Des personnages très comparables

Je me suis longtemps méfié du syndrome de Godwin qui voudrait que face à l’horreur politique et humanitaire, on effectue presqu’automatiquement un parallèle avec Hitler et son troisième Reich. Je ne suis plus aussi sûr, depuis un an, que cette outrance ou ce réflexe d’indifférentiation soit aussi abusif que ça. La voie morbide suivie par Vladimir serait-elle un peu copiée sur le  »Mein Kampf » d’Hitler que ça ne me troublerait pas plus que ça.

On peut dire que des deux côtés les agressions et les objectifs d’invasion / annexion ont été nourris de longue date et entraient dans le cadre d’une vengeance contre les démocraties occidentales (suite à la défaite de 1918 ou à l’implosion de l’URSS, au bénéfice de l’Occident). Ces plans n’ont pas été totalement cachés mais n’ont pas été clairement perçus de l’Occident, lequel n’a, dans les deux cas, pas vraiment cru à ses projets d’empire et aux énormes discriminations politiques ou raciales qu’ils impliquaient. La tromperie a précédé l’attaque. Pour Adolf, le monde slave était composé de sous-hommes, la Pologne devait être démembrée; pour Vladimir, l’Ukraine n’existait simplement pas. On a continué à vouloir raisonner Poutine malgré tout comme on pensait calmer Hitler par des approches illusoires du type de Munich.

On me dira que Moscou ne s’est pas rendu coupable de la Shoah. C’est vrai, mais la différence ne tient qu’au ciblage des populations civiles qui ont été et sont massacrées. La Russie cible les quartiers résidentiels et les habitations à l’aveuglette quand l’Allemagne nazie débusquait ses victimes. Les deux ont déporté, exécuté, torturé sans limite. Vladimir a mille fois mérité son inculpation par la CPI (qu’il ne reconnait pas) pour crimes contre l’humanité. Il a de plus transformé la vie de ses concitoyens en un enfer totalitaire et sacrifié sans scrupule la  »chair à canon ». Gageons que lui aussi échappera à son Nuremberg. En effet, on ne voit pas en Russie de plan B pour la paix et encore moins une perspective de défaite militaire complète. Enseignées dans les écoles, la haine des Occidentaux et la dénonciation des  »menaces systémique » qu’ils feraient peser sur la Russie promettent d’ancrer dans la durée la volonté de poursuivre les hostilités.

Resterons-nous simplement protagonistes ou deviendrons-nous cobelligérants ? Chez nous, au moins deux générations vont devoir porter ce fardeau. Le syndrome de Godwin n’est pas si faux.

* 9 janvier – Sinistre nouvel an à Makiïvka

Un pays agresseur qui rappelle, en guise de vœux de fin d’année, ses plans d’annexion de quatre régions qu’il occupe militairement peut-il être cru quand sa propagande éhontée crie  »pousse, on arrête un moment » ? Surtout quand il souhaite dans la foulée rendre la vie invivable aux populations qu’il bombarde. Personne n’a cru à la trêve de 36 heures dans la bataille fixée sur le front hivernal. Elle n’a pas eu lieu et les échanges d’artillerie n’ont pas cessé.

La phrase de la semaine revient à Joe Biden :  »Poutine manque d’air ». L’inconfort de sa position de dictateur mis en échec transpirait lorsqu’il a décrété une pause de prière pour le Noël orthodoxe. Cela n’a pas dû impressionner les loups du Kremlin qu’on imagine rôder autour de l’autocrate fourvoyé dans l’impasse. Les Russes du peuple crèvent surtout de peur d’être mobilisés en force sur ce maudit front. Les Ukrainiens, eux, ont pour la plupart fêté la nativité le 25 décembre, selon le calendrier grégorien et n’avaient plus grand chose à attendre du patriarcat de Moscou. Ils ont le leur, indépendant. Bref, Poutine n’a trouvé pour marquer son autorité qu’un insignifiant coup de baguette dans l’eau. Ce gadget de propagande ne pouvait faire retomber du côté de l’Agressé la  »culpabilité » qu’il assumerait à poursuivre ses opérations de défense : l’hypocrisie n’est jamais le fait de celui qui poursuit une cause juste. En Occident, il n’y a eu quasiment aucun commentaire pour se féliciter de cette première  »trêve » déclarée depuis le début de la guerre en Ukraine. Ou alors pour relever le sentiment d’une propagande russe un peu aux abois, à court d’imagination. La forteresse se lézarde.

Le 2 janvier, Moscou avait piteusement reconnu avoir subi 63 pertes de soldats à Makiïvka, à l’Est de la ville séparatiste Donetsk. Puis 88, ouvrant la perspective d’un nombre de morts bien supérieur encore parmi ses conscrits. Dans la guerre psychologique en cours, se forge l’image d’une Russie figée, blessée. Reconnaître l’incurie de son armée n’est pas glorieux pas plus que de clamer une revanche prise à Kramatorsk que nul n’a constatée. On pourra même préférer se fier à l’estimation énorme que fait Kiev de ce magistral coup au but : peut-être 800 victimes localisées tout simplement par leurs téléphones mobiles avec lesquels elles adressaient vœux et nouvelles à leurs familles. Le choc émotionnel est fort l »’opération militaire spéciale » tourne bien au massacre.

C’est un haut fait militaire vu du côté ukrainien et il faut se réjouir que les militaires de Kiev, équipés par de puissants moyens d’artillerie occidentaux, parviennent à exploiter les failles organisationnelles et humaines de l’armée russe. Ces soldats russes mal formés et mal commandés, cantonnés de façon regroupée près de leur matériel, étaient de la chair à canon désignée à l’adversaire. Dans ce contexte, on peut retenir le bilan des américains qui parlent de 100 000 victimes russes tués depuis février et qui en comptabilisent autant coté ukrainien. Reste enfin, le nombre de civils morts : ils seraient plus de 6700, d’après l’ONU. L’invasion est abjecte mais, au stade actuel, le dispositif russe de massification de forces s’avère primitif. Cette armée n’est pas aussi invincible qu’on l’avait cru. L’Ukraine parvient à nous faire espérer qu’elle pourra la désorganiser suffisamment pour retourner en sa faveur la prochaine offensive terrestre du printemps. Mais il faut qu’elle agisse vite pour éviter une mobilisation générale en Russie.

Il faut surtout espérer que la troupe russe et les familles des soldats se rebelleront contre les conditions misérables dans lesquelles l’opération militaire spéciale a été engagée. Ses chefs ne se déplacent jamais sur le front et ses officiers sont fréquemment les boucs émissaires de leur haute hiérarchie. Poutine contrôle durement un appareil d’Etat mais n’inspire plus aucun élan patriotique, seulement de la peur. Souhaitons que le trône du tsar vacille enfin pour que les centaines de morts de Makiïvka aient péri pour quelque chose qui soit à la hauteur de leur tragédie !

* 5 janvier – Ode à la Paix du monde

Guangong (un cousin se Mars), le dieu oriental de la guerre est de retour, avec sa face écarlate et ses yeux exorbités. Il nous avait amené les guerres des Balkans au sein de l’ex-Yougoslavie  (dont la Bosnie), aux franges de l’Arménie et de l’Asie centrale ex-soviétique, dans les années 1990 : nous n’avons pas tiqué. Il a fait souffler le vent du terrorisme jihadiste sur l’Europe, dans la décennie suivante. Cela nous a alors a poussé à intervenir brutalement – même si ce fut sans succès – en Afghanistan, en Iraq, au Sahel : nous étions courroucés. Il s’est fait manipulateur de la démocratie et il a brouillé notre jugement en exploitant les réseaux sociaux à l’occasion des grands scrutins déterminant le cours des démocraties, notamment, à propos du Brexit et de l’alternance populiste de D. Trump aux Etats-Unis. Il a ensuite pris le visage fuyant et hypocrite de la guerre dite hybride, lors de la renaissance de la guerre froide autour des émancipations ukrainienne et biélorusse. Dans notre quotidien, la vie sur internet et la sécurité de nos infrastructure se sont teintés de risques perçus comme inhérents au ‘’système’’ : nous sommes devenus pessimistes et méfiants, mais nous nous sommes cru encore en paix. Les dernières illusions sont tombées avec la seconde guerre d’annexion de l’Ukraine : la ‘’question russe’’ réintroduisait une guerre froide, en fait déjà tiède.

Moscou nous coupe le gaz, nous menace d’un holocauste nucléaire, nous crie à la face que nous sommes les ennemis détestés qu’elle voudrait abattre. Au diable le déni de l’agression, nous revoilà tout proches de la guerre de Grand Papa. Un anti-missile est tombé sur la Pologne et l’article IV (consultations de crise) de la Charte atlantique a été invoqué. Le ‘’Mein Kampf’’ d’Adolphe renaît sous la forme de ‘’l’opération spéciale’’ (très spéciale, en effet) du sieur Vladimir. L’Histoire est repartie dans les années 1940 : elle boucle la boucle et ne se stabilisera pas, comme l’imaginait le prophète américain Francis Fukuyama (‘’la Fin de l’Histoire et le dernier homme’’). Il faut se réarmer, moralement et militairement pour la ‘’haute intensité’’. Qui l’aurait cru lorsque le mur de Berlin est tombé, il y a 33 ans ?  Pas moi (ni l’Ours).

Aux frontières de l’Union européenne, les gens meurent sous les bombes et les missiles, victimes d’une tentative folle d’annihiler ce qu’on ne peut pas arracher par la force. Les champs de bataille sont des champs de torture. Les enfants sont enlevés par centaines de milliers pour être russifiés. Des ‘’camps de filtrage’’ sont dressés dans les profondeurs du territoire russe. De l’autre côté, Moscou envoie au casse-pipe ses soldats ethniquement non-russes : Tchétchènes, Ingouches, Bouriates, etc., profitant de l’occasion pour ménager son vivier primordial de Russes ethniques (24 soldats morts seulement à Moscou, sur peut-être 100.000 tombés au combat). Cette offensive russe est bien d’essence coloniale, portant la marque d’un empire continental cleptomane, devenu toxique et tueur. Le groupe privé Wagner et ses guerriers sans âme s’émancipent et deviennent un Etat dans l’Etat, jugeant avec mépris l’armée étatique.

De la paix froide, on passe à une sorte de guerre totale, pondérée par la seule dissuasion nucléaire et aussi, un peu, par le comportement resté humain des Ukrainiens. Ils incarnent la résistance à la barbarie pure, l’arrière citoyen soutenant l’avant militaire : on les admire et on doit les soutenir, ne serait-ce qu’en tant que leurs alliés également placés sous la menace poutinienne. Les peuples qui veulent se libérer finissent par l’emporter. Mais au prix de quels méandres arriverons-nous, un jour, à négocier une paix qui soit juste, légale et durable, une vraie paix ?

Clausewitz estimait que la guerre est un caméléon. Ses voies, buts et moyens varient au gré des circonstances. C’est un tourbillon incontrôlable qui n’a, grâce à la propagande, que l’apparence d’une certaine cohérence. Il emporte les décideurs vers des stratégies qu’ils n’avaient pas initialement décidées. Les défis à la raison, même celle qui sert de mauvaises causes, conduisent à une forme de chaos universel. Telle est bien la dimension globale des conséquences de cette guerre, qui entrave la vie au Nord et compromet le développement au Sud. L’humanité envers soi-même comme envers les siens se perd en route : on le sent mais on ne veut pas se l’avouer, car la marche arrière est impossible… et la marche avant, suicidaire. C’est là que se trouve aujourd’hui l’inflexible Vladimir Poutine, assurément plus très loin de sa faillite finale.

Un autre problème est que pour les Azerbaïdjanais, Turcs, Rwandais, Erythréens – et même jusqu’à l’immense Chine – le ton est donné d’un retour de l’annexionnisme guerrier, de l’enterrement du droit. L’Europe devra réécrire sa vision stratégique du monde en termes bien plus tranchants. Le G 20 s’exprime, grâce à elle, contre la guerre en Ukraine. Taïwan ne sera pas annexée demain. Mais le nouveau ‘’désordre mondial’’ appelle contre lui un retour général aux valeurs – actualisées – qui avaient fondé la Charte de San Francisco de l’ONU.

Une entreprise titanesque, s’il en est !

Pendant quelque temps, l’Ours Géo va se faire plus rare ou se manifester par des brèves vraiment brèves. Gardez vos abonnements pour qu’il vous rende visite.

* 21 décembre – Le Kremlin en dissonance

Soit, la Russie n’a plus besoin de l’arme nucléaire pour soumettre l’Ukraine, soit Poutine et son fidèle second, Dmitri Mevdevev se sont (em)brouillés dans de pathétiques dissonances de discours. L’ex-président russe et actuel numéro 2 du Conseil de sécurité a proféré de nouvelles menaces anti-occidentales, le 10 décembre, juste après que son chef se soit appliqué à calmer le jeu. Ledit chef, lui, fait étonnamment profile bas : il va quêter des renforts chez son comparse (obligé) de Biélorussie, passe, tel un fantôme, dans l’état-major de  »l’opération spéciale » ( »auriez-vous des idées pour repartir de l’avant ? ») et décore au Kremlin quelques héros du peuple très anonymes. De visite sur le front : point.

‘’Notre ennemi ne s’est pas retranché uniquement dans le gouvernement de Kiev. Il est aussi en Europe, en Amérique du Nord, au Japon, en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans d’autres endroits ayant prêté allégeance aux nazis de notre temps’’, estime Dmitri Medvedev. ‘’Voilà pourquoi nous intensifions la production des moyens de destruction les plus puissants, y compris ceux basés sur de nouveaux principes’’, a-t-il poursuivi dans un message sur son compte Telegram. Il n’a pas détaillé ces nouveaux principes, mais faisait, semble-t-il, notamment référence aux nouvelles générations d’armes hypersoniques que Moscou se targue de développer activement ces dernières années. Medvedev n’est qu’un opportuniste qui se place en vue d’on ne sait quelle échéance interne. Ses mots ne pèsent guère.

L’avant-veille, son ‘’patron’’ avait sérieusement relativisé la perspective d’une expansion à la dimension nucléaire de la confrontation à l’Occident et même renoncé à une première, voire une seconde frappe tactique pour la défense de ce qu’il considère comme le territoire sacré de ‘’Mère Russie’’. Il ne parlait plus des ‘’nazis de notre temps’’ ( ?) mais de disponibilité à signer un accord. Certes, pas aux conditions du plan de paix ukrainien mais l’emploi du mot vaut d’être noté :  »Au final il faudra trouver un accord. J’ai déjà dit à plusieurs reprises que nous sommes prêts à ces arrangements, nous sommes ouverts, mais cela nous oblige à réfléchir pour savoir à qui nous avons affaire », a déclaré le président russe, en marge d’un sommet régional au Kirghizstan. Alors, qui croire, que croire ? Poutine se sent-il empêtré, est-il tenté de  »limiter la casse », de faire marche arrière ? Voit-il seulement clair dans ce qui est supposé être sa stratégie ? Détruire l’Ukraine, faire fuir la jeunesse russe menacée de conscription, envoyer au massacre les soldats issus des minorités, déporter en masse des enfants pour les russifier? Et après ? Rien de tout ça ne concourt à réaliser de façon stable son plan mégalomaniaque : d’où ce coup de mou. C’en est au point qu’il n’ose plus parler à son peuple: les traditionnelles adresse de fin d’année à la Nation et conférence de presse ont été rayées de l’agenda, un fait rarissime, significatif d’un malaise personnel.

Sa santé n’est, dit-on, pas très bonne. Peut être, reprendra-t-il, au printemps, du poil de la bête. Mais on dirait que la certitude de vaincre s’effiloche au royaume du Kremlin…

* 19 décembre – Prix Nobel de la paix 2022 : résistance et humanité

En temps de guerre, le prix Nobel de la Paix constitue une arme morale. Ne quittons pas l’année sans considérer le beau cadeau d’anniversaire fait à Vladimir Poutine, le 10 décembre : l’opposant bélarusse Alès Bialiatski, l’ONG russe Memorial et le Centre ukrainien pour les libertés civiles se sont vu remettre le prix Nobel de la paix à Oslo. Des choix très politiques pour booster la volonté de résistance à la dictature poutinienne. Issus des trois principaux États protagonistes du conflit, tous trois ont été honorés pour leur engagement en faveur des droits humains, de la démocratie et de la coexistence pacifique face à la monté des populismes autoritaires.

‘’Les récipiendaires représentent la société civile dans leurs pays, le droit de critiquer le pouvoir, les droits des citoyens, la lutte contre les crimes de guerre, les abus de pouvoir’’, a justifié l’académie Nobel. De fait, les trois lauréats incarnent la paix et démocratie, ces biens de plus en plus contestés.

– Alès Bialiatski est l’un des initiateurs du mouvement pour la démocratie qui a émergé au Bélarus au milieu des années 1980. Il est essentiel que cette nation brimée qui a produit il y a deux ans une admirable ‘’révolution de femmes’’ (les épouses des militants emprisonnés) ne tombe pas dans l’oubli. Ce défenseur des droits est connu pour son travail à la tête du Centre Viasna, l’organisation de défense des droits de l’Homme en Biélorussie. Vice-président de la Fédération internationale pour les droits humains, il est emprisonné depuis le 14 juillet 2021 dans l’attente d’un procès où il est passible de douze ans de prison pour ‘’contrebande’’ d’espèces au profit de l’opposition. Sa situation illustre le ‘’crime’’ que constitue tout contact suivi avec le monde extérieur. En son absence, c’est son épouse Natalia Pintchouk qui a reçu la récompense. Celle-ci a répété quelques-uns des mots de son mari, notamment ceux dans lesquels il appelle à se dresser contre l’internationale des dictatures : ‘’actuellement, des milliers de personnes sont derrière les barreaux en Biélorussie pour des raisons politiques et ils sont tous mes frères et mes sœurs. Rien n’arrêtera la soif des gens pour la liberté’’.

– L’ONG russe Memorial documente les crimes commis par le pouvoir soviétique puis russe. A quelques jours de l’invasion de l’Ukraine, le pouvoir poutinien a dissous cette association, qui fait figure d’opposition interne parce qu’elle brise l’omerta sur l’Histoire. Depuis, ses membres poursuivent leur travail en exil dans différents pays du monde. Le président de Memorial, Ian Ratchinski, a dénoncé les ‘’ambitions impériales’’, héritées de l’URSS. Pour lui, la Russie de Vladimir Poutine a détourné le sens historique de la lutte antifasciste au profit de ses propres fantasmes politiques. Désormais, ‘’résister à la Russie équivaut à du fascisme’’, comme le martèle la propagande russe au quotidien. 

– Le Centre ukrainien pour les libertés civiles (CLC), créé en 2007, est basé à Kiev. La mission du CLC est de promouvoir les valeurs des droits de l’homme et de la démocratie en Ukraine et dans la région de l’OSCE. Sa dirigeante, Oleksandra Matviïtchouk, a de nouveau appelé à la création d’un tribunal international pour ’’ juger Poutine, Loukachenko et d’autres criminels de guerre’’.

En cette année de guerre et de violente injustice, dans le sillage de l’invasion russe en Ukraine, le signal fort lancé par l’académie Nobel nous rappelle que la résistance commence et débouchera sans doute depuis l’intérieur des dictatures. En 2021, le comité Nobel avait récompensé les journalistes Maria Ressa et Dmitri Mouratov ‘’pour leurs efforts visant à défendre la liberté d’expression, qui est une condition essentielle de la démocratie’’. 

L’action pour une Paix dans la Justice de tels personnages assez extraordinaires doit guider nos pas.

*15 décembre – Ukraine : le temps court et le temps long

Deux conférences se sont tenues à Paris, le 13 décembre concernant la situation de l’Ukraine.

La première, intitulée ’’Solidaires du peuple ukrainien’’,  a réuni les soutiens internationaux de l’Ukraine en présence du premier ministre, Denys Chmyhal, et de l’épouse du président Zelensky. Elle visait à répondre concrètement et à très court terme aux besoins urgents de Kiev dans l’objectif de franchir le cap difficile de l’hiver. Cette conférence sur l’aide internationale d’urgence s’est déroulée le matin au Quai d’Orsay pour tenter de rétablir des infrastructures essentielles (énergie, eau, alimentation, santé et transports). Après les conférences de Lugano, Varsovie et Berlin ces derniers mois, cette aide s’adapte à la nouvelle stratégie russe, qui cible depuis octobre les infrastructures ukrainiennes avec de très intenses bombardements. Les représentants de 48 pays et de 24 organisations internationales ont promis à l’Ukraine plus d’un milliard d’€uros, dont 415 millions seront affectés au secteur de l’énergie.

Sur le plus long terme, la seconde, la ‘’conférence franco-ukrainienne pour la résilience et la reconstruction », a rassemblé près de cinq cents entreprises françaises pour répondre aux besoins critiques de l’Ukraine, contribuer à la reconstruction du pays, et investir, à l’horizon du retour de la Paix, dans le potentiel de l’économie ukrainienne. Les perspectives d’investissement ne seront pas suivies d’effet à moyen terme. La reconstruction d’un pays dévasté n’est en effet concevable que dans le cadre d’accords de paix stables et durables. Lors de la seconde guerre mondiale, la perspective en avait été abordée dès la rencontre du 9 au 12 août 1941, au large de Terre Neuve, au plus fort de la bataille contre le 3ème Reich. Roosevelt et Churchill avaient écrit une ‘’Charte atlantique’’ en huit points préfigurant un retour de la Paix au sein de ‘’Nations Unies’’. Il n’est jamais trop tôt pour s’atteler au point le plus dur d’une guerre : le plan long et parsemé de pièges pour en sortir. Devrait-on, au passage, ignorer les stigmates auto-infligés et les craintes existentielles de la Russie ?

Seuls, les protagonistes occidentaux peuvent en accomplir l’effort et cerner progressivement les contours d’un nouvel ordre européen, lorsque la Russie parviendra elle-même à un constat d’impasse et d’affaiblissement rédhibitoire. Réfléchir, comme le fait Emmanuel Macron, à une architecture de sécurité continentale qui rendra sa (nécessaire) défaite plus supportable et garantira les (seuls) aspects légitimes de sa sécurité ne relève pas de la science-fiction ni de la sensiblerie mais d’un réalisme sage, qui voit loin.

La défaite russe provoquera un complet réaménagement du système despotique de pouvoir du Kremlin. Il faut miser sur la fin du  »poutinisme ». Qui sait, elle pourrait même rapprocher (un peu) le système politique russe de nos principes démocratiques. Ceci impliquerait un degré de contrition et une nouvelle volonté de coexistence pacifique de la part de Moscou. Mais, il y a des ‘’mais’’ incontournables pour ne pas faire germer le besoin de revanche et l’esprit de haine : ne pas occuper le sol russe ni surexposer l’OTAN en vainqueur et éviter d’humilier cette nation qui se conçoit en grande puissance, lui accorder une marge raisonnable de sécurité souveraine ; enfin, recréer les bases d’une coopération conforme aux principes de la Charte des Nations Unies (le droit dont on ne doit priver aucun Etat légitimement constitué). C’est un peu les limites pointées par Aristide Briand à l’égard du fardeau excessif imposé à l’Allemagne de Guillaume II par le Traité de Versailles du 28 juin 1919.

Abuser des fruits d’une victoire censée à nouveau marquer ‘’la fin de l’Histoire’’ (référence à la chute de l’URSS en 1991) détruirait sûrement la Paix. Le plus délicat restera l’instauration d’une justice réparatrice. Il faudra que la Russie y contribue sa part, même s’il est bien évident que le gros des ressources destinées à l’Ukraine – peut-être des milliers de milliards de dollars – proviendra du système multilatéral, lui-même alimenté par l’Occident. Plutôt un plan Marshall et une offre de réconciliation, une fois la Justice passée, que les fourches léonines d’un Traité de Versailles avec ses clauses impossibles et ses lendemains guerriers. Mais, s’il est bon de penser à une paix durable, il faut se garder d’en parler trop et trop tôt pour ne pas choquer inutilement ceux qui souffrent, aujourd’hui, sous les drones et les missiles de l’agresseur russe.

Le temps court avant le temps long…

* 8 décembre – Contrer la Russie dans les Balkans occidentaux

Tirana a accueilli le 6 décembre un sommet entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux. Jusqu’où l’Union européenne promet elle d’étendre son expansion dans la steppe et les monts ? Après les vagues – encore mal digérées – des élargissements à l’Est du début du siècle, la sagesse, dictée par plus d’un siècle d’Histoire, aurait été de ne pas mettre son doigt dans l’engrenage des tensions dans la zone des Balkans. La question russe et les conséquences inattendues de la guerre en Ukraine en ont voulu autrement. De plus, le grignotage chinois de ces pays, par l’investissement et la corruption politique, agace. Restait, sous couvert de protéger la région des visées poutiniennes, à s’engager dans une sorte de fuite en avant de promesses de candidatures plus ou moins difficiles à tenir. On fait donc la queue au portillon communautaire …

 Longtemps confrontés à l’indifférence européenne, les Balkans occidentaux redeviennent une source d’attention soutenue. Dans ce contexte, le sommet en Albanie est l’occasion pour les Européens de réinvestir politiquement la région. Ces derniers mois, le chef des Serbes de Bosnie a réaffirmé son soutien à Vladimir Poutine. Optant pour l’offensive de charme, pour mieux se défendre, l’Union européenne cherche avant tout à contrer le jeu d’influence du Kremlin.

Un exemple patent en est la Bosnie-Herzégovine, qui n’a rempli aucune des conditions posées par l’Union européenne pour lancer une procédure. Près de sept ans après le dépôt de sa candidature, elle devrait se voir enfin accorder, d’ici à la fin de l’année, le statut de candidate à l’Union européenne. L’an dernier, les tensions politiques ont fait craindre un retour des violences communautaires, 27 ans après la fin de la guerre. Ce statut de candidate devrait lui être conféré, uniquement parce que l’Europe veut éviter une mainmise russe sur sa composante serbe. Toutefois, si la Commission européenne a déjà rendu un avis favorable, le dernier mot reviendra aux 27 États membres. Il n’y aura pas consensus pour accélérer le pas.

Après avoir longtemps patienté, l’Albanie et la Macédoine du Nord ont, elles aussi, obtenu, l’été dernier, le précieux sésame de candidates à l’adhésion. Au-delà de la lointaine perspective d’entrée dans l’Union, il sera aussi question d’énergie et d’infrastructures. L’UE veut montrer aux pays des Balkans occidentaux qu’elle est capable, comme la Chine, de financer de grands projets. Il sera question aussi bien évidemment de la politique de sanctions prises à l’encontre de la Russie. Ce sujet cause des frictions, puisque la Serbie, bien que candidate elle aussi à l’UE, s’y déclare résolument hostile. Ceci a conduit la Commission européenne à juger, avec sévérité, que Belgrade avait reculé sur la voie de l’adhésion. Ainsi, les cancres de la classe balkanique seront-ils sanctionnés.

L’enjeu s’impose d’ancrer les pays des Balkans occidentaux dans la sphère européenne, aussi longtemps qu’une menace russe y pèsera. Il n’y a pas (encore) d’annonce spectaculaire à attendre du sommet, hormis la photo de famille édifiante des dirigeants européens posant auprès de leurs homologues de la région, également courtisés par la Chine, la Russie et la Turquie : ‘’chasse gardée, n’y touchez pas’’. La géopolitique parle en faveur d’un large front d’endiguement de la Russie actuelle : le court terme domine totalement l’approche communautaire. L’aura de l’UE paraît à son zénith mais l’approfondissement souhaitable de l’Union pourrait bien en pâtir, à l’inverse, par une perte de cohésion, par dilution et éparpillement. Si la paix devait revenir un jour dans la région, il est probable qu’une approche plus tempérée et moins inclusive succéderait à la politique de la mère poule découvrant une portée de poussins abandonnés à eux-mêmes.

* 7 décembre – Dissuader les ‘’pirates de la dissuasion’’

Dans le contexte de la guerre hybride contre l’Occident et de l’invasion de l’Ukraine, la dissuasion française est prise à contre par les préceptes russes d’emploi de l’arme comme un instrument offensif sur un champ de bataille extérieur. Le président Macron a jugé bon de revenir, le 9 novembre, à Toulon, sur sa perception de la menace telle que la conceptualise l’analyse française.

Ce réajustement des ‘’lignes rouges’’ franchies par l’adversaire qui déclencheraient ou non une réaction des armes tactiques nucléaires nationales intervient après ses propos du 12 octobre. Ce jour-là, son exposé avait laissé à penser que le recours russe à une frappe, en Ukraine ou dans les confins occidentaux de ce pays, n’appellerait pas de réplique nucléaire de la part de la France. Venant après sa phrase sur la nécessité de ‘’ne pas humilier la Russie’’, cela avait quelque peu ‘’défrisé’’ certains proches alliés de Paris, à l’Est de l’Europe et aussi en Allemagne, qui se sont, bien sûr, gardés de tout commentaire public. Sur le fond, la question est singulièrement complexe à trancher. Est-ce vraiment réaliste de la part d’un ‘’petite’’ puissance nucléaire de prétendre sanctuariser tout son continent ?

Quand bien même cette limite posée à la dissuasion française correspond à ce que beaucoup d’experts occidentaux pensent sans le dire, M. Macron a effectué un retour très visible à sa position initiale d’avant-guerre. Exposée en février 2020, lors de son seul discours de référence sur la dissuasion, celle-ci postule : ‘’aujourd’hui plus encore qu’hier, les intérêts vitaux de la France ont une dimension européenne’’. Plus question donc d’en limiter précisément les contours et, surtout, de paraître se raviser sous l’effet des menaces de Vladimir Poutine. Ce retour aux sources n’est pas qu’une question de subtilités : c’est le rétablissement d’une posture paradoxalement plus solide construite sur l’ambiguïté dissuasive. Elle répond mieux à la menace de la guerre hybride et au flou que ce type d’offensive sur des front multiples (cognitif, cyber, spatial, par les réseaux sociaux, politique et militaire…) entretient sur la détermination précise de la ‘’ligne rouge des intérêts vitaux’’.

Sommes-nous entrés dans le ‘’troisième âge nucléaire’’, celui du XXI ème Siècle, dans l’art de la piraterie nucléaire ? L’un des enseignements les moins prévus du conflit en Ukraine, lequel promet d’être long, est que la dissuasion peut être inversée. Même par une grande puissance, elle peut être utilisée en outil d’agression militaire ‘’classique’’, notamment pour isoler de ses alliés le pays-cible victime de l’offensive. On assiste là à un retournement complet de la façon dont l’atome militaire avait été considéré jusqu’ici : la dissuasion comme meilleur moyen d’empêcher une guerre entre puissances nucléaires majeures, dotées de tout le spectre de l’arme, du tactique au stratégique.

 Il reste que le jeu des décideurs autour du postulat de la ‘’destruction mutuelle assurée’’ connaît, par définition, un préambule psychologique complexe. L’emploi ou non de l’Arme est précédé d’une suite d’affirmations fortes, sans preuve ni certitude aucune pour la partie adverse. En bref, Poutine parle et menace, en mode déclaratoire. Alors, il joue au poker ? On doute en effet qu’il passe jamais à l’acte, sauf à avoir perdu ses repères politiques et tout discernement. Ce serait au point de finalement provoquer la destruction de son pays, le plus vaste du monde. Le bluff participe de son style professionnel, celui d’un menteur expert du FSB. Faut-il lui accorder l’honneur de tenir ouvertement compte de ses rugissements froids et calculés ? La doctrine poutinienne sert en premier lieu de levier d’effroi et de pression sur les opinions publiques. Raison de plus pour ne pas se laisser prendre au piège en lui faisant spectaculairement écho. Les réseaux sociaux, toujours eux, s’en chargent déjà trop bien. Oublions la doctrine russe et, d’ailleurs, ni vous ni moi n’avons à en connaître, n’étant pas président !

Le conflit armé en cours n’en est pas moins sous-tendu par le spectre d’un débordement du territoire ukrainien ouvrant la voie à un élargissement à la zone OTAN dans son ensemble. On l’a perçu dans l’émoi qui a surgi autour du missile antiaérien retombé en Pologne, le 15 novembre. Après ce coup d’adrénaline, une désescalade verbale s’est fait jour dans cette ‘’crise du siècle’’.

Concentrons plutôt notre attention sur les fourbes attaques du général Hiver…

* 24 novembre – État promoteur du terrorisme

 Les eurodéputés ont décidé que l’Union Européenne pouvait désormais considérer la Russie comme un État ‘’promoteur du terrorisme’’. Par 494 voix pour, 58 voix contre et 44 abstentions, iIs ont voté ‘’oui’’ le 23 novembre, jugeant que l’armée de Moscou employait des moyens relevant du ‘’terrorisme’’. En adoptant ce texte, le Législatif européen réaffirme un soutien sans faille à l’Ukraine, comme le lui avait demandé le président Volodymyr Zelensky. Sa résolution s’applique également aux méfaits commis par le groupe Wagner. Elle n’a de valeur que consultative, celle d’une recommandation. Elle incarne plutôt la voix de la conscience au sein de l’identité européenne. L’Union européenne s’aligne, en fait, sur les États-Unis, où les deux chambres du Congrès avaient adopté une position similaire, ainsi que le Canada. Contrairement à ces deux pays, l’Europe ne dispose cependant pas de législation spécifique en la matière. De plus les exécutifs nord-américains sont plus prudents dans la formulation de leurs griefs. Ainsi, le chef d’Etat-major américain a appelé l’Ukraine à ‘’consolider ses gains à la table des négociations’’, une table à laquelle pense également le président français même si ce créneau de l’Histoire n’est pas encore survenu.

Le terme ‘’terrorisme’’ est de nature politique et morale, mais il ne connaît aucune définition juridique internationale. Admettons qu’il soit mérité : il implique alors la quête d’un châtiment complet. C’est neutraliser entièrement (physiquement et politiquement) puis juger le coupable. Le monde ne se limite pas à l’Occident. Serait-il prêt, un jour, à sanctionner les coupables ? La réponse est ‘’non’’. En l’occurrence, le chef de guerre le plus criminel n’est autre que le président, élu et soutenu par une majorité de la population de la seconde ou troisième puissance militaire du monde. Ce n’est sans doute pas demain que, depuis son box d’inculpé, il aura à rendre des comptes au juge international, sur fond de décors d’une Russie sous administration de justice.

La Russie est bien coupable d’agresser massivement les civils ukrainiens et d’en massacrer un grand nombre. Le qualificatif le plus fort doit être décerné à sa rage de destruction des infrastructures énergétiques (à Zaporijia, les dégâts sur les installations nucléaires seraient ‘’colossaux’’, selon l’AEIA), comme des hôpitaux, des écoles ou encore des abris. Tous ses actes d’invasion, de massacres aveugles et d’occupation violent le droit international et le droit humanitaire international. Les crimes de guerre se sont accumulés créant tout un système de terreur et d’assassinats. On est donc bien dans un registre combiné entre crime contre l’humanité et règne de la terreur. Elle devra en affronter les conséquences.

La condamnation de la Russie par l’U.E reste pleinement justifiée dans les faits. Après ce vote, le site internet du Parlement européen a d’ailleurs été la cible d’une attaque informatique en représailles, ce qui démontre encore, s’il le fallait, que l’hostilité russe embrasse, au-delà de l’Ukraine, les institutions démocratiques de l’Occident. Mais la politique de défense n’est pas faite que de valeurs et de jugements et la recherche d’une sortie de guerre sera une autre paire de manches. Le rapport de forces devra concéder sa place au pragmatisme sans lequel rien n’aboutit.

Il faudra donc voir dans les semaines et les mois à venir comment s’appliquera cette résolution et qu’elle en est sa véritable portée.

* 23 novembre – Les mauvais coups de Guangong

Guangong (un avatar de Mars), le dieu extrême-oriental de la guerre, est de retour, avec sa face écarlate et ses yeux exorbités.

Dans les années 1990, il nous avait amené les guerres des Balkans au sein de l’ex-Yougoslavie (dont la Bosnie), aux franges de l’Arménie et de l’Asie centrale ex-soviétique : nous n’avions pas tiqué. Il a fait souffler le vent du terrorisme jihadiste sur l’Europe, dans la décennie suivante. Cela nous a alors a poussé à intervenir militairement – même si ce fut sans succès – en Afghanistan, en Iraq, puis au Sahel : nous étions fort courroucés. Il s’est fait manipulateur de la démocratie et il a brouillé notre jugement en exploitant les réseaux sociaux à l’occasion des grands scrutins déterminant le cours de nos démocraties. Il s’est démultiplié à propos du Brexit et de l’alternance populiste portant au pouvoir Donald Trump aux Etats-Unis : on s’est dit : que ce mauvais vent s’arrête !

Il a ensuite pris le visage fuyant et hypocrite de la guerre dite hybride, lors de la renaissance de la guerre froide autour des émancipations ukrainienne et biélorusse : dans notre quotidien, la vie sur internet et la sécurité de nos infrastructure se sont teintés de risques. Ils sont désormais perçus comme inhérents au ‘’système’’ : nous sommes devenus pessimistes et méfiants. Mais nous sommes cru encore en paix. Les dernières illusions sont tombées au spectacle de la seconde guerre d’annexion de l’Ukraine : la ‘’question russe’’ réintroduisait le guerre froide sur fond de course au nucléaire latente. Aujourd’hui, Moscou nous coupe le gaz, nous menace d’un holocauste nucléaire, nous crie au visage que nous sommes les ennemis détestés que l’on veut abattre : nous voilà comme deux ronds de flan …

Au diable le déni de l’agression ! Nous revoilà tout proches de la guerre de Grand Papa. Le 15 novembre, un anti-missile est tombé sur la Pologne et l’article IV (consultations de crise) de la Charte de l’Alliance atlantique a été invoqué. Le ‘’Mein Kampf’’ d’Adolphe renaît sous la forme de ‘’l’opération spéciale’’ (très spéciale, en effet) du sieur Vladimir. L’Histoire est repartie dans les années 1940 : elle boucle la boucle et ne se stabilisera plus, contrairement aux hypothèses benoîtes du faux prophète américain Francis Fukuyama (‘’la Fin de l’Histoire et le dernier homme’’). Il faut se réarmer, moralement et militairement pour la ‘’haute intensité’’. Qui l’aurait cru lorsque le mur de Berlin est tombé, il y a 33ans ?  Pas moi (ni l’Ours), soyons honnêtes.

Aux frontières de l’Union européenne, les gens meurent sous les bombes et les missiles, victimes d’une tentative folle d’annihiler ce qu’on ne peut pas leur arracher par la force. Les champs de bataille sont aussi des champs de torture. Les enfants sont enlevés par centaines de milliers pour être russifiés. Des ‘’camps de filtrage’’ sont dressés dans les profondeurs du territoire russe. Les centrales nucléaires sont bombardées. De l’autre bord, Moscou envoie au casse-pipe ses soldats ethniquement non-russes : Tchétchènes, Ingouche, Bouriates, etc., profitant de l’occasion pour ménager son vivier primordial de Russes ethniques (24 soldats morts seulement à Moscou, sur peut-être 100.000 tombés au combat). Cette offensive russe est bien d’essence coloniale, portant la marque d’un empire continental jacobin et cleptomane, devenu toxique et tueur. Le groupe privé Wagner et ses guerriers sans âme s’émancipent politiquement et deviennent un Etat dans l’Etat, jugeant avec mépris l’armée étatique. Poutine n’est pas à l’abri.

De la paix froide, on passe à une sorte de guerre totale, néanmoins pondérée par la dissuasion nucléaire et aussi, un peu, par le comportement resté humain des Ukrainiens. Ils incarnent la résistance à la barbarie pure, l’arrière populaire soutenant l’avant combattant : on les admire et on doit les soutenir, ne serait-ce qu’en tant qu’alliés également placés sous la menace poutinienne. Les peuples qui veulent se libérer finissent par l’emporter. Mais au prix de quels méandres arriverons-nous, un jour, à négocier une paix qui soit juste, légale et durable, une vraie paix ?

Clausewitz estimait que la guerre est un caméléon. Ses voies, buts et moyens varient au gré des circonstances. C’est un tourbillon incontrôlable qui ne maintient que l’apparence d’une certaine cohérence, grâce à la propagande. Il emporte les décideurs vers des stratégies qu’ils n’avaient pas initialement décidées ni même voulues. Les défis à la raison, même celle qui sert les pires causes, conduisent à une forme de chaos universel. Telle est bien la dimension globale des conséquences de cette guerre : elle entrave la vie au Nord et compromet le développement au Sud. L’humanité envers soi-même comme envers les siens se perd en route. On le sent, mais on ne veut pas se l’avouer, car la marche arrière est impossible… et la marche avant, elle, est suicidaire. C’est là que se trouve aujourd’hui l’inflexible Vladimir Poutine, assurément plus très loin de sa faillite finale.

Un autre problème est que pour les Azerbaïdjanais, Turcs, Rwandais, Erythréens… – et même jusqu’à l’immense Chine – le ton est donné d’un retour de l’annexionnisme guerrier ,sur toile de fond de célébration de l’enterrement du droit. L’Europe devra réécrire sa propre vision stratégique du monde en termes bien plus tranchants et sur le long terme. Le G 20 s’exprime, grâce à elle, contre la guerre en Ukraine. Taïwan ne sera pas annexée dès demain. Mais le nouveau ‘’désordre mondial’’ appelle contre lui un retour général aux valeurs – actualisées – qui avaient fondé la Charte de San Francisco de l’ONU. Une entreprise titanesque, s’il en est !

* 16 novembre – Pluie de missiles, orage diplomatique

Frisson, … l’Occident – et le monde – se sont perçus, un court moment, confrontés au scénario cauchemar d’un engrenage entre l’OTAN et la Russie, après que des éléments de missile se sont abimés en territoire polonais, à quelques kms de la frontière ukrainienne. Le G 20 a débattu l’affaire, par ailleurs soumise à consultations à l’OTAN, au titre de l’article IV de la Charte atlantique. Pour la première fois depuis 1945, le sol de l’Union européenne semblait ciblé par une frappe d’agression. Une enquête est en cours. La circonspection s’est néanmoins imposée, vu la hauteur exceptionnelle des enjeux et les conséquences potentielles d’une éventuelle réplique occidentale. On se souviendra du 16 novembre comme ouvrant des perspectives inédites qui donnent le vertige. Le réflexe de prudence a été sage : le gouvernement polonais a vite sonné la fin d’alerte, de l’alerte précisément déclenchée par la retombée d’un anti-missile ukrainien. Il s’agirait d’un effet collatéral de la ‘’pluie de missiles’’  précipitée sur l’Ukraine par l’armée d’invasion russe.

Bien que très malheureux (il a fait deux victimes), l’épisode a fourni une illustration saisissante de l’acharnement russe à détruire son voisin de l’Ouest, là où il ne peut pas le mettre sous sa botte. Il est survenu au lendemain d’une cuisante défaite russe dans la cité sudiste de Kherson, libérée grâce à l’alliance de la vaillance ukrainienne avec les armes occidentales. S’en est suivie la vengeance de Moscou sur les villes ukrainiennes, visant à en détruire les infrastructures et à terroriser leurs populations, plongées dans la pénombre et dans le froid.

Le moment (mal) choisi ne pouvait qu’impressionner les participants aux deux grands fora internationaux en cours : la COP 27 de Charm El Sheikh et, plus encore, la réunion du G 20, à Bali. Partant, la propension du monde émergent – et même de la Chine – à l’évitement du sujet a été battue en brèche. L’isolement patent de la délégation russe, conduite par Serguei Lavroff, combinée à la plume habile de la délégation française, ont produit un texte articulé autour de la ‘’condamnation de la guerre, qui sape l’économie mondiale’’. Personne ne contestant le fait que l’initiative en est imputable à la seule Russie, la responsabilité de l’agresseur ressort bien en filigrane. Nouvelle défaite, diplomatique, celle-là, pour Poutine.

Souhaitons-lui tous les déboires d’une action criminelle ratée et la contestation du peuple russe, en retour.

* 14 novembre – Parler rivalité

Joe Biden et Xi Jinping se rencontrent aujourd’hui à Bali, en marge du G 20. Ils ont déjà eu cinq entretiens téléphoniques ou en visioconférence mais c’est leur premier contact de visu depuis l’investiture du premier. Les deux hommes avaient toutefois déjà eu l’occasion de se jauger alors que Joe Biden était vice-président de Barack Obama. Ces entretiens interviennent après la reconduction de Xi Jinping, le mois dernier, pour un troisième mandat  »historique » à la tête du Parti communiste chinois, lui assurant une réélection comme président en mars 2023… et après des élections de mi-mandat aux Etats Unis, moins dommageables qu’on s’y attendait pour l’autorité du président américain, notamment en politique étrangère.

En Ukraine, les États-Unis sont protagonistes face à la Russie mais aussi en posture d’extrême méfiance face à la Chine. Les deux dirigeants se donnent pour objectif de gérer de manière responsable la rivalité entre Chine et États-Unis, a indiqué dans un communiqué la porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre. Washington a aussi l’espoir que les deux rivaux arrivent à travailler ensemble  »là où (leurs) intérêts concordent ». Les Américains ont en tête le climat, la lutte contre le trafic de stupéfiants et la santé mondiale.

Joe Biden et Xi Jinping vont évoquer un éventail de sujets  internationaux et régionaux, a-t-elle indiqué, sans mentionner explicitement la sécurité de Taïwan, la plus forte source de tension.  »La doctrine sur Taïwan n’a pas du tout changé », a assuré Joe Biden, en évitant de reformuler ses précédents propos qui avaient enflammé Pékin, selon lesquels l’armée américaine défendrait Taïwan si l’île était attaquée. Sur cette question qui affecte gravement la stabilité mondiale, le rapport de forces dictera sans doute sa loi. La Russie est, à plus court terme, une épine dans le pied des deux puissances : Joe Biden voudrait que la Chine prenne ses distances avec Moscou. Une pure vue de l’esprit. Mais Pékin ne veut pas se laisser empêtrer dans son accointance avec Moscou.

De fait, la Chine a récemment émis un signal – vu comme positif à Washington – en se prononçant contre la menace d’utilisation d’armes nucléaires. Elle s’est retenue d’accomplir un effort généralisé pour contourner ouvertement le régime de sanctions, même si elle le dénonce. Le risque d’une rétractation de son commerce extérieur sous l’effet de répliques américaines porte la marque d’une gestion prudente et relativement pragmatique. De leur côté, les Etats-Unis sont sur une posture offensive de mise en garde : ils ont durci leurs contrôles à l’exportation de technologies du numérique, ce qui pourrait compliquer le développement de semi-conducteurs chinois de pointe. Pékin paraît encaisser le coup…

À l’agenda également sera portée la Corée du Nord. À l’heure où Pyongyang multiplie quasiment au quotidien les tirs de missile, dont certains à longue portée, susceptibles d’atteindre Guam, Hawaï, voire-même la Californie, Washington exhorte Pékin à user de son influence sur l’inflexible Kim Jong Un. Mais Pékin ne se targue pas de disposer d’un tel levier sur son petit voisin nucléaire, sans doute avec raison, tant l’autre est braqué sur une stratégie de sauvetage par la nuisance..

Les deux rivaux ne font aucun pari sur cette rencontre au sommet. Pour Jake Sullivan, conseiller à la défense nationale, ‘’il ne faut pas attendre des résultats concrets et spécifiques de cette réunion’’. Les deux dirigeants vont essentiellement se jauger mutuellement en face à face, à un croisement de leurs destinées respectives, dans l’idée de s’imposer des ‘’lignes rouges’’ sur ce qui pourrait porter leur méfiance à un niveau de conflit ouvert. Connaître son ennemi aussi bien que soi-même est une clé stratégique très classique. L’Histoire tend à montrer que ce difficile décryptage de l’Autre ne va jamais aussi loin qu’il le faudrait pour établir une détente durable ou pour s’épargner de coûteuses erreurs.