* 13 octobre – Nos rangs s’éclaircissent mais de nouveaux voisins se pointent

Bravo ! Le programme des Nations Unie pour la population nous a appris que nous serons huit milliards d’humains sur terre, à compter du 15 novembre. Cela fera un milliard de plus qu’en 2010 ; deux milliards de plus qu’en 1998 et cinq milliards et demi de plus qu’en 1950

Le vrai scoop, c’est que nous allons cesser de croître et même stabiliser notre nombre avant la fin du siècle. En 2100, au pic, nous serons entre 8,9 et 12,4 milliards de voisins, par définition, conviviaux. Ensuite, nous vieillirons tous ensemble et passerons beaucoup de temps à pleurer dans les enterrements.

Si vous voulez à tout prix voire le verre comme plein, l’Inde va devenir le pays le plus peuplé au monde (1,7 milliard), détrônant une Chine vieillissante, qui, dès l’an prochain, devrait connaître un déclin absolu de sa population (1,3 md). L’arithmétique démographique en fera-t-elle de cet empire une puissance en déclin, comme l’Europe d’aujourd’hui ? L’Asie centrale et celle du Sud deviendront, en revanche, des superpuissances humaines. En Afrique subsaharienne, on le sait, la population va pratiquement doubler d’ici à 2050 : deux Chine ! A eux seuls, huit pays du Continent noir contribueront à plus de la moitié de la croissance de la population mondiale. Une telle performance comprend moins d’avantages que de handicaps. En Afrique australe, par exemple, chaque femme donne actuellement naissance à 2,3 enfants. Mais le Covid-19 a repris les gains d’espérance de vie péniblement gagnés après les décennies du sida. La longueur de vie moyenne est retombée à 61,8 ans.

Côté verre qui se vide, la chute du taux de fécondité va marquer la fin du renouvellement des générations. En 2020, la croissance démographique a chuté sous 1 % par an. Elle continuera à fléchir jusqu’à la fin de ce siècle. L’Europe orientale, en particulier, va se vider de sa population d’ici 2050 (– 10 %), deux fois plus vite que l’Europe occidentale (- 5,4 %). Entre les deux, l’Extrême Orient se délestera de 8,2% de ses habitants. L’Europe et l’Amérique du Nord, peu fertiles, atteindront rapidement leur pic de peuplement et accuseront une décrue dès la fin de la prochaine décennie. Une étude suggère que la population mondiale, elle aussi, pourrait décliner dès 2064. On verra quand on y sera. La carte redessinée du peuplement mondial déterminera une autre époque de notre civilisation. Et le pauvre Malthus devra alors aller se rhabiller. Ce gars là aura été tout à fait pénible.

Le rapport onusien évite de spéculer sur l’évolution des flux migratoires : les interprétations divergent pas mal, à cet égard. En 2020, c’est la Turquie qui a accueilli le plus grand contingent de réfugiés (près de 4 millions), devant la Jordanie, la Palestine et la Colombie. L’Occident figure loin, en queue de peloton. La fermeture des frontières et la paralysie des transports internationaux liées au Covid-19 auraient ralenti les déplacements entre continents. Selon l’ONU, ce contexte aurait réduit de moitié le solde migratoire des deux dernières années. Depuis, ça a repris de plus belle. Aussi, les esprits chagrins souhaiteront ils une suite ininterrompue d’épidémies à venir.

D’un autre côté, la pandémie a provoqué un ‘’baby flop’’ mondial : va-t-il falloir importer des nouveaux nés d’autres galaxies ? Le Covid-19 est surtout à l’origine d’une surmortalité ‘’recensée’’ de 14,9 millions d’individus, en 2020 et 2021 (un surcroit de 12 % des décès, sur deux ans). Mais le décompte réel représenterait en fait trois fois le nombre des cas enregistrés. Méfiez vous des statistiques. En voilà :

Actuellement, l’espérance de vie des hommes (mâles) s’établit à 68,4 ans ; celle des femmes à 73,8 ans, représentant un écart de 5,4 ans. C’était 5,2 ans, deux années plus tôt. On prédit que les papies octogénaires réchappés de l’hécatombe auront un maximum de cases à cocher sur leurs carnets de bal. Tout cela cache, bien sûr, de grandes disparités d’une région à l’autre, liées aux niveaux de développement humain. In fine, à l’échéance de 2050, le nombre de femmes égalera celui des hommes : la Paix sur Terre devrait y gagner. Enfin, une perspective positive !

Une fois n’est pas coutume : une brève de l’Ours irradie l’optimisme.

* 12 octobre – L’Europe mariée sous la communauté.

La France se voit de longue date comme conceptrice de l’architecture de sécurité européenne. Elle est à l’origine de la toute récente réunion inaugurale à Prague de la Communauté Politique Européenne, un succès qui pourrait néanmoins s’avérer transitoire.

Au lendemain de la chute du mur, alors que la Russie d’Eltsine plongeait en dépression psy, le président Mitterrand avait imaginé une ‘’Confédération européenne », presque symétrique au concept actuel. L’objectif en était alors de recréer une filiation russe à l’ensemble européen, du moins une appartenance limitée aux questions de sécurité collective. Il fallait éviter un repli agressif de la Russie sur ses frustrations d’empire démembré. Parallèlement au ’’partenariat stratégique’’ de portée limitée que l’OTAN proposait à Moscou, l’Europe des 15 lui aurait ouvert une possibilité d’arrimage relatif sur le plus long terme. Le recul de son glacis et la réunification allemande justifiaient une main tendue vers Boris Eltsine. Ce fut très mal perçu par les PECO, les ex-satellites ralliés à l’Ouest et tournés vers Washington, puissance non-invitée dans ce cercle. Polonais, Tchèques et autres Hongrois attendant leur salut de l’OTAN sous leadership américain, le grandiose et pacifique projet avait rapidement capoté. On pourra s’interroger sur les incidences de ce rendez-vous historique manqué sur les affrontements actuels.

Dans le concept lancé par Emmanuel Macron, l’Amérique n’est pas, non plus, embarquée à bord. Ceci est sans importance, d’ailleurs, l’OTAN étant plus que jamais la coalition occidentale à l’œuvre. Au sommet pan-européen de Prague, la mobilisation s’est faite, cette fois, contre l’agresseur russe, à l’inverse du projet Mitterrand. La concertation dans le format UE + 17 a donc d’emblée exclu toute association de la Fédération de Russie et de sa comparse biélorusse. L’ordonnancement correspond bien à l’air du temps conflictuel depuis l’annexion de la Crimée en 2014. L’Ukraine participait au sommet par visioconférence, l’Amérique pouvait rester sereine, n’ayant aucun motif valable à s’inquiéter de l’exercice (même si certains y songeaient).

La grand-messe de Prague a dès lors connu un succès de participation, sinon des avancées majeures sur le fond.  Elle a projeté la vision symbolique d’une ‘’ Grande Europe’’ réunie et solidaire qui se renforçait face à une Russie isolée dans sa bulle.  C’était important pour crédibiliser son engagement de long terme à soutenir l’Ukraine. L’attribution du Prix Nobel de la Paix à  trois acteurs associatifs engagés contre la barbarie du régime Poutine a produit une impression comparable : l’auto-galvanisation des valeurs démocratiques. C’était nécessaire. Sera-ce durable ?

Tout cela répond au besoin conjoncturel de rehausser la stature des dirigeants du Vieux Continent. Vladimir Poutine les tient pour quantités négligeables et ne se laissera pas impressionner par leur unanimité de façade. Celle-ci, d’ailleurs ne va pas résoudre les questions matérielles et pratiques que posent la guerre de l’énergie menée par Poutine. Surtout, les organisateurs du sommet de Prague se sont arrachés les cheveux sur des problèmes de compatibilité d’humeur entre participants. Sur la façon d’aborder les pénuries d’énergie, les 44 pays se divisent et ce, même au sein de l’Union Européenne. Des coalitions se forment à nouveau entre ‘’frugaux, à forte capacité d’intervention financière’’ et  ‘’fauchés du Sud’’. L’application des sanctions touchant la Russie et la Biélorussie (l’UE en est à son huitième train de mesures), l’amplitude de l’aide militaire destinée à l’Ukraine, l’accueil des exilés, les voies politico-juridiques d’une future sortie de guerre sont autant de sujets qui clivent. Sans oublier les tensions post-Brexit persistantes sur l’application du protocole sur l’Irlande du Nord, les joutes intracommunautaires autour de l’État de droit et du fonctionnement de la Justice, le jeu ambivalent de la Turquie (qui roule pour elle-même), le conflit arméno-azerbaïdjanais, etc. L’Ouest, on le sait, n’est pas un monolithe, surtout lorsque la France s’exprime.

Peu importe, au fond, qu’au delà de l’agression qui rassemble contre elle les démocraties, les dossiers avancent ou non au sein de la Communauté Politique Européenne. Même s’ils se dispersent dans les multiples institutions européennes, occidentales ou mondiales conçues pour leur traitement, la réunion des Européens aura été créatrice d’un élan collectif utile au moment opportun, tandis que la vie des Etats poursuivra son cours ici et là, sur la rose des vents de la géopolitique.

* 11 octobre – La girouette géostratégique

Où souffle donc le vent de l’Histoire? Le modèle autoritaire ouvre-t-il la voie de l’avenir? Deux puissances permanentes du Conseil de Sécurité en sont intimement persuadées :  le déclin et la décadence supposés des sociétés démocratiques occidentales leur ouvrirait la maîtrise du système mondial. Bigre! Après l’attaque du Capitole de Washington et la déconfiture occidentale en Afghanistan, l’an dernier, l’amorphie des anciens dominateurs arrogants et donneurs de leçons ne faisait plus l’ombre d’un doute à Moscou ni à Pékin. L’absence de réaction sérieuse à l’annexion de la Crimée et le désamour montant des peuples du ‘’Sud’’ achèveraient de mettre le ‘’Nord’’ hors-jeu.

Pas si vite, SVP : la virginité coloniale ou impériale de ces deux gros-joueurs s’effrite à vitesse grand V, même si quelques populations africaines se plaisent à brandir leurs drapeaux dans des défoulements de rue. On perçoit depuis le 24 février, que le vent ne souffle pas sur commande des dictateurs. La Russie s’effrite de l’intérieur sous les effets des sanctions occidentales et des déboires de sa troupe occupante en Ukraine. Ses conscrits abandonnent le bateau ivre de la mobilisation militaire. Les chefs militaires se retrouvent sur le sellette et Poutine est perçu, au minimum, comme ‘’mal informé’’. La Corée du Nord et l’Iran sont devenus ses seuls fournisseurs d’armement. L’atmosphère politique se fait plus oppressive et délétère. Serait-il protégé par son privilège de veto, l’isolement du Pays au Conseil de Sécurité des Nations Unies dément l’idée d’une puissance qui a le ‘’vent en poupe’’.

Dans un premier temps, sous une neutralité prudente, Pékin ne cachait guère sa faveur pour Moscou. Poutine, espérait-on à la tête du Parti communiste chinois, allait prouver la supériorité des autocraties militarisées, ridiculiser l.Occident, gagner en prestige auprès du monde émergent. La Chine pourrait surfer sur ce ‘’vent d’Est’’ puissant, porteur pour ses ambitions. Le cas échéant, la reconquête de Taïwan pourrait survenir en apothéose.

Sept mois plus tard, XI Jinping reste muet, mais la diplomatie chinoise marque ses distances. La Russie ne lui paraît plus capable de faire triompher le modèle, en particulier sur le plan militaire. Le régime moscovite auquel il se proclamait lié par une ‘’amitié éternelle’’ commence à branler du manche. Il pourrait même devenir un risque pour le modèle commun. Lors du sommet à Samarcande de l’Organisation de Coopération de Shanghai – premières retrouvailles depuis le lancement du conflit – la partie chinoise a appelé à un ‘’respect scrupuleux du droit international en Ukraine’’. Un coup de griffe, presqu’un désaveu… Si le dispositif russe devait s’écrouler, Pékin ne veut pas se retrouver dans le camp des perdants.

L’Inde, de son côté, se garderait bien d’aller à sa rescousse porter secours et saisirait plutôt de telles déconvenues comme une occasion de renforcer son influence en Asie. La guerre en Europe va encore beaucoup de temps et de victimes avant de se solder sur un bilan tranché. Pourtant, il apparaît que les démocraties savent s’engager pour faire obstacle à la vague expansionniste brune. Le vent de l’Histoire ignore l’idéologie. Il ne suit qu’une seule direction : celle qu’indique la girouette folle de la géopolitique.

* 28 septembre – Légitime défense

Les directeurs occidentaux de l’armement se réunissent à Bruxelles pour coordonner leurs fournitures d’armement à Kiev, et donc leurs achats. L’enjeu est de faire progresser jusqu’à sa victoire la contre-offensive ukrainienne sur le terrain, mais la concurrence euro-américaine reste sous-jacente, surtout en ce qui concerne la France. Cette coopération autour d’une cause commune n’est pas dénuée d’arrières pensées commerciales. Le blog résume un article du Monde paru hier.

Durant trois jours, différents formats de discussions vont se succéder entre alliés de l’OTAN puis au sein d’un groupe de contact dirigé par les Etats-Unis. Réapprovisionner Kiev constitue l’objectif commun, alors que les livraisons d’équipement ex-soviétique – immédiatement utilisables – touchent à leur fin. Il est temps de passer à des systèmes d’armes nettement plus modernes, plus qualitatifs (et coûteux) dont l’usage sur les théâtres d’opération favorisent la reconquête des territoires occupés par l’armée russe. Deux caractéristiques sont recherchées : l’interopérabilité des systèmes et leur durabilité en temps de guerre. Cette nouvelle génération technologique nécessite un plan parallèle de formation de ceux qui serviront ces armes. Surtout, elle ravive l’âpreté des enjeux commerciaux et financiers, d’autant plus que les fournisseurs, aux Etats Unis comme en Europe, s’appuient sur des financements publics.

D’un côté, les Etats-Unis poussent l’UE à renforcer les capacités industrielles de la défense européenne, car ils sont inquiets du tarissement en cours des flux d’armement vers l’Ukraine, alors que leurs capacités sont également limitées. Mais, d’un autre côté, leur département d’Etat va débloquer quelque 2,2 milliards de dollars pour ’aider les alliés et pays voisins de l’Ukraine’’ à recompléter leurs arsenaux avec de l’équipement neuf américain. Ce sont, au total, 3 milliards de dollars consacrés à la promotion de matériel made in USA en Europe : un défi pour les industries du Vieux Continent.  

Les Vingt-Sept ne restent pas sans réponse. La facilité européenne de paix (FEP) de 2,5 milliards d’€uros, initialement prévue pour l’Afrique, sert désormais à rembourser les contributions de l’UE à l’Ukraine (les canons Caesar, par exemple). Un autre outil est constitué par le mécanisme EDIRPA d’achats groupés d’armement, institué par la Commission. Paris compte sur l’adoption prochaine de ce mécanisme dont la dotation de départ restera modeste : 500 millions d’euros. L’opérateur principal sera-t-il l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (Occar), favorisée par Berlin, ou l’Agence Européenne de Défense, qui a la faveur de Paris ? La première, constituée autour de six pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Belgique et Espagne), opère plutôt dans le long terme (comme l’avion-cargo A400M), tandis que la seconde, dans le format communautaire, tend à se cantonner à l’expertise technique sans déboucher sur les marchés. Quoi qu’il en soit, les premières commandes pourraient être passées l’an prochain, une fois recensés les besoins d’acquisition au sein de l’Union.

Par ailleurs, les Foreign Military Sales (FMS) américaines constituent un levier redoutable, largement utilisé pour faire obstacle à des ventes européennes. Les Vingt-Sept n’ont rien d’équivalent. Le FMS permet aussi d’échapper plus facilement aux règles de transparence des marchés publics en vigueur au sein de l’UE. Les Européens pourraient à leur tour accorder des exemptions de TVA.

L’industrie européenne de défense est un concept admis mais une réalité balbutiante. Ne pas subventionner les achats faits en Amérique relève du bon sens, d’autant plus que ceux-ci sont soumis aux normes dites ITAR (International Traffic in Arms Regulations). Elles sont très contraignantes dans la mesure où elles instaurent une interdiction sur les composants venus d’outre-Atlantique, omniprésents dans ce type de produits. Et les 27 ne sont pas aussi producteurs de ces composants. Mais, dans des temps d’urgence, ce sujet ne fait pas l’unanimité des Européens : décourager les achats d’armements ‘’itarisés‘’, dont le suivi et la réexportation s’avèrent problématiques (comme, le cas échéant, les caprices du Congrès) pourrait retarder le réarmement des pays les plus menacés par l’expansion russe (Pologne, Scandinavie, Finlande, Baltes, Roumanie…). Même l’Allemagne devra renouveler son aviation militaire dans l’urgence sans attendre le successeur européen des Tornado et Rafale. Entre Français et Allemands (qui mettent en place un fonds de 100 milliards d’euros pour réarmer la Bundeswehr), se joue aussi une concurrence feutrée, ‘’entre amis’’, pour la suprématie militaire au sein de l’UE

La guerre en Ukraine devrait faire avancer la relation entre l’UE et l’OTAN vers plus de respect mutuel et de complémentarité. Washington va bénéficier de sa posture actuelle amicale envers l’Europe, tandis que les idées françaises se feront de plus en plus acceptables au sein d’un partenariat à deux piliers forts. Dans ce cadre, le réveil européen aux réalités d’une géostratégie de guerre et l’engagement remarquable de la Commission européenne créent aussi un contexte porteur pour l’Ukraine (et pour la survie des démocraties).

Méfions nous toutefois des poussées de populisme, qui pourraient tout bouleverser sur une rive ou l’autre de l’Océan commun.

*26 septembre – Arrêtez les ayatollahs !

Elle avait 22 ans. Le 13 septembre, alors qu’elle visite Téhéran avec sa famille, la jeune kurde-iranienne est arrêtée arbitrairement par la  »police des mœurs ». Elle portait mal son voile. Elle est alors embarquée par cette unité spéciale chargée de faire respecter par les femmes le port du voile et une coercition dans tous les domaines de la vie publique. Mahsa Amini a été violemment battue lors de son transfert en détention. Elle est tombée dans le coma a décédé trois jours plus tard à l’hôpital. 

Sa mort embrase le pays. Des protestations se répandent dans toute les villes et sont brutalement réprimées (déjà des dizaines de morts) par les autorités de la dictature théocratique. Celle-ci, qui maintient son pouvoir absolu sur la population, n’en est pas à son premier Tian An Men. Autant que dans la révolte de 1979 contre le Shah d’Iran, elle s’est construite sur l’esclavagisation des femmes, la soumission des hommes et a fait du hijab son étendard politique. Il est difficile de trouver sur terre un régime plus oppressif que celui des mollahs et des ayatollahs. Pour cette raison, il faut espérer qu’un jour la voix de peuple l’emportera. Qu’ils partiront.

En fait, ce drame après beaucoup d’autres met en lumière les trois fléaux que le régime Khamenei – Raïssi porte par son essence-même, proche du fascisme :

* L’oppression, l’arbitraire absolu et la violence comme mode de fonctionnement interne. La police des mœurs, la Bassidjis (milice cogneuse du style des S.A allemands du début des années 1930) et, derrière eux la Justice et l’Armée ont jusqu’ici réussi à faire taire toute révolte citadine. Cela ne pourra durer toujours, face à une population fortement urbaine et éduquée (les femmes, notamment).

* L’expansionnisme de puissance au grand Moyen-Orient. Il ne menace plus seulement Israël mais aussi le Liban, l’Iraq, les états du Golfe. Il fait obstacle à une paix en Syrie, intervient contre l’Arménie et soutient l’agression russe en Ukraine. Il confronte volontiers les Etats Unis et alimente  à travers l’Eurasie la haine de l’Occident. Son principal outil de subversion extérieure est constitué par les gardiens de la Révolution.

* La course à l’armement nucléaire. Personne ne croit plus que la valse des centrifugeuses iraniennes à un haut degré d’enrichissement de l’uranium serve un autre but. Les derniers développements de la querelle entretenue par Téhéran avec l’AIEA (qui a perdu le contrôle à distance) et les Etats Unis plus l’Europe  donnent à penser que Téhéran est en train d’accéder au seuil nucléaire, peut être même aux technologies de simulation qui permettent de ‘’maîtriser la bombe’’, sans avoir à la montrer. Sans doute même des sites cachés, comme autrefois celui de Natanz, lui permettent d’aller plus loin encore, sous le sceau du secret. Parvenir au seuil permet d’activer les derniers préparatifs – eux, visibles – de l’emploi de l’Arme à très court terme avant sa mise à feu.

L’Iran des ayatollahs est sans doute possible une menace pour le monde. La pire de ses agressions potentielles serait le scénario d’une première frappe nucléaire, contre Jérusalem ou Riyad.  L’embrasement serait mondial mais les vieux théocrates ne s’arrêteraient pas à ce détail. Le fait qu’ils détiennent une sorte de suprématie sur la confession chiite n’entretient pas de rapport direct avec leur agressivité. La population est, elle, dans sa majeure partie, assez pieuse mais modérée.

Une démocratie iranienne ne serait pas portée à faire de la religion une arme contre le reste du monde. Bien sûr, il existera toujours une concurrence avec le sunnisme, mais elle pourrait rester confinée dans le champs culturel. L’Iran, avec ses 80 millions d’habitants et ses potentiels technico-industriel et militaire continuera aussi à se percevoir lui-même en puissance régionale. Le plus urgent est d’éviter qu’un vieux fanatique pose le doigt sur la gâchette nucléaire. Ce n’est pas un péché d’ambitionner un statut de puissance dès lors que l’Etat de droit est établi et si la Charte des Nations Unies, le Traité de Non-prolifération nucléaire et le droit international humanitaire s’en trouvaient respectés.

Tous ces prérequis et espoirs procèdent de quelle hypothèse ? D’une victoire de la démocratie actuellement défendue par des femmes et des hommes courageux aux quatre coins du Pays. Il n’y a aucun doute : ils se battent pour nous aussi.

* 22 septembre – Lueur d’espoir

Il craque, il s’effrite… Nul ne peut dire quand s’effondrera l’édifice de la dictature poutinienne et ce qui la remplacera. Ce pourrait être pareil ou pire mais, en tout cas, sans le soutien du peuple russe. Celui-ci commence à se révolter contre une guerre qui tue ses enfants en n’apportant que des fléaux sur le pays. Il ne s’agit pas de comprendre l’Ukraine, mais de rejeter une machine de mort et de mensonges. Surtout, lorsque les défaites et les privations s’accumulent sur son morne horizon.

Les  »Russes qui savent » sont de plus en plus nombreux. Ils manifestent dans une trentaine de villes contre la mobilisation pour le casse-pipe de 300.000 des leurs, censés colmater les brèches sur les fronts du Donbass et du Sud de l’Ukraine. Il faut un courage ou une indignation immense pour manifester sur la voie publique, sous la dictature de Poutine. En une seule journée, 1300 d’entre eux ont été arrêtés. D’autres, plus nombreux, prennent la tangente : tout plutôt que l’enfer actuel des villes russes. Il se précipitent par paquets compacts vers la Serbie – politiquement assez proche de leur pays d’origine – ou vers la Turquie. Le vote des citoyens avec leurs pieds ne trompe pas : un mur va tomber.

C’est dire que la nouvelle rhétorique du Kremlin ne prend pas :  »l’opération militaire spéciale » s’est mue en  »guerre défensive contre l’agression de l’Occident ». Après les Ukrainiens, les Européens deviennent, à leur tour, les nazis utiles pour justifier conquêtes militaires et annexions. Il s’agit de défendre des pans de la Sainte Russie, pris de force et qui ne lui appartiennent pas. Dans ce but, le recours accéléré à des referendums pipés sous le fracas des canons répète de pathétiques précédents. C’est la dialectique du Troisième Reich autour de son  »Lebensraum » qu’emprunte une propagande moscovite en plein délire. Voilà bien le signe d’une dictature aux abois. C’est aux Russes maintenant d’élargir la brèche.

Le tsar furieux ne va pas à New-York mais, depuis son bunker, il assène ses leçons aux Nations Unies. Comme dans les mauvais films de fiction, il s’invente des persécutions et des agressions et menace de recourir en retour à ses armes de destruction massive,  »supérieures en qualité à celles de l’OTAN ». L’Europe est censée frémir de terreur dans l’attente de frappes nucléaires.  »Ce n’est pas du bluff ! ». Elle ne frémit toujours pas car cette petite phrase est précisément la marque d’un bluff difficile à faire avaler.

* 21 septembre – L’Homme fort du Forum

Bravo, Manou : c’était un sans faute ! L’exercice oratoire obligé des dirigeants du monde à l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations Unies parle traditionnellement un peu pour l’état du monde, mais beaucoup plus pour leur état d’esprit du moment. L’absence, par exemple, de Vladimir Poutine s’assimile à celle d’un exalté retranché au fond de son bunker, convaincu que le reste du monde s’est ligué contre lui. Son isolement n’en est que plus criant, quand, à l’inverse, Xi Jinping, impassible sous un imperceptible sourire de façade, viendra, lui, expliquer que tous les opprimés se tournent vers lui.

La fougue française est payante, à New-York où chacun admet que le pays de Marianne a vocation à conceptualiser la géopolitique en parlant carré. La bonne idée a été de s’adresser essentiellement à la quarantaine de pays extérieurs au conflit en Ukraine, ceux qui n’avaient pas osé condamner l’invasion russe. Le ressentiment à l’égard de l’Occident et de ses guerres  »injustes » (l’Irak, la Libye, l’Afghanistan …) en est sûrement l’une des causes profondes du désamour du Sud. Le président français a habilement renvoyé ses pairs du monde émergent au crédo des Non-alignés. Il a évoqué cette ère de résistance à la guerre froide, de quête de la justice et du droit, auxquels ces membres de la communauté internationale ont adhéré ou adhèrent encore avec fierté.

Face à une invasion brutale, à des tentatives d’annexions territoriales de la part d’un nouvel impérialisme aux visées ouvertement coloniales, n’était-il pas temps d’en revenir aux valeurs qui avaient été si chères aux Non-alignés ? Eux qui affichaient une identité tierce face au monde de deux blocs Est-Ouest, laisseraient-ils la scène guerrière de 2022 (plus de cinquante conflits) se fracturer définitivement en deux : d’un côté, une communauté restée fidèle aux valeurs de la Charte des Nations Unies et à l’Etat de droit, de l’autre, un bloc composé de prédateurs, partisans de la Loi de la Jungle ? L’appel à l’introspection lancé aux neutres pourrait être ressenti comme agaçant. Justement, c’est parce qu’il pointe le défaut de leur cuirasse (de leur conscience, aussi) qu’il est mérité.

Le discours français s’emploie à corriger le tir en reconnaissant (discrètement) que l’Occident n’a pas toujours respecté ses propres idéaux et qu’il s’est parfois égaré dans des croisades sans lendemain. Mais ne s’est-il pas montré plus secourable (sous-entendu que la Russie et la Chine) dans la lutte contre le Covid et la relance consécutive de l’économie ? Emmanuel Macron propose au Sud un  »nouveau pacte financier » pour l’avenir. Le terme est beau mais pas vraiment neuf. Ce genre de concept-miracle reste, la plupart du temps une chimère ou finit en traitement homéopathique. C’est là flou principal du discours.

Sur le plan des institutions de l’ONU, la France joue sur du velours. Depuis plus de quarante ans que se pose la question  »urgente » d’une réforme du Conseil de Sécurité, Paris n’a jamais eu besoin d’afficher une position négative sur le sujet, contrairement à Moscou, Washington ou Pékin. Le blocage du débat n’est pas le fait des seules puissances, mais aussi de la multiplicité des mésententes entre les potentiels candidats du monde émergent. Aucun groupe régional ne parvient à choisir son champion. En Afrique, le Nigéria, l’Egypte et la République Sud-africaine se neutralisent mutuellement. En Asie, la Chine oppose froidement son veto à l’Inde et au Japon. En Amérique latine, l’Argentine hispaniste s’oppose au Brésil de langue portugaise. Il est aisé de jouer de ces différends pour se proclamer sans grand risque ouvert à toute  »solution ». Avec le départ du Royaume Uni, la seule chose – mais très improbable – que pourrait craindre la France serait de voir son siège au Conseil transféré au bénéfice de Bruxelles-Union Européenne. La demande n’émane d’ailleurs pas de l’intérieur de l’Europe mais de pays du Sud.

Plus concrète est la proposition de Paris de suspendre le droit de veto à une puissance, permanente ou élue, lorsqu’elle aura à voter sur un conflit auquel elle serait partie. Un soutien du monde émergent sur ce point pourrait contribuer à changer la donne. Mais il ne se manifeste guère.

Il reste que la vision présidentielle de la hiérarchie onusienne est très … présidentielle. Elle ne dit mot des pouvoirs de l’Assemblée générale qu’ils faudrait renforcer pour rendre le système plus représentatif et plus démocratique. Celle-ci, et non pas le Conseil de Sécurité, en constitue la pierre angulaire et la source de légitimité. Serait-ce parce que cette Assemblée générale apparaît un peu, aux yeux de Jupiter, comme équivalant à un  »machin » ennuyeux français du nom d’Assemblée Nationale ?

* 19 septembre – Le Club asiatique ‘’anti-Ouest’’

Le président chinois, Xi Jinping, et son homologue russe, Vladimir Poutine, se sont retrouvés lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), à Samarcande (Ouzbékistan), le 15 septembre. Le contexte était plus guerrier (Ukraine, Taiwan, Arménie …) que lors de leur précédente entrevue aux J.O. d’hiver de Pékin. La phraséologie du sommet a beaucoup tourné autour du slogan d’un ‘’ordre international plus juste’’. Xi a assuré que la Chine ’était disposée à travailler avec la Russie pour assumer son rôle de grande puissance’’, ce qui signifie, dans les circonstances prévalentes, que Pékin fera ce qu’il faut pour épargner à Moscou isolement et réprobation. Dans tous les cas, l’adversaire désigné est l’Occident. Pour Poutine, ceci implique de donner carte blanche à Xi pour une possible invasion de Taiwan, en échange de la ‘’retenue’’ chinoise manifestée sur l’Ukraine. Quant aux petits arrangements bilatéraux, on n’en saura rien. Autant le dire, cette mise en scène d’une Russie  »au cœur du système international et respectée par les leaders du monde » n’a pas convaincu. La Chine lui propose des béquilles mais pas réellement une alliance; l’Inde de Narendra Modi a posé assez brutalement la question de l’agression de l’Ukraine. Pour  »couronner » le tout, la non invitation de Vladimir Poutine aux obsèques de la défunte reine d’Angleterre achève d’humilier le paria du Kremlin, jusqu’à le faire crier au  »blasphème » (sic).

Son ‘’partenariat de temps de guerre mais sans la guerre’’ passe, avec Pékin par des échanges commerciaux en très forte hausse en soutien de Moscou, alors que les sanctions occidentales affectent l’économie russe. L’économie de guerre russe est particulièrement avide de microprocesseurs et autres articles électroniques et de toute une gamme de métaux; Mais Pékin reste prudent et s’emploie à ne pas s’exposer aux sanctions frappant son partenaire. Les finances du Kremlin sont soutenues par un surplus d’importations. Entre janvier et août, la Chine a ainsi acheté moitié plus de produits russes – essentiellement des hydrocarbures – qu’à la même période de 2021. Dans l’autre sens,les exportations vers la Russie ont bondi de 9,4 % au premier semestre. On imagine que Poutine réclame à cor et à cri des armes et des munitions que Xi se garde de lui fournir. L’OCS est, entre autres, une instance de coopération militaire.

Cette institution a été formalisée en 2001, succédant au précédent ‘’Groupe de Shanghai’’ de 1996, un forum régional créé par la Chine, la Russie et quatre États d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan et Tadjikistan). Elle s’est élargie à l’Inde et au Pakistan en 2016, puis à l’Iran en 2021 et compte désormais une vingtaine d’Etats.

Elle répondait à l’origine aux craintes suscitées par la montée de l’islamisme au sein des nouvelles républiques indépendantes d’Asie centrale issues de l’éclatement de l’URSS. Au-delà de la stabilité de cette région sous tension, se profilait la  menace d’une contamination des populations du Xinjiang appartenant aux mêmes ethnies turcophones de part et d’autre des frontières. Devenue ‘’Organisation de Coopération de Shanghai’’, en 2001, avec un siège établi à Pékin, elle se veut toujours une antidote aux ’’ menaces du terrorisme, de l’extrémisme et du séparatisme’’.

L’OCS est devenue l’un des fers de lance de la géopolitique russe, dont le tournant vers l’Asie, amorcé dès 1996, s’est amplifié sous Vladimir Poutine dans les années 2010, en même temps que se détériorent ses relations avec les Occidentaux. En période de conflit avec l’Ouest – comme c’est le cas actuellement – la carte géostratégique de l’Asie rompt l’isolement de son pays et solidifie un contre-poids à l’influence occidentale. C’est une alternative à sa propension à soumettre l’Europe.

Ayant intégré comme membres, observateurs ou invités, de nombreux pays (dont la Biélorussie, le Cambodge, l’Afghanistan, la Turquie, l’Azerbaïdjan, etc.), elle a acquis une assise importante : les 3/5ème de l’Eurasie et 43 % de la population mondiale. Elle cherche donc à se doter, dans les affaires du monde, de leviers de contre-influence face à Washington et aux Européens, dans un contexte longtemps marqué par l’unilatéralisme américain. Mais la démonstration n’est pas totalement patente alors que, sous la vague montante de l’anti-occidentalisme, pointe encore, chez beaucoup, les principes résilients du non-alignement (un mouvement, hélas, sur le déclin).

Avec l’arrivée de l’Inde et du Pakistan dans ce cénacle, l’Organisation s’applique à élaborer une diplomatie triangulaire plus complexe. Le ‘’partenariat stratégique’’ de Moscou avec la Chine reste la pierre angulaire de l’édifice, traversé, par ailleurs, de multiples divergences d’intérêts nationaux et de contentieux bilatéraux persistants. La guerre d’Ukraine et la présence de l’Iran ont achevé de radicaliser cette alliance dépourvue de Traité de défense. Les accords signés portent sur le nucléaire civil (ce qui fait l’affaire de Téhéran), l’exploitation des ressources énergétiques, l’industrie de l’armement et le commerce.

On pourrait dire qu’à son insu, la reine Elisabeth II a rendu un excellent service à l’Occident le jour de ses funérailles. Ou que le nouvel ordre international dont se gaussent certains reflèterait surtout la généralisation de tous les désordres et de tous les maux.

* 15 septembre – Rejetons de la guerre

Les guerres d’agression font des petits. L’Azerbaïdjan et l’Arménie recommencent leur confrontation armée depuis trois jours. La situation autour du Haut-Karabakh, en grande partie récupéré par Bakou, est de plus en plus tendue alors que le premier des deux républiques ex-soviétiques a lancé une offensive d’artillerie sur son voisin. Une dictature brutale s’en prend, là encore, à une démocratie. Comme toujours, les deux pays s’accusent mutuellement d’avoir lancé les hostilités. En 2020, conformément à un accord de cessez-le-feu, Moscou avait déployé des soldats de maintien de la paix au Nagorny Karabakh, l’enclave de culture arménienne revendiquée par l’Azerbaïdjan comme un de ses territoires éternels. Le conflit ayant fait près de 7000 mort et son armement n’étant pas au niveau de celui adverse, Erevan s’était plus ou moins résignée à cette  humiliation. Le cessez-le-feu de 2020 n’ayant pas débouché sur un accord de paix, les parties restaient dans une situation de conflit larvé… qui s’est donc rallumé.

 En haut de la pyramide belliciste, l’exemple de la ‘’loi des loups’’ est donné par la Russie de Vladimir Poutine. Aux franges du Caucase et de l’Asie centrale, l’impunité tend à s’imposer comme ailleurs, en termes d’invasion, d’annexion de territoires et de frappes militaires sur des populations civiles. L’Azerbaïdjan en 2020 , comme la Russie en Ukraine, s’est d’abord attaqué aux territoires voisins qui lui étaient les plus liés par l’Histoire, la contiguïté géographique ou la culture. Aujourd’hui, Bakou, à l’image de Moscou, est passé à l’expansionnisme  dur, avec malheureusement dans son cas, l’appui du grand allié turc. L’OTAN voit dès lors l’un de ses principaux membres et fournisseur d’armes en Ukraine se compromettre sur ce théâtre traditionnel du grand-turquisme. Ankara agit alors en adversaire de l’Europe et des démocraties.

L’attrition militaire et la désorganisation que connaît le protecteur traditionnel russe de l’Arménie (en vertu d’une alliance de défense) ont ouvert une fenêtre d’opportunité pour régler des comptes avec Erevan. Moscou appelle au calme mais ne bouge pas ou n’a d’autre choix que de laisser faire. Pour le dictateur azéri, une nouvelle victoire militaire constituerait le plus beau cadeau il puisse offrir à son peuple, pour se maintenir éternellement  à sa tête. Il n’est pas le seul à faire ce calcul.

La présumée ‘’communauté internationale’’ appelle à la « retenue » et à un ‘’règlement pacifique du différend’’, formule consacrée, la plus plate et la plus impuissante qui soit, à laquelle on a recours quand on ne va rien faire. La France préside néanmoins actuellement le Conseil de Sécurité. Lors d’entretiens avec plusieurs dirigeants mondiaux, dont Vladimir Poutine et Emmanuel Macron, Nikol Pachinian, le premier ministre arménien, a appelé la communauté internationale à ‘’réagir’’. Cela n’a galvanisé personne. Emmanuel Macron se serait adressé au président Aliev d’Azerbaïdjan, le priant urgemment de mettre fin aux hostilités, et de revenir au respect du cessez-le-feu. Cela ne va pas effrayer ni convaincre ce dernier, qui sait bien que tout le monde a la tête ailleurs, grâce à la guerre d’Ukraine. Ce nouvel épisode de conflit post-soviétique est donc appelé à se développer.

* 14 septembre – Fin d’omerta ?

En République Française, on ne débat pas de politique extérieure au sein des institutions représentatives de la Nation. C’est comme ça. Pas même d’interventions militaires extérieures : ce n’est pas la coutume. Ceci confère à notre démocratie un caractère d’exception (une exception française de plus !).

 On se souvient de l’omerta qui avait frappé la désastreuse expédition de 2011 en Libye contre  Kadhafi et son régime, en violation du mandat humanitaire de l’ONU. Comment oublier celle, longue et solitaire, au Mali en 2013 pour y bouter l’expansion jihadiste (qui prospère de plus belle !). Rappelons aussi  l’intervention – certes, ponctuelle – de la marine de guerre en renfort du blocus du Yémen en 2015 accompagnée de contrats mirifiques décrochés par les marchands français d’armement à Riad et Abu Dhabi, en soutien à la croisade anti-chiite des émirs. Tout cela n’a eu pour effet que d’accroître encore le supplice des populations civiles yéménites. Au final, il en a résulté aussi une forte présomption de complicité de la France dans ce qui est partout perçu en Occident comme un crime contre l’humanité. Même marginale, ce fut une contribution à la plus grande crise humanitaire du moment. Ce ne fut pas bon pour l’image de la République. Mais, silence dans les travées !…

J’ai moi-même reçu d’un vice-président de la Commission des Affaires étrangères, qui était aussi mon député, la confidence comme quoi, en France, le Législatif souffrait d’être écrasé par l’Exécutif ; qu’il cherchait en vain un droit à l’information et une émancipation mais n’oserait jamais recourir à son droit d’enquête : cela relèverait du régicide. Ainsi, en matière d’opérations extérieures et d’armement, les représentants de la Nation font face à la Monarchie. Et, d’évidence, ils en ont peur, sans pouvoir exprimer ouvertement cet effroi.

Alors, je fais un peu taire l’Ours quand j’apprends, au détour d’une brève de trois lignes, que la Première ministre française prépare un débat à l’Assemblée nationale sur la guerre en Ukraine (et aussi sur les conséquences qu’elle a en France). Il aura lieu au Palais Bourbon le 3 octobre, en application de l’article 50-1 de la Constitution. Dès juillet, Mme Elisabeth Borne en avait émis l’idée. Je n’y avais pas fait vraiment attention sur le coup. Bientôt, nous aurons donc à entendre une déclaration du Gouvernement sur le sujet de la Guerre et de la Paix. Elle sera suivie d’un débat dans l’Hémicycle. Au Sénat, la date du débat n’a pas encore été fixée mais la même séquence est prévue. D’ailleurs, ce n’est pas trop risqué puisque sur la guerre en Ukraine, le gouvernement français a cette fois épousé la bonne cause. Mais quand même : Youpeee !

Merci, Elisabeth, de ton initiative bienvenue et assez audacieuse de la part d’une ancienne préfète ! Prions pour que le débat sur la guerre ne soit pas détourné en un exercice autocentré et nombrilique sur l’inflation et la crise énergétique (des sujets traités – avec raison – partout ailleurs). Rêvons qu’on entende des mots comme ‘’liberté’’ ‘’fraternité’’ ‘’solidarité des démocraties’’ ‘’respect du droit humanitaire et de la Charte des Nations Unies’’, etc.

Si c’est bien le cas, l’Ours et moi on va se mettre à aimer Elisabeth autant qu’on aime déjà Ursula !

* 8 septembre – Adieu l’Afrique ?

Il y a cinq mois, ce blog écrivait, à propos de l’intervention française au Sahel :

(Après la déconiture de l’Occident à Kaboul, en août 2021),  »l’autre  »retrait » annoncé par avance est celui du Sahel. Barkhane, Takuba et peut être le G 5 sont virés du Mali, une situation   »perdant-perdant », qui a de quoi réjouir et relancer Al Qaïda et Daech. Certes, les soldats de l’Occident vont « se redéployer » au Niger, un plan alternatif énigmatique, sans conviction. L’urgence est à l’évacuation des bases militaires du Nord-Mali, pas au choix d’une stratégie. Au train ou vont les choses, cela pourrait signifier trois ou quatre coups d’état à Bamako , un nombre indéterminé de changement de politiques et une progression irrémédiable du Jihad terroriste. Qu’importe ! Ne regrettons pas ces opérations militaires uniquement efficaces à décimer des états majors terroristes, lesquelles se recomposent aussitôt, avec l’assentiment assez large de la base. On tournait en boucle dans une seringue dont le nom est  »impasse ».

On sait que la menace se déporte désormais sur les pays riverains du Golfe de Guinée. L’exercice d’endiguement s’annonce complexe : il va falloir rassurer sur l’engagement de la France au Sahel et dans la bande côtière, sans compromettre la décision de s’extraire de la nasse, tout en se dégageant du maquis des contradictions politiques africaines et en convainquant les populations. Le volet politique et social du combat contre le djihadisme importé du Moyen-Orient ne mérite même pas le qualificatif d’échec : ce fantôme n’a même pas existé. Une victoire sur le terrain humain était impossible; elle le reste ».

L’Ours Géo se répète un peu, en septembre :

 »Le 15 août, sous le signe de l’ascencion de la Vierge, Barkhane a discrètement fait monter son dernier détachement de Gao sur Niamey. Ainsi est scellé l’échec d’une opération d’inspiration juste mais qui a trop duré et mal tourné. Les hauts faits des militaires français ont caché la réalité d’un échec politico-militaire (la progression éclair du jihadisme). C’est bien quand même l’Afghanistan de la France. D’une opération ponctuelle de refoulement sur la frontière saharienne algéro-malienne, on est passé au contrôle progressif du jihadisme sur cinq pays et au-delà, tant au Sahel qu’en Afrique occidentale.

Le coût se monte à de dizaines (centaines ?) de milliers de morts civils. Dans un cocktail de populisme local et de polémique à la sauce moscovite, Bamako s’est empressé de dénoncer au Conseil de sécurité des actes présumés d’indiscipline aérienne et d’appui aux rebelles jihadistes, que la junte impute à Barkhane. L’invasion jihadiste se double désormais d’une percée de la dictature russe.

L’approche à dominante militaire, depuis longtemps caractéristique des interventions françaises en Afrique, ne pouvait pas traiter les problèmes à la racine. D’ailleurs, lesmilitaires le savent bien. L’absence de vision, de plan et de cohérence de la politique court-termiste du gouvernement français, sa prétention malgré tout à décider seul, son inertie à s’ajuster aux réalités des sociétés africaines constituent les causes profondes de ce désastre partagé en coresponsabilité avec les Africains. Beaucoup voudront l’oublier. Au contraire, il faudra en tirer les leçons le jour où l’on réapprendra à gérer le monde collectivement et sur le long terme.

* 7 septembre – La matrice du monde à l’image du climat

Les Etats Unis, la Chine et l’Europe, les trois principaux moteurs de l’économie mondiale se grippent en même temps. Le repli de chacun sur soi et contre les autres porte en fait un nom : le déclin du cadre multilatéral des relations internationales. On perd tout ce qui nous permettrait de vivre ou de circuler sans crainte sur la planète en échappant à la Loi de la jungle. Cette matrice est composée des instruments juridiques régissant les relations entre les acteurs internationaux, des autorités et agences supra-nationales structurant des régions (UE, ALENA, Communauté andine, Ligue arabe, etc..) ou des activités fonctionnelles (Croix rouge, G 8, OPEP, OMC, OCDE, Nations Unies et leurs organes spécialisés, etc.).

Du fait de son rôle de forum global de la paix, de la coopération, du développement et de la sécurité juridique, l’ONU en constitue le chapeau. Mais, quels acteurs, quels Etats le respectent encore vraiment, à l’heure des plus graves menaces contre la Paix depuis 1945 ? Aucun. La paralysie désespérante du Conseil de Sécurité – due aux blocages russe et chinois, mais tout autant à l’absence de réforme en son sein – a anihilé toute capacité à servir d’intermédiaire dans les conflits et d’aiguillon dans la résolution des menaces globales. Le système mondial est fantômatique et la Loi de la jungle revient en force.

La stabilité du monde et la justice des hommes jouissaient des meilleurs chances lorsque toutes ses structures agissent comme lubrifiant des contradictions et des chocs planétaires. On pouvait alors espérer des marchés qu’ils convertissent cette stabilité en croissance, un autre mode de désarmement des tensions. Aujourd’hui, les marchés se cassent en blocs régionaux. Leur fonctionnement vise le plus souvent au rapport de forces voire à la domination. Les sanctions sont reines, les règles, caduques.

La matrice du monde fonctionne en fait à rebours, en grande partie parceque les Etats et leurs citoyens tentent d’échapper aux règles de la coexistence multilatérale, préférant servir leurs bases populaires, voire les fantasmes populistes en vogue. Chaque gain se fait aux dépens de publics étrangers, ce qui relance les conflictualités en boucle… Ce phénomène est illustré par la crise de l’énergie, en partie alimentée par la guerre en Ukraine (en fait l’offensive russe contre l’Occident) et par la politisation du commerce, mais aussi en partie, par la spéculation d’entreprises dénuées de toute conscience sociale.

L’inflation actuelle devient systémique et elle s’emballe par anticipation d’un futur supposé pire encore : va-t-elle muer en récession globale, cet hiver ? Va-t-on avoir froid, connaître des rationnements, voir notre pouvoir d’achat fléchir et le train de vie de l’Etat, grêvé par l’explosion du coût des filets sociaux ? Va-t-on refuser le prélèvement nécessaire au rétablissement de notre capacité de défense, à l’heure où des millions d’hommes libres sont massacrés, déportés, esclavagisés et où nous sommes nous-mêmes menacés d’holocauste ? La conférence de revue sur la non-prolifération nucléaire avait déjà tourné à l’échec au printemps.

Dans le court terme, on assiste au rush gazier de l’Occident sur l’Arabie et la Qatar, l’Algérie, … à l’heure où Gazprom coupe les vannes à grand renfort de mises en scène tragicomiques. Mettre la main sur de nouveaux gisements d’énergie implique moultes complaisances et courbettes envers des émirs, gourmands en armement et, par ailleurs assez méprisants des droits humains. Cela confirme au passage le biais pro-sunnite de la classe politique en Occident, plus portée à fustiger le radicalisme de l’Iran chiïte qu’à rechercher la coexistence des deux écoles de l’Islam.

Le jihadisme des principales multinationales terroristes, continue de progresser en Afrique sub-saharienne. Il se rapproche irrémédiablement des régions côtières. Les victimes civiles sont nombreuses au Mali (en dépit ou plutôt à cause de la présence des mercenaires Wagner) et au Burkina Fasso. La Minusma se heurte, à son tour, à l’agressivité des dirigeants de Bamako. Ceux-ci se lancent dans des campagnes de diffamation manifestement téléguidées par Moscou. Poutine ou l’émir de Daech, maître de l’Afrique ? Cela jetterait plus d’un milliard d’humains dans un abîme de souffrance.

L’abandon des priorités de la transition climatique saute aux yeux, alors qu’un été caniculaire et enflammé suivi d’immenses innondations (le Pakistan est en perdition) rappelle à tous l’acuité de la crise climatique. A deux mois de la COP 27 à Charm-el-Cheikh, l’Occident boude la conférence préparatoire consacrée à l’adaptation consacrée au contient africain. L’Afrique est frappée plus durement que d’autres, par un défi qui dépasse ses capacités et sa médiocre gouvernance. Dans le même ordre d’idées, la conférence internationale sur le haute mer a également jeté l’éponge, en raison de la cassure de la communauté mondiale.

La communauté internationale, kesako ? Plus encore que l’ONU, elle recouvre tous les égoïsmes et toutes les démissions. Autant dire qu’elle est, sur un plan opérationnel, moribonde, incapable de répondre aux grandes urgences et de travailler au rétablissement de la Paix. Ceux, dont les médias, qui l’invoquent à tort et à travers sont des naïfs ou des hypocrites impénitents. Le multilatéral avait constitué un vrai trésor au cours des anées 1990. Des murailles de confiance, de coopération et d’ouverture pourraient, dans l’avenir, remettre le train mondial sur de bons rails. Mais probablement pas sans un réveil assez brutal.