* 17 octobre – Le Tsar face au César

Oubliera-t-on jamais la scène d’Emmanuel Macron toisé par l’Ogre du Kremlin, à l’autre bout d’une table de 20 m de long ? Le Français s’entêtant le raisonner sagement sur la folie de la guerre ? Avec l’invasion de l’Ukraine, l’auteur de la phrase prônant la nécessité de ne pas humilier Vladimir Poutine a été largement perçu en Europe (mais pas en France) comme l’imbécile utile de Poutine, celui qui aura renforcé l’effet de surprise de l’offensive du 24 février. Non pas que le soin de garder un contact avec l’Ennemi soit superflu ou honteux – loin de là – mais le renoncement à l’indispensable discrétion dans le maintenir du fil de dialogue et l’enfermement dans le piège d’une mise en scène ‘’compromettante’’ lui a collé au visage comme le sparadrap du capitaine Haddock.

On ne rigole plus : tournant pris à 180°. E. Macron a sorti les dents à la télévision et rebondi en partisan déterminé de la défense du sanctuaire nucléaire français mais aussi de la souveraineté européenne face à  »l’Ogre ». Celui  qui rêvait de sauvegarder la paix tout en baissant les yeux, souligne désormais combien la démence de Poutine dévoile la faiblesse des défenses française et européenne. La trop fameuse ‘’guerre hybride’’ est donc polyforme et ne s’arrête pas à sa composante purement militaire. Elle inclut aussi les fronts d’offensive énergétique, cybernétique, informationnel, religio-culturel, ethnique, diplomatique, l’agitation anti-française en Afrique et ailleurs et – pétard sur le gâteau – la menace stratégique nucléaire.

Le premier des Français a finalement pris conscience de ce que son esprit perçant savait dès le départ : nous sommes bien en guerre sans qu’’’IL’’ nous l’ait déclarée dans les formes militaires anciennes : plus que l’Ukraine ‘’inexistante’’, c’est l’Occident qui l’obsède et qu’il a placé dans son viseur. Loin de ses frontières, il s’emploiera à déstabiliser la France et d’autres Européens par un torrent d’infox suscitant des réactions défaitistes, par des attaques en sous-main, l’utilisation des infrastructures pour nous étouffer : il suffit de quelques techniciens motivés par leur intérêt ou d’une prise en otage de certains serveurs informatiques pour paralyser l’économie et déstabiliser la société. ‘’La Russie cherche à créer le désordre pour nous affaiblir et nous diviser’’ a reconnu sur un ton martial le farouche (nouvel) adversaire français de Poutine.

S’il est encore prêt à rencontrer Poutine, Emmanuel Macron va, dans la bataille en cours, fournir à Kiev des armes qui ne se limitent pas aux seuls canons César. Ceux-ci vont être livrés en plus grand nombre (mais leur fabrication reste quasi artisanale) en prélevant à cette fin les commandes danoises mais avec, en sus, toute une série d’obus ‘’spécialisés’ (dont certains, particulièrement peu ‘’humains’’). Deux mille servants d’arme ukrainiens sont invités à se former à de nouveaux systèmes dans des unités françaises. Les outils de la défense aérienne seront compris dans le lot. Cela répond aux bombardements barbares de quartiers civils censés ‘’venger’’ l’explosion sur le tablier du pont de Kertch reliant la Crimée à la Russie.

Alors, comme certains aimables amis le croient, nous ne serions ‘’pas en guerre’’, citoyens Français et Européens ? Autant vous dire que je n’apprécierais pas de me trouver face à MON ennemi, si ma chaumière bretonne devait se trouver sous le feu de canons César. Ca vaut pour nous comme pour eux. Abandonnons, SVP, la vision qui requerrait la mobilisation générale des poilus, les trains de conscrits partant joyeusement vers le front ou en revenant gueules cassées, la vie des tranchés, les épouses turbinant dans les usines de poudres explosives. Aujourd’hui, c’est l’atome + la barbarie hybride qui règlent les comptes. Et, mauvaise surprise, ils peuvent ‘’égorger nos fils et nos compagnes, aux armes, citoyens !’’ ce, jusque dans la version civile ‘’tchernobylienne’’ d’un réacteur nucléaire. Arrêtons là les parallèles passéistes, les références caduque, la naïveté devant la course folle la géostratégie ! A nos neurones, Citoyens !

* 12 octobre – L’Europe mariée sous la communauté.

La France se voit de longue date comme conceptrice de l’architecture de sécurité européenne. Elle est à l’origine de la toute récente réunion inaugurale à Prague de la Communauté Politique Européenne, un succès qui pourrait néanmoins s’avérer transitoire.

Au lendemain de la chute du mur, alors que la Russie d’Eltsine plongeait en dépression psy, le président Mitterrand avait imaginé une ‘’Confédération européenne », presque symétrique au concept actuel. L’objectif en était alors de recréer une filiation russe à l’ensemble européen, du moins une appartenance limitée aux questions de sécurité collective. Il fallait éviter un repli agressif de la Russie sur ses frustrations d’empire démembré. Parallèlement au ’’partenariat stratégique’’ de portée limitée que l’OTAN proposait à Moscou, l’Europe des 15 lui aurait ouvert une possibilité d’arrimage relatif sur le plus long terme. Le recul de son glacis et la réunification allemande justifiaient une main tendue vers Boris Eltsine. Ce fut très mal perçu par les PECO, les ex-satellites ralliés à l’Ouest et tournés vers Washington, puissance non-invitée dans ce cercle. Polonais, Tchèques et autres Hongrois attendant leur salut de l’OTAN sous leadership américain, le grandiose et pacifique projet avait rapidement capoté. On pourra s’interroger sur les incidences de ce rendez-vous historique manqué sur les affrontements actuels.

Dans le concept lancé par Emmanuel Macron, l’Amérique n’est pas, non plus, embarquée à bord. Ceci est sans importance, d’ailleurs, l’OTAN étant plus que jamais la coalition occidentale à l’œuvre. Au sommet pan-européen de Prague, la mobilisation s’est faite, cette fois, contre l’agresseur russe, à l’inverse du projet Mitterrand. La concertation dans le format UE + 17 a donc d’emblée exclu toute association de la Fédération de Russie et de sa comparse biélorusse. L’ordonnancement correspond bien à l’air du temps conflictuel depuis l’annexion de la Crimée en 2014. L’Ukraine participait au sommet par visioconférence, l’Amérique pouvait rester sereine, n’ayant aucun motif valable à s’inquiéter de l’exercice (même si certains y songeaient).

La grand-messe de Prague a dès lors connu un succès de participation, sinon des avancées majeures sur le fond.  Elle a projeté la vision symbolique d’une ‘’ Grande Europe’’ réunie et solidaire qui se renforçait face à une Russie isolée dans sa bulle.  C’était important pour crédibiliser son engagement de long terme à soutenir l’Ukraine. L’attribution du Prix Nobel de la Paix à  trois acteurs associatifs engagés contre la barbarie du régime Poutine a produit une impression comparable : l’auto-galvanisation des valeurs démocratiques. C’était nécessaire. Sera-ce durable ?

Tout cela répond au besoin conjoncturel de rehausser la stature des dirigeants du Vieux Continent. Vladimir Poutine les tient pour quantités négligeables et ne se laissera pas impressionner par leur unanimité de façade. Celle-ci, d’ailleurs ne va pas résoudre les questions matérielles et pratiques que posent la guerre de l’énergie menée par Poutine. Surtout, les organisateurs du sommet de Prague se sont arrachés les cheveux sur des problèmes de compatibilité d’humeur entre participants. Sur la façon d’aborder les pénuries d’énergie, les 44 pays se divisent et ce, même au sein de l’Union Européenne. Des coalitions se forment à nouveau entre ‘’frugaux, à forte capacité d’intervention financière’’ et  ‘’fauchés du Sud’’. L’application des sanctions touchant la Russie et la Biélorussie (l’UE en est à son huitième train de mesures), l’amplitude de l’aide militaire destinée à l’Ukraine, l’accueil des exilés, les voies politico-juridiques d’une future sortie de guerre sont autant de sujets qui clivent. Sans oublier les tensions post-Brexit persistantes sur l’application du protocole sur l’Irlande du Nord, les joutes intracommunautaires autour de l’État de droit et du fonctionnement de la Justice, le jeu ambivalent de la Turquie (qui roule pour elle-même), le conflit arméno-azerbaïdjanais, etc. L’Ouest, on le sait, n’est pas un monolithe, surtout lorsque la France s’exprime.

Peu importe, au fond, qu’au delà de l’agression qui rassemble contre elle les démocraties, les dossiers avancent ou non au sein de la Communauté Politique Européenne. Même s’ils se dispersent dans les multiples institutions européennes, occidentales ou mondiales conçues pour leur traitement, la réunion des Européens aura été créatrice d’un élan collectif utile au moment opportun, tandis que la vie des Etats poursuivra son cours ici et là, sur la rose des vents de la géopolitique.

* 11 octobre – La girouette géostratégique

Où souffle donc le vent de l’Histoire? Le modèle autoritaire ouvre-t-il la voie de l’avenir? Deux puissances permanentes du Conseil de Sécurité en sont intimement persuadées :  le déclin et la décadence supposés des sociétés démocratiques occidentales leur ouvrirait la maîtrise du système mondial. Bigre! Après l’attaque du Capitole de Washington et la déconfiture occidentale en Afghanistan, l’an dernier, l’amorphie des anciens dominateurs arrogants et donneurs de leçons ne faisait plus l’ombre d’un doute à Moscou ni à Pékin. L’absence de réaction sérieuse à l’annexion de la Crimée et le désamour montant des peuples du ‘’Sud’’ achèveraient de mettre le ‘’Nord’’ hors-jeu.

Pas si vite, SVP : la virginité coloniale ou impériale de ces deux gros-joueurs s’effrite à vitesse grand V, même si quelques populations africaines se plaisent à brandir leurs drapeaux dans des défoulements de rue. On perçoit depuis le 24 février, que le vent ne souffle pas sur commande des dictateurs. La Russie s’effrite de l’intérieur sous les effets des sanctions occidentales et des déboires de sa troupe occupante en Ukraine. Ses conscrits abandonnent le bateau ivre de la mobilisation militaire. Les chefs militaires se retrouvent sur le sellette et Poutine est perçu, au minimum, comme ‘’mal informé’’. La Corée du Nord et l’Iran sont devenus ses seuls fournisseurs d’armement. L’atmosphère politique se fait plus oppressive et délétère. Serait-il protégé par son privilège de veto, l’isolement du Pays au Conseil de Sécurité des Nations Unies dément l’idée d’une puissance qui a le ‘’vent en poupe’’.

Dans un premier temps, sous une neutralité prudente, Pékin ne cachait guère sa faveur pour Moscou. Poutine, espérait-on à la tête du Parti communiste chinois, allait prouver la supériorité des autocraties militarisées, ridiculiser l.Occident, gagner en prestige auprès du monde émergent. La Chine pourrait surfer sur ce ‘’vent d’Est’’ puissant, porteur pour ses ambitions. Le cas échéant, la reconquête de Taïwan pourrait survenir en apothéose.

Sept mois plus tard, XI Jinping reste muet, mais la diplomatie chinoise marque ses distances. La Russie ne lui paraît plus capable de faire triompher le modèle, en particulier sur le plan militaire. Le régime moscovite auquel il se proclamait lié par une ‘’amitié éternelle’’ commence à branler du manche. Il pourrait même devenir un risque pour le modèle commun. Lors du sommet à Samarcande de l’Organisation de Coopération de Shanghai – premières retrouvailles depuis le lancement du conflit – la partie chinoise a appelé à un ‘’respect scrupuleux du droit international en Ukraine’’. Un coup de griffe, presqu’un désaveu… Si le dispositif russe devait s’écrouler, Pékin ne veut pas se retrouver dans le camp des perdants.

L’Inde, de son côté, se garderait bien d’aller à sa rescousse porter secours et saisirait plutôt de telles déconvenues comme une occasion de renforcer son influence en Asie. La guerre en Europe va encore beaucoup de temps et de victimes avant de se solder sur un bilan tranché. Pourtant, il apparaît que les démocraties savent s’engager pour faire obstacle à la vague expansionniste brune. Le vent de l’Histoire ignore l’idéologie. Il ne suit qu’une seule direction : celle qu’indique la girouette folle de la géopolitique.

* 4 octobre – Bottes molles

Le commandement de l’opération spéciale en Ukraine est de plus en plus désigné comme responsable de la déroute militaire russe à Lyman. Ramzan Kadyrov, le potentat tchétchène dur des durs, s’en est prend directement aux plus hauts responsables militaires russes, à commencer par le colonel général Alexandre Lapine, responsable des opérations dans cette ville du Donetsk. Mais, au-delà, il vise le ministre de la défense, Sergueï Choïgou, le chef d’état-major, Valéri Guerassimov, voire, par allusions, Vladimir Poutine lui-même. Il est reproché à ce dernier d’être ‘’mal informé’’. De fait, à peine claironnée, l’annexion russe se trouve rognée par les avancées ukrainiennes à l’Est et au Sud. La Russie prend conscience des failles majeures dans sa conduite de la guerre.

Kadyrov fustige en vrac l’incompétence des officiers supérieurs sur le terrain, leur absentéisme, la faiblesse de la logistique et le népotisme régnant aux armées. Coutumier de l’outrance, il réclame des ‘’mesures plus radicales’’, telle l’utilisation d’armes nucléaires tactiques sur le front ukrainien. Fait nouveau, il a suscité des échos auprès de certains  oligarques (Prigojine) ou d’anciens hauts gradés. Pour le politologue Abbas Galliamov. ‘’les failles ne vont cesser de grandir… Poutine estimant que l’armée l’a trompé en se prétendant plus forte qu’elle ne l’est’’. Les généraux russes en voudraient à Poutine et au FSB d’avoir mal analysé la situation en Ukraine avant de lancer les hostilités. Bref, à Moscou aussi, il y a des fuites de gaz dans l’eau.

Conclusion du Monde : C’est bien la crédibilité de Vladimir Poutine qui est atteinte. Il aurait personnellement ordonné de tenir les poches – mal défendues – de Lyman et de Kherson. Ensuite, le commandant en chef des armées n’a cessé de remplacer, tout au long du conflit, les généraux chargés des opérations. Tout cela rappelle la mauvaise gestion du champs de bataille pratiquée par Adolf ou par le Petit Père des Peuples. Les dictateurs mégalomanes ne sont jamais des génies militaires. Toute attaque contre l’état-major devient dès lors une remise en cause de ses choix, peut être des lézardes dans son pouvoir absolu.

Vous reprendrez bien un peu de gaz, avant la campagne hivernale ?

* 3 octobre – Annexions

 15 ou 20 % (si l’on inclut la Crimée) du territoire d’un pays européen plus vaste que la France, soit 109 000km², passe sous la coupe d’une dictature guerrière et voyoute.  ‘’Bienvenue à la maison !’’ lance à ses nouveaux collabos, un Chef de guerre jubilant, qui formalise l’annexion d’un trait de plume, avant d’ouvrir son bal à flonflons sur la Place Rouge. ‘’Les habitants de Louhansk, Donetsk, Kherson et Zaporijia deviennent nos citoyens pour toujours’’… ‘’quatre nouvelles régions russes sont ainsi formées’’, déclare le même, ajoutant que les populations avaient voté ‘’sans équivoque’’ pour un avenir commun. Quel avenir commun ? … illégal, oppressant et vraiment peu enviable, en commençant par la conscription forcée des ‘’malgré nous’’ ! Les citoyens russes exultent-ils ? En tout cas, pas ceux qui, par centaines de milliers, abandonnent le navire en détresse.

Ce grand trucage d’urnes remplies au son du canon, généralement qualifié de mascarade ou de sinistre farce, serait censé apporter aux habitants du Donbass, de Kherson et de Zaporijia ‘’la nationalité et la protection de la Russie’’… alors que la plupart ont dû aller se réfugier au loin. Il serait une réplique à l’ ‘’extermination systématique et cynique’’ menée par les forces de Kiev : revoilà les fantômes nazis dénoncés en février par la propagande poutinienne ! Pour le MID, les habitants des quatre  régions ‘’n’avaient pas d’autre solution’’. Comme présentation d’un énorme hold-up c’est la glorification de la loi du plus fort. Reste à clarifier si la Russie annexe la totalité des régions ukrainiennes de Kherson et de Zaporijia, ou uniquement les parties qu’elle occupe effectivement. Apparemment, ce n’est pas tranché et les lignes de front bougent vite à l’Est de l’Ukraine. Lyman, théoriquement annexée, vient d’être reprise par les Ukrainiens et leur fournit une plateforme ferroviaire pour poursuivre vers l’Est.

Sans surprise, la Russie a mis son veto à la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant ses annexions en Ukraine. Le projet, appelait à rejeter une pseudo-annexion  des quatre régions. Il a recueilli dix voix en sa faveur contre quatre abstentions : celles de la Chine (qui dit néanmoins ‘’soutenir la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays’’), de l’Inde, du Brésil et du Gabon. Ces trois derniers pays se sentent-ils à l’aise de bouder ainsi la Charte des Nations Unies ? Il est plus probable qu’ils répugnent à voir celle-ci servir les intérêts de l’Occident, un tragique contre-sens. Cet Occident mal-aimé …. va devoir se tourner maintenant vers l’Assemblée générale de l’ONU. Un tel vote des 193 Etats membres permettra d’évaluer le degré d’isolement de la Russie, sans avoir de portée contraignante ni imposer de sanctions.

Ce coup de force évoque étrangement l’annexion des Sudètes par le troisième Reich nazi. Voici ce qu’en dit l’encyclopédie en ligne Wikipédia :

‘’Le 29 et 30 septembre 1938, Hitler, se faisant le champion du principe des nationalités, déclare vouloir ‘’libérer les Allemands des Sudètes de l’oppression tchécoslovaque’’. Il s’appuie  sur l’agitation de l’organisation nazie locale, évoque le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour exiger de Prague l’annexion au Reich de la région des Sudètes. L’Europe connaîtra ensuite ‘’la paix pour mille ans’’. Le « Führer » obtient gain de cause lors de la signature des accords de Munich, le 29 septembre 1938. Le 21 octobre suivant, les Sudètes deviennent un territoire du Reich. Lors des élections de 1938, 97,32 % des voix reviennent au Parti nazi, ce qui fait des Allemands sudètes l’un des plus solides soutiens du régime d’Hitler’’.

On connaît la suite. C’est frappant de similitude, même si Münich ne figure plus dans le scénario en cours ! Les commentaires européens sont en effet bien moins complaisants.

– pour la France, celui de Catherine Colonna est certes un peu tiède : ‘’Au moment où la Russie renouvelle sa rhétorique agressive, où elle organise les simulacres de référendums qui signent son statut d’Etat paria et au moment où des incidents inexpliqués ont lieu dans la mer Baltique, je le dis avec une certaine gravité : nous aurons à maintenir notre engagement dans la durée’’. Tenir dans la durée n’en est pas moins une vérité exigeante.

– Pour l’Union européenne Josep Borrell est plus mobilisateur :’’ L’annexion illégale des territoires des régions administratives de Donetsk, Louhansk, Zaporijia et Kherson, proclamée vendredi par le président russe, Vladimir Poutine, rend ‘’ beaucoup plus difficile, impossible, presque, la fin de la guerre’’ … ‘’La Russie est en train de perdre » la guerre, « elle l’a perdue en termes moraux et politiques, mais « l’Ukraine n’a pas encore gagné’’ … ‘’ les Européens ont construit un jardin qui est entouré par la jungle.  Si nous ne voulons pas que la jungle envahisse le jardin (…) il va falloir nous impliquer. C’est parlant.

* 29 septembre – Gas ex aqua

Du gaz dans les eaux de la Baltique : deux, puis trois, quatre explosions rapprochées qui, manifestement, ne doivent rien au hasard. Le Danemark, la Suède et moins directement la Norvège se retrouvent face à des pollutions majeures de leurs eaux. Les sinistres ne pourront être accessibles tant que les deux gazoducs North Stream 1 et 2 n’auront pas été vidés. On va donc devoir attendre pour observer comment les ruptures des conduits sont apparues. Personne ne doute qu’ils s’agit d’opérations de sabotage. De la part de qui et dans quel but ? Mystère nébuleux générateur d’interrogations volatiles, peut-être même explosives …. L’Ours Géo n’en sait pas plus que vous.

Pour les Scandinaves, c’est une attaque perpétrée dans leurs eaux. Elle a les apparences d’une semonce qui pourrait en annoncer d’autres contre leur souveraineté. Ils ont  »trahi » en passant à l’OTAN. Pour l’Union Européenne c’est une opération de sabotage de ses infrastructure. C’est un investissement mis hors d’usage, après qu’elle ait récemment dû renoncer à l’utiliser pour importer jusqu’à 40 % de ses besoins de ce type d’énergie. Pour l’Allemagne, ce pourrait être la promesse d’un hiver froid, bien que le message soit déjà dépassé par la mise en place d’alternatives en provenance du Golfe ou des Etats Unis. Pour la France, c’est une énigme qui ne la touche guère. Pour les Etats Unis, une conclusion logique : la dépendance énergétique européenne appartient au passé. Un angle est commun aux Occidentaux, presqu’une évidence : qui d’autre que le régime Poutine aurait pu concevoir un tel acte ?

Il est vrai qu’aucune preuve n’étaie cette thèse. Le jour où on connaîtra le fin mot, la guerre en Ukraine aura charrié un nouveau lot de massacres et de faits spectaculaires : on aura tourné la page. L’indice qui pourrait le mieux dénoncer une malveillance de la Russie est le concert de démentis indignés qu’on entend de Moscou. Depuis le 24 février, chacune des déclarations de sa propagande s’articule autour de mensonges et de renvoie ses propres méfaits sur le dos de l’Occident. On s’est habitué à relire cette propagande en en inversant les termes. Mais, quand même, pourquoi cette attaque qui n’a aucun effet pratique immédiat ?

On ne peut avancer que des hypothèses. Celle que privilégie ce blog est que l’esprit de Poutine s’est embrumé, que sa pensée n’est plus tout à fait consistante, qu’elle est devenue gazeuse. A partir de là, l’Homme se forge encore des illusions sur  »l’arme du gaz » et ne se tient pas vraiment au courant des fournitures de substitution qui ont rendu celle-ci caduque.

Une autre possibilité serait que son esprit ait chaviré dans le  »tout psy ». La main russe frappant en Europe irait susciter l’effroi et l’envie honteuse de se rabibocher avec lui. Le scénario est simplement stupide, mais les dictateurs enfermés dans leurs bunkers pensent ainsi. Quel serait l’intérêt d’une diversion aussi grossière, alors que de nouveaux charniers émergent en Ukraine, que ses troupes reculent, que la jeunesse russe des villes fuit en masse la mobilisation, que des fissures apparaissent dans son contrôle du pays ? Ce serait très naïf de sa part d’imaginer que ces bulles dans les eaux de la Baltique puissent escamoter les évolutions sur le terrain… et se tirer une balle dans le pied de faire la une sur ces sabotages aqueux, à l’heure ou les quatre referenda locaux  »mascarades » sont censé établir une nouvelle carte de la Russie. Le gaz russe ne fera pas du brouillard autour de ces annexions crapuleuses.

Au total, qui croira demain que la progression des Ukrainiens à la reconquête de leur propre territoire mute en  »agression » contre la Russie ? Une poignée de collaborateurs tout au plus…

Cette chimère ne parviendra jamais à justifier le recours brandi aux armes de destruction massive, y compris contre l’Europe tant détestée. On peut rester calme.

* 22 septembre – Lueur d’espoir

Il craque, il s’effrite… Nul ne peut dire quand s’effondrera l’édifice de la dictature poutinienne et ce qui la remplacera. Ce pourrait être pareil ou pire mais, en tout cas, sans le soutien du peuple russe. Celui-ci commence à se révolter contre une guerre qui tue ses enfants en n’apportant que des fléaux sur le pays. Il ne s’agit pas de comprendre l’Ukraine, mais de rejeter une machine de mort et de mensonges. Surtout, lorsque les défaites et les privations s’accumulent sur son morne horizon.

Les  »Russes qui savent » sont de plus en plus nombreux. Ils manifestent dans une trentaine de villes contre la mobilisation pour le casse-pipe de 300.000 des leurs, censés colmater les brèches sur les fronts du Donbass et du Sud de l’Ukraine. Il faut un courage ou une indignation immense pour manifester sur la voie publique, sous la dictature de Poutine. En une seule journée, 1300 d’entre eux ont été arrêtés. D’autres, plus nombreux, prennent la tangente : tout plutôt que l’enfer actuel des villes russes. Il se précipitent par paquets compacts vers la Serbie – politiquement assez proche de leur pays d’origine – ou vers la Turquie. Le vote des citoyens avec leurs pieds ne trompe pas : un mur va tomber.

C’est dire que la nouvelle rhétorique du Kremlin ne prend pas :  »l’opération militaire spéciale » s’est mue en  »guerre défensive contre l’agression de l’Occident ». Après les Ukrainiens, les Européens deviennent, à leur tour, les nazis utiles pour justifier conquêtes militaires et annexions. Il s’agit de défendre des pans de la Sainte Russie, pris de force et qui ne lui appartiennent pas. Dans ce but, le recours accéléré à des referendums pipés sous le fracas des canons répète de pathétiques précédents. C’est la dialectique du Troisième Reich autour de son  »Lebensraum » qu’emprunte une propagande moscovite en plein délire. Voilà bien le signe d’une dictature aux abois. C’est aux Russes maintenant d’élargir la brèche.

Le tsar furieux ne va pas à New-York mais, depuis son bunker, il assène ses leçons aux Nations Unies. Comme dans les mauvais films de fiction, il s’invente des persécutions et des agressions et menace de recourir en retour à ses armes de destruction massive,  »supérieures en qualité à celles de l’OTAN ». L’Europe est censée frémir de terreur dans l’attente de frappes nucléaires.  »Ce n’est pas du bluff ! ». Elle ne frémit toujours pas car cette petite phrase est précisément la marque d’un bluff difficile à faire avaler.

* 20 septembre – Le chaperon rouge va battre le grand méchant loup

Qui, hormis ceux qui y participent (et encore …) peut donner du crédit aux déclarations éhontées de la Russie en guerre ? La moitié de la planète n’en a cure et s’intéresse peu aux logorrhées délirantes de la propagande poutinienne. Mais le mensonge prolifère sur les corps meurtris de morts innocents et cela est particulièrement insupportable. Le Kremlin a ainsi démenti, comme lors du massacre de Boutcha, que tout crime de guerre ait pu être commis à Izioum, récemment libérée. Toutes les preuves sont bien visibles et même quantifiables et datées mais, dixit le Kremlin, c’est un  »pur mensonge ». Sur les indications de Kiev, des experts internationaux ont constaté le creusement hâtif de plus de 440 tombes rudimentaires et d’une fosse commune. Mais qu’importe, on s’habitue à cette procédure ‘’miroir’’ imputant systématiquement à l’adversaire  les crimes qu’on a commis contre lui.

Il y a comme une touche supplémentaire de perversion quand les mêmes font arrêter et condamner pour  »haute trahison », par leurs supplétifs séparatistes de Louhansk, un employé de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). L’Ukrainien Dmitri Chabanov enquêtait sur les parodies de justice pratiquées dans les territoires occupés par l’armée russe. Il est plus que probable qu’il était tombé sur des cas d’exécution arbitraires, sur la base de procès iniques et bâclés. Il était donc de son devoir de faire rapport à l’organisation pan-européenne qui l’avait missionné à cette fin. Il disparaît, accusé d’avoir fourni des  »informations confidentielles » à des services de renseignement étrangers, dont la CIA (les Etats-Unis étant effectivement membres de l’OSCE). Il écope de treize ans de prison dans une geôle russe inaccessible.

La semaine dernière, l’OSCE a condamné les charges placées à l’encontre de deux de ses employés, exigeant leur libération immédiate. Principal acteur de modération des tensions et de règlement des conflits en Europe, elle dénonce bien sûr ces prétendues “poursuites judiciaires sur la base d’accusations montées de toutes pièces’’. Il n’empêche qu’en sa qualité d’arbitre, elle se voit expulsée du ring. Pourra-t-elle rester longtemps encore présente sur les terrains d’affrontement où elle est déployée depuis 2014 ? C’est très peu certain. Cette institution née de la détente des années 1970 risque de disparaître dans le chaos d’une guerre sans ordre du jour ni pourparlers parallèles. Elle serait pourtant indispensable le jour où les canons se tairont et qu’il faudra réapprendre à coexister au sein du Vieux Monde.

La Russie n’est peut-être pas loin de se réveiller en réalisant l’immense gâchis perpétré par Poutine. Une courageuse (et âgée) chanteuse de variété moscovite, Alla Pougatcheva, a franchement dénoncer la guerre, sous l’angle de la jeunesse russe envoyée au casse-pipe et dont on cache aux familles la véritable hécatombe. L’artiste, très populaire, a affirmé que le conflit tuait des soldats pour  »des objectifs illusoires », accablant la population et faisant de la Russie le paria de la Planète. Cette célébrité a, en outre, demandé à être classée, comme son époux comédien, en tant qu’agent étranger comme l’implique l’engagement associatif à l’international. Chapeau, la dame : elle court un risque énorme mais touche le public là où ça fait mal à Poutine.  

Le spectre Poutine va planer sur les débats de l’Assemblée générale des Nations unies, cette semaine. . Comme le relève Le Monde : ‘’ Jamais l’ordre international n’avait paru aussi fracturé, recomposant une nouvelle cartographie des rapports de force’’ dans le monde. La mutation de l’Europe et des Etats Unis n’est pas achevée. Les pays du ‘’Sud’’ évitent de choisir un camp mais s’inquiète fortement des conséquences géopolitiques, alimentaires et énergétiques de la guerre en Ukraine. La majorité s’exaspère que ce conflit absurde dure autant. La Russie est placée sur la défensive face à ce consensus apolitique.

La partie paraît jouable et gagnable par les démocraties.

* 19 septembre – Le Club asiatique ‘’anti-Ouest’’

Le président chinois, Xi Jinping, et son homologue russe, Vladimir Poutine, se sont retrouvés lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), à Samarcande (Ouzbékistan), le 15 septembre. Le contexte était plus guerrier (Ukraine, Taiwan, Arménie …) que lors de leur précédente entrevue aux J.O. d’hiver de Pékin. La phraséologie du sommet a beaucoup tourné autour du slogan d’un ‘’ordre international plus juste’’. Xi a assuré que la Chine ’était disposée à travailler avec la Russie pour assumer son rôle de grande puissance’’, ce qui signifie, dans les circonstances prévalentes, que Pékin fera ce qu’il faut pour épargner à Moscou isolement et réprobation. Dans tous les cas, l’adversaire désigné est l’Occident. Pour Poutine, ceci implique de donner carte blanche à Xi pour une possible invasion de Taiwan, en échange de la ‘’retenue’’ chinoise manifestée sur l’Ukraine. Quant aux petits arrangements bilatéraux, on n’en saura rien. Autant le dire, cette mise en scène d’une Russie  »au cœur du système international et respectée par les leaders du monde » n’a pas convaincu. La Chine lui propose des béquilles mais pas réellement une alliance; l’Inde de Narendra Modi a posé assez brutalement la question de l’agression de l’Ukraine. Pour  »couronner » le tout, la non invitation de Vladimir Poutine aux obsèques de la défunte reine d’Angleterre achève d’humilier le paria du Kremlin, jusqu’à le faire crier au  »blasphème » (sic).

Son ‘’partenariat de temps de guerre mais sans la guerre’’ passe, avec Pékin par des échanges commerciaux en très forte hausse en soutien de Moscou, alors que les sanctions occidentales affectent l’économie russe. L’économie de guerre russe est particulièrement avide de microprocesseurs et autres articles électroniques et de toute une gamme de métaux; Mais Pékin reste prudent et s’emploie à ne pas s’exposer aux sanctions frappant son partenaire. Les finances du Kremlin sont soutenues par un surplus d’importations. Entre janvier et août, la Chine a ainsi acheté moitié plus de produits russes – essentiellement des hydrocarbures – qu’à la même période de 2021. Dans l’autre sens,les exportations vers la Russie ont bondi de 9,4 % au premier semestre. On imagine que Poutine réclame à cor et à cri des armes et des munitions que Xi se garde de lui fournir. L’OCS est, entre autres, une instance de coopération militaire.

Cette institution a été formalisée en 2001, succédant au précédent ‘’Groupe de Shanghai’’ de 1996, un forum régional créé par la Chine, la Russie et quatre États d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan et Tadjikistan). Elle s’est élargie à l’Inde et au Pakistan en 2016, puis à l’Iran en 2021 et compte désormais une vingtaine d’Etats.

Elle répondait à l’origine aux craintes suscitées par la montée de l’islamisme au sein des nouvelles républiques indépendantes d’Asie centrale issues de l’éclatement de l’URSS. Au-delà de la stabilité de cette région sous tension, se profilait la  menace d’une contamination des populations du Xinjiang appartenant aux mêmes ethnies turcophones de part et d’autre des frontières. Devenue ‘’Organisation de Coopération de Shanghai’’, en 2001, avec un siège établi à Pékin, elle se veut toujours une antidote aux ’’ menaces du terrorisme, de l’extrémisme et du séparatisme’’.

L’OCS est devenue l’un des fers de lance de la géopolitique russe, dont le tournant vers l’Asie, amorcé dès 1996, s’est amplifié sous Vladimir Poutine dans les années 2010, en même temps que se détériorent ses relations avec les Occidentaux. En période de conflit avec l’Ouest – comme c’est le cas actuellement – la carte géostratégique de l’Asie rompt l’isolement de son pays et solidifie un contre-poids à l’influence occidentale. C’est une alternative à sa propension à soumettre l’Europe.

Ayant intégré comme membres, observateurs ou invités, de nombreux pays (dont la Biélorussie, le Cambodge, l’Afghanistan, la Turquie, l’Azerbaïdjan, etc.), elle a acquis une assise importante : les 3/5ème de l’Eurasie et 43 % de la population mondiale. Elle cherche donc à se doter, dans les affaires du monde, de leviers de contre-influence face à Washington et aux Européens, dans un contexte longtemps marqué par l’unilatéralisme américain. Mais la démonstration n’est pas totalement patente alors que, sous la vague montante de l’anti-occidentalisme, pointe encore, chez beaucoup, les principes résilients du non-alignement (un mouvement, hélas, sur le déclin).

Avec l’arrivée de l’Inde et du Pakistan dans ce cénacle, l’Organisation s’applique à élaborer une diplomatie triangulaire plus complexe. Le ‘’partenariat stratégique’’ de Moscou avec la Chine reste la pierre angulaire de l’édifice, traversé, par ailleurs, de multiples divergences d’intérêts nationaux et de contentieux bilatéraux persistants. La guerre d’Ukraine et la présence de l’Iran ont achevé de radicaliser cette alliance dépourvue de Traité de défense. Les accords signés portent sur le nucléaire civil (ce qui fait l’affaire de Téhéran), l’exploitation des ressources énergétiques, l’industrie de l’armement et le commerce.

On pourrait dire qu’à son insu, la reine Elisabeth II a rendu un excellent service à l’Occident le jour de ses funérailles. Ou que le nouvel ordre international dont se gaussent certains reflèterait surtout la généralisation de tous les désordres et de tous les maux.

* 15 septembre – Rejetons de la guerre

Les guerres d’agression font des petits. L’Azerbaïdjan et l’Arménie recommencent leur confrontation armée depuis trois jours. La situation autour du Haut-Karabakh, en grande partie récupéré par Bakou, est de plus en plus tendue alors que le premier des deux républiques ex-soviétiques a lancé une offensive d’artillerie sur son voisin. Une dictature brutale s’en prend, là encore, à une démocratie. Comme toujours, les deux pays s’accusent mutuellement d’avoir lancé les hostilités. En 2020, conformément à un accord de cessez-le-feu, Moscou avait déployé des soldats de maintien de la paix au Nagorny Karabakh, l’enclave de culture arménienne revendiquée par l’Azerbaïdjan comme un de ses territoires éternels. Le conflit ayant fait près de 7000 mort et son armement n’étant pas au niveau de celui adverse, Erevan s’était plus ou moins résignée à cette  humiliation. Le cessez-le-feu de 2020 n’ayant pas débouché sur un accord de paix, les parties restaient dans une situation de conflit larvé… qui s’est donc rallumé.

 En haut de la pyramide belliciste, l’exemple de la ‘’loi des loups’’ est donné par la Russie de Vladimir Poutine. Aux franges du Caucase et de l’Asie centrale, l’impunité tend à s’imposer comme ailleurs, en termes d’invasion, d’annexion de territoires et de frappes militaires sur des populations civiles. L’Azerbaïdjan en 2020 , comme la Russie en Ukraine, s’est d’abord attaqué aux territoires voisins qui lui étaient les plus liés par l’Histoire, la contiguïté géographique ou la culture. Aujourd’hui, Bakou, à l’image de Moscou, est passé à l’expansionnisme  dur, avec malheureusement dans son cas, l’appui du grand allié turc. L’OTAN voit dès lors l’un de ses principaux membres et fournisseur d’armes en Ukraine se compromettre sur ce théâtre traditionnel du grand-turquisme. Ankara agit alors en adversaire de l’Europe et des démocraties.

L’attrition militaire et la désorganisation que connaît le protecteur traditionnel russe de l’Arménie (en vertu d’une alliance de défense) ont ouvert une fenêtre d’opportunité pour régler des comptes avec Erevan. Moscou appelle au calme mais ne bouge pas ou n’a d’autre choix que de laisser faire. Pour le dictateur azéri, une nouvelle victoire militaire constituerait le plus beau cadeau il puisse offrir à son peuple, pour se maintenir éternellement  à sa tête. Il n’est pas le seul à faire ce calcul.

La présumée ‘’communauté internationale’’ appelle à la « retenue » et à un ‘’règlement pacifique du différend’’, formule consacrée, la plus plate et la plus impuissante qui soit, à laquelle on a recours quand on ne va rien faire. La France préside néanmoins actuellement le Conseil de Sécurité. Lors d’entretiens avec plusieurs dirigeants mondiaux, dont Vladimir Poutine et Emmanuel Macron, Nikol Pachinian, le premier ministre arménien, a appelé la communauté internationale à ‘’réagir’’. Cela n’a galvanisé personne. Emmanuel Macron se serait adressé au président Aliev d’Azerbaïdjan, le priant urgemment de mettre fin aux hostilités, et de revenir au respect du cessez-le-feu. Cela ne va pas effrayer ni convaincre ce dernier, qui sait bien que tout le monde a la tête ailleurs, grâce à la guerre d’Ukraine. Ce nouvel épisode de conflit post-soviétique est donc appelé à se développer.

* 13 septembre – Bataille de l’énergie

A l’heure ou le front du Nord-Est bascule à l’avantage de l’armée ukrainienne, la Russie offre le spectacle d’une puissance démembrée et pathétique. Des fissures apparaissent dans la dictature de Poutine, qu’elles émanent du camp le plus dur, frustré que les armes russes n’aient pas prévalu plus implacablement (ainsi, il faudrait exécuter les généraux dépassés par ce tournant dans la guerre) comme de certains élus locaux qui lui reprochent d’avoir placé le Pays dans une impasse. La fourniture d’armement, de renseignement et de conseils à la résistance ukrainienne porte ses fruits. Les résultats sont là. Ce n’est sûrement pas le moment de fléchir sur l’autre front principal de la guerre hybride : la bataille de l’énergie.

L’Europe a une occasion en or de se défaire de sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, qui a coupé ses livraisons gazières.  »Il y a une opportunité énorme (…) de se débarrasser une bonne fois pour toutes de la dépendance à l’égard de la Russie, de se débarrasser de ce levier de chantage que la Russie avait sur l’Europe en utilisant l’énergie comme une arme », a dit Antony Blinken Progressivement, les 27 se sont convertis à ce constat. De 40 % environ, cette dépendance a ainsi fléchi autour de 10 %.

Les ministres européens de l’énergie se sont mis d’accord sur une série de mesures d’urgence pour enrayer l’envolée des prix du gaz et de l’électricité. Les Européens ont fixé l’objectif de se défaire de leur dépendance à l’égard des hydrocarbures russes tout en évitant de se retrouver en situation de crise énergétique. De grosses concessions ont du être faites à l’Europe orientale du charbon de même qu’à la Hongrie du très poutinien Viktor Orban. La France et l’Allemagne ont passé entre elles un marché de solidarité : gaz français (les réserves sont pleines) contre électricité allemande. Le projet de la Commission consistant à plafonner le prix du gaz russe en fixant un tarif au-dessus duquel Moscou ne pourrait plus le vendre aux Européens. L’objectif est explicite : il s’agit de réduire les revenus du Kremlin, a affirmé la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen. En retour, Vladimir Poutine s’est employé à couper purement et simplement le robinet des fournitures à l’UE.

L’énergie russe doit désormais se retourner vers la Chine et les pays d’Asie pour obtenir de nouveaux débouchés. Il est vrai qu’elle bénéficie de prix de marché portés haut par la conjoncture. En attendant, l’industrie russe s’en trouve fortement désorganisée, incapable même de produire des automobiles.

D’une certaine façon, la fin par attrition de cette guerre injuste, oeuvre d’une dictature brutale et parnoïaque, est en vue. Il n’y a plus qu’à espérer un retournement prochain de la conjoncture sur les marchés de l’énergie (et dans l’esprit des Russes) que la débandade soit complète.

* 26 juillet – La mémoire et la putain

L’Histoire serait-elle la ‘’Putain des populistes’’ : torturée, soumise, convoquée qu’elle est sur un claquement de doigt ? Sa caporalisation s’effectue par le biais de ce que les médias officiels appellent ‘’le devoir de mémoire’’. Celui-ci inhibe souvent l’analyse rationnelle et régurgite du ‘’vécu, perçu’’, fait de logiques simplistes, exprimées à fleur de peau. Il permet l’omission des responsabilités. En fait, cette faille de discernement ne tient pas qu’aux manipulations politiciennes. C’est surtout le fruit d’une posture immature face au récit historique : faute de s’y atteler avec la méthode et le recul nécessaires, les enseignements du passé et leurs évolutions sont caricaturés ou se perdent. A l’heure du basculement entre Paix et Guerre, notre connaissance du passé pèsera pourtant sur notre vigilance quant aux pièges à éviter.

-C’est en mémoire du souvenir ‘’sacré’’ d’une bataille livrée contre les Ottomans, en 1388, que Milosevic avait préparé en sous-main son plan  »fer à cheval » d’attaque des Musulmans bosniaques par ses partisans de Banja Luka (Republika Srpska). La Syrie a imposé son emprise au Liban en vertu de réminiscences des Omeyyades ou de la Grande Syrie. Pékin accapare la Mer de Chine en invoquant une présence ancienne de ses navigateurs (presque une réédition de l’argumentation coloniale). De son côté, la Turquie revit les exploits conquérants de ses sultans, aux dépens de la Syrie et de l’Iraq. Reconnaissons aussi que la ‘’France-Afrique’’ relève en partie d’une mythologie coloniale dévaluée par l’analyse historique moderne. Quant au récit de la Guerre d’Algérie, il reste, selon les interlocuteurs, à confluence de la légende civilisatrice et d’une introspection honnête sur drame.

– L’exemple des relations très complexes et anciennes entre la Russie et l’Ukraine illustre, de même, les dangers de ce hiatus mental. Le territoire ukrainien est un couloir d’invasion. Il a été annexé ou dominé par ses nombreuses puissances voisines : Pologne, Lituanie, Suède, France napoléonienne, Allemagne nazie et bien sûr la Russie. La confrontation russo-ukrainienne remonte au Moyen Age : le ‘’Russ de Kiev’’, regroupant les deux populations, s’est effacé devant l’empire tsariste. Qui a précédé qui ? Qui est issu de Qui ? La Russie ne bénéficie pas forcément de l’antériorité ni de la vérité historique.

Pendant la Révolution d’Octobre puis la guerre civile, l’Ukraine a proclamé son indépendance mais s’est divisée dans une confrontation civile entre les camps soviétique et nationaliste. Au point de s’être divisée entre deux capitales : Lviv, l’occidentale et Kiev la pro-russe. Du côté de la contre-révolution, elle a aussi subi le joug des Russes blancs et celui de la Pologne, détentrice d’une moitié de la Silésie. Le pays a vu défiler les dictatures (Stepan Andriïovytch Bandera) et a frayé avec le nazisme, lorsqu’occupé par la Wehrmacht. Staline a exploité son niveau d’autonomie politique (et celui de la Biélorussie) pour obtenir deux sièges supplémentaires au Conseil de sécurité des Nations Unies. Khrouchtchev, qui en était natif, lui a définitivement réattribué la Crimée et la base navale de Sébastopol.

C’est la simple conclusion, en 2013, d’un accord de partenariat – sans grande portée – avec l’U.E qui a allumé les flammes de la colère poutinienne. L’obsession de s’y opposer par la force a déclenché, dans la population, la révolution orange. Il était hors de question, à l’époque, que l’Occident se prête à quelque coopération militaire que ce soit avec Kiev. Or, depuis l’invasion …

-Dans so  »devoir de mémoire », la classe politique russe n’a rien vu ni rien compris au cours de l’Histoire et n’en a tiré que des leçons fausses. Prisonnière depuis des siècles de son exaltation impériale – en fait, le fruit d’une vision orgueilleuse d’elle-même -, la Russie ne supporte pas l’idée que son ‘’étranger proche’’ puisse s’émanciper d’elle et exercer une pleine souveraineté. On en arrive à l’aberration suprême qui voudrait que l’Ukraine ‘’n’existe pas’’ (juste une portion de la Russie). De même, la manifestation de son identité propre est censée résulter d’une ‘’nazification’’. De qui, par qui ? On voit jusqu’à quelles extrémités mènent ce bréviaire mémoriel d’Etat : une guerre d’agression, le risque pris d’un conflit nucléaire. Le plus pernicieux, dans cette manipulation grossière de l’Histoire est que ses promoteurs finissent par se convaincre des sornettes de leur propagande.

L’imaginaire collectif peut être profondément destructeur. Même en démocratie. L’Histoire d’un pays devrait suivre un processus itératif, débattu de façon scientifique, pluraliste et contradictoire. Même dans notre Europe, ce n’est pas toujours le cas. Seule, la distance critique limite les risques d(une guerre par pure ignorance chauvine et permet d’évoluer vers une meilleure compréhension de  »l’Autre », cet ex-ennemi. Le nationalisme, on le sait, c’est la guerre … la mémoire instrumentalisée, son carburant.