En Eurasie, la guerre se décline le plus souvent au pluriel. Aujourd’hui, Taïwan ne serait elle pas l’Ukraine du Parti Communiste chinois ? En géopolitique, on s’attend toujours à ce qu’un train (visible) en cache un autre (qui surgit derrière). Souvenons nous des deux guerres d’annexion de la Pologne, en 1939, fruit du pacte Molotov-Ribbentrop ; de l’offensive de MacArthur sur l’archipel nippon provoquant l’entrée en guerre de la Russie contre le Japon et l’installation d’un régime stalinien à Pyongyang ; de la piteuse expédition de Suez, en 1956, ouvrant la voie à la ‘’normalisation’’ de la Hongrie par l’Armée rouge ; des crises simultanées du blocus de Berlin et du détroit de Taiwan ; enfin, de la guerre française d’Indochine, qui a vu la France incapable d’envoyer plus qu’un maigre bataillon en Corée, etc.
Dans cette logique, lors du lancement de ‘’l’opération militaire spéciale’’ contre l’Ukraine, les états-majors alliés se sont d’emblée inquiétés d’une possible connivence russo-chinoise autour d’une agression parallèle de leurs deux entités ‘’rebelles’’, soutenues par l’Occident. A l’image des grandes manœuvres russes autour de l’Ukraine (depuis novembre 2021), les incursions agressives, aériennes et maritimes, de l’Armée populaire de Libération dans l’espace de l’ancienne Formose portaient à craindre le pire : deux fronts simultanés, face à deux grandes puissances nucléaires !
La forte proximité de Xi Jinping avec Vladimir Poutine, affichée lors des Jeux olympiques d’hiver de Pékin, avait alimenté, au moment de l’attaque russe, la hantise d’un parallélisme de conflits taïwano-ukrainien. Pourtant, et alors qu’on n’y pensait plus guère, le président Joe Biden vient d’assurer que les États-Unis défendraient Taïwan si la Chine entreprenait d’aller plus loin que ‘’flirter avec le danger’’. Sortie de l’ambigüité stratégique, marge de souplesse préservée par Washington et alerte rouge dans l’antre électronique de l’Ours Géo ! Des cataclysmes nouveaux et imprévus sont-ils sur le point de surgir au 4ème mois de »l’opération spéciale » (signée d’un Z : soit encore un parallèle et une oblique ) ?
Interrogé sur le sujet en octobre 2021, l’Oncle Joe Biden avait assumé ‘’un engagement américain en ce sens’’, ps une intervention, pour corriger, le lendemain, ‘’ne pas vouloir s’engager sur la voie d’une guerre froide avec Pékin’’ et ‘’ne pas croire qu’une telle guerre puisse éclater’’. D’ailleurs, »il n’y aurait aucune raison pour que cela se produise ». Plus encore, son administration avait cru devoir rectifier le tir en recadrant cet engagement aux seuls moyens de défense requis par Taipeh, dans le droit fil du ‘’Taiwan Relation Act’’ de 1979. Donc, comme en Ukraine : ne pas intervenir directement mais armer son allié d’une capacité défensive suffisante pour tenir le coup. Revenant vingt jours plus tard sur le sujet – qui, visiblement, le travaille – le locataire de la Maison Blanche en a rajouté une couche, dans le souci d’apaiser l’Oncle XI : ‘’Nous n’encourageons pas l’indépendance. Nous les encourageons à faire exactement ce que prévoit le Taïwan Act’’. On ne saurait être plus clair, zigzags en plus.
Mais voilà qu’à l’issue d’un périple à Séoul et à Tokyo, Joe Biden prend tout le monde à rebrousse-poil, en affirmant mordicus que les États-Unis défendront Taïwan contre toute éventuelle attaque continentale : ‘’Nous étions d’accord avec la politique d’une seule Chine, nous l’avons signée’’ (de fait, elle n’implique pas nécessairement un régime politique unique, totalitaire)… ‘’L’idée que Taïwan puisse être prise par la force n’est tout simplement pas appropriée’’ a-t-il asséné, le 23 mai, au côté du premier ministre japonais Fumio Kishida. ‘’Ce serait = = une autre action similaire à ce qui s’est passé en Ukraine = =’’. Nous y sommes : c’est la théorie d’un train visible en cachant un autre, pas moins dangereux !
Ce revirement d’attitude n’est sans doute pas uniquement explicable par les manœuvres d’intimidation menées actuellement autour de l’île nationaliste par les militaires continentaux : incursions aériennes dans la zone d’identification de défense aérienne taïwanaise ou manœuvres aéronavales à portée de canon du littoral de l’Ile. Alors, par quoi d’autre expliquer le raidissement américain ? Tout d’abord, l’heure est à l’affirmation du leadership US en Asie orientale : le Japon est prié de protéger, avec sa flotte militaire, les arrières d’une intervention américaine ; l’Australie, d’armer des sous-marins nucléaires dans les détroits ; l’Inde de prendre ses distances avec la Russie, etc. On a dépassé le stade de la diplomatie ‘’molle’’ du soft power : le Chef prépare ses troupes. On pourrait aussi creuser du côté du déficit de consensus américain au sein du Congrès, l’option générale de fermeté envers la Chine contrastant avec la charge polémique d’une décision anticipée de la Cour suprême touchant au droit à l’avortement.
N’excluons pas qu’il y ait encore quelque autre motif, que nous ignorions. Xi Jinping aurait-il tiré des leçons de l’aventure russe et dans quel sens ? Celui de la modération de ses élans guerriers ou, au contraire, de l’incitation à passer à l’acte rapidement ? Il ne faut pas nécessairement privilégier l’option la plus noire. Attendons un peu, nous finirons par savoir…