* 5 Décembre – L’allié franc

La suprême coquetterie de la diplomatie française est de prétendre ne jamais s’aligner sur son plus grand allié. Dès le premier jour de sa visite d’Etat à Washington, le président français a célébré sur le tapis rouge l’amitié franco-américaine, à sa façon. Les deux républiques sœurs devaient ‘’essayer ensemble d’être à la hauteur de ce que l’Histoire a scellé entre [elles], une alliance plus forte que tout ». L’ère de la ‘’frime machiste’’ pour tenter d’amadouer D. Trump étant heureusement révolue, entre dirigeants amis on en vient à se parler franchement. Emmanuel ne s’est pas privé d’entonner ce registre diplomatique bien français.

Première à bénéficier d’une visite d’Etat sous la présidence Biden, la France veut, avant tout, s’afficher comme un partenaire qui pèse parmi les Européens et, accessoirement, dans le monde. Ensuite, elle souhaite obtenir de Joe Biden la confirmation sans équivoque qu’il soutient le développement d’une Europe de la Défense. Une multitude d’autres sujets ont été discutés – espace, nucléaire, Ukraine, Chine, Iran, climat –, sans révéler d’inflexions de part et d’autre de positions connues à l’avance.

Si la dénonciation du ‘’marché du siècle’’ des sous-marins australiens, inspirée par Washington, a trouvé un épilogue pragmatique avec la compensation financière accordée par Canberra, la question de la participation à l’alliance AUKUS (Australie, Royaume Uni, USA) n’a toujours pas trouvé sa conclusion. Elle a en fait été discrètement contournée pendant la visite. Présente dans la zone Indopacifique – ce que nul ne nie –la France aurait-elle modéré son envie obstinée d’en être donc d’en découdre ? Il n’est pourtant pas dans sa vocation stratégique de se muer en obstacle militaire à l’hégémonisme rampant de la Chine dans la région. Surtout, dans la dimension nucléaire. Se tenir à l’écart d’un clash stratégique avec Pékin parait plus conforme à son approche réaliste et modérée de l’Extrême-Orient. Elle a donc dû se raviser, d’autant plus que c’est désormais sur le front Est de l’Europe que s’exerce, disons, sa ‘’solidarité primordiale’’ au sein de l’Alliance atlantique.

Concernant la guerre en Ukraine, la conférence de presse commune a laissé entrevoir, dans la fraternité d’armes, un décalage de perspective géopolitique. Pour les Etats Unis, l’engagement dans la défense de la souveraineté de Kiev est puissant mais plutôt circonstanciel, sur une échelle de temps limitée. Il importe d’éroder au maximum la capacité offensive de la Russie et de clore la guerre sur un retrait rétablissant le statuquo initial. Joe Biden n’exclut pas de prendre langue, dans un tel scenario, avec Vladimir Poutine, lorsque celui-ci demandera l’armistice. La position française de garder un canal d’échanges avec le Kremlin parait plus exigeante sur le long terme : établir une paix juste et durable dans le temps, conforme à la Charte des Nations Unies et pleinement définie aux revendications souveraines de Kiev, ce qui pose la question épineuse de la récupération de la Crimée, celle du jugement des coupables de crime d’agression et implique des conditions précises pour réintégrer la Russie dans le concert européen. La différence d’angle découle de la géographie : Washington ne souhaite pas se laisser détourner de ses priorités stratégiques : l’endiguement de l’expansion chinoise et la primauté du leadership mondial.

Globalement les deux pays ont pu projeter l’image de solides alliés capables de pondération et de lucidité. Il n’en a pas été de même sur les sujets de l’économie.

En l’occurrence, Macron n’a pas mâché ses mots. D’emblée, il a plaidé contre l’Inflation Reduction Act – un programme ‘’super agressif’’ de subventions massives à l’environnement, destiné aux entreprises basées aux Etats Unis.  Le plan d’investissement de 430 milliards de dollars qui le sous-tend alloue 370 milliards à la réduction de 40 %, d’ici à 2030, des émissions de gaz à effet de serre. Il constitue aux yeux européens une aide massive à l’export et une forte incitation à délocaliser l’investissement européen vers les USA. L’opération, vu son ampleur, menace, selon Macron, de ‘’fragmenter l’Occident’’. L’expression est plutôt alarmiste.

Cette loi constitue pourtant un beau succès de Joe Biden, qui a obtenu de haut vol son adoption par le Congrès. Elle n’est guère susceptible d’aménagements. Et ce n’est que pour la forme que Paris recommande de veiller à synchroniser (au sein du G 8 ?) les programmes des deux rives atlantiques poursuivant les mêmes objectifs et susceptibles d’être ‘’décidés ensemble’’. L’actualité des derniers mois – la crise énergétique et le coût de la guerre en Ukraine – commencent au contraire à creuser un ‘’décalage’’ entre l’Europe et les Etats-Unis. Car ‘’Europe’’ est sans doute le mot clé. L’investissement en Europe, ainsi mis en danger, risquerait de vaciller et de faire du Vieux Monde une simple ‘’variable d’ajustement’’ dans le bras de fer entre Washington et Pékin…

Sans doute, le message (plus que subliminal) est principalement adressé à Bruxelles : l’arme d’un ‘’Buy European Act’’ – franchement protectionniste – serait-elle devenue la seule efficace contre le rouleau compresseur des subventions américaines ? C’est une belle vision culpabilisante pour le partenaire américain mais fort peu réaliste. Le marché unique est de taille supérieure et il peut en théorie répliquer souverainement. Cette thèse instillera-t-elle de la mauvaise conscience au géant américain ? Ce serait méconnaître le nationalisme du Congrès. Qui doutera encore que l’allié français n’est pas ‘’aligné’’ ?

* 14 novembre – Parler rivalité

Joe Biden et Xi Jinping se rencontrent aujourd’hui à Bali, en marge du G 20. Ils ont déjà eu cinq entretiens téléphoniques ou en visioconférence mais c’est leur premier contact de visu depuis l’investiture du premier. Les deux hommes avaient toutefois déjà eu l’occasion de se jauger alors que Joe Biden était vice-président de Barack Obama. Ces entretiens interviennent après la reconduction de Xi Jinping, le mois dernier, pour un troisième mandat  »historique » à la tête du Parti communiste chinois, lui assurant une réélection comme président en mars 2023… et après des élections de mi-mandat aux Etats Unis, moins dommageables qu’on s’y attendait pour l’autorité du président américain, notamment en politique étrangère.

En Ukraine, les États-Unis sont protagonistes face à la Russie mais aussi en posture d’extrême méfiance face à la Chine. Les deux dirigeants se donnent pour objectif de gérer de manière responsable la rivalité entre Chine et États-Unis, a indiqué dans un communiqué la porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre. Washington a aussi l’espoir que les deux rivaux arrivent à travailler ensemble  »là où (leurs) intérêts concordent ». Les Américains ont en tête le climat, la lutte contre le trafic de stupéfiants et la santé mondiale.

Joe Biden et Xi Jinping vont évoquer un éventail de sujets  internationaux et régionaux, a-t-elle indiqué, sans mentionner explicitement la sécurité de Taïwan, la plus forte source de tension.  »La doctrine sur Taïwan n’a pas du tout changé », a assuré Joe Biden, en évitant de reformuler ses précédents propos qui avaient enflammé Pékin, selon lesquels l’armée américaine défendrait Taïwan si l’île était attaquée. Sur cette question qui affecte gravement la stabilité mondiale, le rapport de forces dictera sans doute sa loi. La Russie est, à plus court terme, une épine dans le pied des deux puissances : Joe Biden voudrait que la Chine prenne ses distances avec Moscou. Une pure vue de l’esprit. Mais Pékin ne veut pas se laisser empêtrer dans son accointance avec Moscou.

De fait, la Chine a récemment émis un signal – vu comme positif à Washington – en se prononçant contre la menace d’utilisation d’armes nucléaires. Elle s’est retenue d’accomplir un effort généralisé pour contourner ouvertement le régime de sanctions, même si elle le dénonce. Le risque d’une rétractation de son commerce extérieur sous l’effet de répliques américaines porte la marque d’une gestion prudente et relativement pragmatique. De leur côté, les Etats-Unis sont sur une posture offensive de mise en garde : ils ont durci leurs contrôles à l’exportation de technologies du numérique, ce qui pourrait compliquer le développement de semi-conducteurs chinois de pointe. Pékin paraît encaisser le coup…

À l’agenda également sera portée la Corée du Nord. À l’heure où Pyongyang multiplie quasiment au quotidien les tirs de missile, dont certains à longue portée, susceptibles d’atteindre Guam, Hawaï, voire-même la Californie, Washington exhorte Pékin à user de son influence sur l’inflexible Kim Jong Un. Mais Pékin ne se targue pas de disposer d’un tel levier sur son petit voisin nucléaire, sans doute avec raison, tant l’autre est braqué sur une stratégie de sauvetage par la nuisance..

Les deux rivaux ne font aucun pari sur cette rencontre au sommet. Pour Jake Sullivan, conseiller à la défense nationale, ‘’il ne faut pas attendre des résultats concrets et spécifiques de cette réunion’’. Les deux dirigeants vont essentiellement se jauger mutuellement en face à face, à un croisement de leurs destinées respectives, dans l’idée de s’imposer des ‘’lignes rouges’’ sur ce qui pourrait porter leur méfiance à un niveau de conflit ouvert. Connaître son ennemi aussi bien que soi-même est une clé stratégique très classique. L’Histoire tend à montrer que ce difficile décryptage de l’Autre ne va jamais aussi loin qu’il le faudrait pour établir une détente durable ou pour s’épargner de coûteuses erreurs.

* 10 novembre – Too close to call

Chaque camp politique pourra trouver son compte dans les résultats – non encore définitifs – des élections américaines de mi-mandat, une échéance traditionnellement peu favorable aux incombants. Joe Biden a obtenu un score honorable, plutôt meilleur que ses prédécesseurs démocrates, à l’occasion du renouvellement biennal des chambres. Il semble pouvoir préserver l’essentiel, sans subir le cuisant coup de bâton que lui promettaient les sondages. De fait, il devrait garder la main sur le Sénat, de justesse, il est vrai. Il se dit même prêt à envisager un second mandat en 2024, après discussion avec sa famille.

D’un autre côté, le Trumpisme garde le vent en poupe, les candidats ‘’adoubés’’ par le milliardaire caractériel ayant connu de bons résultats dans les urnes, à l’exception des plus extrémistes. Le gain prévisible d’une majorité – modeste – obtenue par les Républicains au sein de la Chambre des Représentants va mettre sous l’éteignoir le nouveau Congrès, pourtant sorti d’un verdict relativement équilibré des urnes. Les deux années à venir ne connaîtront plus les grandes réformes structurelles engagées par le président démocrate mais plus probablement beaucoup de confrontation et de tumulte partisans. L’Exécutif devra faire avec un Législatif auto-paralysé. Il y a des précédents montrant que ceci est possible, mais à un niveau d’ambition limité.

La menace que la Cour suprême fait peser sur le droit à l’avortement a sans doute joué dans le camp démocrate, mais elle n’a pas été l’enjeu majeur du scrutin. Trois états ont même adopté des lois sanctuarisant le droit d’accès à l’IGV. La défiance des électeurs face à la poussée d’inflation très forte qui frappe l’économie a manifestement motivé le choix d’un plus grand nombre d’électeur. Mais ce ressentiment populaire a été en partie atténué par une forme de fatigue à l’égard des joutes partisanes les plus outrancières. Les citoyens aspirent à moins d’agressivité que les états-majors politiques. Pour autant, est-ce un premier pas vers la réconciliation des deux électorats antagonistes ? On ne semble pas avoir beaucoup progressé vers une ‘’paix civile’’ durable, mais les candidats les plus marqués à gauche comme à droite n’ont pas eu la préférence. Les modérés Démocrates comme Républicains auront leur part à jouer dans la bataille des chefs.

Car la bataille pour les présidentielles de 2024 est ouverte, sans scénario probable émergeant plus qu’un autre. De son côté, Joe Biden, qui a pour lui sa posture centriste, est bien conscient de son handicap d’âge et cerné par des candidats plus jeunes et plus progressistes. Bernie Sanders, plus âgé encore, constitue moins un défi pour lui que la sensibilité qu’il représente. Kamala Harris, elle, ne décolle pas en popularité. Chez les Républicains, la stature omniprésente de Donald Trump domine le jeu de façon écrasante. Elle pourrait s’user : sa furie fatigue même ses partisans ; ses ennuis judiciaires pourraient le voir concourir pour la Maison Blanche depuis la prison ; Ron de Santis, le gouverneur de la Floride présente mieux et possède un meilleur potentiel à long terme ; l’opinion oublie peu à peu le contentieux de janvier 2021.

Alors, faut-il que le ‘’reste du monde soit soucieux’’ ? Il faut dire que la communauté planétaire est toujours quelque peu appréhensive relativement à ce qui ‘’sortira de la poudrière américaine’’ et moins avertie des évolutions infra-échelon fédéral. Quatre années de Trump et le cataclysme qu’il a causé en matière d’action internationale contre le dérèglement climatique n’ont pas inhibé l’aspiration de certains états, telle la Californie, à un verdissement des lois et des politiques. Les énormes bourdes en rapport avec la non-prolifération (la Corée du Nord, l’accord dénoncé avec l’Iran) ont été trop coûteuses pour qu’il puisse songer, le cas échéant, à les réitérer. Une bonne partie des élus républicains reste attachée – comme les Démocrates – à l’OTAN, aux alliés européens et au soutien dû à l’Ukraine contre l’invasion russe.

Face à une Amérique qui lui dit : ‘’Grow up, child !’’, l’Europe n’en a pas moins motif à prendre en main plus avant sa défense, ses politiques russe et chinoise, son indépendance stratégique et commerciale, tout en gardant fort – plutôt que vital – le lien transatlantique. On reste cool.

* Mardi 8 novembre – La démocratie partie en vacances ?

Pendant que la pénombre géopolitique persistait sur le monde, des élections ont eu lieu ça et là. Peut-être faudrait-il s’en réjouir. Peut-être, car la sagacité des gouvernements ne s’en trouve pas accrue, la démocratie n’y trouve pas toujours son compte, l’alternance se fait le cas échéant vers le passé, les populations ne s’attachent pas prioritairement aux vraies questions, celles qui touchent à leur (future) vieillissement, à la Paix, à la guerre, à l’émancipation, au climat et à la biodiversité, bref à la viabilité du monde à venir.

– L’exemple du bref passage à Downing Street de Liz Truss est sans doute le plus accablant. Elue à la barre d’un navire qui prend l’eau depuis le Brexit, la dirigeante conservatrice tirait sa légitimité du vote de 0,03 % de l’électorat britannique. C’est presque surréaliste survenant après l’isolement, le déclin et les mauvaises manières induits par son prédécesseur ébouriffé, l’inimitable brouillon, Boris Johnson. La dame s’était perçue comme réincarnant Margaret Thatcher, dans les heures graves des Falklands. Reniement des liens avec l’Europe, affirmation d’une grandeur toujours victorienne du Royaume auquel le monde devait rendre hommage, dureté avec les pauvres et fiscalement dévotion aux riches : elle n’est parvenue qu’à affoler sa propre banque centrale, les marchés et une majeure part de la classe politique anglaise. Las ! Rattrapée par le monde réelle, elle tente un tour de passe-passe faisant peser le coût des dégâts sur son chancelier des finances, Jeremy Hunt. Celui-ci annonce que le gouvernement de sa Majesté fera tout le contraire de ce à quoi la Première ministre s’est engagée devant le parlement de Westminster. Trois semaines après avoir été ‘’inaugurée’’ par le roi Charles III, Liz a été débarquée par ses amis les plus proches. Le maire de Londres, vaincu du scrutin interne des Torries récupère la place.

– Au Brésil, la campagne présidentielle a ressemblé à une guerre civile en vraie grandeur. L’insulte a dominé l’espace des débats. Jaïr Bolsonaro, le sortant, obsédé par le précédent créé par Donald Trump n’a pas manqué d’afficher un colossal mépris pour les règles de la démocratie. Au point que son silence au lendemain du scrutin a pu être interprété comme un appel lancé à l’armée – dont il est issu – pour qu’elle effectue un putsch. Ignacio Lula da Silva a gagné, ric-rac, sans gloire ni grandeur particulière. Le dirigeant syndicaliste et ancien chef d’Etat emprisonné pour concussion n’est plus le héros populaire qu’il avait été avant son prédécesseur. On a un peu l’impression que la geste politique brésilienne tourne en rond… mais n’arrive plus à reproduire les hauts faits passés, dans un contexte économique et social très dégradé. Lula garde comme atout un fort potentiel pour le dialogue et le compromis. Son vice-président a été choisi au centre droit, son programme n’est plus très progressiste. On peut prédire que le Brésil se dirige, cahin-caha vers de nouveaux épisodes de crise interne.

– Le cas israélien est à part. Cinq scrutins généraux sont intervenus en trois ans, mettant aux prises la droite dure, l’extrême droite hystérisée et les extrêmistes religieux, complètement déjantés. La gauche n’existe plus et le Centre s’est rangé à droite : le jeux politique ne peut donc plus produire une vraie alternance, car il est enchassé dans des considérations ethnico religieuses et un racisme d’Etat. Le choix est entre un état de guerre autoritaire et insensible aux épreuves des Palestiniens (eux-mêmes incapables d’organiser un scrutin) et un apartheid armé, en bonne et due forme. Les accords d’Oslo ne sont plus de ce monde et la confrontation sert de fuel à la classe politique. Le deal proposé aux citoyens est : ‘’ne faites plus de politique, nous nous en chargeons. En retour, confiez-nous sans état d’âme votre sécurité’’. François Guizot aurait-il dit autre chose alors que Louis Philippe 1er préfigurait l’humeur actuelle de l’incontournable ‘’Bibi’’ Netanyahu, centre de gravité indévissable de l’ultra-nationalisme bourgeois israélien. Le prix à payer sera élevé le jour, encore lointain, où le système s’effondrera sur fond de guerre civile, car les citoyens-électeurs seront revenus en force dans le jeu.

– Aujourd’hui se tiennent, aux Etats Unis, des élections de mi-mandat pour le renouvellement du Congrès, une échéance politique toujours défavorable à la présidence en place. En temps normal, l’enjeu partisan reste dans les limites raisonnables d’un débat programmatique et de préférences idéologiques d’ordre commun. Mais le précédent de la révolte encouragée par Trump contre les institutions (jusqu’au raid de janvier 2021 sur le Capitole de Washington) et l’ascendant toxique que le milliardaire caractériel conserve sur le parti Républicain pourraient faire monter les enchères dans une situation où les ennemis du système’’ s’empareraient des deux chambres du Congrès. L’inflation galopante, notamment celle qui impacte les coûts de l’énergie, incite les électeurs à faire passer ‘’la fin du mois’’ avant  »la fin du monde’’ et Joe Biden pourrait se trouver impuissant à maintenir l’ordre civil et la cohésion sociale à un niveau vital minimum. Les présidentielles et législatives françaises ont été également marquées par cette propension au court-termisme, on ne peut donc blâmer l’électeur américain. Mais le poids des Etats-Unis dans les grands défi mondiaux est d’une tout autre dimension. Sous les traits d’un D. Trump de retour en 2024, un retrait définitif de l’Oncle Sam des affaires du climat, de celles de la prolifération nucléaire ou encore du soutien accordé à l’Ukraine dans la défense du droit et de la justice tracerait les contours d’un véritable cauchemar géopolitique.

* 3 novembre – Sorciers milliardaires et manipulateurs du monde

Le GAFAM est-il déjà le général en chef, voire le ‘’maître du Monde’’. Cela évoque les fictions primaires et faciles d’antan mais la question, qui n’est guère posée maintenant, trouve un écho dans l’actualité géopolitique. Le milliardaire américain, Elon Musk, se prend vraiment pour le Dr Strangelove / Follamour. Il ne lui suffit pas qu’une de ses Tesla tourne en orbite autour de la Terre et d’avaler Twitter pour en faire un médium  »libertaire » pour porter sa voix dans le monde. Il vient de proposer un plan de paix pour l’Ukraine (désarmé et neutre face à l’agression russe), propose d’instituer une  »zone administrative spéciale » pour régler le sort de la pauvre Taïwan ‘’à la sauce hongkongaise’’.

Il cherche à sécuriser l’accès à Internet par ses satellites pour les Iraniennes en révolte contre les mollahs. Mais il menace, en même temps, de supprimer les prestations GPS de sa société Starlink aux militaires ukrainiens. Ceci, précisément, si le Trésor américain ne prenait pas le relais de leur financement : l’homme le plus riche du monde a muté en apprenti sorcier, à l’image du réseau des réseaux lui-même. A 51 ans, le ‘’génie’’ sud-africain se révèle autiste en géostratégie. Son égo monte en trajectoire de Space X, et sa prétention est galactique, mais le fait est là : il est en train de jouer avec le sort de l’humanité. Sans doute, il doit trouver ça drôle… Le président Zelensky lui, n’apprécie plus du tout, mais l’ambassadeur de Chine à Washington a beaucoup aimé. On a les admirateurs qu’on peut.

Ce n’est pas la première fois que les milliardaires américains s’appliquent à exercer un rôle politique dominant par-dessus le dos des élus et des peuples. Avec sa fondation, Bill Gates est devenu le super-ministre de la santé (officieux) de l’Afrique et il est reçu partout comme un chef d’Etat. Reconnaissons que son mécénat n’est pas inutile mais il le rend terriblement puissant. Nous verrons bientôt comment Mark Zuckerberg, grand patron de Meta / Facebook, porte une responsabilité dans le massacre et l’exode des Rohingyas de Birmanie. La France a ses propres capitaines d’industrie sur une échelle mondialisée. En Afrique et au Moyen Orient, ils n’hésitent pas à s’acheter des gouvernements étrangers et à passer commande.

Les Etat Unis ont de façon logique, plus que les autres, de supermen de cette trempe. Il y a plus d’un siècle, Andrew Carnegie, magnat de l’acier, avait tenté de rencontrer Guillaume II pour désamorcer la première guerre mondiale. John Rockefeller Junior, héritier de l’empire pétrolier de son père, a financé l’Organisation des Nations unies à New York après-guerre, tandis que l’ex-spéculateur George Soros s’investit depuis trente ans dans la défense de la démocratie libérale. Il s’est fait percevoir comme un ennemi par les régimes politiques autocratiques… Ce sont souvent des philanthropes, mais la proportion des mégalomanes augmentent dans le lot actuel. Certains n’ont absolument aucune fibre morale, d’autres fonctionnent sur des caprices des pulsions d’hubris. Tous  s’emploient à prouver que le marché de la gouvernance et de l’aide public voire celui de la recherche de la guerre ou la Paix est sous leur main, pas sous celle des Etats.

Et que pauvres de nous, ils se font fort de nous formater le logiciel crânien. Ca donne à réfléchir pour la suite des choses… si l’on y arrive encore.

* 18 octobre – Message pour les Etats Unis

On le sait, KIM Jong-Un déteste être oublié ou passer inaperçu. Il exècre aussi avoir à ses frontières l’armée américaine, forte de toutes ses ogives nucléaires. Il enrage, enfin, devoir voisiner avec cette maudite Corée du Sud pro-occidentale qui devrait lui appartenir et donc à ses yeux fantoche. Sa dynastie entend ferme remettre la main dessus dès qu’elle ne sera plus sous protection US. Pour faire déguerpir les Américains, son dada consiste à  muscler sa République Démocratique Populaire (RDPC) en un bunker nucléaire imprenable et même intouchable. Il se doit donc de prouver qu’il peut frapper fort et loin : moins sur Tokyo, en l’occurrence, que sur Guam, Hawaï ou la Californie… Il est maître de LA BOMBE , ne s’en cache surtout pas et procède à des tirs d’essai au vu de tous. Il l’a fait à six reprises déjà avec force publicité auprès des masses enthousiastes. La 7ème serait – dit on – pour bientôt, mais la miniaturisation des charges fissiles pourrait parallèlement avancer par voie de simulation.

Côté balistique, c’est un déluge de missiles de moyenne et longue portées. Il en a lancé plus de 170 en deux ans, dont deux Hwasong-12 de portée de 4 600 kilomètres. Ceux-cci ont aimablement effectué leur trajectoire balistique au-dessus du Japon, en 2017 puis tout récemment. A chaque tir, 979 km d’apogée et 20.000 km/h à l’impact, des sirènes précipitant la population du nord de Honshu aux abris :que stratégique on comprend l’émotion des Japonais. En fait, le survol de l’archipel nippon offre une trajectoire plus pratique encore que stratégique pour faire retomber les engins dans les eaux du Pacifique et éviter une erreur et une contre-frappe. D’évidence, la fréquence frénétique de tirs – actuellement, un tous les deux jours – mériterait une mention dans le Guinness Book of Records. Mais l’ennemi que Pyongyang adore le plus haïr, répétons le, ce sont les Etats Unis.

On comprend que, face à ce mode  »viril » négociation, l’Amérique se fasse du souci. Le bonhomme de Pyongyang n’est pas fou. Il suit, de façon implacable, la feuille de route dictée par son grand-père, fondateur du Régime, et par son père, ceci en parfait dictateur, froidement, sans aucun état d’âme. L’objectif suprême est logiquement de sanctuariser son régime, d’où la récente loi rendant ‘’irréversible’’ le statut de puissance nucléaire du Pays. Washington commence à sérieusement douter de ne jamais négocier avec KIM la dénucléarisation de la péninsule coréenne : un retrait de ses armes nucléaires contre le gel du programme nord-coréen.

Ce programme est aussi une bombe pour le monde. Il invite les puissances régionales à se défaire du Traité de 1970 sur la non-prolifération (TNP). Ce Traité est considéré comme le principal pilier de la stabilité du monde, du moins relativement à la menace de guerres nucléaires. Il interdit la constitution d’arsenaux cachés (on pense entre autres, à l’Iran, à Israël …) et appelle les puissances  »possessionnées » à ouvrir des négociations de contrôle et de réduction. Pyongyang en a violé toute les clauses et ruiné l’idée-même d’une discipline en la matière. Sans pronostiquer quand, on peut être sûr qu’un jour, à ce droit foulé aux pieds succèdera une guerre atomique et donc plusieurs.

Mais imiter le Royaume ermite en lançant à leur tour des missiles en Mer jaune n’était pas une réponse adéquate, de la part des forces américaines et sud-coréennes. L’avoir fait, tout en se prétendant ‘’ouverts au dialogue, à tout moment’’ est une incohérence ou tout au plus un artifice de com pour les opinions publiques intérieures. Il y a une indéniable faiblesse à tourner autour du pot en voulant gagner du temps.

 Le ciel du Japon ne sera plus calme pour longtemps, mais les cieux américains non plus, potentiellement du moins. Telle est la logique de la dissuasion, celle mettant en jeu deux attaques croisées potentielles. Les missiles à courte portée – jusqu’à 800 kilomètres – objet d’une cinquantaine d’essais ces quatre dernières années – sont, eux, plus susceptibles d’emploi dans une vrai guerre planifiée. Séoul s’équipe de son côté de vecteurs et de charges conventionnelles ultralourdes (8 tonnes) et donc très puissantes, dans l’idée d’équilibrer la force destructrice de son frère ennemi nucléarisé. Ces armes créent la surprise et donnent l’avantage sur le champ de bataille. C’est juste ce à quoi vise Pyongyang vis-à-vis de la Corée du Sud.

Les négociations de dénucléarisation restent inscrites dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Uines, mais plus vraiment à l’agenda, faute de négociation. La dernière conférence de révision du TNP a été un flop. Malgré son souhait de le faire, l’Humanité ne sait plus trop comment assurer sa survie.

* 11 octobre – La girouette géostratégique

Où souffle donc le vent de l’Histoire? Le modèle autoritaire ouvre-t-il la voie de l’avenir? Deux puissances permanentes du Conseil de Sécurité en sont intimement persuadées :  le déclin et la décadence supposés des sociétés démocratiques occidentales leur ouvrirait la maîtrise du système mondial. Bigre! Après l’attaque du Capitole de Washington et la déconfiture occidentale en Afghanistan, l’an dernier, l’amorphie des anciens dominateurs arrogants et donneurs de leçons ne faisait plus l’ombre d’un doute à Moscou ni à Pékin. L’absence de réaction sérieuse à l’annexion de la Crimée et le désamour montant des peuples du ‘’Sud’’ achèveraient de mettre le ‘’Nord’’ hors-jeu.

Pas si vite, SVP : la virginité coloniale ou impériale de ces deux gros-joueurs s’effrite à vitesse grand V, même si quelques populations africaines se plaisent à brandir leurs drapeaux dans des défoulements de rue. On perçoit depuis le 24 février, que le vent ne souffle pas sur commande des dictateurs. La Russie s’effrite de l’intérieur sous les effets des sanctions occidentales et des déboires de sa troupe occupante en Ukraine. Ses conscrits abandonnent le bateau ivre de la mobilisation militaire. Les chefs militaires se retrouvent sur le sellette et Poutine est perçu, au minimum, comme ‘’mal informé’’. La Corée du Nord et l’Iran sont devenus ses seuls fournisseurs d’armement. L’atmosphère politique se fait plus oppressive et délétère. Serait-il protégé par son privilège de veto, l’isolement du Pays au Conseil de Sécurité des Nations Unies dément l’idée d’une puissance qui a le ‘’vent en poupe’’.

Dans un premier temps, sous une neutralité prudente, Pékin ne cachait guère sa faveur pour Moscou. Poutine, espérait-on à la tête du Parti communiste chinois, allait prouver la supériorité des autocraties militarisées, ridiculiser l.Occident, gagner en prestige auprès du monde émergent. La Chine pourrait surfer sur ce ‘’vent d’Est’’ puissant, porteur pour ses ambitions. Le cas échéant, la reconquête de Taïwan pourrait survenir en apothéose.

Sept mois plus tard, XI Jinping reste muet, mais la diplomatie chinoise marque ses distances. La Russie ne lui paraît plus capable de faire triompher le modèle, en particulier sur le plan militaire. Le régime moscovite auquel il se proclamait lié par une ‘’amitié éternelle’’ commence à branler du manche. Il pourrait même devenir un risque pour le modèle commun. Lors du sommet à Samarcande de l’Organisation de Coopération de Shanghai – premières retrouvailles depuis le lancement du conflit – la partie chinoise a appelé à un ‘’respect scrupuleux du droit international en Ukraine’’. Un coup de griffe, presqu’un désaveu… Si le dispositif russe devait s’écrouler, Pékin ne veut pas se retrouver dans le camp des perdants.

L’Inde, de son côté, se garderait bien d’aller à sa rescousse porter secours et saisirait plutôt de telles déconvenues comme une occasion de renforcer son influence en Asie. La guerre en Europe va encore beaucoup de temps et de victimes avant de se solder sur un bilan tranché. Pourtant, il apparaît que les démocraties savent s’engager pour faire obstacle à la vague expansionniste brune. Le vent de l’Histoire ignore l’idéologie. Il ne suit qu’une seule direction : celle qu’indique la girouette folle de la géopolitique.

* 28 septembre – Légitime défense

Les directeurs occidentaux de l’armement se réunissent à Bruxelles pour coordonner leurs fournitures d’armement à Kiev, et donc leurs achats. L’enjeu est de faire progresser jusqu’à sa victoire la contre-offensive ukrainienne sur le terrain, mais la concurrence euro-américaine reste sous-jacente, surtout en ce qui concerne la France. Cette coopération autour d’une cause commune n’est pas dénuée d’arrières pensées commerciales. Le blog résume un article du Monde paru hier.

Durant trois jours, différents formats de discussions vont se succéder entre alliés de l’OTAN puis au sein d’un groupe de contact dirigé par les Etats-Unis. Réapprovisionner Kiev constitue l’objectif commun, alors que les livraisons d’équipement ex-soviétique – immédiatement utilisables – touchent à leur fin. Il est temps de passer à des systèmes d’armes nettement plus modernes, plus qualitatifs (et coûteux) dont l’usage sur les théâtres d’opération favorisent la reconquête des territoires occupés par l’armée russe. Deux caractéristiques sont recherchées : l’interopérabilité des systèmes et leur durabilité en temps de guerre. Cette nouvelle génération technologique nécessite un plan parallèle de formation de ceux qui serviront ces armes. Surtout, elle ravive l’âpreté des enjeux commerciaux et financiers, d’autant plus que les fournisseurs, aux Etats Unis comme en Europe, s’appuient sur des financements publics.

D’un côté, les Etats-Unis poussent l’UE à renforcer les capacités industrielles de la défense européenne, car ils sont inquiets du tarissement en cours des flux d’armement vers l’Ukraine, alors que leurs capacités sont également limitées. Mais, d’un autre côté, leur département d’Etat va débloquer quelque 2,2 milliards de dollars pour ’aider les alliés et pays voisins de l’Ukraine’’ à recompléter leurs arsenaux avec de l’équipement neuf américain. Ce sont, au total, 3 milliards de dollars consacrés à la promotion de matériel made in USA en Europe : un défi pour les industries du Vieux Continent.  

Les Vingt-Sept ne restent pas sans réponse. La facilité européenne de paix (FEP) de 2,5 milliards d’€uros, initialement prévue pour l’Afrique, sert désormais à rembourser les contributions de l’UE à l’Ukraine (les canons Caesar, par exemple). Un autre outil est constitué par le mécanisme EDIRPA d’achats groupés d’armement, institué par la Commission. Paris compte sur l’adoption prochaine de ce mécanisme dont la dotation de départ restera modeste : 500 millions d’euros. L’opérateur principal sera-t-il l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (Occar), favorisée par Berlin, ou l’Agence Européenne de Défense, qui a la faveur de Paris ? La première, constituée autour de six pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Belgique et Espagne), opère plutôt dans le long terme (comme l’avion-cargo A400M), tandis que la seconde, dans le format communautaire, tend à se cantonner à l’expertise technique sans déboucher sur les marchés. Quoi qu’il en soit, les premières commandes pourraient être passées l’an prochain, une fois recensés les besoins d’acquisition au sein de l’Union.

Par ailleurs, les Foreign Military Sales (FMS) américaines constituent un levier redoutable, largement utilisé pour faire obstacle à des ventes européennes. Les Vingt-Sept n’ont rien d’équivalent. Le FMS permet aussi d’échapper plus facilement aux règles de transparence des marchés publics en vigueur au sein de l’UE. Les Européens pourraient à leur tour accorder des exemptions de TVA.

L’industrie européenne de défense est un concept admis mais une réalité balbutiante. Ne pas subventionner les achats faits en Amérique relève du bon sens, d’autant plus que ceux-ci sont soumis aux normes dites ITAR (International Traffic in Arms Regulations). Elles sont très contraignantes dans la mesure où elles instaurent une interdiction sur les composants venus d’outre-Atlantique, omniprésents dans ce type de produits. Et les 27 ne sont pas aussi producteurs de ces composants. Mais, dans des temps d’urgence, ce sujet ne fait pas l’unanimité des Européens : décourager les achats d’armements ‘’itarisés‘’, dont le suivi et la réexportation s’avèrent problématiques (comme, le cas échéant, les caprices du Congrès) pourrait retarder le réarmement des pays les plus menacés par l’expansion russe (Pologne, Scandinavie, Finlande, Baltes, Roumanie…). Même l’Allemagne devra renouveler son aviation militaire dans l’urgence sans attendre le successeur européen des Tornado et Rafale. Entre Français et Allemands (qui mettent en place un fonds de 100 milliards d’euros pour réarmer la Bundeswehr), se joue aussi une concurrence feutrée, ‘’entre amis’’, pour la suprématie militaire au sein de l’UE

La guerre en Ukraine devrait faire avancer la relation entre l’UE et l’OTAN vers plus de respect mutuel et de complémentarité. Washington va bénéficier de sa posture actuelle amicale envers l’Europe, tandis que les idées françaises se feront de plus en plus acceptables au sein d’un partenariat à deux piliers forts. Dans ce cadre, le réveil européen aux réalités d’une géostratégie de guerre et l’engagement remarquable de la Commission européenne créent aussi un contexte porteur pour l’Ukraine (et pour la survie des démocraties).

Méfions nous toutefois des poussées de populisme, qui pourraient tout bouleverser sur une rive ou l’autre de l’Océan commun.

* 17 juillet – Mon âme pour un baril !

Tournée moyen-orientale sans chaleur, déplacement controversé en Arabie saoudite, influence américaine en reflux, pas de gain immédiat en fourniture d’hydrocarbures. Joe Biden est rentré de Riyad un peu bredouille, honteux de ses courbettes devant ce mauvais garçon de Prince-Héritier, et surtout sans avoir obtenu qu’il augmente sensiblement sa production pétrolière. Bilan très mitigé.

Il a participé à un forum du Conseil de Coopération des Etats du Golfe, un exercice  »Sécurité et défense » du niveau de son secrétaire d’Etat. Il a poliment applaudi le rapprochement israélo-émirien, qui ne doit plus grand-chose à l’activisme initial de l’époque Trump. Quelques paroles graves prononcées sur l’irresponsabilité nucléaire de l’Iran. Pas grand-chose à vrai dire, ni sur le  »Tu ne tueras point » commun à toutes les sagesses. On retiendra la signature de dix-huit accords bilatéraux entre le Royaume saoudien et les Etats Unis, notamment sur le développement des énergies nouvelles. Mais il apparaît bien que les marges de manœuvre occidentales au Moyen-Orient ne sont plus ce qu’elles étaient. Elles ont fondu. Ceci est patent face au mur d’indifférence dressé par les membres de l’OPEP refusant de prendre parti dans l’affaire ukrainienne. Les souvenirs des pataquès d’Irak et d’Afghanistan, la revendication d’un pivotement stratégique plus à l’Est, pour endiguer la Chine, les faiblesses internes de la démocratie américaine, tous ces facteurs restent en mémoire et ils ont fortement relativisé l’aura du leadership US d’antan. Et puis les dirigeants du Moyen-Orient ressentent, de façon générale, une  »fatigue à l’égard de l’Occident ».

Avec la guerre en Ukraine, les cours du brut ont augmenté de plus de 100 dollars le baril, avec un pic à 139 dollars concernant le Brent. En conséquence, depuis l’arrivée aux affaires de Joe Biden, le gallon américain se monnaie à la pompe à cinq dollars ou plus. L’inflation pèse sur les foyers et plus encore sur l’humeur des citoyens-électeurs, à l’approche des ‘’mid-term elections’’ de novembre prochain. Et le plan climat qui est en panne au Congrès. Déprimant, pour Papy Joe…

Livrer sur le marché une quantité supplémentaire significative de naphte supposerait que Riyad rompe son entente avec la Russie au sein de l’OPEP +, qui date de deux ans. Le cartel des fournisseurs a opté en mai pour une stratégie d’augmentation graduelle de sa production, dans l’idée de l’ajuster à la reprise économique post-Covid. Un effort supplémentaire important, juste pour les beaux yeux de la princesse America, semble très peu probable. Un geste limité reste néanmoins concevable pour sauver la face au visiteur américain : rien qui puisse faire réellement baisser le prix du gallon et compenser les millions de barils russes qui manqueront dans les réserves européennes. Car l’Europe figure en tête en proue de la barque folle des énergies carbonées. C’est elle l’otage d’une rupture totale des livraisons de gaz russe et toujours elle qui s’expose à la pire spirale des prix d’Occident. Sans oublier la galère du monde émergent, dont l’archétype de Sri Lanka traduit une vulnérabilité extrême à cette conjoncture mondiale foutraque.

Après avoir décrété, d’eux-mêmes, un embargo par étapes sur le pétrole russe, les pays européens se retrouvent aux abois, contraints à diversifier leur approvisionnement en or noir et surtout en gaz. Pour la France, par exemple, le Qatar est censé apporter une réponse miraculeuse aux maux présents. Le réalisme ambiant a forcé l’oncle Joe à saluer en camarade le hautement criminel et proscrit prince Mohammed Ben Salmane … et, pour le même prix, à avaler sa péroraison sur l’incompréhension Yankee des valeurs morales dont s’honore son royaume. Celles-ci s’affirment identitaires et absolument spécifiques : faire assassiner un gêneur y est perçu comme le signe d’une grâce, par exemple. Oublions les droits humains et retenons plutôt le commentaire flegmatique d’un dirigeant allemand : ‘’Nous préférons désormais être dépendants de plusieurs dictateurs du Golfe, que d’un seul en Russie’’. Bien vu, mais parions que cela ne nous mènera pas très loin. Le contexte pétro-gazier restera déséquilibré et fluctuant : du court terme succédant à du court terme et encore : la routine en somme.

Une gigantesque énergie diplomatique est déployée dans le but d’accroître la dépendance européenne en hydrocarbures du Golfe, quitte à devenir au passage moins honnêtes et moins souverains. En comparaison, très peu est fait pour réduire la surconsommation des citoyens européens ou américains. Il est vrai que leur mécontentement (anticipé) effraie terriblement ceux qui les gouvernent. Cet effroi électoral ou d’ordre public écrase à leurs yeux la perspective de perdre la transition énergétique et, même, de perdre leur âme. La messe est dite, rentrons chez nous..

* 14 juillet – Philippines : le retour du mort-vivant

Réincarnation d’un fantôme ou restauration d’une dynastie kleptomane ? Trente-six ans après l’effondrement de la dictature de Ferdinand Marcos (senior), en février 1986, ‘’Bongbong’’ – de son nom officiel Ferdinand Marcos junior (64 ans) – a été investi le 30 juin à la présidence de la République des Philippines. Elu avec 58,7 % des suffrages, un score confortable, il s’est appuyé sur la ‘’nostalgie du dictateur’’ pour gravir les échelons politiques : gouverneur de province, député, puis sénateur…

Le nouveau Chef de l’Etat est un avatar, presqu’un sosie, de sa brute corrompue de père. C’est en invoquant sa mémoire qu’il a réalisé l’obsession de son clan familial de reprendre le pouvoir. Ferdinand senior, à qui il voue un culte, est mort en exile à Hawaï, sans avoir rendu de comptes pour ses nombreux crimes de sang, dont celui du sénateur Benigno Aquino, le plus populaire de ses opposants d’alors. Avec son épouse, Imelda (la mère du nouveau président), ils avaient siphonné de ses richesses la nation-archipel. ,En février 1986, la ‘’Révolution jaune’’ de la jeunesse et des démocrates philippins les avait vus s’enfuir piteusement aux Etats Unis. La presse locale avait visité, par la suite, le palais présidentiel de Malacañang pour y découvrir les monceaux de paires de chaussures et de toilettes luxueuses accumulés par Imelda, au milieu de liasses de dollars oubliées en vrac dans leur fuite éperdue. En Occident, l’on aura surtout retenu ces images d’extravagance presque comiques. Et pourtant, …

Avec ses allures d’ex-fils à Papa, ‘’Bongbong’’ est également un allié de son prédécesseur, le sinistre Rodrigo Duterte, grand maître des exécutions extrajudiciaires. Sara Duterte, la fille du sortant, exerce auprès de lui la vice-présidence. Aussi, ses intentions et tentations de ‘’flash back’’ inquiètent. Choisira-t-il la continuité dans le déni démocratique, la répression de l’opposition et de la société civile ou sera-t-il capable d’adopter une gouvernance plus raisonnable ? Se remplira-t-il les poches avec tout ce qui vaut cash dans l’économie philippine ? Pour l’heure, il ne cherche même pas à rompre avec la réputation de tueur acquise par son prédécesseur. Il a au contraire affirmé vouloir s’opposer à une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur la guerre sanglante menée par Rodrigo Duterte contre les dealers de drogue. Celle-ci a surtout sacrifié beaucoup d’innocents. Mauvais début, donc …

Les turpitudes de la vie politique à Manille ne se résument pas à ces épisodes de crapulerie exotique, sur fond de décors de cocotiers. Les Philippines constituent un maillon essentiel dans les stratégies adverses que conduisent Washington et Pékin en ‘’Indo – Pacifique’’ (version US) / Mer de Chine – version RPC). A l’investiture de Bongbong, Oncle Sam a délégué l’époux de sa vice-présidente, Kamala Harris. C’est un signe, aimable mais prudent, des bonnes dispositions de Washington à son égard. En règle générale, l’on préfère renouer gentiment avec une ancienne colonie un peu égarée. Après avoir joué la provocation permanente à l’égard de l’ex-colonisateur américain, Rodrigo Duterte avait fini par mettre de l’eau dans sa bière San Miguel. L’accord bilatéral de stationnement militaire (visiting forces agreement), avait été reconduit, non sans péripéties, en 2021, permettant aux forces US d’accéder à la base navale Subic Bay et aux autres infrastructures militaires philippines.

Manille a aussi mis fin, le 23 juin, à ses pourparlers avec Pékin en vue d’une exploration commune des réserves gazières et pétrolières… dans la zone économique exclusive des Philippines.

La RPC ne se considère jamais comme battue d’avance. Le vice-président Wang Qishan a assisté à la cérémonie d’investiture. L’argent chinois peut ouvrir des chemins dans cet archipel pauvre. La Chine ‘’rouge’’ pratique d’autant plus l’entrisme que la communauté d’affaires chinoise de Manille est très liée à Taiwan. La marine chinoise et les chalutiers du Continent (en fait, une milice armée) n’hésitent pas à bousculer leurs faibles homologues philippins et à les déloger, notamment de l’archipel des Spratleys (Nansha, pour les Chinois). Il y a peu, ils ont fait usage du canon pour faire déguerpir les Philippins de la petite île de Scarborough, qui leur était pourtant reconnue en droit.

C’est à Bongbong qu’incombe désormais la tache de gérer la géopolitique. On peut prédire que celle-ci déterminera sa cote de popularité à l’international, plus sûrement que sa médiocrité pressentie en matière de droits humains ou démocratiques. Ainsi va le monde …

* 29 juin – Météo OTAN : vent d’Ouest contre vent d’Est

A Madrid, l’Alliance atlantique négocie depuis hier un grand tournant : c’est son ‘’Sommet de la transformation’’. La Russie compte évidemment parmi les sujets qui font ‘’l’union sacrée’’ parmi les trente alliés. C’est l’envers de l’engagement massif dans la durée promis à l’Ukraine, jusqu’au reflux de l’agression russe. L’armée de Poutine aggrave délibérément son cas en reprenant ses bombardements de populations civiles sur la région de Kiev et sur l’Ouest ukrainien. C’est sa façon de ‘’marquer le coup’’ après les ouvertures faites à Volodymyr Zelensky, du côté de l’Union européenne, du G 7 et de l’Alliance.

– En rupture avec le ‘’partenariat russe’’ mis en avant jusqu’en 2010, la définition de la nouvelle stratégie de défense et de dissuasion, incluant les offensives hybrides et cyber ainsi que le terrorisme, définit de façon univoque la menace russe comme ‘’la plus importante et la plus directe qui soit contre la sécurité et les valeurs de la zone transatlantique ainsi que de l’ordre international. Moscou a choisi la confrontation, l’Alliance répond sur le même plan, mais défensif. Les dirigeants occidentaux préparent des mesures pour acheminer en plus grande quantité à l’armée ukrainienne un armement moderne de type OTAN.

Derrière la ‘’ nouvelle ère de compétition stratégique’’ (quel charabia !), d’autres questions, moins consensuelles, se profilent.

– Le branle-bas de combat pour porter de 40.000 hommes à 300 000 l’effectif de la Force de réaction (NRF) aura-t-il lieu ? Depuis l’invasion russe, la génération de forces lancée par l’OTAN se montre beaucoup plus lente et faible que prévu. L’OTAN essaye de compenser son déficit avec des ‘’battle groups’’ de plusieurs nationalités, pré-désignés car déjà opérationnels. Cette mobilisation de moyens incombe aux Etats bien plus qu’à l’organisation intégrée elle-même, qui dispose de très peu de moyens (avions-radars, réseaux d’alerte, renseignement …). C’est donc qu’il y a un vrai décalage entre les objectifs géostratégiques avancés et l’intendance, qui ‘’ne suit pas’’. Ce n’est pas lié à un manque de détermination mais, simplement aux capacités logistiques, organisationnelles et industrielles qui n’y suffisent pas. Les Etats-Unis exhortent à nouveau leurs alliés européens à investir au moins 2 % de leur PIB dans la défense (‘’un plancher, pas un plafond’’) mais la réalisation de l’objectif est bien plus complexe que son affirmation.

– La Turquie aura fini par lever  le chantage au veto qu’elle exerçait contre l’adhésion de la Suède et de la Finlande. Sans doute sa manœuvre aura été récompensée d’une façon ou d’une autre. Elle reste le moins fiable et le plus retord de tous les alliés, prompte à dégainer, par pur opportunisme, son pouvoir de nuisance et l’ambigüité de ses choix stratégiques.

– Une dizaine de pays de ‘’l’Indo-Pacifique’’ étaient invités à Madrid, par le Secrétaire général Stoltenberg, connu pour être la ‘’voix de l’Amérique’’. C’est dire que la Chine,soupçonnée par certains de collaborer militairement avec la Russie, figurait haut – bien que pour la première fois – dans l’ordre du jour de Washington, contre la volonté des grands pays européens. Le terme de ‘’menace’’ pour la qualifier a pu être écarté au profit de la notion de ‘’défi systémique pour l’ordre mondial’’. Paris et Berlin ont ainsi obtenu que la déstabilisation mondiale incarnée par Pékin ne soit pas élevée au même rang que la menace militaire russe.

Mais ceci crée une alerte sur l’avenir de l’OTAN. L’Oncle Sam, comme il l’a fait par le passé contre l’URSS, voudrait constituer un maillage mondial de bases militaires au service d’un engagement collectif, sur le modèle (ancien) mis en oeuvre pendant la Seconde Guerre Mondiale puis la Guerre froide. A Paris, on n’a de cesse de rappeler que la sphère de l’Alliance atlantique est circonscrite à la zone euroatlantique et que son mandat se situe là et seulement là.

– De ce constat découle les difficultés rémanentes à traiter de l’approfondissement de la relation UE-OTAN. La France, en particulier, voudrait que le renforcement de la défense européenne soit pris en compte et valorisé par le quartier général de l’Alliance. Comme toujours, cela agace. Par exemple, se trouve proscrite par le clan ‘’tout américain’’ toute mention du ‘’pilier européen’’ de l’Organisation.

Va-t-on envoyer, un jour l’Europe guerroyer dans le détroit de Taiwan aux côtés de l’US Navy ?

* 27 juin – Oncle Sam sait-il bien où il va ?  

Alors qu’avec le conflit en Ukraine, l’Alliance atlantique connaît une sorte d’apothéose, attirant à elle les Etats voisins de la Russie qui étaient restés jusque là à l’écart, les Etats Unis qui en incarnent le leadership ne sont pas un premier de cordée homogène et constant. Leur appui massif au camp des démocraties est louable mais il ne vaut-pas assurance que l’Europe, derrière eux, sera à tout jamais à l’abri de la guerre ou capable d’en soutenir une s’il le fallait. Réunie en sommet à Madrid, la communauté atlantique s’est montrée unie face à l’agression russe en Ukraine. Mais l’idée-même d’un  »pilier européen » au sein de l’Alliance continue à déplaire au clan du leadership américain absolu. Et pourtant, le bouclier de l’Oncle Sam n’est pas une protection de long terme.

Les Etats Unis ne disposent plus d’un consensus national en politique extérieure. En matière partisane, c’est une nation profondément divisée et pour longtemps. C’est le cas également au sein des deux grands partis. Même si certains Républicains ont rompu avec cette mouvance populiste, un retour du trumpisme n’est nullement écarté, à l’échéance des prochaines présidentielles de 2024. Le Parti Démocrate est lui aussi clivé, entre une conception majoritaire, classiquement attachée à la compétition entre puissances pour le leadership mondial  – et donc encline à l’interventionnisme –  et une aile ‘’universaliste-moralisatrice, un peu moins influente, incarnée au Département d’Etat par les ‘’diplomates du blob’’.

Cette dernière école de pensée a été échaudée par l’échec des interventions extérieures hasardeuses : l’Irak, l’Afghanistan… Elle est plutôt axée sur les grands défis universels (climat, ordre mondial, droits humains …) et également soucieuse de  protectionnisme commercial et de cohésion sociale. Elle n’est donc pas acquise à un soutien long et ‘’sans limite’’ à l’effort de guerre ukrainien. Mais elle reste, pour l’heure, sensible à la pression d’une opinion publique très remontée contre Poutine. En y réfléchissant plus, Kiev est bien loin de l’Iowa et l’Amérique a ses propres tourments.

De plus, le président Biden ne dispose pas d’une gamme d’options aussi large que son homologue français. Il doit constamment garder un œil sur les vives oppositions et tracasseries que lui voue le Congrès de même que sur les crises suscitées par des lobbies partisans sure la scène politique (le feu vert donné aux lois contre l’interruption de grossesse, la sanctification du port individuel d’armes de guerre, les obstructions au plan de relance économique, l’intégrisme de la Cour suprême, etc.). Comment assurer une ligne pérenne de politique étrangère quand, à Washington, l’Exécutif a failli succomber à une tentative de putsch politique, en janvier 2020 ? N’oublions pas, non plus, qu’aux Etats Unis, le complexe militaro-industriel – qui inclut le Congrès – exerce, en politique extérieure, une forte influence sur le choix de la guerre ou de la paix.

A grands et coûteux renforts de livraisons d’armes américaines modernes à l’Ukraine, comme jamais auparavant, la confrontation indirecte va croissante avec l’Ours furibard russe, en même temps qu’elle exprime un compromis conjoncturel entre les deux lignes politiques au sein du Congrès. Ainsi s’est imposée la fiction d’un ‘’engagement non-offensif’’ contre la Russie, sans entrée en guerre, une présentation des choses qui ne paraît pas tenable à long terme. Au fil des heurts militaires, cette confrontation par proxy interposé risque de déborder de l’épure stratégique ‘’circonscrite’’ et de se généraliser de façon incontrôlable. Il est vrai, que faire d’autre quand on fait face à un ennemi nucléarisé, dont la victoire mettrait à bas tout le système mondial ?  Une ’’option B’’ pourrait consister à moins en faire, à laisser l’Europe tenir sa ligne de front et à s’en retourner contre l’adversaire ‘systémique » chinois. Trump avait pris cette option. Elle pourrait ressurgir du maelstrom politique étasunien.

Car le dilemme est plus stratégique encore, s’agissant d’un possible soutien militaire à Taiwan, si l’île ou ses petits archipels du Détroit devaient subir l’assaut de l’armée chinoise. En réponse à des questions de presse, Joe Biden s’y est = oralement = engagé à trois reprises, aussitôt recadré de façon restrictive par son Département d’Etat. Ce dernier s’en tiendrait volontiers au Taiwan Act de 1979, qui n’oblige Washington qu’à armer en suffisance cette démocratie chinoise de 24 millions d’âmes. Dans la population américaine, 63 % de soutien à l’option militaire est recensé parmi les élus démocrates contre seulement 40 % parmi leurs électeurs. La posture interventionniste américaine est une affaire partisane gérée par la classe politique, seule. Elle emprunte largement à une morale classique désuète, se concevant comme championne des démocraties face aux dictatures … surtout celles qui lui sont concurrentes. Le leadership a pris ces dernières années un sacré coup de vieux (ou de  »mou » ?). Les pires déconvenues peuvent en résulter dans ce monde extérieur  »fou à lier » où les stratèges occidentaux pataugent.

Depuis Barak Obama, la classe politique américaine a ‘’adopté’’ la Chine comme ennemi structurant. Pour son successeur, hormis le climat, la confrontation avec Pékin concerne désormais tous les sujets. Ce qu’on désignait il y a deux ans comme un changement du ‘’pivot’’ stratégique vers ce concurrent formidable est devenu un travail de coalition plus étoffé, sur ‘’l’Indo-Pacifique’’. Il se développe au sein du ‘’Quad’’ (Etats Unis, Australie, Japon et Inde) avec, comme satellites informels, le Royaume Uni, la Nouvelle Zélande, le Vietnam et la Corée du Sud. D’aucuns soupçonnent que ce type classique d’alliance militaires n’est plus vraiment dans l’air du temps et se défera dans la durée. Le raisonnement vaut de même pour l’OTAN, que Sam voudrait monter contre la Chine. Serait-elle une puissance atlantique ? Comme le constate Bertrand Badie :  »l’équilibre de puissance ne gouverne plus le monde ».

Si l’on regarde la carte du Pacifique ouest, deux dispositifs antagonistes sautent aux yeux : (1) l’expansion de la marine chinoise de haute mer (en voie de rejoindre en tonnage celle des Etats Unis) est contenue par un chapelet de bases pro-occidentales, en Asie du Sud-est et dans les archipels du Pacifique-Ouest. Taiwan en constitue un maillon stratégique. (2) Si ce maillon venait à céder, le dispositif naval chinois bénéficierait d’une voie royale vers les archipels, l’Australie et au-delà, l’Alaska et la Californie. Vu sous cet angle, on peut comprendre l’obsession de la première puissance mondiale face aux menées expansionnistes de Xi Jinping, plus déstabilisantes pour elle que celles de Vladimir Poutine.

La conclusion est toujours et inlassablement la même : le temps est compté ; il court plus vite que l’action; L’’’Europe puissance’’ doit presser le pas et être capable de choisir ses propres options stratégiques et d’assurer sa défense par elle-même. Pour l’heure, l’Amérique l’appuie, en bon aîné serviable : merci à elle ! Mais elle a aussi ses propres priorités, ses hésitations, ses valeurs non-européennes et ses incertitudes internes. A partir du moment où un  »grand frère » n’a plus l’alibi ni l’argument d’une puissance infaillible et toujours mobilisable, pourquoi le suivre aveuglément ?

Comme disait Mother Europa :  »Wake-up, children, grand frère Sam n’est ni votre nounou, ni a fortiori votre gourou ! »