* 5 janvier – Ode à la Paix du monde

Guangong (un cousin se Mars), le dieu oriental de la guerre est de retour, avec sa face écarlate et ses yeux exorbités. Il nous avait amené les guerres des Balkans au sein de l’ex-Yougoslavie  (dont la Bosnie), aux franges de l’Arménie et de l’Asie centrale ex-soviétique, dans les années 1990 : nous n’avons pas tiqué. Il a fait souffler le vent du terrorisme jihadiste sur l’Europe, dans la décennie suivante. Cela nous a alors a poussé à intervenir brutalement – même si ce fut sans succès – en Afghanistan, en Iraq, au Sahel : nous étions courroucés. Il s’est fait manipulateur de la démocratie et il a brouillé notre jugement en exploitant les réseaux sociaux à l’occasion des grands scrutins déterminant le cours des démocraties, notamment, à propos du Brexit et de l’alternance populiste de D. Trump aux Etats-Unis. Il a ensuite pris le visage fuyant et hypocrite de la guerre dite hybride, lors de la renaissance de la guerre froide autour des émancipations ukrainienne et biélorusse. Dans notre quotidien, la vie sur internet et la sécurité de nos infrastructure se sont teintés de risques perçus comme inhérents au ‘’système’’ : nous sommes devenus pessimistes et méfiants, mais nous nous sommes cru encore en paix. Les dernières illusions sont tombées avec la seconde guerre d’annexion de l’Ukraine : la ‘’question russe’’ réintroduisait une guerre froide, en fait déjà tiède.

Moscou nous coupe le gaz, nous menace d’un holocauste nucléaire, nous crie à la face que nous sommes les ennemis détestés qu’elle voudrait abattre. Au diable le déni de l’agression, nous revoilà tout proches de la guerre de Grand Papa. Un anti-missile est tombé sur la Pologne et l’article IV (consultations de crise) de la Charte atlantique a été invoqué. Le ‘’Mein Kampf’’ d’Adolphe renaît sous la forme de ‘’l’opération spéciale’’ (très spéciale, en effet) du sieur Vladimir. L’Histoire est repartie dans les années 1940 : elle boucle la boucle et ne se stabilisera pas, comme l’imaginait le prophète américain Francis Fukuyama (‘’la Fin de l’Histoire et le dernier homme’’). Il faut se réarmer, moralement et militairement pour la ‘’haute intensité’’. Qui l’aurait cru lorsque le mur de Berlin est tombé, il y a 33 ans ?  Pas moi (ni l’Ours).

Aux frontières de l’Union européenne, les gens meurent sous les bombes et les missiles, victimes d’une tentative folle d’annihiler ce qu’on ne peut pas arracher par la force. Les champs de bataille sont des champs de torture. Les enfants sont enlevés par centaines de milliers pour être russifiés. Des ‘’camps de filtrage’’ sont dressés dans les profondeurs du territoire russe. De l’autre côté, Moscou envoie au casse-pipe ses soldats ethniquement non-russes : Tchétchènes, Ingouches, Bouriates, etc., profitant de l’occasion pour ménager son vivier primordial de Russes ethniques (24 soldats morts seulement à Moscou, sur peut-être 100.000 tombés au combat). Cette offensive russe est bien d’essence coloniale, portant la marque d’un empire continental cleptomane, devenu toxique et tueur. Le groupe privé Wagner et ses guerriers sans âme s’émancipent et deviennent un Etat dans l’Etat, jugeant avec mépris l’armée étatique.

De la paix froide, on passe à une sorte de guerre totale, pondérée par la seule dissuasion nucléaire et aussi, un peu, par le comportement resté humain des Ukrainiens. Ils incarnent la résistance à la barbarie pure, l’arrière citoyen soutenant l’avant militaire : on les admire et on doit les soutenir, ne serait-ce qu’en tant que leurs alliés également placés sous la menace poutinienne. Les peuples qui veulent se libérer finissent par l’emporter. Mais au prix de quels méandres arriverons-nous, un jour, à négocier une paix qui soit juste, légale et durable, une vraie paix ?

Clausewitz estimait que la guerre est un caméléon. Ses voies, buts et moyens varient au gré des circonstances. C’est un tourbillon incontrôlable qui n’a, grâce à la propagande, que l’apparence d’une certaine cohérence. Il emporte les décideurs vers des stratégies qu’ils n’avaient pas initialement décidées. Les défis à la raison, même celle qui sert de mauvaises causes, conduisent à une forme de chaos universel. Telle est bien la dimension globale des conséquences de cette guerre, qui entrave la vie au Nord et compromet le développement au Sud. L’humanité envers soi-même comme envers les siens se perd en route : on le sent mais on ne veut pas se l’avouer, car la marche arrière est impossible… et la marche avant, suicidaire. C’est là que se trouve aujourd’hui l’inflexible Vladimir Poutine, assurément plus très loin de sa faillite finale.

Un autre problème est que pour les Azerbaïdjanais, Turcs, Rwandais, Erythréens – et même jusqu’à l’immense Chine – le ton est donné d’un retour de l’annexionnisme guerrier, de l’enterrement du droit. L’Europe devra réécrire sa vision stratégique du monde en termes bien plus tranchants. Le G 20 s’exprime, grâce à elle, contre la guerre en Ukraine. Taïwan ne sera pas annexée demain. Mais le nouveau ‘’désordre mondial’’ appelle contre lui un retour général aux valeurs – actualisées – qui avaient fondé la Charte de San Francisco de l’ONU.

Une entreprise titanesque, s’il en est !

Pendant quelque temps, l’Ours Géo va se faire plus rare ou se manifester par des brèves vraiment brèves. Gardez vos abonnements pour qu’il vous rende visite.

*  12 décembre – Algorithmes de la haine

En 2017, plus de 700 000 personnes fuyaient la Birmanie pour le Bangladesh afin d’échapper aux atrocités commises par les forces armées du Pays. Victimes d’une campagne de nettoyage ethnique, des milliers de Rohingyas ont été torturés, tués. Des femmes ont été sauvagement violées. L’affaire avait commencé en juillet 2014. à Mandalay, la deuxième ville de Birmanie. Une flambée de violence éclatait entre des groupes bouddhistes et musulmans, faisant deux morts et 14 blessés. Un post sur Facebook affirmait que des jeunes musulmans avaient violé une jeune femme bouddhiste : c’était un fake.

Si ce contenu Facebook a circulé comme une trainée de poudre en déclenchant des émeutes, c’est que le système algorithmique de Meta l’avait identifié comme ‘’positif’’, au vu du nombre de commentaires enthousiastes. Le même phénomène a été constaté lors de l’attaque sur le Congrès américain, en janvier 2021. Les cas de conditionnement en ligne à la barbarie sont en fait fréquents.

La haine virtuelle a contribué à la transposition des violences dans la vie réelle. Les algorithmes de Facebook – une enseigne de Meta – ont permis la diffusion d’une majeure part des messages d’appels à la  haine et à la violence contre les Rohingyas. La stigmatisation de cette communauté musulmane, comparable à celle des Juifs sous le régime nazi, s’est généralisée à tout le pays. Meta le savait. Meta n’a rien fait. ‘’Nous déclarons ouvertement et catégoriquement que notre pays n’a pas de race Rohingya’’ : ce message a été publié sur Facebook par le général en chef de l’armée du Myanmar, Min Aung Hlaing. À ces messages du plus haut niveau de l’armée, s’ajoutaient des milliers des messages de haine : ‘’Les musulmans sont des chiens qui doivent être abattus’’ … ‘’Ne les laissez pas vivre ! Éliminez totalement cette race, le temps presse !’’. Voici le type messages qui circulaient dans un pays du Sud où Facebook constitue l’accès principal à l’internet. La plateforme américaine y est omniprésente, et, hélas, perçue par la population comme la meilleure source d’information disponible.  

Le modèle économique de Facebook, basé sur la surveillance et le profit à tout prix, se soucie peu de mettre en danger toute une communauté. Beaucoup d’ONG estiment que Meta devrait verser des réparations aux Rohingyas. Et que ceux-ci seraient justifiés à lui intenter un procès criminel. Ils sont désormais en majorité réfugiés dans le camp géant de Cox’s Bazar, au Bangladesh et n’ont aucune perspective de retour. Un parallèle pourrait être fait avec la ‘Radio des mille collines’ du Rwanda qui avait exercé un rôle majeur dans le déclenchement du génocide des Tutsi en 1994.

Les contenus les plus commentés et partagés, occupent une place privilégiée dans le fil d’actualités de Facebook. Pour cette raison, l’algorithme identifie certains posts comme populaires et promeut leur diffusion comme celle de contenus similaires. Il est problématique que ces publications, qui font réagir, peuvent promouvoir des messages de haine. Les systèmes algorithmiques donnent en fait la priorité aux contenus les plus incendiaires, les plus susceptibles de maximiser leur audience. Quand un groupe d’internautes se fanatise collectivement, les effets portés font boule de neige sur les réseaux. La violence immatérielle diffusée sur les écrans se meut en une violence physique frappant des innocents.

Facebook ne peut techniquement modérer que 2% des discours de haine qui circulent sur sa plateforme, qui dessert près de 3 milliards d’utilisateurs à travers le globe. Plus de modération lui imposerait un coût. Celle-ci peut réduire la diffusion des discours de haine, mais nullement les contrôler. Elle ne maîtrise pas la massification des contenus haineux ou violents, permis par les algorithmes. Concernant la Birmanie comme de nombreux autres cas, Meta n’a rien fait et ne fera rien : l’entreprise américaine s’est abstenu, à plusieurs reprises, d’exercer la diligence requise en matière de droits humains concernant ses opérations dans des pays fragiles. Sans doute, Mark Zuckerberg ira un jour exprimer sa (grande) contrition ad post auprès de quelque autorité birmane plus sourcilleuse que la junte militaire au pouvoir … comme il le fait, tous les quinze jours, devant le Congrès de Washington, sans bien sûr jamais rien changer à ses méthodes.

* 23 novembre – Les mauvais coups de Guangong

Guangong (un avatar de Mars), le dieu extrême-oriental de la guerre, est de retour, avec sa face écarlate et ses yeux exorbités.

Dans les années 1990, il nous avait amené les guerres des Balkans au sein de l’ex-Yougoslavie (dont la Bosnie), aux franges de l’Arménie et de l’Asie centrale ex-soviétique : nous n’avions pas tiqué. Il a fait souffler le vent du terrorisme jihadiste sur l’Europe, dans la décennie suivante. Cela nous a alors a poussé à intervenir militairement – même si ce fut sans succès – en Afghanistan, en Iraq, puis au Sahel : nous étions fort courroucés. Il s’est fait manipulateur de la démocratie et il a brouillé notre jugement en exploitant les réseaux sociaux à l’occasion des grands scrutins déterminant le cours de nos démocraties. Il s’est démultiplié à propos du Brexit et de l’alternance populiste portant au pouvoir Donald Trump aux Etats-Unis : on s’est dit : que ce mauvais vent s’arrête !

Il a ensuite pris le visage fuyant et hypocrite de la guerre dite hybride, lors de la renaissance de la guerre froide autour des émancipations ukrainienne et biélorusse : dans notre quotidien, la vie sur internet et la sécurité de nos infrastructure se sont teintés de risques. Ils sont désormais perçus comme inhérents au ‘’système’’ : nous sommes devenus pessimistes et méfiants. Mais nous sommes cru encore en paix. Les dernières illusions sont tombées au spectacle de la seconde guerre d’annexion de l’Ukraine : la ‘’question russe’’ réintroduisait le guerre froide sur fond de course au nucléaire latente. Aujourd’hui, Moscou nous coupe le gaz, nous menace d’un holocauste nucléaire, nous crie au visage que nous sommes les ennemis détestés que l’on veut abattre : nous voilà comme deux ronds de flan …

Au diable le déni de l’agression ! Nous revoilà tout proches de la guerre de Grand Papa. Le 15 novembre, un anti-missile est tombé sur la Pologne et l’article IV (consultations de crise) de la Charte de l’Alliance atlantique a été invoqué. Le ‘’Mein Kampf’’ d’Adolphe renaît sous la forme de ‘’l’opération spéciale’’ (très spéciale, en effet) du sieur Vladimir. L’Histoire est repartie dans les années 1940 : elle boucle la boucle et ne se stabilisera plus, contrairement aux hypothèses benoîtes du faux prophète américain Francis Fukuyama (‘’la Fin de l’Histoire et le dernier homme’’). Il faut se réarmer, moralement et militairement pour la ‘’haute intensité’’. Qui l’aurait cru lorsque le mur de Berlin est tombé, il y a 33ans ?  Pas moi (ni l’Ours), soyons honnêtes.

Aux frontières de l’Union européenne, les gens meurent sous les bombes et les missiles, victimes d’une tentative folle d’annihiler ce qu’on ne peut pas leur arracher par la force. Les champs de bataille sont aussi des champs de torture. Les enfants sont enlevés par centaines de milliers pour être russifiés. Des ‘’camps de filtrage’’ sont dressés dans les profondeurs du territoire russe. Les centrales nucléaires sont bombardées. De l’autre bord, Moscou envoie au casse-pipe ses soldats ethniquement non-russes : Tchétchènes, Ingouche, Bouriates, etc., profitant de l’occasion pour ménager son vivier primordial de Russes ethniques (24 soldats morts seulement à Moscou, sur peut-être 100.000 tombés au combat). Cette offensive russe est bien d’essence coloniale, portant la marque d’un empire continental jacobin et cleptomane, devenu toxique et tueur. Le groupe privé Wagner et ses guerriers sans âme s’émancipent politiquement et deviennent un Etat dans l’Etat, jugeant avec mépris l’armée étatique. Poutine n’est pas à l’abri.

De la paix froide, on passe à une sorte de guerre totale, néanmoins pondérée par la dissuasion nucléaire et aussi, un peu, par le comportement resté humain des Ukrainiens. Ils incarnent la résistance à la barbarie pure, l’arrière populaire soutenant l’avant combattant : on les admire et on doit les soutenir, ne serait-ce qu’en tant qu’alliés également placés sous la menace poutinienne. Les peuples qui veulent se libérer finissent par l’emporter. Mais au prix de quels méandres arriverons-nous, un jour, à négocier une paix qui soit juste, légale et durable, une vraie paix ?

Clausewitz estimait que la guerre est un caméléon. Ses voies, buts et moyens varient au gré des circonstances. C’est un tourbillon incontrôlable qui ne maintient que l’apparence d’une certaine cohérence, grâce à la propagande. Il emporte les décideurs vers des stratégies qu’ils n’avaient pas initialement décidées ni même voulues. Les défis à la raison, même celle qui sert les pires causes, conduisent à une forme de chaos universel. Telle est bien la dimension globale des conséquences de cette guerre : elle entrave la vie au Nord et compromet le développement au Sud. L’humanité envers soi-même comme envers les siens se perd en route. On le sent, mais on ne veut pas se l’avouer, car la marche arrière est impossible… et la marche avant, elle, est suicidaire. C’est là que se trouve aujourd’hui l’inflexible Vladimir Poutine, assurément plus très loin de sa faillite finale.

Un autre problème est que pour les Azerbaïdjanais, Turcs, Rwandais, Erythréens… – et même jusqu’à l’immense Chine – le ton est donné d’un retour de l’annexionnisme guerrier ,sur toile de fond de célébration de l’enterrement du droit. L’Europe devra réécrire sa propre vision stratégique du monde en termes bien plus tranchants et sur le long terme. Le G 20 s’exprime, grâce à elle, contre la guerre en Ukraine. Taïwan ne sera pas annexée dès demain. Mais le nouveau ‘’désordre mondial’’ appelle contre lui un retour général aux valeurs – actualisées – qui avaient fondé la Charte de San Francisco de l’ONU. Une entreprise titanesque, s’il en est !

* 22 novembre – La COP, à l’ombre des derricks

Bôôf ! La COP 27 s’achève sur un bilan mi-figue, mi-raisin… plus ou moins inutile, plus ou moins sauvée, dit-on. Personne n’en attendait un énorme sursaut. Cet outil de la méthode Coué collective, destiné à émuler les gouvernements, n’est pas, il est vrai, le moteur primordial de la politique de prévention d’un dérèglement toujours plus grave du climat. Les peuples pèsent plus lourd que leurs dirigeants sur la prévention comme sur l’adaptation… mais en ordre totalement dispersé. Les lobbies industriels les plus puissants étaient, eux aussi, à Charm El Cheikh pour verdir leur image et s’assurer que la révolution climatique n’irait pas trop loin. La COP fait le point à la croisée de forces hétérogènes qui sont aux prises entre elles. Elle offre surtout un semblant de coordination mondiale, ingrédient indispensable mais qui reste faible et à la merci du rapport de force géopolitique.

Bref, un accord  »mou » a été trouvé in extremis, le 19 novembre, sur la question des dégâts climatiques subis par les pays pauvres les plus vulnérables au climat. Un fonds spécifique sera dédié à la mobilisation des fonds (en clair : des prêts et non des dons) pour compenser leurs pertes et dommages. Il établira des protocoles de fonctionnement puis répartira entre eux des moyens financiers. Ces derniers sont encore très peu abondés en promesses (350 Mns pour un besoin chiffrable en milliards). Un ‘’comité de transition’’ mixte Nord / Sud doit encore en préciser la marche générale. On n’est donc pas encore parvenu à destination. Bien qu’un peu improvisé, c’était le principal point à émerger sous la lumière des médias, celui aussi qui a bloqué les laborieuses négociations de la conférence durant deux semaines. La présidence égyptienne, peu visionnaire et faiblement militante, a tardivement rempli son rôle de bons offices mais a minima. La conversion de l’UE au financement de cette demande de trente ans des pays du Sud a entrainé le ralliement des Etats Unis. La présidence a trainé des pieds pour épargner à la Chine et à l’Arabie saoudite, rétives d’avoir à contribuer, à concéder quelques ressources.

Pour le reste, on chercherait en vain des progrès visibles par rapport à la COP de Paris et à celle, dernière en date, de Glasgow. L’objectif de 1,5 % de réchauffement maximum d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère pré-industrielle – une pure chimère, cette ligne rouge étant déjà presqu’atteinte – reste paradoxalement inchangé. Point donc d’objectif renforcé en matière de diminution des émissions. La vérité factuelle est que si les politiques annoncées devaient pleinement être mises en œuvre (ce dont on pourrait douter), l’horizon 2100 se stabiliserait entre + 2,5 et + 3 °.

Côté énergie, des ‘’efforts’’ sont demandés mais pas vraiment des résultats supplémentaires. La sortie du pétrole et du gaz n’est pas mentionnée. Seule, la fin des subventions inefficaces aux carburants fossiles devrait être recherchée.  Celle, progressive, du charbon n’est accompagnée d’aucune échéance de calendrier précise, même si le recours accéléré aux énergies renouvelables est  »recommandé » en relais. Au total, c’est une douche pour les doux rêveurs aspirant à une transition énergétique d’ampleur révolutionnaire. Pour l’UE, Frans Timmermans a conclu :  »l’avenir ne nous remerciera pas ».

Et voici une autre douche, peut-être, sur l’horizon calendaire : la prochaine COP28 se tiendra ‘’à l’ombre des derricks’’, aux Emirats arabes unis (à Dubaï), fin 2023. C’est dire combien la transition climatique s’émancipe des rentes polluantes du vieux monde…

* 26 juillet – La mémoire et la putain

L’Histoire serait-elle la ‘’Putain des populistes’’ : torturée, soumise, convoquée qu’elle est sur un claquement de doigt ? Sa caporalisation s’effectue par le biais de ce que les médias officiels appellent ‘’le devoir de mémoire’’. Celui-ci inhibe souvent l’analyse rationnelle et régurgite du ‘’vécu, perçu’’, fait de logiques simplistes, exprimées à fleur de peau. Il permet l’omission des responsabilités. En fait, cette faille de discernement ne tient pas qu’aux manipulations politiciennes. C’est surtout le fruit d’une posture immature face au récit historique : faute de s’y atteler avec la méthode et le recul nécessaires, les enseignements du passé et leurs évolutions sont caricaturés ou se perdent. A l’heure du basculement entre Paix et Guerre, notre connaissance du passé pèsera pourtant sur notre vigilance quant aux pièges à éviter.

-C’est en mémoire du souvenir ‘’sacré’’ d’une bataille livrée contre les Ottomans, en 1388, que Milosevic avait préparé en sous-main son plan  »fer à cheval » d’attaque des Musulmans bosniaques par ses partisans de Banja Luka (Republika Srpska). La Syrie a imposé son emprise au Liban en vertu de réminiscences des Omeyyades ou de la Grande Syrie. Pékin accapare la Mer de Chine en invoquant une présence ancienne de ses navigateurs (presque une réédition de l’argumentation coloniale). De son côté, la Turquie revit les exploits conquérants de ses sultans, aux dépens de la Syrie et de l’Iraq. Reconnaissons aussi que la ‘’France-Afrique’’ relève en partie d’une mythologie coloniale dévaluée par l’analyse historique moderne. Quant au récit de la Guerre d’Algérie, il reste, selon les interlocuteurs, à confluence de la légende civilisatrice et d’une introspection honnête sur drame.

– L’exemple des relations très complexes et anciennes entre la Russie et l’Ukraine illustre, de même, les dangers de ce hiatus mental. Le territoire ukrainien est un couloir d’invasion. Il a été annexé ou dominé par ses nombreuses puissances voisines : Pologne, Lituanie, Suède, France napoléonienne, Allemagne nazie et bien sûr la Russie. La confrontation russo-ukrainienne remonte au Moyen Age : le ‘’Russ de Kiev’’, regroupant les deux populations, s’est effacé devant l’empire tsariste. Qui a précédé qui ? Qui est issu de Qui ? La Russie ne bénéficie pas forcément de l’antériorité ni de la vérité historique.

Pendant la Révolution d’Octobre puis la guerre civile, l’Ukraine a proclamé son indépendance mais s’est divisée dans une confrontation civile entre les camps soviétique et nationaliste. Au point de s’être divisée entre deux capitales : Lviv, l’occidentale et Kiev la pro-russe. Du côté de la contre-révolution, elle a aussi subi le joug des Russes blancs et celui de la Pologne, détentrice d’une moitié de la Silésie. Le pays a vu défiler les dictatures (Stepan Andriïovytch Bandera) et a frayé avec le nazisme, lorsqu’occupé par la Wehrmacht. Staline a exploité son niveau d’autonomie politique (et celui de la Biélorussie) pour obtenir deux sièges supplémentaires au Conseil de sécurité des Nations Unies. Khrouchtchev, qui en était natif, lui a définitivement réattribué la Crimée et la base navale de Sébastopol.

C’est la simple conclusion, en 2013, d’un accord de partenariat – sans grande portée – avec l’U.E qui a allumé les flammes de la colère poutinienne. L’obsession de s’y opposer par la force a déclenché, dans la population, la révolution orange. Il était hors de question, à l’époque, que l’Occident se prête à quelque coopération militaire que ce soit avec Kiev. Or, depuis l’invasion …

-Dans so  »devoir de mémoire », la classe politique russe n’a rien vu ni rien compris au cours de l’Histoire et n’en a tiré que des leçons fausses. Prisonnière depuis des siècles de son exaltation impériale – en fait, le fruit d’une vision orgueilleuse d’elle-même -, la Russie ne supporte pas l’idée que son ‘’étranger proche’’ puisse s’émanciper d’elle et exercer une pleine souveraineté. On en arrive à l’aberration suprême qui voudrait que l’Ukraine ‘’n’existe pas’’ (juste une portion de la Russie). De même, la manifestation de son identité propre est censée résulter d’une ‘’nazification’’. De qui, par qui ? On voit jusqu’à quelles extrémités mènent ce bréviaire mémoriel d’Etat : une guerre d’agression, le risque pris d’un conflit nucléaire. Le plus pernicieux, dans cette manipulation grossière de l’Histoire est que ses promoteurs finissent par se convaincre des sornettes de leur propagande.

L’imaginaire collectif peut être profondément destructeur. Même en démocratie. L’Histoire d’un pays devrait suivre un processus itératif, débattu de façon scientifique, pluraliste et contradictoire. Même dans notre Europe, ce n’est pas toujours le cas. Seule, la distance critique limite les risques d(une guerre par pure ignorance chauvine et permet d’évoluer vers une meilleure compréhension de  »l’Autre », cet ex-ennemi. Le nationalisme, on le sait, c’est la guerre … la mémoire instrumentalisée, son carburant.

Erratum de continuum

Du fait de son caractère prédictif, la brève  »mon âme pour un baril » a connu, hier dimanche, une diffusion anticipée. Le blog de l’Ours Géo vous invite par conséquent à en prendre connaissance ou à le relire, ce jour. Le prochain billet d’humeur tombera demain, mardi. En attendant, mettez vous au frais !

* 30 juin – le Green Deal européen dans le dur du vert

Les Etats membres de l’UE ont arrêté leur position sur une série de textes devant permettre à l’Union de réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (par rapport à 1990). C’est un prérequis pour respecter l’accord de Paris sur le climat.

Après des semaines de négociations sur la base du paquet législatif qu’avait présenté la Commission, le 14 juillet 2021, les Vingt-Sept du Conseil européen sont finalement parvenus à un accord, le 29 juin. Ils s’accordent pour faire passer de 22 %, aujourd’hui, à 40 %, en 2030, la part des énergies renouvelables dans leur bouquet énergétique. Les modalités à arrêter seront politiquement sensibles et la négociation a été ardue. Ainsi, en matière de transition rapide vers des énergies renouvelables, les textes à l’examen ont soulevé des demandes reconventionnelles. Des concessions ont du être accordées aux pays du sud et de l’est de l’Europe, qui sont les plus inquiets :  

– Le marché du carbone (‘’Emissions Trading System’’), sur lequel les industries les plus émettrices s’échangent des droits à polluer, sera étendu aux secteurs du logement et du transport des particuliers. A titre dérogatoire, Chypre bénéficiera d’assouplissements pour les bateaux desservant les îles de moins de 200 000 habitants et la Finlande, pour ses brise-glaces. De plus, l’Italie a obtenu que les vols à destination et en provenance des petits aéroports se voient accorder une période de grâce.

– Très contestée au départ, l’extinction, en 2035, du moteur thermique dans l’industrie automobile a été adoptée. Mais c’est avec un ajustement technique autorisant, au-delà de 2035, l’immatriculation de véhicules neufs fonctionnant avec des carburants de synthèse, neutres en CO2. (Il s’agit d’une technologie développée à partir du gaz carbonique issu des activités industrielles). Berlin a aussi arraché une clause de revoyure en 2026, concernant les véhicules hybrides rechargeables.

– L’instauration de la taxe carbone aux frontières de l’UE – source probable de futurs contentieux avec les partenaires extérieurs – s’accompagnera d’un démantèlement progressif des exemptions accordées à l’industrie européenne. La chimie, la production d’électricité, le secteur papetier, la sidérurgie, la production de ciment, d’acier – qui couvrent 40 % des émissions de gaz à effet de serre – devront rentrer dans les clous du Green Deal. Les transports maritime et aérien sont également appelés à s’y conformer. Ca promet de barder avec les grands transporteurs américains et asiatiques ! Pour les importations provenant de terres étrangères déboisées, aucune taxe ne sera prélevée : ces produits  seront purement et simplement interdits au sein de l’UE. Bolsonaro, l’infâme, appréciera …

– Entre 2026 et 2035, sera actée la disparition progressive des quotas gratuits de CO2 que les industriels européens reçoivent chaque année. Elle accompagnera la mise en place de la taxe ­carbone aux frontières de l’UE, laquelle suffira en principe à compenser leur ‘’vertu écologique’’  par rapport à des exportateurs-tiers non-contraints par un marché du carbone domestique.

– Parmi les sujets âprement négociés, la création d’un second marché du carbone pour les bâtiments et le transport – ces secteurs représentant 40 % des émissions des entreprises et des particuliers – a fortement divisé les Etats-membres. L’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas ont accompli un forcing pour obtenir cette création. La plupart des pays de l’est et du sud ont dénoncé une entrave à leur compétitivité économique et au pouvoir d’achat des ménages, rongé par l’inflation.

C’est à propos de ce point qu’on a copieusement invoqué le précédent des gilets jaunes français, manifestement une hantise traumatique à l’échelle continentale. La mise en place de ce nouvel impôt carbone sur les particuliers devrait être compensée par des aides financières aux ménages défavorisés. La question est largement perçue comme une nécessité d’ordre public. Derrière la Pologne, les ‘’seconds de corde’’ européens ont exigé que soit mieux doté le Fonds Social pour le Climat  : 59 milliards d’euros y seront donc affectés : un beau magot ! Des négociations, à l’automne entre les deux colégislateurs (Parlement et Conseil) dégageront ou non un compromis pour la mise en œuvre du  »paquet ».

En attendant, voici trois conclusions de mon cru (accrochez vous) :

* A-t-on encore besoin de gouvernements et de parlements nationaux en Europe ? La question se pose, quand, en matière climatique, de santé, de défense, de pouvoir d’achat, etc. le Parlement européen suffit à la tâche, avec plus d’ambition et de réactivité que les exécutifs / législatifs des Etats membres.

* Par ailleurs, c’est la Commission et au Service d’Action extérieur que reviendront la tâche de défendre l’UE, lorsque le reste du monde prendra l’Europe au collet, du fait de ces taxes et restrictions ‘’vertes’’ aux échanges. Plus besoin de diplomatie nationale du commerce extérieur !

* Le blog de l’Ours fait faire des économies à notre vieux continent fatigué. Quant à ma mairie, j’en aurai toujours besoin : ne me retirez pas mon clocher !

* 20 avril – Diplomatie du silence des cimetières

Il y aurait, face au scrutin présidentiel français, 10 millions de malheureux qui ne se reconnaissent pas dans l’un ou l’autre des camps en présence. D’ailleurs, l’Ours à lunettes qui s’agite à l’intérieur de ce blog me paraît un peu morose sur le plan partisan. Il suit habituellement deux principes contradictoires :

(1) considérer la politique intérieure et l’action extérieure d’un pays comme formant un tout indissociable. (2) et ne pas trop s’aventurer dans les arcanes du militantisme partisan et toutes ces choses qui fâchent. Comme toute règle française s’impose essentiellement par l’existence d’exceptions, alors il transgresse.

Le Monde a titré : ‘’Marine Le Pen projette une diplomatie à l’opposé de celle d’Emmanuel Macron’’. Le Blog de l’Ours n’est pas sûr que les penchants de politique étrangère de cette dame et de ce monsieur traduisent fidèlement ceux – assez émotionnels – des électeurs français. Que ceux-ci trouvent le monde trop global, trop fracturé ou dangereusement complexe, on ne les a pas habitués, pour autant, à exprimer leurs convictions sous forme de programme, dans un domaine aussi ‘’régalien’’. D’ailleurs, à l’heure d’introduire leur bulletin dans l’urne, qui penserait à faire son régal du régalien (sinon l’Ours) ?

La candidate à la présidentielle prône la diplomatie du silence et de l’action confidentielle, proche de la définition, très régalienne, du putsch. C’est précisément le style de gouvernance autoritaire auquel les historiens imputent la première guerre mondiale. Mauvais présage, donc. Elle a présenté un programme de politique internationale que l’on pourrait décrire comme un brouillard autarcique, en rupture avec les principaux préceptes qui, depuis le Moyen-Age ont tenté d’apporte un peu d’ordre et quelques espoirs de paix et de démocratie. Une vraie Marine de guerre. Si on devait la voir barrer à la passerelle, cette ‘’diplomatie du silence’’ tonnerait comme un canon, à travers la planète.

Premier coup de gros calibre : l’amitié et même l’alliance qu’elle avait nouées avec Vladimir Poutine seraient confirmée ‘’dès un traité de paix signé entre la Russie et l’Ukraine ». Cette  »opération (de destruction) spéciale » sur le voisin et sa population ne serait donc qu’une innocente chamaillerie, une simple parenthèse vite refermée par une réconciliation scellée dans les bonnes formes diplomatiques. Croit-elle vraiment à l’imminence d’une si belle ‘’happy end’’ sur les rives du Dniepr ? A-t-elle juste oublié que la Russie de Poutine règle ses comptes non seulement avec l’Ukraine (pays qui, selon l’ami Vlad, n’existerait pas mais aussi avec 500 millions d’Européens ‘’ennemis’’ qu’il veut soumettre à son obsession impériale ? Nul doute que la dame adopterait bien vite la conception de la neutralité super-conciliante envers l’Est, que la Finlande récuse et que l’Ukraine voudrait encadrer de vraies et solides garanties. La France de Marine adopterait, seule, la posture de la ‘’bonne Ukraine de Ouest’’, telle qu’on la dicte au Kremlin. Au conseil de sécurité de l’ONU, elle s’alignerait amicalement sur Moscou, pour traiter de la guerre ou de la paix.

Il en serait ainsi, pour un autre motif : qu’elle serait sortie de sa propre initiative, du volet militaire de l’Alliance atlantique. Partant, elle aurait donc renoncé à la défense de l’Europe, telle que le Continent la conçoit, et à la sienne propre, devenue impossible. Aucune vision autonome de ce côté-là, l’alliance avec la Russie reprenant la main sur sa diplomatie, dès que le fût des canons aurait tant soi peu refroidi. D’ailleurs, bonne fille, la France s’attellerait à une troisième alliance, entre la Russie et l’OTAN, cette fois. Il n’y aurait plus qu’à renvoyer les Américains chez eux, comme l’ont fait les braves barbus afghans. Une fois l’Europe ‘’réarrimée à la Russie’’, une ère de paix s’ouvrirait, au soleil de laquelle l’Union Européenne – pas question de la quitter, rassure-t-elle – se disloquerait rapidement autour d’une France exécrée, coupable toutes les méfiances et désordres qu’on imagine.

Cette mutation de la France-puissance en une ‘’hyper-Hongrie’’(sensiblement plus  »illibérale » et xénophobe que celle de Budapest), ne briserait pas, selon la rhétorique RN, le duo franco-allemand. Simplement, il faudrait cesser tout ‘’aveuglement à l’égard de Berlin’’ (et de son chancelier rouge). On arrêterait aussitôt tout échange politico-militaire et toute coopération de défense avec les Rhénans maudits. Ajoutez à cela des expulsions à tour de bras de membres de familles étrangères séparées ou de couples mixtes, la fin des naturalisations et de la nationalité par droit du sol, enfin, la remise en cause du droit communautaire et du droit humanitaire, etc., Plutôt qu’un rayonnement de la France dans le monde, s’imposera sa forte imprégnation idéologique par la préférence nationale, rabougrie, allant de pair avec un mépris assumé des institutions (dont la Constitution et le Parlement) et, pour tout dire, un hubris de diplomatie provocatrice. Cela ne pourrait qu’isoler la France et l’abaisser à l’international. Tous les ingrédients de la politique intérieure de la dame sont là et transpirent de son plan d’action extérieure. Point de barrière entre l’ordre intérieur et l’action extérieure, répétons le !

Pour qui aime la fermer et aller mourir à la guerre (sans broncher), le bulletin doit aller à la ‘’diplomatie silencieuse (et l’action confidentielle)’’.

* 14 avril – Diplomatie du charter

Il y aurait une campagne, en France, et – tiens donc ! – on y parlerait, pour une fois, de politique étrangère. Pour commencer, de  »l’Etranger », en oubliant un peu que tout un chacun est l’étranger de presque tous les autres. Mais,  »l’Etranger » constitue le socle solide des vieilles allergies gauloises. S’il n’est pas blond aux yeux bleus et bien doté de fortune, on en profitera pour se défouler largement sur les loosers misérables, qui ont été assez stupides pour se laisser chasser de chez eux par la faim, la guerre ou la dictature. Notons l’accord significatif des deux candidats en lice pour le top office pour embarquer les déboutés de l’asile ou du marché du travail à bord de bétaillères volantes :livraison en vrac aux autorités de là-bas, au Sud.

J’ai eu l’expérience de gérer les droits de survol et d’escale des charters affrétés, sous Jean-Louis Debré, par le ministère de l’Intérieur. Les vols partaient vers des pays pour la plupart sub-sahariens. La place Beauvau dressait, certes les listes de malheureux, et enfournait en carlingue ces perdants du jeu de l’oie, avec deux policiers d’escorte chacun pour  »retour à la case (départ) ». Le coût de ces voyages était astronomique. Mais, ces Messieurs les préfets ne négociaient point avec les gouvernements concernés. C’était au petit rigolo de service du Quai d’Orsay de téléphoner aux excellences de ces pays pour solliciter le droit de poser les avions-paniers à salade français dans leurs aéroports exotiques.  »De quelle nature est la cargaison de l’aéronef ? » . Réponse :  »Ben, heu, c’est du coke en stock, comme dirait Tintin… ce serait à vous, on vous le rend avec toutes nos excuses ».

Vous devinez bien la suite. Contrairement aux vols commerciaux civils régulés par des conventions d’application permanente et générale, les charters d’Etat doivent se soumettre, au cas par cas, au régime d’autorisation par l’Etat de destination. Souverain, celui-ci me répondait le plus souvent :  »Pour l’avion c’est oui, mais pour sa cargaison (humaine), demandez à votre ministre de l’Intérieur qu’il appelle notre président ». Le charter se posait, était aussitôt entouré d’un cordon armé. Le contrôle aérien local lui commandait de repartir une fois le plein fait, sans laisser descendre ses passagers. Les policiers français balançaient alors leur cargaison vivante, avec ou sans passerelle, mais pas sans brutalité. Ensuite, je savais que la France-Afrique se déclencherait tardivement et j’imaginais que le viol de souveraineté et les mauvais traitement trouvaient réparation sous une forme de passe-droit ou une autre. La mode actuelle est au codéveloppement : la moindre aide publique à ces pays doit être proposée selon les exigences de la police française, autorité suprême de notre politique extérieure.

Quand l’affaire était menée sur les lignes commerciales d’Air France, des révoltes de passagers outrés par le spectacle et des refus d’embarquement de la part des équipages mettaient le vol en suspens. S’il avait quand même lieu, l’ensemble des passagers pouvaient se trouver empêché de sortir de l’appareil, une fois à destination. Finalement, on les bloquait au Nord, ils nous empêchaient de quitter la carlingue, au Sud, la réciprocité était assurée, qui reste le principe de base des relations extérieures.

A quelques nuances, près qui moderniseraient les détails du récit, ce sont ces scènes qu’il va falloir revivre. Quelqu’un au Nord s’est-il jamais mis dans la tête des opinions publiques africaines ? Ce comportement méprisant a de quoi faire détester la France, même s’il ne dissuadera jamais d’en faire sa destination, au prix d’une incroyable galère et d’y tenter une vie nouvelle. Il est malsain de laisser diffuser l’image d’une France, terre de miel et de lait, néanmoins habitée par des racistes et des policiers violents. Marianne n’est plus du tout populaire au Sahel. L’accueil des Ukrainiens dans l’Hexagone n’est contesté par personne, mais c’est le contraste de traitement réservé aux uns et aux autres qui interpelle. Il n’est pas conforme à la constitution française, ni à la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui toutes deux requièrent l’égalité en droit et en dignité entre les nationaux, les résidents et les fugitifs. De nombreuses personnalités africaines l’ont rappelé récemment, que l’on n’a pas voulu écouter.

Etonnez-vous que les voix de 41 Etats, parfaitement respectables, du monde émergent aient manqué à l’Assemblée générale des Nations Unies pour condamner l’agression et les atrocités en Ukraine !

* 11 avril – Quel état du monde, demain ?

Comment décrire la possible débandade du monde de  »l’après-mondialisation » ? On ne pourra pas faire revivre les excellentes chroniques d’André Fontaine, reflets d’une autre époque. Essayons de taire nos sensibilités en prenant quelque distance d’avec la dramaturgie russe actuelle.

Dans quel état archaïque, néanmoins inédit et dangereux, le monde est-il désormais embarqué à notre cor défendant ? Est-ce une époque qui n’a pas encore de nom (Thanatocène) ? La question russe a toujours été source de tracas pour l’Occident. Le retour de Moscou à une posture agressive et même guerrière crée une lourde hypothèque sur l’avenir du régime Poutine comme sur celui du Nord de la planète. ‘’Cet homme ne peut pas rester au pouvoir !’’, la supposée gaffe de Joe Biden est en fait pétrie de bon sens. Plus qu’à la médiocre performance de la seconde armée du monde, l’incertitude tient surtout à l’apathie du peuple russe. Il se réveillera, mais pas nécessairement sous la bannière de la démocratie pacifique. La surenchère nationaliste pourrait tout aussi bien saisir la scène moscovite et conduire au rejet de l’Autocrate-Espion, dès  lors qu’il se révèlera perdant. L’instinct de vengeance de la base populaire et militaire pourrait lui survivre pour des décennies. A échéance perceptible, la cassure être les deux hémisphères du monde industrialisé s’en trouvera béante.

– L’offensive russe contre l’Ukraine réveille l’Occident de la torpeur qui l’engourdissait depuis vingt ans. Les vieilles démocraties réalisent être les cibles haïes du régime de Poutine, ce qu’elles avaient refusé de voir depuis la fin de la guerre froide. Elles perçoivent soudain un risque d’écroulement de tous les progrès du système international qu’avait engrangés les institutions multilatérales au cours de la seconde moitié du XXeme siècle : sortie du condominium bipolaire de la guerre froide; avancées du droit et de la justice internationaux; consolidation de l’Union européenne depuis la chute du Mur et le Traité de Lisbonne; expansion (modérée) du modèle démocratique et de l’Etat de droit; recul de la faim et de la maladie dans le monde émergent; mondialisation présumée porteuse de paix et de stabilité par la vertu des interdépendances liant les sociétés entre elles; révolution numérique censée éloigner les populations de l’ignorance et des théâtres de conflit.

La parenthèse de l’après-guerre froide s’était refermée le 11 septembre 2001. Vingt et un ans plus tard, les réminiscences de la seconde guerre mondiale ont fait fortement ébranlé les démocraties, mais elles seules. L’héroïsme des défenseurs de l’Ukraine et le charisme de V. Zelensky à plaider leur cause auprès des Occidentaux ont galvanisé les démocraties comme jamais par le passé. S’y est ajoutée la sidération face à la sauvagerie comportementale de la soldatesque russe, cause d’une tragédie humanitaire sans précédent. L’unité politique occidentale (européenne, transatlantique et bipartisane aux Etats-Unis) résistera-t-elle à l’épreuve du temps ?

– L’issue de la confrontation dépendra pour une grande part de l’attitude ambivalente  de la Chine, entre alliance idéologique avec Poutine et contre l’Occident et partenariat de raison avec l’Ouest, dans la sphère économique. Autre facteur à observer de près, la soudaine et impressionnante unité d’action de l’Union européenne (rejointe par le Royaume Uni) passera-t-elle le cap de la mobilisation sans retomber dans les anciennes ornières des chipoteries sur les accès nationaux aux énergies, le coût d’une défense collective, l’OTAN, la dette, les transitions, etc ? Ces choix pèseront sur l’issue du ’’conflit d’un autre âge’’ (le 19 ème siècle) déclenché autour de l’Ukraine. Dans la durée, on peut avoir quelques craintes. Cette guerre va durer, les Occidentaux y seront de plus en plus impliqués. La mondialisation cèdera-t-elle alors la place à un cloisonnement en blocs, hostiles sur fond de nouveau système mondial dégradé, qui ne sera en fait  »mondial » que par ses tensions et ses inégalités.

Le retour de la menace russe sur le continent n’a pourtant pas (encore) dissipé l’attrait de la dictature populiste ni les fantasmes xénophobes et autarciques. Le premier tour des présidentielles françaises paraît, à ce point de vue, immune de toute réflexion sur le populisme et ses vertiges guerriers. Marquée par toutes les tares du siècle passé, la guerre livrée aux démocraties aura forcément, sur le long terme, des retombées géostratégiques imprévues. Le recours à l’atome, tant craint mais plus probable, serait de nature à dessiner une future carte du monde entièrement centrée sur le Sud de la planète et sur des régimes politiques ‘’tribaux’’ très musclés. Certains en viendraient à s’affronter autour des dépouilles pantelantes du Nord.

La généralisation des sanctions, de plus en plus dures, le plus vaste et rigoureux programme jamais mis en œuvre entre Etats rétrécit l’espace de collaboration indispensable à un retour de la Paix. Cela a commencé par une confiscation étendue des actifs financiers de l’Etat agresseur, se poursuit par une assistance militaire et logistique croissante fournie – hors OTAN – aux combattants ukrainiens, jusqu’à la saisie des juridictions internationales compétentes en matière de crimes de guerre.  Sous la pression de l’opinion publique, les grandes entreprises, se sont résignées à suivre plus ou moins volontairement le mouvement, en se séparant de leurs actifs en Russie.

Certains spécialistes des relations internationales parlent de ‘’géopolitisation de la mondialisation’’, ce qui n’est pas très précis. Au minimum, les Nations Unies, l’OMS et les traités de libre-échange, la justice internationale, les doits humains et le régime de non-prolifération seraient éjectés du tableau. Le coût de la guerre ainsi que l’impact des sanctions sur l’économie mondiale va accentuer l’inflation, la crise énergétique et alimentaire, et fragmenter les marchés. En termes de guerre ou de paix, le recentrage du système international autour des nouvelles puissances émergentes (Chine, Inde, Brésil, Turquie, Arabie saoudite, Israël, Iran…) et le déclin corolaire des ‘’anciens Grands’’ livrera le monde à une suite de querelles entre régimes autoritaires.

Il faut la gagner vite, cette fichue guerre d’Ukraine… et surtout proprement !

* 24 mars – Le coût (coup ?) de la résistance

Kiev tient bon et, avec un soutien crescendo de l’Occident, l’Ukraine s’installe dans une résistance durable à l’Agresseur. Le conflit, lancé par Vladimir Poutine il y a juste un mois, va durer pour empêcher qu’on aboutisse à la paix injuste des cimetières. La guerre joyeuse n’existant pas, elle engendrera des coûts douloureux pour tous. C’est déjà la cas pour les Ukrainiens, dont les sacrifices immenses nous sautent littéralement aux yeux. Mais les  »coups des coûts » concerneront inévitablement les Européens des confins de la Mer Noire ou des Balkans et, enfin, les pays de l’Union européenne en situation d’être le pilier de la résistance. Que sont-ils prêts à concéder en confort, niveau de vie, effort de défense, tranquillité à la survie de leurs voisins, à la résistance de Kiev, pour la sauvegarde de leurs libertés démocratiques chèrement acquises et toujours fragiles ?

Hier, le président Zelensky s’est adressé à l’Assemblée nationale française, comme il le fait jour après jour au démocraties occidentales. Il semble admettre que, sauf à déclencher une déflagration mondiale, l’arme principale à retourner contre Poutine est l’assèchement total et rapide de l’économie de guerre russe par voie de blocus et d’isolement. La stratégie des Etats-soutiens de l’Ukraine reste pourtant hésitante et, pour le moins contradictoire matière de commerce. Zelensky demande que l’ensemble de l’approvisionnement européen en gaz et pétrole russe soit coupé, ce qui priverait l’Agresseur de près d’un milliard de dollars par jour. Il exige que les entreprises occidentales installées en Russie cessent d’être  »sponsors » de l’offensive de l’armée russe. Citant les grands groupes français investisseurs dans le pays de l’Ours, il met l’U.E – dont la France – face à la responsabilité de traduire pleinement les mots par des actes courageux.

Cette guerre à nos portes en dit long sur la  »conscience citoyenne » de nos entreprises. Il est clair que, sans l’énorme pression des médias et de la société civile, la CAC 40 et ses homologues européens n’auraient pas bougé d’un pouce. En défaut de conscience civique, seules les lois du marketing peuvent atteindre nos capitaines d’industrie. En caricaturant : si les consommateurs écœurés ne manifestaient pas une certaine prédisposition à boycotter leurs produits et à siffler leurs pubs, rien ne leur causerait du souci. Partisans du  »on ne fait pas de politique (seulement, de l’argent) » , ils s’ajustent sans y penser à celle des dictateurs.

Voyez tel grand cimentier au Moyen-Orient qui a  »salarié » des jihadistes criminels de guerre. Ou encore un grand pétrolier tricolore opérant en Birmanie, qui a bénéficié du servage et se perd aujourd’hui en concussion avec des narco-généraux assassins de leur peuple. Nous voyons le même protéger son juteux commerce gazier avec la Russie, en nous parlant du pétrole qu’il arrêterait d’acheter en 2023. Hors-sujet, de la pure infox ! Un troisième, royalement installé sur le marché du bricolage, nous prie de lui f..tre la paix, idiots que nous sommes, qui risquerions de précipiter sa nationalisation par Poutine (pour lui, le vrai sujet se limite à ça). Un quatrième, qui vend 600.000 véhicules locaux par an et moins de cent milles badgées de son logo, continuera à fabriquer et à vendre ces dernières. Dans les années 1940, il avait plus qu’un peu travaillé pour la Wehrmacht. et la liste est longue : 700 firmes françaises en Russie …

Pour ces champions français, la Paix n’est pas un but primordial, la démocratie génère plutôt un surcoût qu’une motivation. Le marketing règne en maître et la Bourse veille. On a le droit de se demander s’ils sont des amis de la Démocratie et de la Justice à travers le monde. Au-delà, la question est posée : ces grandes entreprises joueront elles jamais le jeu dans le combat qui nous attend contre le dérèglement du climat ? Dans sa candeur, Adam Smith imaginait que les lois du marché fonctionneraient bien, parce que les acteurs économiques seraient, par culture et par définition, attachés à la vertu. Pauvre Adam…

23 mars – Paix injuste

L’armistice du 22 juin 1940, signé en forêt de Compiègne entre le Troisième Reich allemand, représenté par le général Keitel, et le dernier Gouvernement de la Troisième République, représenté par le Général Huntziger, avait suspendu les hostilités ouvertes par la déclaration de guerre de la France envers l’Allemagne du 3 septembre 1939. Bien, bien… Il mettait surtout un terme prématuré à la bataille de France, déclenchée le 10 mai 1940 par une agression de l’Allemagne nazie, marquée par la fuite de l’armée anglaise et son rembarquement à Dunkerque puis par la chute de Paris, déclarée ville ouverte le 14 juin. Etait-ce une négociation diplomatique dans les règles ou, plus simplement, une capitulation devant la force, avec la dose de lâcheté que cela comporte ? Le président ukrainien, Vlodymyr Zelensky devrait-il en faire son modèle pour sortir des hostilités armées avec la Russie et  »adopter la voie d’une solution politique à la crise » ?

En tant qu’ex-diplomate enfin libre, je ne peux que partager une préférence pour le règlement politique des conflits, dont on espère parfois = naïvement =, qu’il ouvrira la voie à un traitement humanitaire des souffrances infligées. Mais, dans le cas qui nous préoccupe, je sais que les plénipotentiaires du Maître du Kremlin n’ont comme ceux du Maître de Berlin en 1940 qu’une seule obsession : casser le pays envahi et si possible sa population, au coût le plus bas possible pour l’Agresseur. Les protocoles mis à la signature des diplomates vont juste permettre de finir le travail que les chars n’auront pas encore terminé. La prise en compte du sort des civils et des prisonniers sera juste un tissus de mensonges bien vite foulé aux pieds. La leçon est hyper-simple : L’Agresseur veut imposer une paix injuste, une soumission au verdict des armes, une forme de suicide national et, cela, avec les formes sophistiquées (et trompeuses) de la diplomatie d’Etat à Etat. La forme (faussement civilisée) et le fond (sauvage).

En fait, aucune paix ne dure sans justice et sans humanité. C’est pour cette raison que les démocraties de taille humaine ne se font pas la guerre. Et pour que la Justice et la Démocratie survivent, pour que le monde reste vivable (on pense là aussi au climat), la résistance à l’Oppresseur est la seule voie qui tienne la route et qui prépare un  »monde d’après » digne du genre humain.

Le président Zelensky ajoute à ces fondamentaux un talent prononcé pour la communication. Il faut bien constater qu’il parvient à galvaniser son peuple par ses messages, simples et forts. Ses visio-conférences avec les nations qui, de par le monde, soutiennent sa cause sont une chambre d’écho formidable auprès des populations étrangères. On est dans la guerre ou juste à côté mais le moral tient bon, ce qui n’est pas le cas des soldats russes désorientés et mal nourris. La guerre psychologique est déjà gagnée et elle arme les dirigeants ukrainiens dans la partie de bras de fer diplomatique qu’ils ont acceptée d’engager avec les chefs du Kremlin. On ne peut pas dire que le maréchal Pétain, naïvement perçu en sauveur par les Français à l’heure de l’armistice, ait galvanisé quoi que ce soit ou vraiment qui que ce soit. Kiev c’est autre chose que Vichy !

C’est sans doute du fait de ce soutien énorme à sa cause que Zelensky a pu s’aventurer dans le jeu dangereux et subtil des concessions proposées à l’Ennemi, autour de la table des négociations. Bien sûr, ces éléments d’une solution politique ne seraient actés qu’en retour d’une trêve des armes et d’un retrait des forces russes (et syriennes). Mais reconnaître que l’heure n’est pas à une intégration de son pays dans l’OTAN ni même à une rapide insertion au sein de l’Union Européenne constitue une concession énorme aux buts de guerre russes. Proposer de négocier un statut  »à part » pour la Crimée et les deux oblasts séparatistes du Donbass frise même la glissade vers une capitulation partielle totalement, prescrite par la constitution du Pays et par ses engagements internationaux. Alors, va-t-on vers une partition entre zones occupée et non-occupée comme dans la France de 1940 ?

Il nous reviendrait de fournir à l’Ukraine des garanties bilatérales de sécurité et de défense suffisamment costaudes et étayées par des forces (européennes, hors OTAN), elles-mêmes stationnées sur son territoire et imbriquées dans son dispositif de défense. On ne doit rien concéder sur le plan territorial qui ne soit contrôlé étroitement par l’OSCE sur le terrain et validé par les Nations Unies. Il est également exclu de modifier quoi que ce soit, au niveau d’une conférence de la Paix, sans une ratification préalable, claire et majoritaire par le peuple ukrainien, dans le respect de sa démocratie. Si ces trois garanties sont réunies, la négociation politique ne se limitera pas à un trompe-l’œil pour parvenir à une paix injuste. Mais ce ne sera pas gagné d’avance non plus.