupes sans avoir à avaler sa chapka. Les diplomates sont là pour déguiser la réparation d’une énorme bêtise en  »partenariat gagnant-gagnant ».

Mais Vladimir a-t-il fixé son choix ? En maintenant ses troupes en Biélorussie au-delà de l’échéance sur laquelle il s’était engagé auprès de M. Macron, en continuant à produire des scénarios-prétextes censés justifier une intervention massive, en déplaçant des populations civiles, en mobilisant ses forces nucléaires tactiques, en mentant aux Russes, il montre bien sa totale absence de scrupules. Il paraît encore loin d’un choix crédible en faveur de la paix. Il nous oblige à marcher sur le fil du rasoir. Alors, ne nous essayons pas aux prédictions.