La Chine n’a rien à craindre de la visite d’E. Macron

Le président français effectue une visite d’Etat à Pékin au cours de laquelle il est rejoint par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne.

Contrairement à celle-ci qui, préalablement, a exprimé toute sa vigilance quant à une tentation chinoise de soutenir le potentiel de guerre de Moscou en Ukraine, il s’est fait très pondéré sur ce problème géopolitique majeur dont on peut subodorer qu’il ne sera pas le point le plus dense de l’ordre du jour. Peu réaliste, le paradigme serait d’attirer la diplomatie chinoise dans une sorte de médiation de paix plus ou moins neutre. Idéalement, de pousser Pékin à prendre langue avec Kiev pour entendre l’autre version du conflit. Un espoir sans doute assez vain.

D’abord, parce que, aux yeux des Chinois, la France n’est plus une puissance politiquement dominante au sein de l’UE, Union dont l’influence a progressivement décru dans le monde à la mesure de l’affirmation du  »Sud global », de l’expansion du modèle politique et économique chinois mais aussi de la  »reprise en main de l’Occident » par les Etats Unis. Ils connaissent trop bien la timidité politique des Européens à leur égard mais ne leur expriment aucune reconnaissance particulière de ne pas s’être alignés sur la posture conflictuelle qu’entretiennent Washington et Pékin. De plus, leurs exportations vers l’Europe ne représente que 15 % de leur commerce extérieur. La capacité de persuasion d’un dirigeant européen est à la mesure de cette taille modeste : Xi Jinping s’y montrera encore plus insensible que Poutine ne l’a été dans la poursuite de son plan guerrier.

Une visite d’Etat escortée par soixante hommes d’affaires représentant le fleuron du CAC 40 ou des PMI très performantes n’incite pas, de toute façon, à une confrontation de points de vue sur la Russie et l’Ukraine. Chacun connait l’inflexibilité des choix chinois comme la crainte des milieux d’affaires de voir leurs investissements et débouchés commerciaux ruinés par des sanctions, en raison de livraisons d’armes à la Russie. On avance donc sur des œufs. Pékin cherche toujours à enfoncer un coin entre Washington et ses alliés européens. L’élargissement de l’OTAN lui est une réminiscence de ce  »vieux monde » dominé par l’Occident et qu’elle veut remplacer par le sien. Elle reproche à la France de ne plus être celle du général de Gaulle,  »alliée mais non-alignée ».

Dans un monde qui n’est plus bipolaire mais éclaté ( »polycentré ») ce rappel du passé n’est plus justifié. Les Chinois ont surement bien noté les propos du président français invitant à ne pas humilier Moscou et ses appels à ouvrir des négociations (dès que Kiev en approuvera le principe, il est vrai). Sa préférence pour une  »politiques d’équilibres » à leurs yeux penche plutôt du bon côté, même elle reste assujettie au leadership américain dans l’OTAN (livraisons d’armements, notamment).

Concernant la question de Taiwan, dans laquelle couve un prochain potentiel guerre majeure et peut-être éminente, la partie française voulait éviter d’avoir à traiter la chose trop au fond. Posture un peu naïve compte tenu de l’instance chinoise à faire réitérer sans cesse l’adhésion de tous ses partenaires au principe de l’unicité de la Chine. Au-delà, Pékin tente de faire reconnaitre son droit à intervenir. Le contexte entre les deux rives du détroit est affecté par une visite en Californie de la présidente Tsai Ying-wen, rencontre à la clé avec Kevin MacCarthy, le président de la Chambre des représentants américaine. Comme par le passé, Pékin réagit par des manoeuvres militaires dans le détroit, ce qui rend l’échange avec le président français sur ce point encore plus périlleux. Décemment, pourrait-il ne rien dire en défense des 24 millions de Taiwanais, pour défendre leur démocratie et pour mettre en garde contre une invasion chinoise ?

Bref, ils n’ont pas grand chose à craindre d’un hôte aux principes tempérés et aux attentes économiques élevées. Restera, au retour en France, à orchestrer pro domo les  »avancées de la paix » issues de cette visite très fructueuse.

*15 décembre – Ukraine : le temps court et le temps long

Deux conférences se sont tenues à Paris, le 13 décembre concernant la situation de l’Ukraine.

La première, intitulée ’’Solidaires du peuple ukrainien’’,  a réuni les soutiens internationaux de l’Ukraine en présence du premier ministre, Denys Chmyhal, et de l’épouse du président Zelensky. Elle visait à répondre concrètement et à très court terme aux besoins urgents de Kiev dans l’objectif de franchir le cap difficile de l’hiver. Cette conférence sur l’aide internationale d’urgence s’est déroulée le matin au Quai d’Orsay pour tenter de rétablir des infrastructures essentielles (énergie, eau, alimentation, santé et transports). Après les conférences de Lugano, Varsovie et Berlin ces derniers mois, cette aide s’adapte à la nouvelle stratégie russe, qui cible depuis octobre les infrastructures ukrainiennes avec de très intenses bombardements. Les représentants de 48 pays et de 24 organisations internationales ont promis à l’Ukraine plus d’un milliard d’€uros, dont 415 millions seront affectés au secteur de l’énergie.

Sur le plus long terme, la seconde, la ‘’conférence franco-ukrainienne pour la résilience et la reconstruction », a rassemblé près de cinq cents entreprises françaises pour répondre aux besoins critiques de l’Ukraine, contribuer à la reconstruction du pays, et investir, à l’horizon du retour de la Paix, dans le potentiel de l’économie ukrainienne. Les perspectives d’investissement ne seront pas suivies d’effet à moyen terme. La reconstruction d’un pays dévasté n’est en effet concevable que dans le cadre d’accords de paix stables et durables. Lors de la seconde guerre mondiale, la perspective en avait été abordée dès la rencontre du 9 au 12 août 1941, au large de Terre Neuve, au plus fort de la bataille contre le 3ème Reich. Roosevelt et Churchill avaient écrit une ‘’Charte atlantique’’ en huit points préfigurant un retour de la Paix au sein de ‘’Nations Unies’’. Il n’est jamais trop tôt pour s’atteler au point le plus dur d’une guerre : le plan long et parsemé de pièges pour en sortir. Devrait-on, au passage, ignorer les stigmates auto-infligés et les craintes existentielles de la Russie ?

Seuls, les protagonistes occidentaux peuvent en accomplir l’effort et cerner progressivement les contours d’un nouvel ordre européen, lorsque la Russie parviendra elle-même à un constat d’impasse et d’affaiblissement rédhibitoire. Réfléchir, comme le fait Emmanuel Macron, à une architecture de sécurité continentale qui rendra sa (nécessaire) défaite plus supportable et garantira les (seuls) aspects légitimes de sa sécurité ne relève pas de la science-fiction ni de la sensiblerie mais d’un réalisme sage, qui voit loin.

La défaite russe provoquera un complet réaménagement du système despotique de pouvoir du Kremlin. Il faut miser sur la fin du  »poutinisme ». Qui sait, elle pourrait même rapprocher (un peu) le système politique russe de nos principes démocratiques. Ceci impliquerait un degré de contrition et une nouvelle volonté de coexistence pacifique de la part de Moscou. Mais, il y a des ‘’mais’’ incontournables pour ne pas faire germer le besoin de revanche et l’esprit de haine : ne pas occuper le sol russe ni surexposer l’OTAN en vainqueur et éviter d’humilier cette nation qui se conçoit en grande puissance, lui accorder une marge raisonnable de sécurité souveraine ; enfin, recréer les bases d’une coopération conforme aux principes de la Charte des Nations Unies (le droit dont on ne doit priver aucun Etat légitimement constitué). C’est un peu les limites pointées par Aristide Briand à l’égard du fardeau excessif imposé à l’Allemagne de Guillaume II par le Traité de Versailles du 28 juin 1919.

Abuser des fruits d’une victoire censée à nouveau marquer ‘’la fin de l’Histoire’’ (référence à la chute de l’URSS en 1991) détruirait sûrement la Paix. Le plus délicat restera l’instauration d’une justice réparatrice. Il faudra que la Russie y contribue sa part, même s’il est bien évident que le gros des ressources destinées à l’Ukraine – peut-être des milliers de milliards de dollars – proviendra du système multilatéral, lui-même alimenté par l’Occident. Plutôt un plan Marshall et une offre de réconciliation, une fois la Justice passée, que les fourches léonines d’un Traité de Versailles avec ses clauses impossibles et ses lendemains guerriers. Mais, s’il est bon de penser à une paix durable, il faut se garder d’en parler trop et trop tôt pour ne pas choquer inutilement ceux qui souffrent, aujourd’hui, sous les drones et les missiles de l’agresseur russe.

Le temps court avant le temps long…

* 7 décembre – Dissuader les ‘’pirates de la dissuasion’’

Dans le contexte de la guerre hybride contre l’Occident et de l’invasion de l’Ukraine, la dissuasion française est prise à contre par les préceptes russes d’emploi de l’arme comme un instrument offensif sur un champ de bataille extérieur. Le président Macron a jugé bon de revenir, le 9 novembre, à Toulon, sur sa perception de la menace telle que la conceptualise l’analyse française.

Ce réajustement des ‘’lignes rouges’’ franchies par l’adversaire qui déclencheraient ou non une réaction des armes tactiques nucléaires nationales intervient après ses propos du 12 octobre. Ce jour-là, son exposé avait laissé à penser que le recours russe à une frappe, en Ukraine ou dans les confins occidentaux de ce pays, n’appellerait pas de réplique nucléaire de la part de la France. Venant après sa phrase sur la nécessité de ‘’ne pas humilier la Russie’’, cela avait quelque peu ‘’défrisé’’ certains proches alliés de Paris, à l’Est de l’Europe et aussi en Allemagne, qui se sont, bien sûr, gardés de tout commentaire public. Sur le fond, la question est singulièrement complexe à trancher. Est-ce vraiment réaliste de la part d’un ‘’petite’’ puissance nucléaire de prétendre sanctuariser tout son continent ?

Quand bien même cette limite posée à la dissuasion française correspond à ce que beaucoup d’experts occidentaux pensent sans le dire, M. Macron a effectué un retour très visible à sa position initiale d’avant-guerre. Exposée en février 2020, lors de son seul discours de référence sur la dissuasion, celle-ci postule : ‘’aujourd’hui plus encore qu’hier, les intérêts vitaux de la France ont une dimension européenne’’. Plus question donc d’en limiter précisément les contours et, surtout, de paraître se raviser sous l’effet des menaces de Vladimir Poutine. Ce retour aux sources n’est pas qu’une question de subtilités : c’est le rétablissement d’une posture paradoxalement plus solide construite sur l’ambiguïté dissuasive. Elle répond mieux à la menace de la guerre hybride et au flou que ce type d’offensive sur des front multiples (cognitif, cyber, spatial, par les réseaux sociaux, politique et militaire…) entretient sur la détermination précise de la ‘’ligne rouge des intérêts vitaux’’.

Sommes-nous entrés dans le ‘’troisième âge nucléaire’’, celui du XXI ème Siècle, dans l’art de la piraterie nucléaire ? L’un des enseignements les moins prévus du conflit en Ukraine, lequel promet d’être long, est que la dissuasion peut être inversée. Même par une grande puissance, elle peut être utilisée en outil d’agression militaire ‘’classique’’, notamment pour isoler de ses alliés le pays-cible victime de l’offensive. On assiste là à un retournement complet de la façon dont l’atome militaire avait été considéré jusqu’ici : la dissuasion comme meilleur moyen d’empêcher une guerre entre puissances nucléaires majeures, dotées de tout le spectre de l’arme, du tactique au stratégique.

 Il reste que le jeu des décideurs autour du postulat de la ‘’destruction mutuelle assurée’’ connaît, par définition, un préambule psychologique complexe. L’emploi ou non de l’Arme est précédé d’une suite d’affirmations fortes, sans preuve ni certitude aucune pour la partie adverse. En bref, Poutine parle et menace, en mode déclaratoire. Alors, il joue au poker ? On doute en effet qu’il passe jamais à l’acte, sauf à avoir perdu ses repères politiques et tout discernement. Ce serait au point de finalement provoquer la destruction de son pays, le plus vaste du monde. Le bluff participe de son style professionnel, celui d’un menteur expert du FSB. Faut-il lui accorder l’honneur de tenir ouvertement compte de ses rugissements froids et calculés ? La doctrine poutinienne sert en premier lieu de levier d’effroi et de pression sur les opinions publiques. Raison de plus pour ne pas se laisser prendre au piège en lui faisant spectaculairement écho. Les réseaux sociaux, toujours eux, s’en chargent déjà trop bien. Oublions la doctrine russe et, d’ailleurs, ni vous ni moi n’avons à en connaître, n’étant pas président !

Le conflit armé en cours n’en est pas moins sous-tendu par le spectre d’un débordement du territoire ukrainien ouvrant la voie à un élargissement à la zone OTAN dans son ensemble. On l’a perçu dans l’émoi qui a surgi autour du missile antiaérien retombé en Pologne, le 15 novembre. Après ce coup d’adrénaline, une désescalade verbale s’est fait jour dans cette ‘’crise du siècle’’.

Concentrons plutôt notre attention sur les fourbes attaques du général Hiver…

* 5 Décembre – L’allié franc

La suprême coquetterie de la diplomatie française est de prétendre ne jamais s’aligner sur son plus grand allié. Dès le premier jour de sa visite d’Etat à Washington, le président français a célébré sur le tapis rouge l’amitié franco-américaine, à sa façon. Les deux républiques sœurs devaient ‘’essayer ensemble d’être à la hauteur de ce que l’Histoire a scellé entre [elles], une alliance plus forte que tout ». L’ère de la ‘’frime machiste’’ pour tenter d’amadouer D. Trump étant heureusement révolue, entre dirigeants amis on en vient à se parler franchement. Emmanuel ne s’est pas privé d’entonner ce registre diplomatique bien français.

Première à bénéficier d’une visite d’Etat sous la présidence Biden, la France veut, avant tout, s’afficher comme un partenaire qui pèse parmi les Européens et, accessoirement, dans le monde. Ensuite, elle souhaite obtenir de Joe Biden la confirmation sans équivoque qu’il soutient le développement d’une Europe de la Défense. Une multitude d’autres sujets ont été discutés – espace, nucléaire, Ukraine, Chine, Iran, climat –, sans révéler d’inflexions de part et d’autre de positions connues à l’avance.

Si la dénonciation du ‘’marché du siècle’’ des sous-marins australiens, inspirée par Washington, a trouvé un épilogue pragmatique avec la compensation financière accordée par Canberra, la question de la participation à l’alliance AUKUS (Australie, Royaume Uni, USA) n’a toujours pas trouvé sa conclusion. Elle a en fait été discrètement contournée pendant la visite. Présente dans la zone Indopacifique – ce que nul ne nie –la France aurait-elle modéré son envie obstinée d’en être donc d’en découdre ? Il n’est pourtant pas dans sa vocation stratégique de se muer en obstacle militaire à l’hégémonisme rampant de la Chine dans la région. Surtout, dans la dimension nucléaire. Se tenir à l’écart d’un clash stratégique avec Pékin parait plus conforme à son approche réaliste et modérée de l’Extrême-Orient. Elle a donc dû se raviser, d’autant plus que c’est désormais sur le front Est de l’Europe que s’exerce, disons, sa ‘’solidarité primordiale’’ au sein de l’Alliance atlantique.

Concernant la guerre en Ukraine, la conférence de presse commune a laissé entrevoir, dans la fraternité d’armes, un décalage de perspective géopolitique. Pour les Etats Unis, l’engagement dans la défense de la souveraineté de Kiev est puissant mais plutôt circonstanciel, sur une échelle de temps limitée. Il importe d’éroder au maximum la capacité offensive de la Russie et de clore la guerre sur un retrait rétablissant le statuquo initial. Joe Biden n’exclut pas de prendre langue, dans un tel scenario, avec Vladimir Poutine, lorsque celui-ci demandera l’armistice. La position française de garder un canal d’échanges avec le Kremlin parait plus exigeante sur le long terme : établir une paix juste et durable dans le temps, conforme à la Charte des Nations Unies et pleinement définie aux revendications souveraines de Kiev, ce qui pose la question épineuse de la récupération de la Crimée, celle du jugement des coupables de crime d’agression et implique des conditions précises pour réintégrer la Russie dans le concert européen. La différence d’angle découle de la géographie : Washington ne souhaite pas se laisser détourner de ses priorités stratégiques : l’endiguement de l’expansion chinoise et la primauté du leadership mondial.

Globalement les deux pays ont pu projeter l’image de solides alliés capables de pondération et de lucidité. Il n’en a pas été de même sur les sujets de l’économie.

En l’occurrence, Macron n’a pas mâché ses mots. D’emblée, il a plaidé contre l’Inflation Reduction Act – un programme ‘’super agressif’’ de subventions massives à l’environnement, destiné aux entreprises basées aux Etats Unis.  Le plan d’investissement de 430 milliards de dollars qui le sous-tend alloue 370 milliards à la réduction de 40 %, d’ici à 2030, des émissions de gaz à effet de serre. Il constitue aux yeux européens une aide massive à l’export et une forte incitation à délocaliser l’investissement européen vers les USA. L’opération, vu son ampleur, menace, selon Macron, de ‘’fragmenter l’Occident’’. L’expression est plutôt alarmiste.

Cette loi constitue pourtant un beau succès de Joe Biden, qui a obtenu de haut vol son adoption par le Congrès. Elle n’est guère susceptible d’aménagements. Et ce n’est que pour la forme que Paris recommande de veiller à synchroniser (au sein du G 8 ?) les programmes des deux rives atlantiques poursuivant les mêmes objectifs et susceptibles d’être ‘’décidés ensemble’’. L’actualité des derniers mois – la crise énergétique et le coût de la guerre en Ukraine – commencent au contraire à creuser un ‘’décalage’’ entre l’Europe et les Etats-Unis. Car ‘’Europe’’ est sans doute le mot clé. L’investissement en Europe, ainsi mis en danger, risquerait de vaciller et de faire du Vieux Monde une simple ‘’variable d’ajustement’’ dans le bras de fer entre Washington et Pékin…

Sans doute, le message (plus que subliminal) est principalement adressé à Bruxelles : l’arme d’un ‘’Buy European Act’’ – franchement protectionniste – serait-elle devenue la seule efficace contre le rouleau compresseur des subventions américaines ? C’est une belle vision culpabilisante pour le partenaire américain mais fort peu réaliste. Le marché unique est de taille supérieure et il peut en théorie répliquer souverainement. Cette thèse instillera-t-elle de la mauvaise conscience au géant américain ? Ce serait méconnaître le nationalisme du Congrès. Qui doutera encore que l’allié français n’est pas ‘’aligné’’ ?

* 01 décembre – Les Vingt-Sept face à l’exode du Sud

Sans atteindre le niveau de la ‘’crise des réfugiés’’ de 2015-2016, les flux migratoires entrants sont redevenus un point sensible dans l’agenda européen.  Par rapport à 2021, les arrivées aux frontières extérieures connaissent une forte hausse : 280 000 de janvier à octobre inclus, soit + 77 %…

Deux semaines après la crise franco-italienne autour de l’Ocean-Viking, les ministres européens de l’intérieur, réunis à Bruxelles en Conseil extraordinaire à la demande de Paris, ont approuvé, le 25 novembre, un plan d’action ‘’afin de ne pas reproduire ce genre de situation’’. On se souvient que le 11 novembre le gouvernement français avait accepté, à titre exceptionnel, le débarquement à Toulon des 234 passagers de l’Ocean-Viking, après le refus du gouvernement de Giorgia Meloni d’accueillir ce navire humanitaire bloqué au large des côtes italiennes. Il promet qu’il n’accueillera plus désormais des demandeurs d’asile parvenus en Italie, tant que Rome ne respectera pas le droit de la mer (l’obligation de sauvetage). On voudrait bien savoir à ce propos qui le respecte : la Libye, l’agence Frontex, l’Italie, la France jusqu’à récemment ?

La poussée est plus forte encore sur la route des Balkans : + 168 % sur la même période. La Commission prépare donc un autre plan d’action à cet effet. La possibilité d’une nouvelle vague d’arrivées d’Ukrainiens cet hiver rend l’adaptation aux circonstances encore plus complexe.

Le plan d’action ‘’italien’’ concocté par la Commission européenne propose 20 mesures, notamment pour renforcer la coopération avec la Tunisie, la Libye ou l’Egypte (avec la Turquie, c’est une cause perdue), afin de  »prévenir les départs et augmenter les renvois d’exilés en situation irrégulière ». Il prévoit aussi une meilleure coordination et un échange d’informations entre Etats et ONG secourant des migrants en mer, et vise à promouvoir des discussions au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI) sur des lignes directrices applicables aux bateaux effectuant des opérations de sauvetage en mer. Est-ce à dire que le droit de la mer pourra être appliqué de façon sélective ou que les pays du Sud de la Méditerranée, surchargés de tous les migrants du monde arrivant par voie de terre, devront, de plus, ouvrir leurs ports aux navires de sauvetage qui croisent dans leurs eaux territoriales ? Telle est en tout cas l’intention professée par le ministre Darmanin, qui s’intéresse peu au casse-tête imposé aux pays de premier accueil.

Une unanimité s’est fait jour sur un socle minimum, mais, comme le reconnait la Commission, ce ne sera pas la solution définitive tant que les Etats membres n’arriveront pas à conclure une réforme commune de leurs politiques de la migration et de l’asile = = au sein-même de l’Union européenne = =. Depuis plus de deux ans, le sujet tient de Arlésienne. Il bute, entre autres, sur la redéfinition (pour cause de non-application) du mécanisme temporaire – arrêté en juin, à l’initiative de la France – opérant la répartition des arrivants ‘’parmi les pays européens non-riverains’’. Pour soulager les Etats méditerranéens, une douzaine s’était engagée de façon volontaire à accueillir sur un an quelque 8 000 demandeurs d’asile arrivés dans ces pays sud-européens. La France et l’Allemagne devaient en prendre chacune 3 500. Paris s’est pourtant montré très restrictif s’agissant des quotas qui lui étaient assignés et a finalement suspendu ses relocalisations depuis l’Italie. La torsion de bras est claire : pas de prise en charge française sans accueil dans les ports italiens.

Le ministre italien, Matteo Piantedosi, a été invité à venir à Paris par son homologue, avant une prochaine réunion des ministres de l’intérieur prévue le 8 décembre à Bruxelles. Va-t-on assister à un exemple de ‘’commedia dell’arte’’, à une partie de catch ou à une fraternisation latine larmoyante ?

* 17 novembre – Bonnes idées pour le G 20

Plusieurs bonnes idées et une certaine sagesse cartésienne imprègnent les interventions françaises à l’occasion du G 20 de Bali.

* Ce qu’il convient de retenir du discours d’Emmanuel Macron, ce sont d’abord les circonstances prenant le forme d’un dramatique incident de tir ukrainien par-delà la frontière polonaise. Cela invitait à la circonspection. Le champion du ‘’en même temps’’ s’en est bien tiré, évoquant la ‘’journée terrible pour l’Ukraine et le peuple ukrainien’’ au cours de laquelle plus de 85 missiles avaient frappé le pays agressé. Devant la presse, alors que toutes les hypothèses semblaient possibles, il a notamment recommandé la prudence et souligné l’épreuve terrible affectant les villes de Kiev, Lviv et Kharkiv touchées par des frappes russes et privées d’électricité par des températures glacées.

* Autre bonne idée : Emmanuel Macron a dit avoir discuté, avec le président chinois Xi Jinping, du principe d’une visite de sa part en Chine au début de 2023.  L’existence d’un espace de convergence – y compris avec les grands émergents, la Chine et l’Inde – devrait faciliter une intermédiation française pour pousser la Russie à la désescalade. Le président français souhaite voir la Chine jouer un rôle de persuasion sur Moscou dans l’optique d’une sortie de guerre, symétriquement aux sanctions des Occidentaux. Une première étape serait d’éviter une reprise violente de l’offensive russe au cours des prochains mois, quand le refourbissement des arsenaux, le changement des conditions météo et l’arrivée des nouvelles classes mobilisées en renfort réhausseront l’intensité des combats.

* Emmanuel Macron a sèchement lancé un appel au calme à l’Iran, dénonçant l’agressivité croissante de la République islamique à l’égard de la France. Celle-ci, dit-il, aurait toujours été dans une approche de discussion, de respect du pouvoir iranien(?!) – ça se discute – et donc déplorait les récentes  prises en otages de ses nationaux (il y en a sept, aux mains des Pasdarans et du clergé chiite), des actes ‘’inadmissibles’’. Téhéran est priée de ‘’revenir au calme’’, au respect des ressortissants français et à l’esprit de coopération. Ceci une fois dit, Paris sait réserver ‘’un chien de sa chienne’’, en retour aux mollahs. Il lui suffit de magnifier ‘’le courage et la légitimité’’ de la révolution des femmes et de la jeunesse iranienne, après des semaines de manifestations. Qui plus est, après la réception de dissidentes le 11 novembre à l’Élysée, tant fustigée par Téhéran. Plus cela sera désagréable aux autorités iraniennes, moins elle se privera de ce petit plaisir vengeur. En y rajoutant  un rien de provocation aux titre de ses valeurs universelles : ‘’Ces femmes et ces jeunes défendent nos valeurs, nos principes universels… Je dis ‘’nous’’, je ne parle pas de la France. Ils sont universels, ce sont aussi ceux de notre Charte des Nations Unies : l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de chaque être humain’’. On entend d’ici grincer les dents des théocrates barbus : ils répliquent en accusant Paris de se cacher derrière la révolution populaire en cours. In fine, la France fustige la récente série de frappes de missiles et de drones sur les communautés kurdes sur le sol iraqien. Non qu’elle fasse encore grand-chose pour ses anciens alliés.

* Autre bonne idée : au même titre que l’Union européenne qui en est membre, Paris dit soutenir l’intégration pleine et entière de l’Union africaine au G20, comme ‘’élément clé’’ de la recomposition des « règles de gouvernance des institutions internationales’’. C’est de bon sens. Cet élan de solidarité est peut-être une pure vue de l’esprit mais, formellement, elle réhaussera le crédit de l’ancienne métropole coloniale auprès des Etats-clients qui la boudent désormais.

* Le président français a également annoncé son projet de s’atteler aux conditions d’un véritable ‘’choc de financement vers le Sud’’  par la tenue, en juin prochain à Paris, d’une conférence internationale sur un nouveau pacte financier Nord-Sud. Cette logique s’impose : ‘’nous ne devons pas, nous ne pouvons pas demander à ces pays de soutenir le multilatéralisme, si celui-ci n’est pas en capacité de répondre à leurs urgences vitales’’. Bonnes idées et paroles fortes qui seront peut-être suivies d’actes. Mais le président a bien d’autres chats à fouetter…

* 20 octobre – Les eaux du Rhin se troublent

Des pommes de discorde entre la France et l’Allemagne, il y en a souvent eu et elles ressurgissent dans le contexte de la guerre hybride. Il paraît qu’entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz, le courant passe mal depuis peu. Rien de dramatique, rassurez vous, mais du stratégique quand même, et cela concerne justement le courant et la défense européenne, deux dossiers sur lesquels il serait vain d’exiger des miracles et cela, dans l’urgence. Bref, le prochain conseil franco-allemand est décalé au mois de novembre, faute d’accord sur les sujets de fond. A Berlin, on reconnaît le désaccord, tandis qu’à Paris, un  »problème de vacances » est invoqué, de façon assez peu sérieuse.

Sur l’énergie : on sait que l’Allemagne, abreuvée jusqu’à récemment d’hydrocarbures russes, est de cours et que sa situation l’alarme. Elle pourrait revenir très marginalement à l’atome civil pour assurer un complément de son déficit énergétique. Se considérant plus affecté que ses voisins, le gouvernement fédéral a débloqué une gigantesque subvention de 200 milliards d’Euros à ses consommateurs d’énergie. Ce bouclier va contribuer à soulager son industrie, en même temps que sa révélation soudaine pose le double problème de la confiance entre les deux pays partenaires et de la distorsion de concurrence qu’un tel  »booster » introduira avec les produits de partenaires européens moins argentés. Paris s’est fâché, sans trop s’arrêter sur les difficultés internes que rencontre une administration allemande tiraillée entre trois partis coalisés sans philosophie ni programme commun assez solides.

Sur la défense, Berlin a souscrit au concept macronien de ‘Communauté politique européenne’ consacré à Prague au début du mois. Mais sur celui de l’identité européenne de défense, les lézardes se multiplient. dans ce domaine aussi, l’Allemagne opère un virage stratégique à 180° et se prépare à consacrer des sommes gigantesques à son rééquipement. La France, que l’on sait particulièrement engagée à promouvoir des programmes d’armement communs (notamment, au sein de l’Agence européenne de défense) s’estime mise au pilori parles choix que son partenaire s’apprête à faire dans l’urgence. C’est est fini du char commun franco-allemand, le groupe Krupp militant avec force pour être le concepteur unique du successeur du Leclerc et du Léopard. Paris grince des dents. Pire encore, le descendant du Rafale et du Tornado européen pourrait ne jamais voir le jour. Berlin manifeste une préférence pour l’achat  »quasi-sur l’étagère » du F 35 américain, perfection en matière de furtivité.

Les eaux du Rhin s’en trouvent un peu perturbées. Elles se calmeront sur un compromis un peu boiteux, comme toujours. Mais répétons le, ce ne sont pas de petits sujets.

* 19 octobre – Haïti sous tutelle bienveillante ?

Souffrir une invasion barbare ou vivre sous le joug de gangsters … On se gardera bien de pointer l’une de ces situations comme étant pire que l’autre. Mais il faut bien dire qu’Haïti subit depuis des décennies le second fléau, celui du crime organisé. Comme s’il ne lui suffisait pas d’être pauvre et totalement désarmée face aux catastrophes climatiques qui s’accumulent dans la région des grandes Caraïbes et du Golfe du Mexique. Ou, encore, que la classe politique locale, percluse de clientélisme et de corruption, n’apporte aucune réponse aux maux de cet Etat le moins développé des Amériques. Le banditisme se conjuguerait il  »naturellement » à la corruption et à la misère ?

Un peu plus d’un an après l’assassinat politique du président d’Haïti, Jovenel Moïse, l’anarchie s’est installée dans l’île. La police haïtienne a identifié un coupable, bénéficiaire potentiel de cette invraisemblable exécution de même que le commando de tueurs recruté par une entreprise de ‘’service’’ vénézuélienne aux Etats Unis. Mais la rumeur folle des bidonvilles soupçonne son successeur d’être le  »vrai commanditaire ».

Au Pays du Vaudou, la vie publique n’est souvent pas très rationnelle. La plus vieille république de l’hémisphère Ouest (après les Etats Unis) a défait en 1804 les troupes de Napoléon et les colons français, qui pratiquaient l’esclavage. Mais, depuis l’épisode glorieux incarné par Toussaint Louverture, elle s’est enfoncée dans l’anarchie intérieure et la dépendance de protecteurs extérieurs. Les interventions américaines, onusiennes ou même françaises s’y sont multipliées en entamant sérieusement sa souveraineté, sans jamais la sortir durablement de l’ornière. Les coups d’Etat et les élections truquées se sont succédé depuis la période Duvalier, fameux pour ses tueurs  »Tontons Macoute », jusqu’à présent, sur toile de fond de luttes partisanes farouches.

L’élite haïtienne, souvent formée à l’étranger, s’est définitivement fixée à Miami, ailleurs aux Etats Unis ou en Europe. On ne doit pas la blâmer d’avoir déserté un champ d’empoigne où pour quelques dollars tout  »possédant », même modeste, se fait enlever, rançonner, assassiner. Mais Haïti est privée de corps intermédiaires, de politiciens d’expérience, de ministres et de cadres compétents, etc. Ceci explique sa condition humiliante d »’Etat-objet », condamné à la mendicité et frustré de l’exercice de sa souveraineté. L’actualité la plus récente de l’Île est faite de manifestations meurtrières contre la cherté du coût de la vie, de règlements de compte entre bandes par armes à feu et de contagion épidémique. La vie des honnêtes gens est devenue impossible. On y survit peut-être aussi mal qu’en Ukraine.

Dans un tel contexte, l’idée malséante d’une tutelle internationale réémerge de façon récurrente. Le secrétaire général des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, a réclamé, le 9 octobre, le déploiement d’une force armée internationale en Haïti, pour débloquer la crise sécuritaire qui la voit sous l’emprise de bandes criminelles et, qui plus est, sous la menace endémique du choléra.

Le prochain Conseil de sécurité consacré à la crise en Haïti est prévu le 21 octobre. A. Guterres a envoyé aux quinze membres du Conseil une liste d’options pour maintenir Haïti la tête hors de l’eau. Les douze millions d’Haïtiens répugnent à voir à nouveau des soldats équipés pour la guerre débarquer sur leur île. Ce n’est pas l’Ukraine et ils n’attendent pas une guerre d’artillerie contre le crime organisé – notamment autour du marché de la drogue – qui règne chez eux. C’est plutôt une prestation en juges, enseignants, cadres administratifs et policiers qu’il conviendrait de leur apporter. Le blog de l’Ours espère que des gendarmes, des magistrats et des administrateurs français se porteront volontaires au sein du contingent international en préparation. Plutôt qu’en monnaie sonnante – qui disparaîtrait dans de douteux comptes en banque – la dette morale de la France envers ce malheureux peuple devrait être payée en soutien fraternel à son redressement. Après tout, Haïti est un endroit du monde où l’on peut encor travailler pour la Paix, si on y met les moyens.

* 17 octobre – Le Tsar face au César

Oubliera-t-on jamais la scène d’Emmanuel Macron toisé par l’Ogre du Kremlin, à l’autre bout d’une table de 20 m de long ? Le Français s’entêtant le raisonner sagement sur la folie de la guerre ? Avec l’invasion de l’Ukraine, l’auteur de la phrase prônant la nécessité de ne pas humilier Vladimir Poutine a été largement perçu en Europe (mais pas en France) comme l’imbécile utile de Poutine, celui qui aura renforcé l’effet de surprise de l’offensive du 24 février. Non pas que le soin de garder un contact avec l’Ennemi soit superflu ou honteux – loin de là – mais le renoncement à l’indispensable discrétion dans le maintenir du fil de dialogue et l’enfermement dans le piège d’une mise en scène ‘’compromettante’’ lui a collé au visage comme le sparadrap du capitaine Haddock.

On ne rigole plus : tournant pris à 180°. E. Macron a sorti les dents à la télévision et rebondi en partisan déterminé de la défense du sanctuaire nucléaire français mais aussi de la souveraineté européenne face à  »l’Ogre ». Celui  qui rêvait de sauvegarder la paix tout en baissant les yeux, souligne désormais combien la démence de Poutine dévoile la faiblesse des défenses française et européenne. La trop fameuse ‘’guerre hybride’’ est donc polyforme et ne s’arrête pas à sa composante purement militaire. Elle inclut aussi les fronts d’offensive énergétique, cybernétique, informationnel, religio-culturel, ethnique, diplomatique, l’agitation anti-française en Afrique et ailleurs et – pétard sur le gâteau – la menace stratégique nucléaire.

Le premier des Français a finalement pris conscience de ce que son esprit perçant savait dès le départ : nous sommes bien en guerre sans qu’’’IL’’ nous l’ait déclarée dans les formes militaires anciennes : plus que l’Ukraine ‘’inexistante’’, c’est l’Occident qui l’obsède et qu’il a placé dans son viseur. Loin de ses frontières, il s’emploiera à déstabiliser la France et d’autres Européens par un torrent d’infox suscitant des réactions défaitistes, par des attaques en sous-main, l’utilisation des infrastructures pour nous étouffer : il suffit de quelques techniciens motivés par leur intérêt ou d’une prise en otage de certains serveurs informatiques pour paralyser l’économie et déstabiliser la société. ‘’La Russie cherche à créer le désordre pour nous affaiblir et nous diviser’’ a reconnu sur un ton martial le farouche (nouvel) adversaire français de Poutine.

S’il est encore prêt à rencontrer Poutine, Emmanuel Macron va, dans la bataille en cours, fournir à Kiev des armes qui ne se limitent pas aux seuls canons César. Ceux-ci vont être livrés en plus grand nombre (mais leur fabrication reste quasi artisanale) en prélevant à cette fin les commandes danoises mais avec, en sus, toute une série d’obus ‘’spécialisés’ (dont certains, particulièrement peu ‘’humains’’). Deux mille servants d’arme ukrainiens sont invités à se former à de nouveaux systèmes dans des unités françaises. Les outils de la défense aérienne seront compris dans le lot. Cela répond aux bombardements barbares de quartiers civils censés ‘’venger’’ l’explosion sur le tablier du pont de Kertch reliant la Crimée à la Russie.

Alors, comme certains aimables amis le croient, nous ne serions ‘’pas en guerre’’, citoyens Français et Européens ? Autant vous dire que je n’apprécierais pas de me trouver face à MON ennemi, si ma chaumière bretonne devait se trouver sous le feu de canons César. Ca vaut pour nous comme pour eux. Abandonnons, SVP, la vision qui requerrait la mobilisation générale des poilus, les trains de conscrits partant joyeusement vers le front ou en revenant gueules cassées, la vie des tranchés, les épouses turbinant dans les usines de poudres explosives. Aujourd’hui, c’est l’atome + la barbarie hybride qui règlent les comptes. Et, mauvaise surprise, ils peuvent ‘’égorger nos fils et nos compagnes, aux armes, citoyens !’’ ce, jusque dans la version civile ‘’tchernobylienne’’ d’un réacteur nucléaire. Arrêtons là les parallèles passéistes, les références caduque, la naïveté devant la course folle la géostratégie ! A nos neurones, Citoyens !

* 12 octobre – L’Europe mariée sous la communauté.

La France se voit de longue date comme conceptrice de l’architecture de sécurité européenne. Elle est à l’origine de la toute récente réunion inaugurale à Prague de la Communauté Politique Européenne, un succès qui pourrait néanmoins s’avérer transitoire.

Au lendemain de la chute du mur, alors que la Russie d’Eltsine plongeait en dépression psy, le président Mitterrand avait imaginé une ‘’Confédération européenne », presque symétrique au concept actuel. L’objectif en était alors de recréer une filiation russe à l’ensemble européen, du moins une appartenance limitée aux questions de sécurité collective. Il fallait éviter un repli agressif de la Russie sur ses frustrations d’empire démembré. Parallèlement au ’’partenariat stratégique’’ de portée limitée que l’OTAN proposait à Moscou, l’Europe des 15 lui aurait ouvert une possibilité d’arrimage relatif sur le plus long terme. Le recul de son glacis et la réunification allemande justifiaient une main tendue vers Boris Eltsine. Ce fut très mal perçu par les PECO, les ex-satellites ralliés à l’Ouest et tournés vers Washington, puissance non-invitée dans ce cercle. Polonais, Tchèques et autres Hongrois attendant leur salut de l’OTAN sous leadership américain, le grandiose et pacifique projet avait rapidement capoté. On pourra s’interroger sur les incidences de ce rendez-vous historique manqué sur les affrontements actuels.

Dans le concept lancé par Emmanuel Macron, l’Amérique n’est pas, non plus, embarquée à bord. Ceci est sans importance, d’ailleurs, l’OTAN étant plus que jamais la coalition occidentale à l’œuvre. Au sommet pan-européen de Prague, la mobilisation s’est faite, cette fois, contre l’agresseur russe, à l’inverse du projet Mitterrand. La concertation dans le format UE + 17 a donc d’emblée exclu toute association de la Fédération de Russie et de sa comparse biélorusse. L’ordonnancement correspond bien à l’air du temps conflictuel depuis l’annexion de la Crimée en 2014. L’Ukraine participait au sommet par visioconférence, l’Amérique pouvait rester sereine, n’ayant aucun motif valable à s’inquiéter de l’exercice (même si certains y songeaient).

La grand-messe de Prague a dès lors connu un succès de participation, sinon des avancées majeures sur le fond.  Elle a projeté la vision symbolique d’une ‘’ Grande Europe’’ réunie et solidaire qui se renforçait face à une Russie isolée dans sa bulle.  C’était important pour crédibiliser son engagement de long terme à soutenir l’Ukraine. L’attribution du Prix Nobel de la Paix à  trois acteurs associatifs engagés contre la barbarie du régime Poutine a produit une impression comparable : l’auto-galvanisation des valeurs démocratiques. C’était nécessaire. Sera-ce durable ?

Tout cela répond au besoin conjoncturel de rehausser la stature des dirigeants du Vieux Continent. Vladimir Poutine les tient pour quantités négligeables et ne se laissera pas impressionner par leur unanimité de façade. Celle-ci, d’ailleurs ne va pas résoudre les questions matérielles et pratiques que posent la guerre de l’énergie menée par Poutine. Surtout, les organisateurs du sommet de Prague se sont arrachés les cheveux sur des problèmes de compatibilité d’humeur entre participants. Sur la façon d’aborder les pénuries d’énergie, les 44 pays se divisent et ce, même au sein de l’Union Européenne. Des coalitions se forment à nouveau entre ‘’frugaux, à forte capacité d’intervention financière’’ et  ‘’fauchés du Sud’’. L’application des sanctions touchant la Russie et la Biélorussie (l’UE en est à son huitième train de mesures), l’amplitude de l’aide militaire destinée à l’Ukraine, l’accueil des exilés, les voies politico-juridiques d’une future sortie de guerre sont autant de sujets qui clivent. Sans oublier les tensions post-Brexit persistantes sur l’application du protocole sur l’Irlande du Nord, les joutes intracommunautaires autour de l’État de droit et du fonctionnement de la Justice, le jeu ambivalent de la Turquie (qui roule pour elle-même), le conflit arméno-azerbaïdjanais, etc. L’Ouest, on le sait, n’est pas un monolithe, surtout lorsque la France s’exprime.

Peu importe, au fond, qu’au delà de l’agression qui rassemble contre elle les démocraties, les dossiers avancent ou non au sein de la Communauté Politique Européenne. Même s’ils se dispersent dans les multiples institutions européennes, occidentales ou mondiales conçues pour leur traitement, la réunion des Européens aura été créatrice d’un élan collectif utile au moment opportun, tandis que la vie des Etats poursuivra son cours ici et là, sur la rose des vents de la géopolitique.

* 28 septembre – Légitime défense

Les directeurs occidentaux de l’armement se réunissent à Bruxelles pour coordonner leurs fournitures d’armement à Kiev, et donc leurs achats. L’enjeu est de faire progresser jusqu’à sa victoire la contre-offensive ukrainienne sur le terrain, mais la concurrence euro-américaine reste sous-jacente, surtout en ce qui concerne la France. Cette coopération autour d’une cause commune n’est pas dénuée d’arrières pensées commerciales. Le blog résume un article du Monde paru hier.

Durant trois jours, différents formats de discussions vont se succéder entre alliés de l’OTAN puis au sein d’un groupe de contact dirigé par les Etats-Unis. Réapprovisionner Kiev constitue l’objectif commun, alors que les livraisons d’équipement ex-soviétique – immédiatement utilisables – touchent à leur fin. Il est temps de passer à des systèmes d’armes nettement plus modernes, plus qualitatifs (et coûteux) dont l’usage sur les théâtres d’opération favorisent la reconquête des territoires occupés par l’armée russe. Deux caractéristiques sont recherchées : l’interopérabilité des systèmes et leur durabilité en temps de guerre. Cette nouvelle génération technologique nécessite un plan parallèle de formation de ceux qui serviront ces armes. Surtout, elle ravive l’âpreté des enjeux commerciaux et financiers, d’autant plus que les fournisseurs, aux Etats Unis comme en Europe, s’appuient sur des financements publics.

D’un côté, les Etats-Unis poussent l’UE à renforcer les capacités industrielles de la défense européenne, car ils sont inquiets du tarissement en cours des flux d’armement vers l’Ukraine, alors que leurs capacités sont également limitées. Mais, d’un autre côté, leur département d’Etat va débloquer quelque 2,2 milliards de dollars pour ’aider les alliés et pays voisins de l’Ukraine’’ à recompléter leurs arsenaux avec de l’équipement neuf américain. Ce sont, au total, 3 milliards de dollars consacrés à la promotion de matériel made in USA en Europe : un défi pour les industries du Vieux Continent.  

Les Vingt-Sept ne restent pas sans réponse. La facilité européenne de paix (FEP) de 2,5 milliards d’€uros, initialement prévue pour l’Afrique, sert désormais à rembourser les contributions de l’UE à l’Ukraine (les canons Caesar, par exemple). Un autre outil est constitué par le mécanisme EDIRPA d’achats groupés d’armement, institué par la Commission. Paris compte sur l’adoption prochaine de ce mécanisme dont la dotation de départ restera modeste : 500 millions d’euros. L’opérateur principal sera-t-il l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (Occar), favorisée par Berlin, ou l’Agence Européenne de Défense, qui a la faveur de Paris ? La première, constituée autour de six pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Belgique et Espagne), opère plutôt dans le long terme (comme l’avion-cargo A400M), tandis que la seconde, dans le format communautaire, tend à se cantonner à l’expertise technique sans déboucher sur les marchés. Quoi qu’il en soit, les premières commandes pourraient être passées l’an prochain, une fois recensés les besoins d’acquisition au sein de l’Union.

Par ailleurs, les Foreign Military Sales (FMS) américaines constituent un levier redoutable, largement utilisé pour faire obstacle à des ventes européennes. Les Vingt-Sept n’ont rien d’équivalent. Le FMS permet aussi d’échapper plus facilement aux règles de transparence des marchés publics en vigueur au sein de l’UE. Les Européens pourraient à leur tour accorder des exemptions de TVA.

L’industrie européenne de défense est un concept admis mais une réalité balbutiante. Ne pas subventionner les achats faits en Amérique relève du bon sens, d’autant plus que ceux-ci sont soumis aux normes dites ITAR (International Traffic in Arms Regulations). Elles sont très contraignantes dans la mesure où elles instaurent une interdiction sur les composants venus d’outre-Atlantique, omniprésents dans ce type de produits. Et les 27 ne sont pas aussi producteurs de ces composants. Mais, dans des temps d’urgence, ce sujet ne fait pas l’unanimité des Européens : décourager les achats d’armements ‘’itarisés‘’, dont le suivi et la réexportation s’avèrent problématiques (comme, le cas échéant, les caprices du Congrès) pourrait retarder le réarmement des pays les plus menacés par l’expansion russe (Pologne, Scandinavie, Finlande, Baltes, Roumanie…). Même l’Allemagne devra renouveler son aviation militaire dans l’urgence sans attendre le successeur européen des Tornado et Rafale. Entre Français et Allemands (qui mettent en place un fonds de 100 milliards d’euros pour réarmer la Bundeswehr), se joue aussi une concurrence feutrée, ‘’entre amis’’, pour la suprématie militaire au sein de l’UE

La guerre en Ukraine devrait faire avancer la relation entre l’UE et l’OTAN vers plus de respect mutuel et de complémentarité. Washington va bénéficier de sa posture actuelle amicale envers l’Europe, tandis que les idées françaises se feront de plus en plus acceptables au sein d’un partenariat à deux piliers forts. Dans ce cadre, le réveil européen aux réalités d’une géostratégie de guerre et l’engagement remarquable de la Commission européenne créent aussi un contexte porteur pour l’Ukraine (et pour la survie des démocraties).

Méfions nous toutefois des poussées de populisme, qui pourraient tout bouleverser sur une rive ou l’autre de l’Océan commun.

* 21 septembre – L’Homme fort du Forum

Bravo, Manou : c’était un sans faute ! L’exercice oratoire obligé des dirigeants du monde à l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations Unies parle traditionnellement un peu pour l’état du monde, mais beaucoup plus pour leur état d’esprit du moment. L’absence, par exemple, de Vladimir Poutine s’assimile à celle d’un exalté retranché au fond de son bunker, convaincu que le reste du monde s’est ligué contre lui. Son isolement n’en est que plus criant, quand, à l’inverse, Xi Jinping, impassible sous un imperceptible sourire de façade, viendra, lui, expliquer que tous les opprimés se tournent vers lui.

La fougue française est payante, à New-York où chacun admet que le pays de Marianne a vocation à conceptualiser la géopolitique en parlant carré. La bonne idée a été de s’adresser essentiellement à la quarantaine de pays extérieurs au conflit en Ukraine, ceux qui n’avaient pas osé condamner l’invasion russe. Le ressentiment à l’égard de l’Occident et de ses guerres  »injustes » (l’Irak, la Libye, l’Afghanistan …) en est sûrement l’une des causes profondes du désamour du Sud. Le président français a habilement renvoyé ses pairs du monde émergent au crédo des Non-alignés. Il a évoqué cette ère de résistance à la guerre froide, de quête de la justice et du droit, auxquels ces membres de la communauté internationale ont adhéré ou adhèrent encore avec fierté.

Face à une invasion brutale, à des tentatives d’annexions territoriales de la part d’un nouvel impérialisme aux visées ouvertement coloniales, n’était-il pas temps d’en revenir aux valeurs qui avaient été si chères aux Non-alignés ? Eux qui affichaient une identité tierce face au monde de deux blocs Est-Ouest, laisseraient-ils la scène guerrière de 2022 (plus de cinquante conflits) se fracturer définitivement en deux : d’un côté, une communauté restée fidèle aux valeurs de la Charte des Nations Unies et à l’Etat de droit, de l’autre, un bloc composé de prédateurs, partisans de la Loi de la Jungle ? L’appel à l’introspection lancé aux neutres pourrait être ressenti comme agaçant. Justement, c’est parce qu’il pointe le défaut de leur cuirasse (de leur conscience, aussi) qu’il est mérité.

Le discours français s’emploie à corriger le tir en reconnaissant (discrètement) que l’Occident n’a pas toujours respecté ses propres idéaux et qu’il s’est parfois égaré dans des croisades sans lendemain. Mais ne s’est-il pas montré plus secourable (sous-entendu que la Russie et la Chine) dans la lutte contre le Covid et la relance consécutive de l’économie ? Emmanuel Macron propose au Sud un  »nouveau pacte financier » pour l’avenir. Le terme est beau mais pas vraiment neuf. Ce genre de concept-miracle reste, la plupart du temps une chimère ou finit en traitement homéopathique. C’est là flou principal du discours.

Sur le plan des institutions de l’ONU, la France joue sur du velours. Depuis plus de quarante ans que se pose la question  »urgente » d’une réforme du Conseil de Sécurité, Paris n’a jamais eu besoin d’afficher une position négative sur le sujet, contrairement à Moscou, Washington ou Pékin. Le blocage du débat n’est pas le fait des seules puissances, mais aussi de la multiplicité des mésententes entre les potentiels candidats du monde émergent. Aucun groupe régional ne parvient à choisir son champion. En Afrique, le Nigéria, l’Egypte et la République Sud-africaine se neutralisent mutuellement. En Asie, la Chine oppose froidement son veto à l’Inde et au Japon. En Amérique latine, l’Argentine hispaniste s’oppose au Brésil de langue portugaise. Il est aisé de jouer de ces différends pour se proclamer sans grand risque ouvert à toute  »solution ». Avec le départ du Royaume Uni, la seule chose – mais très improbable – que pourrait craindre la France serait de voir son siège au Conseil transféré au bénéfice de Bruxelles-Union Européenne. La demande n’émane d’ailleurs pas de l’intérieur de l’Europe mais de pays du Sud.

Plus concrète est la proposition de Paris de suspendre le droit de veto à une puissance, permanente ou élue, lorsqu’elle aura à voter sur un conflit auquel elle serait partie. Un soutien du monde émergent sur ce point pourrait contribuer à changer la donne. Mais il ne se manifeste guère.

Il reste que la vision présidentielle de la hiérarchie onusienne est très … présidentielle. Elle ne dit mot des pouvoirs de l’Assemblée générale qu’ils faudrait renforcer pour rendre le système plus représentatif et plus démocratique. Celle-ci, et non pas le Conseil de Sécurité, en constitue la pierre angulaire et la source de légitimité. Serait-ce parce que cette Assemblée générale apparaît un peu, aux yeux de Jupiter, comme équivalant à un  »machin » ennuyeux français du nom d’Assemblée Nationale ?