* 5 janvier – Ode à la Paix du monde

Guangong (un cousin se Mars), le dieu oriental de la guerre est de retour, avec sa face écarlate et ses yeux exorbités. Il nous avait amené les guerres des Balkans au sein de l’ex-Yougoslavie  (dont la Bosnie), aux franges de l’Arménie et de l’Asie centrale ex-soviétique, dans les années 1990 : nous n’avons pas tiqué. Il a fait souffler le vent du terrorisme jihadiste sur l’Europe, dans la décennie suivante. Cela nous a alors a poussé à intervenir brutalement – même si ce fut sans succès – en Afghanistan, en Iraq, au Sahel : nous étions courroucés. Il s’est fait manipulateur de la démocratie et il a brouillé notre jugement en exploitant les réseaux sociaux à l’occasion des grands scrutins déterminant le cours des démocraties, notamment, à propos du Brexit et de l’alternance populiste de D. Trump aux Etats-Unis. Il a ensuite pris le visage fuyant et hypocrite de la guerre dite hybride, lors de la renaissance de la guerre froide autour des émancipations ukrainienne et biélorusse. Dans notre quotidien, la vie sur internet et la sécurité de nos infrastructure se sont teintés de risques perçus comme inhérents au ‘’système’’ : nous sommes devenus pessimistes et méfiants, mais nous nous sommes cru encore en paix. Les dernières illusions sont tombées avec la seconde guerre d’annexion de l’Ukraine : la ‘’question russe’’ réintroduisait une guerre froide, en fait déjà tiède.

Moscou nous coupe le gaz, nous menace d’un holocauste nucléaire, nous crie à la face que nous sommes les ennemis détestés qu’elle voudrait abattre. Au diable le déni de l’agression, nous revoilà tout proches de la guerre de Grand Papa. Un anti-missile est tombé sur la Pologne et l’article IV (consultations de crise) de la Charte atlantique a été invoqué. Le ‘’Mein Kampf’’ d’Adolphe renaît sous la forme de ‘’l’opération spéciale’’ (très spéciale, en effet) du sieur Vladimir. L’Histoire est repartie dans les années 1940 : elle boucle la boucle et ne se stabilisera pas, comme l’imaginait le prophète américain Francis Fukuyama (‘’la Fin de l’Histoire et le dernier homme’’). Il faut se réarmer, moralement et militairement pour la ‘’haute intensité’’. Qui l’aurait cru lorsque le mur de Berlin est tombé, il y a 33 ans ?  Pas moi (ni l’Ours).

Aux frontières de l’Union européenne, les gens meurent sous les bombes et les missiles, victimes d’une tentative folle d’annihiler ce qu’on ne peut pas arracher par la force. Les champs de bataille sont des champs de torture. Les enfants sont enlevés par centaines de milliers pour être russifiés. Des ‘’camps de filtrage’’ sont dressés dans les profondeurs du territoire russe. De l’autre côté, Moscou envoie au casse-pipe ses soldats ethniquement non-russes : Tchétchènes, Ingouches, Bouriates, etc., profitant de l’occasion pour ménager son vivier primordial de Russes ethniques (24 soldats morts seulement à Moscou, sur peut-être 100.000 tombés au combat). Cette offensive russe est bien d’essence coloniale, portant la marque d’un empire continental cleptomane, devenu toxique et tueur. Le groupe privé Wagner et ses guerriers sans âme s’émancipent et deviennent un Etat dans l’Etat, jugeant avec mépris l’armée étatique.

De la paix froide, on passe à une sorte de guerre totale, pondérée par la seule dissuasion nucléaire et aussi, un peu, par le comportement resté humain des Ukrainiens. Ils incarnent la résistance à la barbarie pure, l’arrière citoyen soutenant l’avant militaire : on les admire et on doit les soutenir, ne serait-ce qu’en tant que leurs alliés également placés sous la menace poutinienne. Les peuples qui veulent se libérer finissent par l’emporter. Mais au prix de quels méandres arriverons-nous, un jour, à négocier une paix qui soit juste, légale et durable, une vraie paix ?

Clausewitz estimait que la guerre est un caméléon. Ses voies, buts et moyens varient au gré des circonstances. C’est un tourbillon incontrôlable qui n’a, grâce à la propagande, que l’apparence d’une certaine cohérence. Il emporte les décideurs vers des stratégies qu’ils n’avaient pas initialement décidées. Les défis à la raison, même celle qui sert de mauvaises causes, conduisent à une forme de chaos universel. Telle est bien la dimension globale des conséquences de cette guerre, qui entrave la vie au Nord et compromet le développement au Sud. L’humanité envers soi-même comme envers les siens se perd en route : on le sent mais on ne veut pas se l’avouer, car la marche arrière est impossible… et la marche avant, suicidaire. C’est là que se trouve aujourd’hui l’inflexible Vladimir Poutine, assurément plus très loin de sa faillite finale.

Un autre problème est que pour les Azerbaïdjanais, Turcs, Rwandais, Erythréens – et même jusqu’à l’immense Chine – le ton est donné d’un retour de l’annexionnisme guerrier, de l’enterrement du droit. L’Europe devra réécrire sa vision stratégique du monde en termes bien plus tranchants. Le G 20 s’exprime, grâce à elle, contre la guerre en Ukraine. Taïwan ne sera pas annexée demain. Mais le nouveau ‘’désordre mondial’’ appelle contre lui un retour général aux valeurs – actualisées – qui avaient fondé la Charte de San Francisco de l’ONU.

Une entreprise titanesque, s’il en est !

Pendant quelque temps, l’Ours Géo va se faire plus rare ou se manifester par des brèves vraiment brèves. Gardez vos abonnements pour qu’il vous rende visite.

*15 décembre – Ukraine : le temps court et le temps long

Deux conférences se sont tenues à Paris, le 13 décembre concernant la situation de l’Ukraine.

La première, intitulée ’’Solidaires du peuple ukrainien’’,  a réuni les soutiens internationaux de l’Ukraine en présence du premier ministre, Denys Chmyhal, et de l’épouse du président Zelensky. Elle visait à répondre concrètement et à très court terme aux besoins urgents de Kiev dans l’objectif de franchir le cap difficile de l’hiver. Cette conférence sur l’aide internationale d’urgence s’est déroulée le matin au Quai d’Orsay pour tenter de rétablir des infrastructures essentielles (énergie, eau, alimentation, santé et transports). Après les conférences de Lugano, Varsovie et Berlin ces derniers mois, cette aide s’adapte à la nouvelle stratégie russe, qui cible depuis octobre les infrastructures ukrainiennes avec de très intenses bombardements. Les représentants de 48 pays et de 24 organisations internationales ont promis à l’Ukraine plus d’un milliard d’€uros, dont 415 millions seront affectés au secteur de l’énergie.

Sur le plus long terme, la seconde, la ‘’conférence franco-ukrainienne pour la résilience et la reconstruction », a rassemblé près de cinq cents entreprises françaises pour répondre aux besoins critiques de l’Ukraine, contribuer à la reconstruction du pays, et investir, à l’horizon du retour de la Paix, dans le potentiel de l’économie ukrainienne. Les perspectives d’investissement ne seront pas suivies d’effet à moyen terme. La reconstruction d’un pays dévasté n’est en effet concevable que dans le cadre d’accords de paix stables et durables. Lors de la seconde guerre mondiale, la perspective en avait été abordée dès la rencontre du 9 au 12 août 1941, au large de Terre Neuve, au plus fort de la bataille contre le 3ème Reich. Roosevelt et Churchill avaient écrit une ‘’Charte atlantique’’ en huit points préfigurant un retour de la Paix au sein de ‘’Nations Unies’’. Il n’est jamais trop tôt pour s’atteler au point le plus dur d’une guerre : le plan long et parsemé de pièges pour en sortir. Devrait-on, au passage, ignorer les stigmates auto-infligés et les craintes existentielles de la Russie ?

Seuls, les protagonistes occidentaux peuvent en accomplir l’effort et cerner progressivement les contours d’un nouvel ordre européen, lorsque la Russie parviendra elle-même à un constat d’impasse et d’affaiblissement rédhibitoire. Réfléchir, comme le fait Emmanuel Macron, à une architecture de sécurité continentale qui rendra sa (nécessaire) défaite plus supportable et garantira les (seuls) aspects légitimes de sa sécurité ne relève pas de la science-fiction ni de la sensiblerie mais d’un réalisme sage, qui voit loin.

La défaite russe provoquera un complet réaménagement du système despotique de pouvoir du Kremlin. Il faut miser sur la fin du  »poutinisme ». Qui sait, elle pourrait même rapprocher (un peu) le système politique russe de nos principes démocratiques. Ceci impliquerait un degré de contrition et une nouvelle volonté de coexistence pacifique de la part de Moscou. Mais, il y a des ‘’mais’’ incontournables pour ne pas faire germer le besoin de revanche et l’esprit de haine : ne pas occuper le sol russe ni surexposer l’OTAN en vainqueur et éviter d’humilier cette nation qui se conçoit en grande puissance, lui accorder une marge raisonnable de sécurité souveraine ; enfin, recréer les bases d’une coopération conforme aux principes de la Charte des Nations Unies (le droit dont on ne doit priver aucun Etat légitimement constitué). C’est un peu les limites pointées par Aristide Briand à l’égard du fardeau excessif imposé à l’Allemagne de Guillaume II par le Traité de Versailles du 28 juin 1919.

Abuser des fruits d’une victoire censée à nouveau marquer ‘’la fin de l’Histoire’’ (référence à la chute de l’URSS en 1991) détruirait sûrement la Paix. Le plus délicat restera l’instauration d’une justice réparatrice. Il faudra que la Russie y contribue sa part, même s’il est bien évident que le gros des ressources destinées à l’Ukraine – peut-être des milliers de milliards de dollars – proviendra du système multilatéral, lui-même alimenté par l’Occident. Plutôt un plan Marshall et une offre de réconciliation, une fois la Justice passée, que les fourches léonines d’un Traité de Versailles avec ses clauses impossibles et ses lendemains guerriers. Mais, s’il est bon de penser à une paix durable, il faut se garder d’en parler trop et trop tôt pour ne pas choquer inutilement ceux qui souffrent, aujourd’hui, sous les drones et les missiles de l’agresseur russe.

Le temps court avant le temps long…

* 14 décembre – Ingérence vs intégrité

Le scandale éclate en pleine Coupe du monde de football. Des sacs de billets de banque ont été découverts au domicile de l’Eurodéputée socialiste grecque et vice-présidente, Eva Kaili, et de trois complices exerçant également des fonctions au sein du Parlement européen. Celle-ci a été incarcérée. Les soupçons pointent vers le Qatar qui serait à l’origine de cette corruption. La députée insoumise, Manon Aubry, a détaillé sur twitter la façon dont elle avait vécu en direct « l’ingérence du Qatar », lorsque Eva Kaili déployait son énergie à bloquer les résolutions condamnant la politique de l’émirat envers les travailleurs émigrés. Lors du vote, l’eurodéputée grecque avait reçu le soutien de la droite et de l’extrême droite -mais pas des socialistes français -, signe que les réseaux de corruption transcendent les appartenances politiques.

Pour le Parlement européen, le défi est violent. On le savait depuis longtemps perméable aux lobbies financiers et économiques, ce qui est en soi déjà grave. Le voilà désormais soumis à des incursions étrangères. Celle du Qatar et ses dollars, donc, mais aussi celle de la Russie, souvent également par le biais financier, comme cela est le cas avec le RN français. Des réseaux mafieux de quelques correspondants y sont à l’œuvre, entravant parfois l’expression majoritaire des députés. Ils entachent la crédibilité du Parlement. L’invasion de l’Ukraine a levé toute inhibition à manœuvrer l’équilibre géopolitique du monde. Des pays non démocratiques – Russie, Chine ou Iran, dont le Qatar est proche – démontrent chaque jour à quel point ils considèrent les démocraties occidentales comme un ennemi ou comme une chose malléable à merci, au gré de leurs intérêts les plus chauvins. Leurs ingérences sont inadmissibles. Comme l’a dit la présidente Roberta Metsola : il s’agit d’attaques contre le pouvoir législatif : il faut impérativement organiser sa défense.

Une règle ‘’sacro-sainte’’ voudrait que ‘’le sport ne doive pas être pollué par la politique’’ (apparemment, la réciproque n’intéresse pas). Ceci vaut pour les inimitiés et les rancœurs partagées entre les équipes nationales participantes, mais sûrement pas concernant l’intégrité des institutions et les instruments de souveraineté des peuples. Tout le gaz du Qatar ne fera pas oublier les mœurs corruptrices et la malfaisance comportementale de ce petit émirat arriviste. Il faudra que justice passe. Au minimum, pourrait on séparer le contentieux politique et moral qui nous oppose à lui d’avec le partenariat énergétique qui nous lie à lui. Ce dernier va contre le sens de l’histoire et contre nos intérêts à long terme. Il arrive néanmoins que le commerce ne fasse pas de ‘’politique’’. La raréfaction du gaz, la guerre hivernale en Ukraine imposent une dose de réalisme teinté de résignation.

De là à aller parader à Doha en assumant donc de côtoyer l’Emir… Pour une demi-finale, voire une finale électrisant la fierté nationale, ce serait pécher par inconséquence populiste et complaisante complicité. Que ceux qui incarnent la souveraineté nationale n’aillent pas s’exhiber à la fête, la tête vide ! ‘’Soutenir les Bleus’’ n’implique pas une proximité physique avec le corrupteur. C’est d’abord une question de morale élémentaire, bien plus qu’un principe d’écologie ou un souci (légitime) de droits humains. Et l’Europe ne mérite pas un second affront.

* 8 décembre – Contrer la Russie dans les Balkans occidentaux

Tirana a accueilli le 6 décembre un sommet entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux. Jusqu’où l’Union européenne promet elle d’étendre son expansion dans la steppe et les monts ? Après les vagues – encore mal digérées – des élargissements à l’Est du début du siècle, la sagesse, dictée par plus d’un siècle d’Histoire, aurait été de ne pas mettre son doigt dans l’engrenage des tensions dans la zone des Balkans. La question russe et les conséquences inattendues de la guerre en Ukraine en ont voulu autrement. De plus, le grignotage chinois de ces pays, par l’investissement et la corruption politique, agace. Restait, sous couvert de protéger la région des visées poutiniennes, à s’engager dans une sorte de fuite en avant de promesses de candidatures plus ou moins difficiles à tenir. On fait donc la queue au portillon communautaire …

 Longtemps confrontés à l’indifférence européenne, les Balkans occidentaux redeviennent une source d’attention soutenue. Dans ce contexte, le sommet en Albanie est l’occasion pour les Européens de réinvestir politiquement la région. Ces derniers mois, le chef des Serbes de Bosnie a réaffirmé son soutien à Vladimir Poutine. Optant pour l’offensive de charme, pour mieux se défendre, l’Union européenne cherche avant tout à contrer le jeu d’influence du Kremlin.

Un exemple patent en est la Bosnie-Herzégovine, qui n’a rempli aucune des conditions posées par l’Union européenne pour lancer une procédure. Près de sept ans après le dépôt de sa candidature, elle devrait se voir enfin accorder, d’ici à la fin de l’année, le statut de candidate à l’Union européenne. L’an dernier, les tensions politiques ont fait craindre un retour des violences communautaires, 27 ans après la fin de la guerre. Ce statut de candidate devrait lui être conféré, uniquement parce que l’Europe veut éviter une mainmise russe sur sa composante serbe. Toutefois, si la Commission européenne a déjà rendu un avis favorable, le dernier mot reviendra aux 27 États membres. Il n’y aura pas consensus pour accélérer le pas.

Après avoir longtemps patienté, l’Albanie et la Macédoine du Nord ont, elles aussi, obtenu, l’été dernier, le précieux sésame de candidates à l’adhésion. Au-delà de la lointaine perspective d’entrée dans l’Union, il sera aussi question d’énergie et d’infrastructures. L’UE veut montrer aux pays des Balkans occidentaux qu’elle est capable, comme la Chine, de financer de grands projets. Il sera question aussi bien évidemment de la politique de sanctions prises à l’encontre de la Russie. Ce sujet cause des frictions, puisque la Serbie, bien que candidate elle aussi à l’UE, s’y déclare résolument hostile. Ceci a conduit la Commission européenne à juger, avec sévérité, que Belgrade avait reculé sur la voie de l’adhésion. Ainsi, les cancres de la classe balkanique seront-ils sanctionnés.

L’enjeu s’impose d’ancrer les pays des Balkans occidentaux dans la sphère européenne, aussi longtemps qu’une menace russe y pèsera. Il n’y a pas (encore) d’annonce spectaculaire à attendre du sommet, hormis la photo de famille édifiante des dirigeants européens posant auprès de leurs homologues de la région, également courtisés par la Chine, la Russie et la Turquie : ‘’chasse gardée, n’y touchez pas’’. La géopolitique parle en faveur d’un large front d’endiguement de la Russie actuelle : le court terme domine totalement l’approche communautaire. L’aura de l’UE paraît à son zénith mais l’approfondissement souhaitable de l’Union pourrait bien en pâtir, à l’inverse, par une perte de cohésion, par dilution et éparpillement. Si la paix devait revenir un jour dans la région, il est probable qu’une approche plus tempérée et moins inclusive succéderait à la politique de la mère poule découvrant une portée de poussins abandonnés à eux-mêmes.

* 7 décembre – Dissuader les ‘’pirates de la dissuasion’’

Dans le contexte de la guerre hybride contre l’Occident et de l’invasion de l’Ukraine, la dissuasion française est prise à contre par les préceptes russes d’emploi de l’arme comme un instrument offensif sur un champ de bataille extérieur. Le président Macron a jugé bon de revenir, le 9 novembre, à Toulon, sur sa perception de la menace telle que la conceptualise l’analyse française.

Ce réajustement des ‘’lignes rouges’’ franchies par l’adversaire qui déclencheraient ou non une réaction des armes tactiques nucléaires nationales intervient après ses propos du 12 octobre. Ce jour-là, son exposé avait laissé à penser que le recours russe à une frappe, en Ukraine ou dans les confins occidentaux de ce pays, n’appellerait pas de réplique nucléaire de la part de la France. Venant après sa phrase sur la nécessité de ‘’ne pas humilier la Russie’’, cela avait quelque peu ‘’défrisé’’ certains proches alliés de Paris, à l’Est de l’Europe et aussi en Allemagne, qui se sont, bien sûr, gardés de tout commentaire public. Sur le fond, la question est singulièrement complexe à trancher. Est-ce vraiment réaliste de la part d’un ‘’petite’’ puissance nucléaire de prétendre sanctuariser tout son continent ?

Quand bien même cette limite posée à la dissuasion française correspond à ce que beaucoup d’experts occidentaux pensent sans le dire, M. Macron a effectué un retour très visible à sa position initiale d’avant-guerre. Exposée en février 2020, lors de son seul discours de référence sur la dissuasion, celle-ci postule : ‘’aujourd’hui plus encore qu’hier, les intérêts vitaux de la France ont une dimension européenne’’. Plus question donc d’en limiter précisément les contours et, surtout, de paraître se raviser sous l’effet des menaces de Vladimir Poutine. Ce retour aux sources n’est pas qu’une question de subtilités : c’est le rétablissement d’une posture paradoxalement plus solide construite sur l’ambiguïté dissuasive. Elle répond mieux à la menace de la guerre hybride et au flou que ce type d’offensive sur des front multiples (cognitif, cyber, spatial, par les réseaux sociaux, politique et militaire…) entretient sur la détermination précise de la ‘’ligne rouge des intérêts vitaux’’.

Sommes-nous entrés dans le ‘’troisième âge nucléaire’’, celui du XXI ème Siècle, dans l’art de la piraterie nucléaire ? L’un des enseignements les moins prévus du conflit en Ukraine, lequel promet d’être long, est que la dissuasion peut être inversée. Même par une grande puissance, elle peut être utilisée en outil d’agression militaire ‘’classique’’, notamment pour isoler de ses alliés le pays-cible victime de l’offensive. On assiste là à un retournement complet de la façon dont l’atome militaire avait été considéré jusqu’ici : la dissuasion comme meilleur moyen d’empêcher une guerre entre puissances nucléaires majeures, dotées de tout le spectre de l’arme, du tactique au stratégique.

 Il reste que le jeu des décideurs autour du postulat de la ‘’destruction mutuelle assurée’’ connaît, par définition, un préambule psychologique complexe. L’emploi ou non de l’Arme est précédé d’une suite d’affirmations fortes, sans preuve ni certitude aucune pour la partie adverse. En bref, Poutine parle et menace, en mode déclaratoire. Alors, il joue au poker ? On doute en effet qu’il passe jamais à l’acte, sauf à avoir perdu ses repères politiques et tout discernement. Ce serait au point de finalement provoquer la destruction de son pays, le plus vaste du monde. Le bluff participe de son style professionnel, celui d’un menteur expert du FSB. Faut-il lui accorder l’honneur de tenir ouvertement compte de ses rugissements froids et calculés ? La doctrine poutinienne sert en premier lieu de levier d’effroi et de pression sur les opinions publiques. Raison de plus pour ne pas se laisser prendre au piège en lui faisant spectaculairement écho. Les réseaux sociaux, toujours eux, s’en chargent déjà trop bien. Oublions la doctrine russe et, d’ailleurs, ni vous ni moi n’avons à en connaître, n’étant pas président !

Le conflit armé en cours n’en est pas moins sous-tendu par le spectre d’un débordement du territoire ukrainien ouvrant la voie à un élargissement à la zone OTAN dans son ensemble. On l’a perçu dans l’émoi qui a surgi autour du missile antiaérien retombé en Pologne, le 15 novembre. Après ce coup d’adrénaline, une désescalade verbale s’est fait jour dans cette ‘’crise du siècle’’.

Concentrons plutôt notre attention sur les fourbes attaques du général Hiver…

* 01 décembre – Les Vingt-Sept face à l’exode du Sud

Sans atteindre le niveau de la ‘’crise des réfugiés’’ de 2015-2016, les flux migratoires entrants sont redevenus un point sensible dans l’agenda européen.  Par rapport à 2021, les arrivées aux frontières extérieures connaissent une forte hausse : 280 000 de janvier à octobre inclus, soit + 77 %…

Deux semaines après la crise franco-italienne autour de l’Ocean-Viking, les ministres européens de l’intérieur, réunis à Bruxelles en Conseil extraordinaire à la demande de Paris, ont approuvé, le 25 novembre, un plan d’action ‘’afin de ne pas reproduire ce genre de situation’’. On se souvient que le 11 novembre le gouvernement français avait accepté, à titre exceptionnel, le débarquement à Toulon des 234 passagers de l’Ocean-Viking, après le refus du gouvernement de Giorgia Meloni d’accueillir ce navire humanitaire bloqué au large des côtes italiennes. Il promet qu’il n’accueillera plus désormais des demandeurs d’asile parvenus en Italie, tant que Rome ne respectera pas le droit de la mer (l’obligation de sauvetage). On voudrait bien savoir à ce propos qui le respecte : la Libye, l’agence Frontex, l’Italie, la France jusqu’à récemment ?

La poussée est plus forte encore sur la route des Balkans : + 168 % sur la même période. La Commission prépare donc un autre plan d’action à cet effet. La possibilité d’une nouvelle vague d’arrivées d’Ukrainiens cet hiver rend l’adaptation aux circonstances encore plus complexe.

Le plan d’action ‘’italien’’ concocté par la Commission européenne propose 20 mesures, notamment pour renforcer la coopération avec la Tunisie, la Libye ou l’Egypte (avec la Turquie, c’est une cause perdue), afin de  »prévenir les départs et augmenter les renvois d’exilés en situation irrégulière ». Il prévoit aussi une meilleure coordination et un échange d’informations entre Etats et ONG secourant des migrants en mer, et vise à promouvoir des discussions au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI) sur des lignes directrices applicables aux bateaux effectuant des opérations de sauvetage en mer. Est-ce à dire que le droit de la mer pourra être appliqué de façon sélective ou que les pays du Sud de la Méditerranée, surchargés de tous les migrants du monde arrivant par voie de terre, devront, de plus, ouvrir leurs ports aux navires de sauvetage qui croisent dans leurs eaux territoriales ? Telle est en tout cas l’intention professée par le ministre Darmanin, qui s’intéresse peu au casse-tête imposé aux pays de premier accueil.

Une unanimité s’est fait jour sur un socle minimum, mais, comme le reconnait la Commission, ce ne sera pas la solution définitive tant que les Etats membres n’arriveront pas à conclure une réforme commune de leurs politiques de la migration et de l’asile = = au sein-même de l’Union européenne = =. Depuis plus de deux ans, le sujet tient de Arlésienne. Il bute, entre autres, sur la redéfinition (pour cause de non-application) du mécanisme temporaire – arrêté en juin, à l’initiative de la France – opérant la répartition des arrivants ‘’parmi les pays européens non-riverains’’. Pour soulager les Etats méditerranéens, une douzaine s’était engagée de façon volontaire à accueillir sur un an quelque 8 000 demandeurs d’asile arrivés dans ces pays sud-européens. La France et l’Allemagne devaient en prendre chacune 3 500. Paris s’est pourtant montré très restrictif s’agissant des quotas qui lui étaient assignés et a finalement suspendu ses relocalisations depuis l’Italie. La torsion de bras est claire : pas de prise en charge française sans accueil dans les ports italiens.

Le ministre italien, Matteo Piantedosi, a été invité à venir à Paris par son homologue, avant une prochaine réunion des ministres de l’intérieur prévue le 8 décembre à Bruxelles. Va-t-on assister à un exemple de ‘’commedia dell’arte’’, à une partie de catch ou à une fraternisation latine larmoyante ?

* 24 novembre – État promoteur du terrorisme

 Les eurodéputés ont décidé que l’Union Européenne pouvait désormais considérer la Russie comme un État ‘’promoteur du terrorisme’’. Par 494 voix pour, 58 voix contre et 44 abstentions, iIs ont voté ‘’oui’’ le 23 novembre, jugeant que l’armée de Moscou employait des moyens relevant du ‘’terrorisme’’. En adoptant ce texte, le Législatif européen réaffirme un soutien sans faille à l’Ukraine, comme le lui avait demandé le président Volodymyr Zelensky. Sa résolution s’applique également aux méfaits commis par le groupe Wagner. Elle n’a de valeur que consultative, celle d’une recommandation. Elle incarne plutôt la voix de la conscience au sein de l’identité européenne. L’Union européenne s’aligne, en fait, sur les États-Unis, où les deux chambres du Congrès avaient adopté une position similaire, ainsi que le Canada. Contrairement à ces deux pays, l’Europe ne dispose cependant pas de législation spécifique en la matière. De plus les exécutifs nord-américains sont plus prudents dans la formulation de leurs griefs. Ainsi, le chef d’Etat-major américain a appelé l’Ukraine à ‘’consolider ses gains à la table des négociations’’, une table à laquelle pense également le président français même si ce créneau de l’Histoire n’est pas encore survenu.

Le terme ‘’terrorisme’’ est de nature politique et morale, mais il ne connaît aucune définition juridique internationale. Admettons qu’il soit mérité : il implique alors la quête d’un châtiment complet. C’est neutraliser entièrement (physiquement et politiquement) puis juger le coupable. Le monde ne se limite pas à l’Occident. Serait-il prêt, un jour, à sanctionner les coupables ? La réponse est ‘’non’’. En l’occurrence, le chef de guerre le plus criminel n’est autre que le président, élu et soutenu par une majorité de la population de la seconde ou troisième puissance militaire du monde. Ce n’est sans doute pas demain que, depuis son box d’inculpé, il aura à rendre des comptes au juge international, sur fond de décors d’une Russie sous administration de justice.

La Russie est bien coupable d’agresser massivement les civils ukrainiens et d’en massacrer un grand nombre. Le qualificatif le plus fort doit être décerné à sa rage de destruction des infrastructures énergétiques (à Zaporijia, les dégâts sur les installations nucléaires seraient ‘’colossaux’’, selon l’AEIA), comme des hôpitaux, des écoles ou encore des abris. Tous ses actes d’invasion, de massacres aveugles et d’occupation violent le droit international et le droit humanitaire international. Les crimes de guerre se sont accumulés créant tout un système de terreur et d’assassinats. On est donc bien dans un registre combiné entre crime contre l’humanité et règne de la terreur. Elle devra en affronter les conséquences.

La condamnation de la Russie par l’U.E reste pleinement justifiée dans les faits. Après ce vote, le site internet du Parlement européen a d’ailleurs été la cible d’une attaque informatique en représailles, ce qui démontre encore, s’il le fallait, que l’hostilité russe embrasse, au-delà de l’Ukraine, les institutions démocratiques de l’Occident. Mais la politique de défense n’est pas faite que de valeurs et de jugements et la recherche d’une sortie de guerre sera une autre paire de manches. Le rapport de forces devra concéder sa place au pragmatisme sans lequel rien n’aboutit.

Il faudra donc voir dans les semaines et les mois à venir comment s’appliquera cette résolution et qu’elle en est sa véritable portée.

* 22 novembre – La COP, à l’ombre des derricks

Bôôf ! La COP 27 s’achève sur un bilan mi-figue, mi-raisin… plus ou moins inutile, plus ou moins sauvée, dit-on. Personne n’en attendait un énorme sursaut. Cet outil de la méthode Coué collective, destiné à émuler les gouvernements, n’est pas, il est vrai, le moteur primordial de la politique de prévention d’un dérèglement toujours plus grave du climat. Les peuples pèsent plus lourd que leurs dirigeants sur la prévention comme sur l’adaptation… mais en ordre totalement dispersé. Les lobbies industriels les plus puissants étaient, eux aussi, à Charm El Cheikh pour verdir leur image et s’assurer que la révolution climatique n’irait pas trop loin. La COP fait le point à la croisée de forces hétérogènes qui sont aux prises entre elles. Elle offre surtout un semblant de coordination mondiale, ingrédient indispensable mais qui reste faible et à la merci du rapport de force géopolitique.

Bref, un accord  »mou » a été trouvé in extremis, le 19 novembre, sur la question des dégâts climatiques subis par les pays pauvres les plus vulnérables au climat. Un fonds spécifique sera dédié à la mobilisation des fonds (en clair : des prêts et non des dons) pour compenser leurs pertes et dommages. Il établira des protocoles de fonctionnement puis répartira entre eux des moyens financiers. Ces derniers sont encore très peu abondés en promesses (350 Mns pour un besoin chiffrable en milliards). Un ‘’comité de transition’’ mixte Nord / Sud doit encore en préciser la marche générale. On n’est donc pas encore parvenu à destination. Bien qu’un peu improvisé, c’était le principal point à émerger sous la lumière des médias, celui aussi qui a bloqué les laborieuses négociations de la conférence durant deux semaines. La présidence égyptienne, peu visionnaire et faiblement militante, a tardivement rempli son rôle de bons offices mais a minima. La conversion de l’UE au financement de cette demande de trente ans des pays du Sud a entrainé le ralliement des Etats Unis. La présidence a trainé des pieds pour épargner à la Chine et à l’Arabie saoudite, rétives d’avoir à contribuer, à concéder quelques ressources.

Pour le reste, on chercherait en vain des progrès visibles par rapport à la COP de Paris et à celle, dernière en date, de Glasgow. L’objectif de 1,5 % de réchauffement maximum d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère pré-industrielle – une pure chimère, cette ligne rouge étant déjà presqu’atteinte – reste paradoxalement inchangé. Point donc d’objectif renforcé en matière de diminution des émissions. La vérité factuelle est que si les politiques annoncées devaient pleinement être mises en œuvre (ce dont on pourrait douter), l’horizon 2100 se stabiliserait entre + 2,5 et + 3 °.

Côté énergie, des ‘’efforts’’ sont demandés mais pas vraiment des résultats supplémentaires. La sortie du pétrole et du gaz n’est pas mentionnée. Seule, la fin des subventions inefficaces aux carburants fossiles devrait être recherchée.  Celle, progressive, du charbon n’est accompagnée d’aucune échéance de calendrier précise, même si le recours accéléré aux énergies renouvelables est  »recommandé » en relais. Au total, c’est une douche pour les doux rêveurs aspirant à une transition énergétique d’ampleur révolutionnaire. Pour l’UE, Frans Timmermans a conclu :  »l’avenir ne nous remerciera pas ».

Et voici une autre douche, peut-être, sur l’horizon calendaire : la prochaine COP28 se tiendra ‘’à l’ombre des derricks’’, aux Emirats arabes unis (à Dubaï), fin 2023. C’est dire combien la transition climatique s’émancipe des rentes polluantes du vieux monde…

* Mardi 8 novembre – La démocratie partie en vacances ?

Pendant que la pénombre géopolitique persistait sur le monde, des élections ont eu lieu ça et là. Peut-être faudrait-il s’en réjouir. Peut-être, car la sagacité des gouvernements ne s’en trouve pas accrue, la démocratie n’y trouve pas toujours son compte, l’alternance se fait le cas échéant vers le passé, les populations ne s’attachent pas prioritairement aux vraies questions, celles qui touchent à leur (future) vieillissement, à la Paix, à la guerre, à l’émancipation, au climat et à la biodiversité, bref à la viabilité du monde à venir.

– L’exemple du bref passage à Downing Street de Liz Truss est sans doute le plus accablant. Elue à la barre d’un navire qui prend l’eau depuis le Brexit, la dirigeante conservatrice tirait sa légitimité du vote de 0,03 % de l’électorat britannique. C’est presque surréaliste survenant après l’isolement, le déclin et les mauvaises manières induits par son prédécesseur ébouriffé, l’inimitable brouillon, Boris Johnson. La dame s’était perçue comme réincarnant Margaret Thatcher, dans les heures graves des Falklands. Reniement des liens avec l’Europe, affirmation d’une grandeur toujours victorienne du Royaume auquel le monde devait rendre hommage, dureté avec les pauvres et fiscalement dévotion aux riches : elle n’est parvenue qu’à affoler sa propre banque centrale, les marchés et une majeure part de la classe politique anglaise. Las ! Rattrapée par le monde réelle, elle tente un tour de passe-passe faisant peser le coût des dégâts sur son chancelier des finances, Jeremy Hunt. Celui-ci annonce que le gouvernement de sa Majesté fera tout le contraire de ce à quoi la Première ministre s’est engagée devant le parlement de Westminster. Trois semaines après avoir été ‘’inaugurée’’ par le roi Charles III, Liz a été débarquée par ses amis les plus proches. Le maire de Londres, vaincu du scrutin interne des Torries récupère la place.

– Au Brésil, la campagne présidentielle a ressemblé à une guerre civile en vraie grandeur. L’insulte a dominé l’espace des débats. Jaïr Bolsonaro, le sortant, obsédé par le précédent créé par Donald Trump n’a pas manqué d’afficher un colossal mépris pour les règles de la démocratie. Au point que son silence au lendemain du scrutin a pu être interprété comme un appel lancé à l’armée – dont il est issu – pour qu’elle effectue un putsch. Ignacio Lula da Silva a gagné, ric-rac, sans gloire ni grandeur particulière. Le dirigeant syndicaliste et ancien chef d’Etat emprisonné pour concussion n’est plus le héros populaire qu’il avait été avant son prédécesseur. On a un peu l’impression que la geste politique brésilienne tourne en rond… mais n’arrive plus à reproduire les hauts faits passés, dans un contexte économique et social très dégradé. Lula garde comme atout un fort potentiel pour le dialogue et le compromis. Son vice-président a été choisi au centre droit, son programme n’est plus très progressiste. On peut prédire que le Brésil se dirige, cahin-caha vers de nouveaux épisodes de crise interne.

– Le cas israélien est à part. Cinq scrutins généraux sont intervenus en trois ans, mettant aux prises la droite dure, l’extrême droite hystérisée et les extrêmistes religieux, complètement déjantés. La gauche n’existe plus et le Centre s’est rangé à droite : le jeux politique ne peut donc plus produire une vraie alternance, car il est enchassé dans des considérations ethnico religieuses et un racisme d’Etat. Le choix est entre un état de guerre autoritaire et insensible aux épreuves des Palestiniens (eux-mêmes incapables d’organiser un scrutin) et un apartheid armé, en bonne et due forme. Les accords d’Oslo ne sont plus de ce monde et la confrontation sert de fuel à la classe politique. Le deal proposé aux citoyens est : ‘’ne faites plus de politique, nous nous en chargeons. En retour, confiez-nous sans état d’âme votre sécurité’’. François Guizot aurait-il dit autre chose alors que Louis Philippe 1er préfigurait l’humeur actuelle de l’incontournable ‘’Bibi’’ Netanyahu, centre de gravité indévissable de l’ultra-nationalisme bourgeois israélien. Le prix à payer sera élevé le jour, encore lointain, où le système s’effondrera sur fond de guerre civile, car les citoyens-électeurs seront revenus en force dans le jeu.

– Aujourd’hui se tiennent, aux Etats Unis, des élections de mi-mandat pour le renouvellement du Congrès, une échéance politique toujours défavorable à la présidence en place. En temps normal, l’enjeu partisan reste dans les limites raisonnables d’un débat programmatique et de préférences idéologiques d’ordre commun. Mais le précédent de la révolte encouragée par Trump contre les institutions (jusqu’au raid de janvier 2021 sur le Capitole de Washington) et l’ascendant toxique que le milliardaire caractériel conserve sur le parti Républicain pourraient faire monter les enchères dans une situation où les ennemis du système’’ s’empareraient des deux chambres du Congrès. L’inflation galopante, notamment celle qui impacte les coûts de l’énergie, incite les électeurs à faire passer ‘’la fin du mois’’ avant  »la fin du monde’’ et Joe Biden pourrait se trouver impuissant à maintenir l’ordre civil et la cohésion sociale à un niveau vital minimum. Les présidentielles et législatives françaises ont été également marquées par cette propension au court-termisme, on ne peut donc blâmer l’électeur américain. Mais le poids des Etats-Unis dans les grands défi mondiaux est d’une tout autre dimension. Sous les traits d’un D. Trump de retour en 2024, un retrait définitif de l’Oncle Sam des affaires du climat, de celles de la prolifération nucléaire ou encore du soutien accordé à l’Ukraine dans la défense du droit et de la justice tracerait les contours d’un véritable cauchemar géopolitique.

* 3 novembre – Sorciers milliardaires et manipulateurs du monde

Le GAFAM est-il déjà le général en chef, voire le ‘’maître du Monde’’. Cela évoque les fictions primaires et faciles d’antan mais la question, qui n’est guère posée maintenant, trouve un écho dans l’actualité géopolitique. Le milliardaire américain, Elon Musk, se prend vraiment pour le Dr Strangelove / Follamour. Il ne lui suffit pas qu’une de ses Tesla tourne en orbite autour de la Terre et d’avaler Twitter pour en faire un médium  »libertaire » pour porter sa voix dans le monde. Il vient de proposer un plan de paix pour l’Ukraine (désarmé et neutre face à l’agression russe), propose d’instituer une  »zone administrative spéciale » pour régler le sort de la pauvre Taïwan ‘’à la sauce hongkongaise’’.

Il cherche à sécuriser l’accès à Internet par ses satellites pour les Iraniennes en révolte contre les mollahs. Mais il menace, en même temps, de supprimer les prestations GPS de sa société Starlink aux militaires ukrainiens. Ceci, précisément, si le Trésor américain ne prenait pas le relais de leur financement : l’homme le plus riche du monde a muté en apprenti sorcier, à l’image du réseau des réseaux lui-même. A 51 ans, le ‘’génie’’ sud-africain se révèle autiste en géostratégie. Son égo monte en trajectoire de Space X, et sa prétention est galactique, mais le fait est là : il est en train de jouer avec le sort de l’humanité. Sans doute, il doit trouver ça drôle… Le président Zelensky lui, n’apprécie plus du tout, mais l’ambassadeur de Chine à Washington a beaucoup aimé. On a les admirateurs qu’on peut.

Ce n’est pas la première fois que les milliardaires américains s’appliquent à exercer un rôle politique dominant par-dessus le dos des élus et des peuples. Avec sa fondation, Bill Gates est devenu le super-ministre de la santé (officieux) de l’Afrique et il est reçu partout comme un chef d’Etat. Reconnaissons que son mécénat n’est pas inutile mais il le rend terriblement puissant. Nous verrons bientôt comment Mark Zuckerberg, grand patron de Meta / Facebook, porte une responsabilité dans le massacre et l’exode des Rohingyas de Birmanie. La France a ses propres capitaines d’industrie sur une échelle mondialisée. En Afrique et au Moyen Orient, ils n’hésitent pas à s’acheter des gouvernements étrangers et à passer commande.

Les Etat Unis ont de façon logique, plus que les autres, de supermen de cette trempe. Il y a plus d’un siècle, Andrew Carnegie, magnat de l’acier, avait tenté de rencontrer Guillaume II pour désamorcer la première guerre mondiale. John Rockefeller Junior, héritier de l’empire pétrolier de son père, a financé l’Organisation des Nations unies à New York après-guerre, tandis que l’ex-spéculateur George Soros s’investit depuis trente ans dans la défense de la démocratie libérale. Il s’est fait percevoir comme un ennemi par les régimes politiques autocratiques… Ce sont souvent des philanthropes, mais la proportion des mégalomanes augmentent dans le lot actuel. Certains n’ont absolument aucune fibre morale, d’autres fonctionnent sur des caprices des pulsions d’hubris. Tous  s’emploient à prouver que le marché de la gouvernance et de l’aide public voire celui de la recherche de la guerre ou la Paix est sous leur main, pas sous celle des Etats.

Et que pauvres de nous, ils se font fort de nous formater le logiciel crânien. Ca donne à réfléchir pour la suite des choses… si l’on y arrive encore.

* 20 octobre – Les eaux du Rhin se troublent

Des pommes de discorde entre la France et l’Allemagne, il y en a souvent eu et elles ressurgissent dans le contexte de la guerre hybride. Il paraît qu’entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz, le courant passe mal depuis peu. Rien de dramatique, rassurez vous, mais du stratégique quand même, et cela concerne justement le courant et la défense européenne, deux dossiers sur lesquels il serait vain d’exiger des miracles et cela, dans l’urgence. Bref, le prochain conseil franco-allemand est décalé au mois de novembre, faute d’accord sur les sujets de fond. A Berlin, on reconnaît le désaccord, tandis qu’à Paris, un  »problème de vacances » est invoqué, de façon assez peu sérieuse.

Sur l’énergie : on sait que l’Allemagne, abreuvée jusqu’à récemment d’hydrocarbures russes, est de cours et que sa situation l’alarme. Elle pourrait revenir très marginalement à l’atome civil pour assurer un complément de son déficit énergétique. Se considérant plus affecté que ses voisins, le gouvernement fédéral a débloqué une gigantesque subvention de 200 milliards d’Euros à ses consommateurs d’énergie. Ce bouclier va contribuer à soulager son industrie, en même temps que sa révélation soudaine pose le double problème de la confiance entre les deux pays partenaires et de la distorsion de concurrence qu’un tel  »booster » introduira avec les produits de partenaires européens moins argentés. Paris s’est fâché, sans trop s’arrêter sur les difficultés internes que rencontre une administration allemande tiraillée entre trois partis coalisés sans philosophie ni programme commun assez solides.

Sur la défense, Berlin a souscrit au concept macronien de ‘Communauté politique européenne’ consacré à Prague au début du mois. Mais sur celui de l’identité européenne de défense, les lézardes se multiplient. dans ce domaine aussi, l’Allemagne opère un virage stratégique à 180° et se prépare à consacrer des sommes gigantesques à son rééquipement. La France, que l’on sait particulièrement engagée à promouvoir des programmes d’armement communs (notamment, au sein de l’Agence européenne de défense) s’estime mise au pilori parles choix que son partenaire s’apprête à faire dans l’urgence. C’est est fini du char commun franco-allemand, le groupe Krupp militant avec force pour être le concepteur unique du successeur du Leclerc et du Léopard. Paris grince des dents. Pire encore, le descendant du Rafale et du Tornado européen pourrait ne jamais voir le jour. Berlin manifeste une préférence pour l’achat  »quasi-sur l’étagère » du F 35 américain, perfection en matière de furtivité.

Les eaux du Rhin s’en trouvent un peu perturbées. Elles se calmeront sur un compromis un peu boiteux, comme toujours. Mais répétons le, ce ne sont pas de petits sujets.

* 17 octobre – Le Tsar face au César

Oubliera-t-on jamais la scène d’Emmanuel Macron toisé par l’Ogre du Kremlin, à l’autre bout d’une table de 20 m de long ? Le Français s’entêtant le raisonner sagement sur la folie de la guerre ? Avec l’invasion de l’Ukraine, l’auteur de la phrase prônant la nécessité de ne pas humilier Vladimir Poutine a été largement perçu en Europe (mais pas en France) comme l’imbécile utile de Poutine, celui qui aura renforcé l’effet de surprise de l’offensive du 24 février. Non pas que le soin de garder un contact avec l’Ennemi soit superflu ou honteux – loin de là – mais le renoncement à l’indispensable discrétion dans le maintenir du fil de dialogue et l’enfermement dans le piège d’une mise en scène ‘’compromettante’’ lui a collé au visage comme le sparadrap du capitaine Haddock.

On ne rigole plus : tournant pris à 180°. E. Macron a sorti les dents à la télévision et rebondi en partisan déterminé de la défense du sanctuaire nucléaire français mais aussi de la souveraineté européenne face à  »l’Ogre ». Celui  qui rêvait de sauvegarder la paix tout en baissant les yeux, souligne désormais combien la démence de Poutine dévoile la faiblesse des défenses française et européenne. La trop fameuse ‘’guerre hybride’’ est donc polyforme et ne s’arrête pas à sa composante purement militaire. Elle inclut aussi les fronts d’offensive énergétique, cybernétique, informationnel, religio-culturel, ethnique, diplomatique, l’agitation anti-française en Afrique et ailleurs et – pétard sur le gâteau – la menace stratégique nucléaire.

Le premier des Français a finalement pris conscience de ce que son esprit perçant savait dès le départ : nous sommes bien en guerre sans qu’’’IL’’ nous l’ait déclarée dans les formes militaires anciennes : plus que l’Ukraine ‘’inexistante’’, c’est l’Occident qui l’obsède et qu’il a placé dans son viseur. Loin de ses frontières, il s’emploiera à déstabiliser la France et d’autres Européens par un torrent d’infox suscitant des réactions défaitistes, par des attaques en sous-main, l’utilisation des infrastructures pour nous étouffer : il suffit de quelques techniciens motivés par leur intérêt ou d’une prise en otage de certains serveurs informatiques pour paralyser l’économie et déstabiliser la société. ‘’La Russie cherche à créer le désordre pour nous affaiblir et nous diviser’’ a reconnu sur un ton martial le farouche (nouvel) adversaire français de Poutine.

S’il est encore prêt à rencontrer Poutine, Emmanuel Macron va, dans la bataille en cours, fournir à Kiev des armes qui ne se limitent pas aux seuls canons César. Ceux-ci vont être livrés en plus grand nombre (mais leur fabrication reste quasi artisanale) en prélevant à cette fin les commandes danoises mais avec, en sus, toute une série d’obus ‘’spécialisés’ (dont certains, particulièrement peu ‘’humains’’). Deux mille servants d’arme ukrainiens sont invités à se former à de nouveaux systèmes dans des unités françaises. Les outils de la défense aérienne seront compris dans le lot. Cela répond aux bombardements barbares de quartiers civils censés ‘’venger’’ l’explosion sur le tablier du pont de Kertch reliant la Crimée à la Russie.

Alors, comme certains aimables amis le croient, nous ne serions ‘’pas en guerre’’, citoyens Français et Européens ? Autant vous dire que je n’apprécierais pas de me trouver face à MON ennemi, si ma chaumière bretonne devait se trouver sous le feu de canons César. Ca vaut pour nous comme pour eux. Abandonnons, SVP, la vision qui requerrait la mobilisation générale des poilus, les trains de conscrits partant joyeusement vers le front ou en revenant gueules cassées, la vie des tranchés, les épouses turbinant dans les usines de poudres explosives. Aujourd’hui, c’est l’atome + la barbarie hybride qui règlent les comptes. Et, mauvaise surprise, ils peuvent ‘’égorger nos fils et nos compagnes, aux armes, citoyens !’’ ce, jusque dans la version civile ‘’tchernobylienne’’ d’un réacteur nucléaire. Arrêtons là les parallèles passéistes, les références caduque, la naïveté devant la course folle la géostratégie ! A nos neurones, Citoyens !