* 20 décembre – La biodiversité sous différents angles

« L’humanité est devenue une arme d’extinction massive à cause de notre appétit sans limite pour une croissance économique incontrôlée et inégale ».  »Elle traite la nature comme on utilise des toilettes ». Le secrétaire général de l’ONU, fort de son pouvoir d’invocation, n’y a pas été par quatre chemins. Le temps presse : jusqu’à un million d’espèces sont menacées d’extinction, un tiers des terres sont gravement dégradées et les sols fertiles disparaissent, tandis que la pollution et le changement climatique accélèrent la dégradation des océans. Le coût pour les écosystèmes est estimé à 3 000 milliards de dollars par an d’ici 2030. Mazette !

Du 7 décembre au 19 décembre, la conférence de l’ONU sur la biodiversité rassemblant à Montréal les ministres de l’Environnement de quelque 190 Etats, a tenté de parvenir à l’adoption d’un cadre mondial décennal pour sauvegarder la nature et ses ressources essentielles à l’humanité. Présidée par la Chine mais déplacée au Canada du fait de la politique zéro Covid, elle portait en elle, comme les COP sur le climat, un défi colossal : conclure en deux semaines un accord de la « dernière chance » pour sauver les espèces et les milieux naturels d’une destruction irréversible.

Par rapport à sa  »sœur » climatique, la COP  »biodiversité » reste un parent pauvre et abrite encore des visions divergentes. Il y a une conception de retour des écosystèmes à leur état primaire et une autre, majoritaire, centrée sur l’usage raisonnable des ressources naturelles. S’y ajoute la concentration (ou non) de l’attention sur quelques espèces  »totémiques » généralement de grande taille (l’ours blanc …) et sur des régions ciblées comme plus favorables à l’équilibre de la flore et à la faune, à l’origine de tensions politiques. Enfin, l’absence de scenarios scientifiques assis sur le consensus de la science et celui du monde politique (peu présent dans le débat) crée un hiatus considérable par rapport à l’actualité forte de la question climatique.

Il s’agissait de concrétiser une vingtaine d’objectifs, dont le principal visait à protéger 30 % des terres et des mers en réserves naturelles. À ce jour, 17 % des terres et 8 % des mers sont protégées. 75 % des écosystèmes mondiaux sont altérés par l’activité humaine et la prospérité du monde est en jeu : plus de la moitié du PIB mondial dépend de la nature et de ses services. Etaient également visées la restauration des milieux naturels, la réduction d’usage des pesticides, la lutte contre les espèces invasives, ou l’établissement d’une pêche et d’une agriculture durables. Les négociations ont patiné depuis trois ans. Les financements Nord-Sud ont constitué, comme toujours, le principal sujet contentieux. La coalition du Sud a réclamé au moins 100 milliards de dollars par an pour préserver la biodiversité – autant que pour le climat – et 700 milliards de dollars par an d’ici 2030 ! Est-ce bien réaliste ? La question de la biopiraterie a constitué également une source de blocages : les pays riches étaient appelés à partager enfin les dividendes de la vente de cosmétiques ou médicaments dérivés des ressources naturelles prélevées sur le Sud. Cette revendication se comprend.

La présidence chinoise a finalement soumis au consensus un document au contenu généralement qualifié de  »faible ». En substance, on y retrouve l’objectif emblématique de 30% des terres et des mers protégées d’ici à 2030. Cet objectif porté par une coalition de 116 pays, dont les Européens. Mais le niveau de protection n’est guère exigeant (notamment par rapport aux pratiques de surpêche). Le texte inclut aussi la promesse de restaurer 30% des écosystèmes dégradés d’ici à 2030. Il donne des garanties pour les peuples autochtones, gardiens de 80 % de la biodiversité subsistante sur Terre. Mais beaucoup de formulations diluent des objectifs clés comme la réduction des pesticides ou le changement de modèle agricole. Côté financement 20 milliards par an sont promis aux pays en développement d’ici à 2025, puis 30 milliards par an d’ici à 2030. C’est plus qu’actuellement, mais c’est très loin des 100 milliards annuels réclamés par les pays du Sud. Les divergences autour d’une volonté des Etats du Sud de dupliquer le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) par une dotation  »moins rigide » dévolue à la biodiversité ont abouti à un compromis : une branche  »biodiversité » spécifique sera établie au sein du FEM.

Va-t-on parler d’un accord aussi historique que celui de Paris de 2015 pour le climat parce que, simplement il y a eu consensus ? Certes, non : l’accord de Kunming – Montréal ne sera pas contraignant mais simplement  »entrainant », mais on lui donnera néanmoins des effets en Europe. On a finalement réussi à dépasser les tactiques dilatoires délibérées génératrices de scénarios décevants, comme celui de Copenhague en 2009, où la COP climat s’était conclue sur un échec retentissant. On retiendra de Montréal le sentiment d’une paix souhaitée – non pas retrouvée – avec la nature. On peut également se dire que tant que les Etats nationaux se réuniront autour de problèmes aussi globaux, en format multilatéral, l’ égoïsme humain global restera bien moindre que la somme combinée leur réticences respectives. Des progrès un peu boiteux ont été accomplis. Un chemin tortueux reste ouvert.

* 28 novembre – Dans l’œil persan du nucléaire

Le torchon brule être l’Iran et l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA). On en est même à des provocations et des représailles du côté de la République islamique. Celle-ci accélère sa course vers le nucléaire militaire. On s’en alarme à la lumière des multiples indicateurs convergents :

* Deux nouvelles usines de production d’uranium enrichi – Natanz II et Fordo – ont été mises en route avec des centrifugeuses ultra performantes ;

* Selon l’AIEA, l’Iran dispose de 386 kgs de matière fissile enrichie à 20%  et de 62 kgs, à 60%. L’engagement qu’il avait pris en 2015bspécifiait un taux limite de 3,67% ;

* La fuite en avant est ancienne. Avec la mise en service de Natanz II (ligne de production à 60 %) et la dénonciation assumée de toutes les limites par le pacte JCPOA passé en 2015 avec les six Etats mandatés par la communauté internationale (USA-Russie-Chine-France-Royaume Uni et RFA), elle a pris un tour radical depuis la reprise de contact d’avril 2021. Le retour dans les négociations des Etats Unis de Joe Biden n’a eu aucun effet positif sur l’attitude obstinée de Téhéran.

De fait, depuis quatre ans, la République islamique rejette toutes les obligations précédemment acceptées et s’affranchit de toute discipline de non-prolifération. Elle a commis presque toutes les transgressions prohibées par le TNP, hormis l’essai et l’emploi de l’Arme.

Sa ‘’nucléarisation’’ vise une capacité de domination régionale au Grand Moyen-Orient, autant, qu’une sanctuarisation de son territoire. Elle cherche à repousser l’influence américaine mais anticipe aussi de former des binômes de confrontation avec Israël et les émirats sunnites du Golfe. Dans le premier cas, l’adversaire est déjà nucléaire. Dans le second, ils pourraient rapidement se rapprocher du seuil. La région évolue dans un parti pris de prolifération entre les Etats. Le ‘’Grand diable américain’’ n’est pas – à l’image de la Corée du Nord – son unique souci obsessionnel ni sa cible, même s’il est utilisé en prétexte pour son programme nucléaire.

Les deux récentes résolutions passées au sein de l’Agence de Vienne, déplorant le manque de coopération de Téhéran ont rencontré des répliques rageuses du côté de l’intéressé. Les déclarations américaine et européenne laissant entrevoir une aggravation des sanctions n’ont pu qu’amplifier le phénomène, engendrant de nouvelles menaces de vengeance. Tous les ponts directs sont pratiquement rompus.

Le durcissement de ton de la République islamique procède d’une stratégie de rupture dont on peut imputer la responsabilité au Guide, l’ayatollah Khamenei mais qui porte aussi la marque du fer de lance du régime chiite théocratique, à savoir les Gardiens de la Révolution (Pasdarans), véritable ‘’empire au sein de l’Etat’’. L’un comme les autres sont depuis deux mois à la pointe de la répression – sans pitié – de la ‘’Révolution des Femmes’’ (qui est aussi celle des classes urbanisées). Le port du voile et l’accès au statut de puissance nucléaire de facto constituant deux facettes du système de pouvoir et de contrainte, on ne s’étonnera pas de la dérive ‘’furieuse’’ de l’Iran officiel. On peut s’attendre que le rééquilibrage des pouvoirs qui s’opère au sein des organes dirigeants accorderont un peu moins d’autorité aux prélats et plus de contrôle pour leurs prétoriens galonnés.

Quant au reste du monde, il n’a guère de recette pour enrayer le cours nucléaire de l’Iran.

* 22 novembre – Du foot et du gaz

Il y avait un temps où le petit émirat du Qatar avait besoin de la France pour faire respecter son existence. Nicolas Sarkozy l’a particulièrement choyé dans les années 1990, lui offrant des armes performantes pour assurer sa défense, l’encourageant à acquérir en franchise fiscale un empire immobilier à Paris et dans l’Hexagone, l’invitant à se forger l’image d’une puissance de premier rang dans le monde du football, aux dépens même de certains critères éthiques. Ceci l’a bien aidé à faire gagner sa candidature à l’organisation du ‘’Mondial de tous les excès’’, qui a débuté, douze ans plus tard, le 20 novembre.  

L’histoire de ce pays est jeune : trois émirs s’y sont succédé depuis sa séparation du Royaume Uni. Mais, pour le moins, elle est assez chargée… et son ascension internationale à vitesse ‘’balistique’’ explique la persistance de ses archaïsmes autant que les critiques qu’il s’attire à l’international. S’y mêlent  une insolente épopée énergétique et commerciale, avec les impacts écologiques et sociaux que l’on peut imaginer, un tapageux comportement de ‘’nouveau riche’’ avide cherchant à se mettre partout en avant, des choix géopolitiques hasardeux au sein du monde arabe, un voisinage jaloux, la disgrâce du wahhabisme, enfin, commune aux Etats du Golfe.

L’attribution de la Coupe du Monde au Qatar, en 2010, par la Fédération internationale de Football (Fifa) n’a guère choqué initialement. Malgré ses bizarreries – l’énorme budget et le coût humain cruel du chantier, la tenue de l’évènement en plein hiver, la climatisation générale des sites – rien n’annonçait que la fête pourrait être gâchée. Il n’est pas sûr qu’elle le soit, d’ailleurs, les récriminations mondiales ayant fait de cette péninsule étroite du Golfe un Etat ‘’people’’, chic et choc, incontournable. Le buzz fait désormais partie de son identité mondaine. Tamim Al Thani, l’émir actuel, est un pragmatique qui saura escamoter quelque temps la pudibonderie austère de la Religion, même si le tournant consistant à accueillir ‘’tous les supporteurs’’ (comprendre ‘’dont les minorités sexuelles’’) reste en travers de la gorge de ses sujets intégristes. Il mettra ce qu’il faut d’argent pour se faire pardonner les contributions quatariennes à la misère de la main d’œuvre et à la crise climatique. Il saura faire donner ses médias (dont Al Jézira) – le véritable étendard médiatique de l’Emirat – et flatter ceux des autres.

Est-ce la perspective d’un triomphe par le ‘’soft power’’ de ce pays du Golfe gorgé de pétrodollars et trop vite promu en puissance ? Sans doute, oui. L’accès à la gloire sera officiellement celui de l’émir, Tamim Al Thani, âgé de42 ans, au pouvoir depuis 2013. Il se sera sorti vainqueur du parcours d’obstacles de la préparation de la Coupe. Ces lauriers seront partagés avec son père, le cheikh Hamad, âgé de 70 ans, dont le rôle a été crucial dans le miracle gazier comme dans la désignation par la FIFA. La famille va s’auto-glorifier. De fait, la finale du Mondial est programmée le 18 décembre, jour de la fête nationale du Qatar célébrant cheikh Jassim Al Thani, le père-fondateur du Qatar.

Le pays part pourtant d’une situation peu enviable, lorsqu’il a fait le pari audacieux de l’exploitation de l’immense gisement de gaz offshore qu’il partage avec le colosse Iranien, son voisin sur la rive Est. Il y a investi plusieurs fois son PIB sans maîtriser ses débouchés d’exportation, faute de gazoduc. Mais il a gagné la manche en transformant, le premier, son pactole inerte en gaz naturel liquéfié exportable par la voie des mers. Les remous les plus sérieux seront venus du blocus des années 2017-2020, imposé sur terre et dans les airs, lorsque Doha a été mis au ban par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn. L’Emirat a alors payé l’hostilité que lui avait valu son engagement massif derrière les Frères musulmans de Mohammed Morsi, après le chute du président égyptien Hosni Moubarak. A son rôle très décrié dans le printemps arabe de 2011 s’ajoutait des soupçons de culpabilité complaisante à l’égard de Téhéran. Enfin, sa prétention à la notoriété mondiale à travers la coupe du monde de football avait achevé d’exciter la jalousie saoudienne (le Qatar est le premier Etat arabe à tenir cet évènement). Une telle accumulation de revers aurait dû faire un sort à ce prestigieux projet. Mais dans sa quête, le petit peuple des Qataris (300.000 âmes) a puisé une forte cohésion et n’a rien cédé. Le prince saoudien Mohamed ben Salman a fini par lâcher sa proie et par rétablir les communications et la circulation des biens et des personnes en 2017.

Le Qatar reste enfin le pays du Golfe le plus coopératif avec l’Occident au sein de l’OPAEP (les pays arabes exportateurs) ce qui laisse présager que nos gouvernements ne lui feront pas de misère. Doha n’a plus besoin de Paris mais, quid de la réciproque … ? Alors, vive la ballon rond !

* 22 novembre – La COP, à l’ombre des derricks

Bôôf ! La COP 27 s’achève sur un bilan mi-figue, mi-raisin… plus ou moins inutile, plus ou moins sauvée, dit-on. Personne n’en attendait un énorme sursaut. Cet outil de la méthode Coué collective, destiné à émuler les gouvernements, n’est pas, il est vrai, le moteur primordial de la politique de prévention d’un dérèglement toujours plus grave du climat. Les peuples pèsent plus lourd que leurs dirigeants sur la prévention comme sur l’adaptation… mais en ordre totalement dispersé. Les lobbies industriels les plus puissants étaient, eux aussi, à Charm El Cheikh pour verdir leur image et s’assurer que la révolution climatique n’irait pas trop loin. La COP fait le point à la croisée de forces hétérogènes qui sont aux prises entre elles. Elle offre surtout un semblant de coordination mondiale, ingrédient indispensable mais qui reste faible et à la merci du rapport de force géopolitique.

Bref, un accord  »mou » a été trouvé in extremis, le 19 novembre, sur la question des dégâts climatiques subis par les pays pauvres les plus vulnérables au climat. Un fonds spécifique sera dédié à la mobilisation des fonds (en clair : des prêts et non des dons) pour compenser leurs pertes et dommages. Il établira des protocoles de fonctionnement puis répartira entre eux des moyens financiers. Ces derniers sont encore très peu abondés en promesses (350 Mns pour un besoin chiffrable en milliards). Un ‘’comité de transition’’ mixte Nord / Sud doit encore en préciser la marche générale. On n’est donc pas encore parvenu à destination. Bien qu’un peu improvisé, c’était le principal point à émerger sous la lumière des médias, celui aussi qui a bloqué les laborieuses négociations de la conférence durant deux semaines. La présidence égyptienne, peu visionnaire et faiblement militante, a tardivement rempli son rôle de bons offices mais a minima. La conversion de l’UE au financement de cette demande de trente ans des pays du Sud a entrainé le ralliement des Etats Unis. La présidence a trainé des pieds pour épargner à la Chine et à l’Arabie saoudite, rétives d’avoir à contribuer, à concéder quelques ressources.

Pour le reste, on chercherait en vain des progrès visibles par rapport à la COP de Paris et à celle, dernière en date, de Glasgow. L’objectif de 1,5 % de réchauffement maximum d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère pré-industrielle – une pure chimère, cette ligne rouge étant déjà presqu’atteinte – reste paradoxalement inchangé. Point donc d’objectif renforcé en matière de diminution des émissions. La vérité factuelle est que si les politiques annoncées devaient pleinement être mises en œuvre (ce dont on pourrait douter), l’horizon 2100 se stabiliserait entre + 2,5 et + 3 °.

Côté énergie, des ‘’efforts’’ sont demandés mais pas vraiment des résultats supplémentaires. La sortie du pétrole et du gaz n’est pas mentionnée. Seule, la fin des subventions inefficaces aux carburants fossiles devrait être recherchée.  Celle, progressive, du charbon n’est accompagnée d’aucune échéance de calendrier précise, même si le recours accéléré aux énergies renouvelables est  »recommandé » en relais. Au total, c’est une douche pour les doux rêveurs aspirant à une transition énergétique d’ampleur révolutionnaire. Pour l’UE, Frans Timmermans a conclu :  »l’avenir ne nous remerciera pas ».

Et voici une autre douche, peut-être, sur l’horizon calendaire : la prochaine COP28 se tiendra ‘’à l’ombre des derricks’’, aux Emirats arabes unis (à Dubaï), fin 2023. C’est dire combien la transition climatique s’émancipe des rentes polluantes du vieux monde…

* Mardi 8 novembre – La démocratie partie en vacances ?

Pendant que la pénombre géopolitique persistait sur le monde, des élections ont eu lieu ça et là. Peut-être faudrait-il s’en réjouir. Peut-être, car la sagacité des gouvernements ne s’en trouve pas accrue, la démocratie n’y trouve pas toujours son compte, l’alternance se fait le cas échéant vers le passé, les populations ne s’attachent pas prioritairement aux vraies questions, celles qui touchent à leur (future) vieillissement, à la Paix, à la guerre, à l’émancipation, au climat et à la biodiversité, bref à la viabilité du monde à venir.

– L’exemple du bref passage à Downing Street de Liz Truss est sans doute le plus accablant. Elue à la barre d’un navire qui prend l’eau depuis le Brexit, la dirigeante conservatrice tirait sa légitimité du vote de 0,03 % de l’électorat britannique. C’est presque surréaliste survenant après l’isolement, le déclin et les mauvaises manières induits par son prédécesseur ébouriffé, l’inimitable brouillon, Boris Johnson. La dame s’était perçue comme réincarnant Margaret Thatcher, dans les heures graves des Falklands. Reniement des liens avec l’Europe, affirmation d’une grandeur toujours victorienne du Royaume auquel le monde devait rendre hommage, dureté avec les pauvres et fiscalement dévotion aux riches : elle n’est parvenue qu’à affoler sa propre banque centrale, les marchés et une majeure part de la classe politique anglaise. Las ! Rattrapée par le monde réelle, elle tente un tour de passe-passe faisant peser le coût des dégâts sur son chancelier des finances, Jeremy Hunt. Celui-ci annonce que le gouvernement de sa Majesté fera tout le contraire de ce à quoi la Première ministre s’est engagée devant le parlement de Westminster. Trois semaines après avoir été ‘’inaugurée’’ par le roi Charles III, Liz a été débarquée par ses amis les plus proches. Le maire de Londres, vaincu du scrutin interne des Torries récupère la place.

– Au Brésil, la campagne présidentielle a ressemblé à une guerre civile en vraie grandeur. L’insulte a dominé l’espace des débats. Jaïr Bolsonaro, le sortant, obsédé par le précédent créé par Donald Trump n’a pas manqué d’afficher un colossal mépris pour les règles de la démocratie. Au point que son silence au lendemain du scrutin a pu être interprété comme un appel lancé à l’armée – dont il est issu – pour qu’elle effectue un putsch. Ignacio Lula da Silva a gagné, ric-rac, sans gloire ni grandeur particulière. Le dirigeant syndicaliste et ancien chef d’Etat emprisonné pour concussion n’est plus le héros populaire qu’il avait été avant son prédécesseur. On a un peu l’impression que la geste politique brésilienne tourne en rond… mais n’arrive plus à reproduire les hauts faits passés, dans un contexte économique et social très dégradé. Lula garde comme atout un fort potentiel pour le dialogue et le compromis. Son vice-président a été choisi au centre droit, son programme n’est plus très progressiste. On peut prédire que le Brésil se dirige, cahin-caha vers de nouveaux épisodes de crise interne.

– Le cas israélien est à part. Cinq scrutins généraux sont intervenus en trois ans, mettant aux prises la droite dure, l’extrême droite hystérisée et les extrêmistes religieux, complètement déjantés. La gauche n’existe plus et le Centre s’est rangé à droite : le jeux politique ne peut donc plus produire une vraie alternance, car il est enchassé dans des considérations ethnico religieuses et un racisme d’Etat. Le choix est entre un état de guerre autoritaire et insensible aux épreuves des Palestiniens (eux-mêmes incapables d’organiser un scrutin) et un apartheid armé, en bonne et due forme. Les accords d’Oslo ne sont plus de ce monde et la confrontation sert de fuel à la classe politique. Le deal proposé aux citoyens est : ‘’ne faites plus de politique, nous nous en chargeons. En retour, confiez-nous sans état d’âme votre sécurité’’. François Guizot aurait-il dit autre chose alors que Louis Philippe 1er préfigurait l’humeur actuelle de l’incontournable ‘’Bibi’’ Netanyahu, centre de gravité indévissable de l’ultra-nationalisme bourgeois israélien. Le prix à payer sera élevé le jour, encore lointain, où le système s’effondrera sur fond de guerre civile, car les citoyens-électeurs seront revenus en force dans le jeu.

– Aujourd’hui se tiennent, aux Etats Unis, des élections de mi-mandat pour le renouvellement du Congrès, une échéance politique toujours défavorable à la présidence en place. En temps normal, l’enjeu partisan reste dans les limites raisonnables d’un débat programmatique et de préférences idéologiques d’ordre commun. Mais le précédent de la révolte encouragée par Trump contre les institutions (jusqu’au raid de janvier 2021 sur le Capitole de Washington) et l’ascendant toxique que le milliardaire caractériel conserve sur le parti Républicain pourraient faire monter les enchères dans une situation où les ennemis du système’’ s’empareraient des deux chambres du Congrès. L’inflation galopante, notamment celle qui impacte les coûts de l’énergie, incite les électeurs à faire passer ‘’la fin du mois’’ avant  »la fin du monde’’ et Joe Biden pourrait se trouver impuissant à maintenir l’ordre civil et la cohésion sociale à un niveau vital minimum. Les présidentielles et législatives françaises ont été également marquées par cette propension au court-termisme, on ne peut donc blâmer l’électeur américain. Mais le poids des Etats-Unis dans les grands défi mondiaux est d’une tout autre dimension. Sous les traits d’un D. Trump de retour en 2024, un retrait définitif de l’Oncle Sam des affaires du climat, de celles de la prolifération nucléaire ou encore du soutien accordé à l’Ukraine dans la défense du droit et de la justice tracerait les contours d’un véritable cauchemar géopolitique.

* 13 octobre – Nos rangs s’éclaircissent mais de nouveaux voisins se pointent

Bravo ! Le programme des Nations Unie pour la population nous a appris que nous serons huit milliards d’humains sur terre, à compter du 15 novembre. Cela fera un milliard de plus qu’en 2010 ; deux milliards de plus qu’en 1998 et cinq milliards et demi de plus qu’en 1950

Le vrai scoop, c’est que nous allons cesser de croître et même stabiliser notre nombre avant la fin du siècle. En 2100, au pic, nous serons entre 8,9 et 12,4 milliards de voisins, par définition, conviviaux. Ensuite, nous vieillirons tous ensemble et passerons beaucoup de temps à pleurer dans les enterrements.

Si vous voulez à tout prix voire le verre comme plein, l’Inde va devenir le pays le plus peuplé au monde (1,7 milliard), détrônant une Chine vieillissante, qui, dès l’an prochain, devrait connaître un déclin absolu de sa population (1,3 md). L’arithmétique démographique en fera-t-elle de cet empire une puissance en déclin, comme l’Europe d’aujourd’hui ? L’Asie centrale et celle du Sud deviendront, en revanche, des superpuissances humaines. En Afrique subsaharienne, on le sait, la population va pratiquement doubler d’ici à 2050 : deux Chine ! A eux seuls, huit pays du Continent noir contribueront à plus de la moitié de la croissance de la population mondiale. Une telle performance comprend moins d’avantages que de handicaps. En Afrique australe, par exemple, chaque femme donne actuellement naissance à 2,3 enfants. Mais le Covid-19 a repris les gains d’espérance de vie péniblement gagnés après les décennies du sida. La longueur de vie moyenne est retombée à 61,8 ans.

Côté verre qui se vide, la chute du taux de fécondité va marquer la fin du renouvellement des générations. En 2020, la croissance démographique a chuté sous 1 % par an. Elle continuera à fléchir jusqu’à la fin de ce siècle. L’Europe orientale, en particulier, va se vider de sa population d’ici 2050 (– 10 %), deux fois plus vite que l’Europe occidentale (- 5,4 %). Entre les deux, l’Extrême Orient se délestera de 8,2% de ses habitants. L’Europe et l’Amérique du Nord, peu fertiles, atteindront rapidement leur pic de peuplement et accuseront une décrue dès la fin de la prochaine décennie. Une étude suggère que la population mondiale, elle aussi, pourrait décliner dès 2064. On verra quand on y sera. La carte redessinée du peuplement mondial déterminera une autre époque de notre civilisation. Et le pauvre Malthus devra alors aller se rhabiller. Ce gars là aura été tout à fait pénible.

Le rapport onusien évite de spéculer sur l’évolution des flux migratoires : les interprétations divergent pas mal, à cet égard. En 2020, c’est la Turquie qui a accueilli le plus grand contingent de réfugiés (près de 4 millions), devant la Jordanie, la Palestine et la Colombie. L’Occident figure loin, en queue de peloton. La fermeture des frontières et la paralysie des transports internationaux liées au Covid-19 auraient ralenti les déplacements entre continents. Selon l’ONU, ce contexte aurait réduit de moitié le solde migratoire des deux dernières années. Depuis, ça a repris de plus belle. Aussi, les esprits chagrins souhaiteront ils une suite ininterrompue d’épidémies à venir.

D’un autre côté, la pandémie a provoqué un ‘’baby flop’’ mondial : va-t-il falloir importer des nouveaux nés d’autres galaxies ? Le Covid-19 est surtout à l’origine d’une surmortalité ‘’recensée’’ de 14,9 millions d’individus, en 2020 et 2021 (un surcroit de 12 % des décès, sur deux ans). Mais le décompte réel représenterait en fait trois fois le nombre des cas enregistrés. Méfiez vous des statistiques. En voilà :

Actuellement, l’espérance de vie des hommes (mâles) s’établit à 68,4 ans ; celle des femmes à 73,8 ans, représentant un écart de 5,4 ans. C’était 5,2 ans, deux années plus tôt. On prédit que les papies octogénaires réchappés de l’hécatombe auront un maximum de cases à cocher sur leurs carnets de bal. Tout cela cache, bien sûr, de grandes disparités d’une région à l’autre, liées aux niveaux de développement humain. In fine, à l’échéance de 2050, le nombre de femmes égalera celui des hommes : la Paix sur Terre devrait y gagner. Enfin, une perspective positive !

Une fois n’est pas coutume : une brève de l’Ours irradie l’optimisme.

* 7 septembre – La matrice du monde à l’image du climat

Les Etats Unis, la Chine et l’Europe, les trois principaux moteurs de l’économie mondiale se grippent en même temps. Le repli de chacun sur soi et contre les autres porte en fait un nom : le déclin du cadre multilatéral des relations internationales. On perd tout ce qui nous permettrait de vivre ou de circuler sans crainte sur la planète en échappant à la Loi de la jungle. Cette matrice est composée des instruments juridiques régissant les relations entre les acteurs internationaux, des autorités et agences supra-nationales structurant des régions (UE, ALENA, Communauté andine, Ligue arabe, etc..) ou des activités fonctionnelles (Croix rouge, G 8, OPEP, OMC, OCDE, Nations Unies et leurs organes spécialisés, etc.).

Du fait de son rôle de forum global de la paix, de la coopération, du développement et de la sécurité juridique, l’ONU en constitue le chapeau. Mais, quels acteurs, quels Etats le respectent encore vraiment, à l’heure des plus graves menaces contre la Paix depuis 1945 ? Aucun. La paralysie désespérante du Conseil de Sécurité – due aux blocages russe et chinois, mais tout autant à l’absence de réforme en son sein – a anihilé toute capacité à servir d’intermédiaire dans les conflits et d’aiguillon dans la résolution des menaces globales. Le système mondial est fantômatique et la Loi de la jungle revient en force.

La stabilité du monde et la justice des hommes jouissaient des meilleurs chances lorsque toutes ses structures agissent comme lubrifiant des contradictions et des chocs planétaires. On pouvait alors espérer des marchés qu’ils convertissent cette stabilité en croissance, un autre mode de désarmement des tensions. Aujourd’hui, les marchés se cassent en blocs régionaux. Leur fonctionnement vise le plus souvent au rapport de forces voire à la domination. Les sanctions sont reines, les règles, caduques.

La matrice du monde fonctionne en fait à rebours, en grande partie parceque les Etats et leurs citoyens tentent d’échapper aux règles de la coexistence multilatérale, préférant servir leurs bases populaires, voire les fantasmes populistes en vogue. Chaque gain se fait aux dépens de publics étrangers, ce qui relance les conflictualités en boucle… Ce phénomène est illustré par la crise de l’énergie, en partie alimentée par la guerre en Ukraine (en fait l’offensive russe contre l’Occident) et par la politisation du commerce, mais aussi en partie, par la spéculation d’entreprises dénuées de toute conscience sociale.

L’inflation actuelle devient systémique et elle s’emballe par anticipation d’un futur supposé pire encore : va-t-elle muer en récession globale, cet hiver ? Va-t-on avoir froid, connaître des rationnements, voir notre pouvoir d’achat fléchir et le train de vie de l’Etat, grêvé par l’explosion du coût des filets sociaux ? Va-t-on refuser le prélèvement nécessaire au rétablissement de notre capacité de défense, à l’heure où des millions d’hommes libres sont massacrés, déportés, esclavagisés et où nous sommes nous-mêmes menacés d’holocauste ? La conférence de revue sur la non-prolifération nucléaire avait déjà tourné à l’échec au printemps.

Dans le court terme, on assiste au rush gazier de l’Occident sur l’Arabie et la Qatar, l’Algérie, … à l’heure où Gazprom coupe les vannes à grand renfort de mises en scène tragicomiques. Mettre la main sur de nouveaux gisements d’énergie implique moultes complaisances et courbettes envers des émirs, gourmands en armement et, par ailleurs assez méprisants des droits humains. Cela confirme au passage le biais pro-sunnite de la classe politique en Occident, plus portée à fustiger le radicalisme de l’Iran chiïte qu’à rechercher la coexistence des deux écoles de l’Islam.

Le jihadisme des principales multinationales terroristes, continue de progresser en Afrique sub-saharienne. Il se rapproche irrémédiablement des régions côtières. Les victimes civiles sont nombreuses au Mali (en dépit ou plutôt à cause de la présence des mercenaires Wagner) et au Burkina Fasso. La Minusma se heurte, à son tour, à l’agressivité des dirigeants de Bamako. Ceux-ci se lancent dans des campagnes de diffamation manifestement téléguidées par Moscou. Poutine ou l’émir de Daech, maître de l’Afrique ? Cela jetterait plus d’un milliard d’humains dans un abîme de souffrance.

L’abandon des priorités de la transition climatique saute aux yeux, alors qu’un été caniculaire et enflammé suivi d’immenses innondations (le Pakistan est en perdition) rappelle à tous l’acuité de la crise climatique. A deux mois de la COP 27 à Charm-el-Cheikh, l’Occident boude la conférence préparatoire consacrée à l’adaptation consacrée au contient africain. L’Afrique est frappée plus durement que d’autres, par un défi qui dépasse ses capacités et sa médiocre gouvernance. Dans le même ordre d’idées, la conférence internationale sur le haute mer a également jeté l’éponge, en raison de la cassure de la communauté mondiale.

La communauté internationale, kesako ? Plus encore que l’ONU, elle recouvre tous les égoïsmes et toutes les démissions. Autant dire qu’elle est, sur un plan opérationnel, moribonde, incapable de répondre aux grandes urgences et de travailler au rétablissement de la Paix. Ceux, dont les médias, qui l’invoquent à tort et à travers sont des naïfs ou des hypocrites impénitents. Le multilatéral avait constitué un vrai trésor au cours des anées 1990. Des murailles de confiance, de coopération et d’ouverture pourraient, dans l’avenir, remettre le train mondial sur de bons rails. Mais probablement pas sans un réveil assez brutal.

* 23 juillet – Vent dans les voiles, blé dans la cale

C’est comme une lueur d’espoir pour les pays du Sud. Les deux accords passés sous l’égide des Nations Unies, via les bons offices turcs, ouvrent une voie, fragile, à l’exportation via la mer Noire des dizaines de millions de tonnes de céréales en souffrance, requises pour éviter la famine l’hiver prochain. Les pays potentiellement bénéficiaires peuvent partager le souci des démocraties face à l’agression russe en Ukraine, mais le consensus est qu’ils n’ont pas à en payer la facture. Les belligérants ont indirectement souscrit à l’accord, sans négociation directe entre eux.

Les difficultés viendront des modalités d’application. Moscou veut contrôler les cargaisons ukrainiennes. Il en est de même de la bonne foi des parties. La Russie respectera-t-elle les règles et s’abstiendra-t-elle de toute transgression agressive, alors qu’au quotidien, sa marine et ses troupes ne s’embarrassent pas du droit de la guerre. Se pose également la question de la garantie sécuritaire des opérations : elle ne repose que sur l’engagement des Nations Unies et sur le contrôle des détroits par la Turquie. Autre prérequis, l’état des ports ukrainiens de la Mer Noire sous occupation russe à l’exception d’Odessa, en mauvais état de fonctionnement, privés de leur main d’œuvre dispersée par le conflit. Ajoutons-y la recherche d’assureurs susceptibles de couvrir l’activité maritime dans un environnement de guerre.

Tout cela fait beaucoup de ‘’si’’ et de risques de dérapage, mais parvenir à élaborer un tel schéma était quasiment inespéré il y a peu et donc positif pour la suite. Le meilleur atout de l’opération humanitaire et commerciale est qu’elle sert les intérêts des deux belligérants à la fois, puisque la Russie y gagne une levée des contraintes frappant ses propres exportations de blé et sans doute d’engrais. Certains concours pourraient s’être perdus en chemin, notamment l’opération de sécurisation des ports par la marine française. Annoncée le mois dernier à Kiev, par le président français, elle n’est plus évoquée.

Quelque chose d’important vient en tout cas de se concrétiser, au cinquième mois de la guerre en Ukraine, alors qu’aucun répit n’est perceptible dans la violence des combats. La population ukrainienne en est profondément meurtrie mais aussi affectée l’agriculture d’un pays réputé être le grenier à blé de l’Europe et d’une partie du monde. Les bombardements, l’incendie des récoltes et des silos doublé d’un blocus naval en Mer Noire ont bloqué le ravitaillement de nombreux pays émergents, notamment nord-africains (à commencer par l’Egypte, la Tunisie et le Maroc) et moyen-orientaux (la Syrie et le Liban), avec des conséquences potentiellement catastrophiques sur la sécurité alimentaire. Pour ce qui est de l’Afrique de l’Ouest, où, selon Oxfam, 30 millions de personnes souffrent actuellement d’insuffisances alimentaires, le conflit a accentué une inflation généralisée préexistante. En cinq ans, le prix du maïs y a augmenté de 30 % et celui du riz de 20 %, ce qui affecte aussi les prix des engrais et du pétrole affectant également l’agriculture africaine. Des poches de famine s’y développent. A l’est du continent, l’Érythrée et la Somalie dépendent presque entièrement des importations de blé russe ou ukrainien. L’Ethiopie, le Kenya et la Somalie connaissent déjà la disette : un être humain y meure de la faim toute les 48 secondes.

Vis-à-vis d’un Sud confronté à des enjeux aussi élevés, il faut donner sa chance à l’accord passé à Ankara. Ceci, sans trop s’appesantir sur les ambigüités connues de la diplomatie turque. Peut-être la France, qui s’était prestement signalée, pourrait, avec d’autres Etats garants, proposer les services de sa marine aux Nations Unies.

* 22 juillet – La foi du charbonnier nous guide

Avec la mise en maintenance, le 11 juillet, des deux gazoducs Nord Stream 1, s’ouvre pour l’Allemagne et l’Europe une période d’incertitude énergétique. Le gaz russe sera-t-il rebranché ? Oui, semble-t-il mais de façon parcimonieuse, avec pour but de jouer avec les nerfs des Européens et avec l’illusion de pouvoir maintenir une dépendance devenue toxique.

Pour l’instant, comme pour la moutarde, l’approvisionnement s’est fait de plus en plus difficile, depuis quelques semaines. On voit bien qu’il pourrait se tarir complètement. En France, le gouvernement appelle les distributeurs à ‘’se mettre rapidement en ordre de bataille’’ pour faire face à la grande probabilité d’une coupure. Telle est la consigne lancée par Bruno Le Maire, même si, selon lui, la France bénéficie d’une situation ‘’plus favorable’’ que ses voisins. La notion est toute relative. La Commission européenne propose, pour sa part, que chacun diminue rapidement de 15 % sa consommation de gaz. En vertu de quoi, les membres  »disciplinés » s’ouvriraient un droit à la solidarité des autres, si les temps devenaient invivables. Avec aigreur, les pays du Sud interprètent ce plan comme équivalent à  »payer pour la dépendance allemande au gaz russe » et donc pour les choix erronés faits par Berlin.

Si l’embargo russe paraît inévitable, beaucoup d’industries dépendant directement du gaz vont souffrir. Ceci affectera leur capacité-même à produire, comme on le voit déjà en Allemagne, chez BASF ou chez Uniper. Certains experts prédisent que la moitié de ces firmes pourrait mettre la clé sous la porte.

Qui donc sacrifier dans une situation de  pénurie : les industries, les transports, les ménages, les administrations ? Si les industries opèrent en première ligne, à l’arrière, les ménages vont écoper du plus dur des désagréments. Manger ou se chauffer (il faudra choisir) ? La facture Enedis ou Engie réglée par les consommateurs a déjà fortement augmenté et continuera à s’envoler à l’avenir. Le bois de chauffage a disparu du marché. Un retour de la ‘’chasse au gaspi’’ nous guette : gare au réglage trop élevé des radiateurs ou à la surconsommation sur l’autoroute !

Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, beaucoup avaient vu, dans les sacrifices imposés par cette  guerre, une sorte d’appel ou d’opportunité à prendre le grand tournant ‘’décarboné’’. Se dissocier du gaz et du pétrole pour passer aux sources d’énergies vertes pouvait permettre à l’Europe d’entamer vraiment sa transition verte vers le zéro émission de CO2 visé pour 2050. C’eût été se propulser à hauteur des enjeux qui attendent les prochaines générations. Oublions tout ça ! Le contraire se produit, carrément. L’alternative au gaz russe se trouvera finalement dans le bon vieux charbon gras et dans les huiles lourdes fossiles achetés au prix du Saint Emilion aux émirs du Golfe (l’arabo-persique ou celui du Mexique). Actuellement, la demande de houille atteint un pic à en exterminer les derniers climatologues survivants.

On assiste en fait à un choix apeuré des gouvernements, privilégiant la tranquillisation immédiate du consommateur en manque, déconnecté de la chose géopolitique. En d’autres termes (je me répète) : la peur d’une flambée de colère des gens, l’hiver prochain, l’emporte sur l’intérêt de tous à réduire les dégâts climatiques et ceux de la guerre à plus long terme. Les successeurs des successeurs (etc.) des actuels dirigeants se débrouilleront bien du problème. Comme en toute affaire médiatico-politicienne, le court-termisme sortira en grand vainqueur.

Rassurez-vous ! Dans trente ans, de nébuleuses énergies renouvelables devraient remplacer complètement notre bon vieux gaz fossile actuel. Il s’agirait d’éthers produits dans des méthaniseurs agricoles, accessoirement, d’autres tirés des boues de stations d’épuration ou encore d’installations de stockage de déchets. On nous dit que plus de trois cents de ces machines aux mauvaises effluves seraient déjà raccordées au réseau. Mais, pourra-t-on attendre trente ans encore ? Ce ne sera peut-être pas nécessaire. D’ici là, il suffirait de transformer en gaz new look les riches ressources agricoles d’une Ukraine russifiée et de son maître russe. Comment ça, le serpent se mord la queue !!

* 20 juillet – Un litre de Solexine pour mon vieux clou

Depuis peu président en titre des Emirats arabes unis (EAU) – il l’était auparavant, de facto -, Mohammed Ben Zayed a choisi la France pour son premier voyage officiel à l’étranger. On a mis pour lui les petits plats dans les grands, c’est normal. L’autoritaire et dépensier partenaire stratégique de Paris au Moyen Orient sort du lot comme le meilleur client qui soit de l’armement français, un acheteur émérite du Rafale et des chars Leclerc, courtisé par ses fournisseurs, en même temps qu’un gros investisseur dans l’industrie française : bref, un grand et fidèle ami de la République.

Son plus gros souci, l’Emir, s’appelle l’Iran, ce qui lui vaut un soutien stratégique massif de la France. Cet engagement est concrétisé – entre autres – par un stationnement régulier de forces sur une base  d’Abou Dhabi. En fait, arrangement administratif après accord de stationnement, vente de missiles après conseils de défense, c’est une alliance militaire assez contraignante pour Paris qui a été forgée avec le richissime émirat du Golfe. Si Téhéran s’aventurait à le menacer, il ferait face à un dispositif français de défense. C’est cette réalité concrète qui fait dire à la diplomatie française que les EAU constituent ‘’ le pilier de son action dans le monde arabo-musulman’’. En fait, ‘’arabo’’ et sunnite, certes, mais beaucoup moins du côté ‘’musulman’’, sinon en option négative par rapport au monde chiite.

Mohammed Ben Zayed Al Nayhane s’est gentiment exposé à la notoriété internationale, chez un hôte amical et protecteur et comme à son habitude, il a souhaité que Paris réitère ses engagements. Il a aussi invité sa délégation à faire son marché en France et à acquérir quelques technologies utiles pour l’après-pétrole. Accessoirement, il a généreusement lâché quelques tankers de diesel à prix fort pour le pays d’Emmanuel Macron, qui le suppliait. En ces temps de pénuries annoncées, les visites officielles en France  se font de moins en moins coûteuses pour l’invité.

Le contenu de la brève de lundi (‘’mon âme pour un baril’’) aurait pu être repris texto pour décrire cette visite d’émir en France. Il eût suffi de remplacer ‘’Etats unis’’ par ‘’France’’, ‘’Biden’’ par ‘’Macron’’, ‘’MBS’’ par ‘’MBZ’’ et ‘’résultat mitigé’’ par ‘’résultat mitigé’’. On sait trop bien que les deux ‘’MB’’ sont lourdement impliqués dans le conflit au Yémen, qui a ravagé ce petit pays pauvre, meurtri sa population et les laisse dans une situation inerte, mi-guerre mi-trêve, sans qu’aucune solution ne soit en vue. Les deux ‘’MB’’ sont aussi bien repérés par les ONG humanitaires comme des dictateurs répressifs. Rien d’original. En fait, ce serait idiot de mélanger frénésie de pétrole (chez nous) et mise au pas intégriste et brutale (chez eux). Notons d’ailleurs que, faute d’essence pour se déplacer, les associations de droits de l’Homme n’ont pas montré le bout du nez ou alors, si discrètement … On ne va quand même pas demander à Total ou à Emmanuel Macron de s’y coller à leur place : chacun son business !

Retenons plutôt qu’au Moyen Orient, la France se comporte en petite Amérique, sagement ancrée dans les pas de l’Oncle Sam. Bien sûr, il y a des écarts et des nuances. Le président français n’a jamais déclaré que les émirats étaient ‘’un paria’’ ; Il n’avait aucune connaissance préalable d’un journaliste émirati assassiné sur ordre du souverain. Aucun Congrès à Paris ne le force à conserver une ligne ‘’tout pétrole ou rien’’. De plus, la perception de l’Iran en tant qu’ennemi est nettement plus discrète à Paris, bien qu’elle se concrétise dans les faits. Enfin, les gilets jaunes qui ont pris d’assaut le Capitole de Washington, le 6 janvier, ne sont pas dénommés ‘’yellow vests’’, en anglais. Ces différences comptent.

* 17 juillet – Mon âme pour un baril !

Tournée moyen-orientale sans chaleur, déplacement controversé en Arabie saoudite, influence américaine en reflux, pas de gain immédiat en fourniture d’hydrocarbures. Joe Biden est rentré de Riyad un peu bredouille, honteux de ses courbettes devant ce mauvais garçon de Prince-Héritier, et surtout sans avoir obtenu qu’il augmente sensiblement sa production pétrolière. Bilan très mitigé.

Il a participé à un forum du Conseil de Coopération des Etats du Golfe, un exercice  »Sécurité et défense » du niveau de son secrétaire d’Etat. Il a poliment applaudi le rapprochement israélo-émirien, qui ne doit plus grand-chose à l’activisme initial de l’époque Trump. Quelques paroles graves prononcées sur l’irresponsabilité nucléaire de l’Iran. Pas grand-chose à vrai dire, ni sur le  »Tu ne tueras point » commun à toutes les sagesses. On retiendra la signature de dix-huit accords bilatéraux entre le Royaume saoudien et les Etats Unis, notamment sur le développement des énergies nouvelles. Mais il apparaît bien que les marges de manœuvre occidentales au Moyen-Orient ne sont plus ce qu’elles étaient. Elles ont fondu. Ceci est patent face au mur d’indifférence dressé par les membres de l’OPEP refusant de prendre parti dans l’affaire ukrainienne. Les souvenirs des pataquès d’Irak et d’Afghanistan, la revendication d’un pivotement stratégique plus à l’Est, pour endiguer la Chine, les faiblesses internes de la démocratie américaine, tous ces facteurs restent en mémoire et ils ont fortement relativisé l’aura du leadership US d’antan. Et puis les dirigeants du Moyen-Orient ressentent, de façon générale, une  »fatigue à l’égard de l’Occident ».

Avec la guerre en Ukraine, les cours du brut ont augmenté de plus de 100 dollars le baril, avec un pic à 139 dollars concernant le Brent. En conséquence, depuis l’arrivée aux affaires de Joe Biden, le gallon américain se monnaie à la pompe à cinq dollars ou plus. L’inflation pèse sur les foyers et plus encore sur l’humeur des citoyens-électeurs, à l’approche des ‘’mid-term elections’’ de novembre prochain. Et le plan climat qui est en panne au Congrès. Déprimant, pour Papy Joe…

Livrer sur le marché une quantité supplémentaire significative de naphte supposerait que Riyad rompe son entente avec la Russie au sein de l’OPEP +, qui date de deux ans. Le cartel des fournisseurs a opté en mai pour une stratégie d’augmentation graduelle de sa production, dans l’idée de l’ajuster à la reprise économique post-Covid. Un effort supplémentaire important, juste pour les beaux yeux de la princesse America, semble très peu probable. Un geste limité reste néanmoins concevable pour sauver la face au visiteur américain : rien qui puisse faire réellement baisser le prix du gallon et compenser les millions de barils russes qui manqueront dans les réserves européennes. Car l’Europe figure en tête en proue de la barque folle des énergies carbonées. C’est elle l’otage d’une rupture totale des livraisons de gaz russe et toujours elle qui s’expose à la pire spirale des prix d’Occident. Sans oublier la galère du monde émergent, dont l’archétype de Sri Lanka traduit une vulnérabilité extrême à cette conjoncture mondiale foutraque.

Après avoir décrété, d’eux-mêmes, un embargo par étapes sur le pétrole russe, les pays européens se retrouvent aux abois, contraints à diversifier leur approvisionnement en or noir et surtout en gaz. Pour la France, par exemple, le Qatar est censé apporter une réponse miraculeuse aux maux présents. Le réalisme ambiant a forcé l’oncle Joe à saluer en camarade le hautement criminel et proscrit prince Mohammed Ben Salmane … et, pour le même prix, à avaler sa péroraison sur l’incompréhension Yankee des valeurs morales dont s’honore son royaume. Celles-ci s’affirment identitaires et absolument spécifiques : faire assassiner un gêneur y est perçu comme le signe d’une grâce, par exemple. Oublions les droits humains et retenons plutôt le commentaire flegmatique d’un dirigeant allemand : ‘’Nous préférons désormais être dépendants de plusieurs dictateurs du Golfe, que d’un seul en Russie’’. Bien vu, mais parions que cela ne nous mènera pas très loin. Le contexte pétro-gazier restera déséquilibré et fluctuant : du court terme succédant à du court terme et encore : la routine en somme.

Une gigantesque énergie diplomatique est déployée dans le but d’accroître la dépendance européenne en hydrocarbures du Golfe, quitte à devenir au passage moins honnêtes et moins souverains. En comparaison, très peu est fait pour réduire la surconsommation des citoyens européens ou américains. Il est vrai que leur mécontentement (anticipé) effraie terriblement ceux qui les gouvernent. Cet effroi électoral ou d’ordre public écrase à leurs yeux la perspective de perdre la transition énergétique et, même, de perdre leur âme. La messe est dite, rentrons chez nous..

* 15 juillet – Le jour de résilience est arrivé

Emmanuel Macron a brièvement abordé la situation stratégique en Europe, à l’occasion de l’interview qu’il a donnée à l’occasion du 14 juillet. Bien qu’aujourd’hui ce soit vendredi, jour où l’Ours Géo fait habituellement la sieste, le fait mérite un petit commentaire. Pour une fois, il sera plutôt positif.

Les esprits simples auront retenu que la France n’est pas en guerre contre la Russie. Croyez vous ? En fait, le Chef de l’Etat a précisé qu’elle n’était pas dans une posture de confrontation militaire directe avec l’armée de Poutine… mais bien dans une guerre hybride que nous livre la Russie.

Reprenons les choses calmement : la République est bien en guerre  »par procuration » et  »par livraisons d’armes » contre les envahisseurs de l’Ukraine. Protagoniste actif, elle assume le risque de se voir absorbée dans la bataille, aux côtés de l’OTAN, si la confrontation devait se généraliser. Non pas qu’elle le souhaite, mais le choix est entre ce risque bien réel et un écrasement des libertés et de l’état de droit en Europe. La démocratie a le droit de se défendre avec des canons. Vous pouvez ne pas être du tout d’accord avec cette interprétation. Consulter alors d’autres blogs, sans poster de commentaire sur celui de l’Ours.

La guerre hybride, elle, est bien directe et elle prend l’Europe pour cible. Nous sommes depuis un bail sur le front de la cyber-guerre et de la manipulation médiatique russe. Nos positions d’influence en Afrique et dans le monde émergent sont attaquées, parfois à grands renforts de montages grossiers, comme ce prétendu charnier humain, cadeau des mercenaires de Wagner, supposé  »laissé par les forces de Barkhane », au Mali. Lorsqu’il s’agit seulement de continuer à alimenter par un corridor humanitaire les civils assiégés d’Idlib, en Syrie, Moscou jubile de bloquer l’action du Conseil de sécurité. Même chose dès que l’on essaie de faire sortir le blé des silos ukrainiens, par la Mer Noire pour nourrir les pauvres.

Le président français à trouvé curieux que les médias taisent la coupure du gaz russe à l’Europe, via le gazoduc North Stream. la fermeture des vannes est en cours. Cependant, on préfère attendre qu’elle soit totale pour en parler. La remarque présidentielle paraît fondée. Son auteur a eu le bon sens d’inviter les consommateurs français à faire des efforts de sobriété et de résilience. Excellent réflexe ! Mais il manque manifestement une clé de répartition des économies à faire, des sacrifices à consentir. Le  »QuiFaitQuoi » des sacrifices n’est pas qu’une question de modalité : la domination des choix industriels sur la justice sociale n’est plus acceptable pour beaucoup de citoyens. Voilà un sujet de politique intérieure+extérieure qui mériterait d’être porté devant l’Assemblée  »ingouvernable » issue des législatives du mois dernier. Hop ! Retour à une sieste peu-émettrice en carbone …