* 26 juillet – La mémoire et la putain

L’Histoire serait-elle la ‘’Putain des populistes’’ : torturée, soumise, convoquée qu’elle est sur un claquement de doigt ? Sa caporalisation s’effectue par le biais de ce que les médias officiels appellent ‘’le devoir de mémoire’’. Celui-ci inhibe souvent l’analyse rationnelle et régurgite du ‘’vécu, perçu’’, fait de logiques simplistes, exprimées à fleur de peau. Il permet l’omission des responsabilités. En fait, cette faille de discernement ne tient pas qu’aux manipulations politiciennes. C’est surtout le fruit d’une posture immature face au récit historique : faute de s’y atteler avec la méthode et le recul nécessaires, les enseignements du passé et leurs évolutions sont caricaturés ou se perdent. A l’heure du basculement entre Paix et Guerre, notre connaissance du passé pèsera pourtant sur notre vigilance quant aux pièges à éviter.

-C’est en mémoire du souvenir ‘’sacré’’ d’une bataille livrée contre les Ottomans, en 1388, que Milosevic avait préparé en sous-main son plan  »fer à cheval » d’attaque des Musulmans bosniaques par ses partisans de Banja Luka (Republika Srpska). La Syrie a imposé son emprise au Liban en vertu de réminiscences des Omeyyades ou de la Grande Syrie. Pékin accapare la Mer de Chine en invoquant une présence ancienne de ses navigateurs (presque une réédition de l’argumentation coloniale). De son côté, la Turquie revit les exploits conquérants de ses sultans, aux dépens de la Syrie et de l’Iraq. Reconnaissons aussi que la ‘’France-Afrique’’ relève en partie d’une mythologie coloniale dévaluée par l’analyse historique moderne. Quant au récit de la Guerre d’Algérie, il reste, selon les interlocuteurs, à confluence de la légende civilisatrice et d’une introspection honnête sur drame.

– L’exemple des relations très complexes et anciennes entre la Russie et l’Ukraine illustre, de même, les dangers de ce hiatus mental. Le territoire ukrainien est un couloir d’invasion. Il a été annexé ou dominé par ses nombreuses puissances voisines : Pologne, Lituanie, Suède, France napoléonienne, Allemagne nazie et bien sûr la Russie. La confrontation russo-ukrainienne remonte au Moyen Age : le ‘’Russ de Kiev’’, regroupant les deux populations, s’est effacé devant l’empire tsariste. Qui a précédé qui ? Qui est issu de Qui ? La Russie ne bénéficie pas forcément de l’antériorité ni de la vérité historique.

Pendant la Révolution d’Octobre puis la guerre civile, l’Ukraine a proclamé son indépendance mais s’est divisée dans une confrontation civile entre les camps soviétique et nationaliste. Au point de s’être divisée entre deux capitales : Lviv, l’occidentale et Kiev la pro-russe. Du côté de la contre-révolution, elle a aussi subi le joug des Russes blancs et celui de la Pologne, détentrice d’une moitié de la Silésie. Le pays a vu défiler les dictatures (Stepan Andriïovytch Bandera) et a frayé avec le nazisme, lorsqu’occupé par la Wehrmacht. Staline a exploité son niveau d’autonomie politique (et celui de la Biélorussie) pour obtenir deux sièges supplémentaires au Conseil de sécurité des Nations Unies. Khrouchtchev, qui en était natif, lui a définitivement réattribué la Crimée et la base navale de Sébastopol.

C’est la simple conclusion, en 2013, d’un accord de partenariat – sans grande portée – avec l’U.E qui a allumé les flammes de la colère poutinienne. L’obsession de s’y opposer par la force a déclenché, dans la population, la révolution orange. Il était hors de question, à l’époque, que l’Occident se prête à quelque coopération militaire que ce soit avec Kiev. Or, depuis l’invasion …

-Dans so  »devoir de mémoire », la classe politique russe n’a rien vu ni rien compris au cours de l’Histoire et n’en a tiré que des leçons fausses. Prisonnière depuis des siècles de son exaltation impériale – en fait, le fruit d’une vision orgueilleuse d’elle-même -, la Russie ne supporte pas l’idée que son ‘’étranger proche’’ puisse s’émanciper d’elle et exercer une pleine souveraineté. On en arrive à l’aberration suprême qui voudrait que l’Ukraine ‘’n’existe pas’’ (juste une portion de la Russie). De même, la manifestation de son identité propre est censée résulter d’une ‘’nazification’’. De qui, par qui ? On voit jusqu’à quelles extrémités mènent ce bréviaire mémoriel d’Etat : une guerre d’agression, le risque pris d’un conflit nucléaire. Le plus pernicieux, dans cette manipulation grossière de l’Histoire est que ses promoteurs finissent par se convaincre des sornettes de leur propagande.

L’imaginaire collectif peut être profondément destructeur. Même en démocratie. L’Histoire d’un pays devrait suivre un processus itératif, débattu de façon scientifique, pluraliste et contradictoire. Même dans notre Europe, ce n’est pas toujours le cas. Seule, la distance critique limite les risques d(une guerre par pure ignorance chauvine et permet d’évoluer vers une meilleure compréhension de  »l’Autre », cet ex-ennemi. Le nationalisme, on le sait, c’est la guerre … la mémoire instrumentalisée, son carburant.

* 25 juillet – Odessa : feu sur le Cuirassé Potemkine !

Sitôt conclu, sitôt violé : tel est le triste sort de l’accord humanitaire et commercial de trois mois que les Nations Unies avait arraché, le 22 juillet, aux protagonistes du conflit en Ukraine. Le dernier mot a été donné aux missiles russes de type Kalibr qui, dans les heures suivantes, ont frappé le grand port stratégique du sud, d’importance cruciale pour l’exportation des céréales en Mer Noire. Le mépris de la partie russe pour le droit international et pour toutes formes d’engagement n’est plus à démontrer. Rétrospectivement, la présence de Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense, à la cérémonie de signature d’Istanbul tenait soit, du syndrome de pagaille soit, du complot machiavélique. Des dissensions et des manipulations pourraient s’être fait jour au sein du Kremlin : le mystère est épais. Que Lavroff ait affirmé, devant son collègue égyptien, que son pays  »n’y était pour rien » pour être aussitôt démenti par un porte-parole du Kremlin vantant la précision de ces tirs  »réussis » contre des cibles militaires, tout cela dit quelque chose sur la cohésion actuelle du pouvoir russe. Pour couronner le tout, la même source promet aux pays d’Afrique que le blé de Russie ne leur manquera pas. Comme si celui d’Ukraine était déjà perdu.

Le gouvernement de Kiev avait mis en garde contre ce genre de provocations. Sa méfiance paraît amplement justifiée, même s’il reste conscient de l’impérieuse nécessité pour lui de  »sortir » les quelque 20 millions de tonnes de blé actuellement bloqués dans ses silos : il va falloir y faire entrer les 40 Mt de la moisson en cours. Vladimir Poutine est accusé d’avoir ‘’craché au visage’’ de l’ONU et de la Turquie. Le reproche ne devrait pas trop gêner l’intéressé. Aucune confiance n’étant plus possible, il va être ardu de reprendre le fil de l’opération.  »céréales » Sans doute était-ce l’objectif premier de l’attaque. Celle-ci a été condamnée ‘’sans équivoque’’ par Antonio Guterres, qui avait consacré tous ses efforts au sauvetage des céréales ukrainiens, dans l’espoir d’approvisionner des pays pauvres. Que peut-il faire de plus, sinon repasser la question des responsabilités au Conseil de sécurité, lequel, paralysé par le veto russe, ne pourra rien décider. L’Union africaine, qui venait juste de se féliciter de l’accord d’urgence alimentaire en est aussi pour son argent et voit le continent noir rebasculer dans la perspective d’une famine.

La réforme du système de veto au Conseil de sécurité est une nécessité absolue pour rétablir la Paix. Ce système d’impunité totale des  »Grands », censé assurer leur coopération dans le règlement des crises, favorise au contraire les agressions impunies. La mécanique du système international a complètement changé depuis 1945. Coincée entre deux protagonistes figés dans la défiance, l’ONU est mise en face de responsabilité qui dépassent sa Charte et son mandat.

Il faudrait lui apporter le soutien public des citoyens du Nord comme du Sud et bien sûr le concours des gouvernements, devenu lacunaire. Le geste agressif commis contre Odessa est un coup porté aux intérêts des humains, de part et d’autre de l’Equateur : une urgence globale.

* 23 juillet – Vent dans les voiles, blé dans la cale

C’est comme une lueur d’espoir pour les pays du Sud. Les deux accords passés sous l’égide des Nations Unies, via les bons offices turcs, ouvrent une voie, fragile, à l’exportation via la mer Noire des dizaines de millions de tonnes de céréales en souffrance, requises pour éviter la famine l’hiver prochain. Les pays potentiellement bénéficiaires peuvent partager le souci des démocraties face à l’agression russe en Ukraine, mais le consensus est qu’ils n’ont pas à en payer la facture. Les belligérants ont indirectement souscrit à l’accord, sans négociation directe entre eux.

Les difficultés viendront des modalités d’application. Moscou veut contrôler les cargaisons ukrainiennes. Il en est de même de la bonne foi des parties. La Russie respectera-t-elle les règles et s’abstiendra-t-elle de toute transgression agressive, alors qu’au quotidien, sa marine et ses troupes ne s’embarrassent pas du droit de la guerre. Se pose également la question de la garantie sécuritaire des opérations : elle ne repose que sur l’engagement des Nations Unies et sur le contrôle des détroits par la Turquie. Autre prérequis, l’état des ports ukrainiens de la Mer Noire sous occupation russe à l’exception d’Odessa, en mauvais état de fonctionnement, privés de leur main d’œuvre dispersée par le conflit. Ajoutons-y la recherche d’assureurs susceptibles de couvrir l’activité maritime dans un environnement de guerre.

Tout cela fait beaucoup de ‘’si’’ et de risques de dérapage, mais parvenir à élaborer un tel schéma était quasiment inespéré il y a peu et donc positif pour la suite. Le meilleur atout de l’opération humanitaire et commerciale est qu’elle sert les intérêts des deux belligérants à la fois, puisque la Russie y gagne une levée des contraintes frappant ses propres exportations de blé et sans doute d’engrais. Certains concours pourraient s’être perdus en chemin, notamment l’opération de sécurisation des ports par la marine française. Annoncée le mois dernier à Kiev, par le président français, elle n’est plus évoquée.

Quelque chose d’important vient en tout cas de se concrétiser, au cinquième mois de la guerre en Ukraine, alors qu’aucun répit n’est perceptible dans la violence des combats. La population ukrainienne en est profondément meurtrie mais aussi affectée l’agriculture d’un pays réputé être le grenier à blé de l’Europe et d’une partie du monde. Les bombardements, l’incendie des récoltes et des silos doublé d’un blocus naval en Mer Noire ont bloqué le ravitaillement de nombreux pays émergents, notamment nord-africains (à commencer par l’Egypte, la Tunisie et le Maroc) et moyen-orientaux (la Syrie et le Liban), avec des conséquences potentiellement catastrophiques sur la sécurité alimentaire. Pour ce qui est de l’Afrique de l’Ouest, où, selon Oxfam, 30 millions de personnes souffrent actuellement d’insuffisances alimentaires, le conflit a accentué une inflation généralisée préexistante. En cinq ans, le prix du maïs y a augmenté de 30 % et celui du riz de 20 %, ce qui affecte aussi les prix des engrais et du pétrole affectant également l’agriculture africaine. Des poches de famine s’y développent. A l’est du continent, l’Érythrée et la Somalie dépendent presque entièrement des importations de blé russe ou ukrainien. L’Ethiopie, le Kenya et la Somalie connaissent déjà la disette : un être humain y meure de la faim toute les 48 secondes.

Vis-à-vis d’un Sud confronté à des enjeux aussi élevés, il faut donner sa chance à l’accord passé à Ankara. Ceci, sans trop s’appesantir sur les ambigüités connues de la diplomatie turque. Peut-être la France, qui s’était prestement signalée, pourrait, avec d’autres Etats garants, proposer les services de sa marine aux Nations Unies.

* 22 juillet – La foi du charbonnier nous guide

Avec la mise en maintenance, le 11 juillet, des deux gazoducs Nord Stream 1, s’ouvre pour l’Allemagne et l’Europe une période d’incertitude énergétique. Le gaz russe sera-t-il rebranché ? Oui, semble-t-il mais de façon parcimonieuse, avec pour but de jouer avec les nerfs des Européens et avec l’illusion de pouvoir maintenir une dépendance devenue toxique.

Pour l’instant, comme pour la moutarde, l’approvisionnement s’est fait de plus en plus difficile, depuis quelques semaines. On voit bien qu’il pourrait se tarir complètement. En France, le gouvernement appelle les distributeurs à ‘’se mettre rapidement en ordre de bataille’’ pour faire face à la grande probabilité d’une coupure. Telle est la consigne lancée par Bruno Le Maire, même si, selon lui, la France bénéficie d’une situation ‘’plus favorable’’ que ses voisins. La notion est toute relative. La Commission européenne propose, pour sa part, que chacun diminue rapidement de 15 % sa consommation de gaz. En vertu de quoi, les membres  »disciplinés » s’ouvriraient un droit à la solidarité des autres, si les temps devenaient invivables. Avec aigreur, les pays du Sud interprètent ce plan comme équivalent à  »payer pour la dépendance allemande au gaz russe » et donc pour les choix erronés faits par Berlin.

Si l’embargo russe paraît inévitable, beaucoup d’industries dépendant directement du gaz vont souffrir. Ceci affectera leur capacité-même à produire, comme on le voit déjà en Allemagne, chez BASF ou chez Uniper. Certains experts prédisent que la moitié de ces firmes pourrait mettre la clé sous la porte.

Qui donc sacrifier dans une situation de  pénurie : les industries, les transports, les ménages, les administrations ? Si les industries opèrent en première ligne, à l’arrière, les ménages vont écoper du plus dur des désagréments. Manger ou se chauffer (il faudra choisir) ? La facture Enedis ou Engie réglée par les consommateurs a déjà fortement augmenté et continuera à s’envoler à l’avenir. Le bois de chauffage a disparu du marché. Un retour de la ‘’chasse au gaspi’’ nous guette : gare au réglage trop élevé des radiateurs ou à la surconsommation sur l’autoroute !

Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, beaucoup avaient vu, dans les sacrifices imposés par cette  guerre, une sorte d’appel ou d’opportunité à prendre le grand tournant ‘’décarboné’’. Se dissocier du gaz et du pétrole pour passer aux sources d’énergies vertes pouvait permettre à l’Europe d’entamer vraiment sa transition verte vers le zéro émission de CO2 visé pour 2050. C’eût été se propulser à hauteur des enjeux qui attendent les prochaines générations. Oublions tout ça ! Le contraire se produit, carrément. L’alternative au gaz russe se trouvera finalement dans le bon vieux charbon gras et dans les huiles lourdes fossiles achetés au prix du Saint Emilion aux émirs du Golfe (l’arabo-persique ou celui du Mexique). Actuellement, la demande de houille atteint un pic à en exterminer les derniers climatologues survivants.

On assiste en fait à un choix apeuré des gouvernements, privilégiant la tranquillisation immédiate du consommateur en manque, déconnecté de la chose géopolitique. En d’autres termes (je me répète) : la peur d’une flambée de colère des gens, l’hiver prochain, l’emporte sur l’intérêt de tous à réduire les dégâts climatiques et ceux de la guerre à plus long terme. Les successeurs des successeurs (etc.) des actuels dirigeants se débrouilleront bien du problème. Comme en toute affaire médiatico-politicienne, le court-termisme sortira en grand vainqueur.

Rassurez-vous ! Dans trente ans, de nébuleuses énergies renouvelables devraient remplacer complètement notre bon vieux gaz fossile actuel. Il s’agirait d’éthers produits dans des méthaniseurs agricoles, accessoirement, d’autres tirés des boues de stations d’épuration ou encore d’installations de stockage de déchets. On nous dit que plus de trois cents de ces machines aux mauvaises effluves seraient déjà raccordées au réseau. Mais, pourra-t-on attendre trente ans encore ? Ce ne sera peut-être pas nécessaire. D’ici là, il suffirait de transformer en gaz new look les riches ressources agricoles d’une Ukraine russifiée et de son maître russe. Comment ça, le serpent se mord la queue !!

* 18 juillet – Esprit de la Sainte Russie, es-tu là ?

Vous pensez connaître la guerre électronique, la cyber-guerre, la production des fake news sur les réseaux sociaux, la propagande par distillation du mensonge (gros, de préférence)… En fait, vous n’êtes pas au bout de vos découvertes sur ces armes qui tuent depuis l’intérieur du cervelet. Le correspondant du Monde à  Moscou décrit, dans un article truculent, tout un appareillage mental mobilisé en renfort de la ‘’Grande Invasion’’ de Poutine. Présenté à la télé, cela va du zodiac des astres célestes à l’au-delà des défunts et des anges orthodoxes, en passant par les émissions captées des neurones humains.

L’individu Vladimir, baigne dans le (relativement) rationnel. Natif du signe de la balance, il commence par tester le terrain : envahir ceux d’en face ou négocier leur reddition inconditionnelle ? Puis, sa balance tilte vite en faveur de la force. En face, Joe Biden, le scorpion, laisse l’adversaire s’avancer à découvert pour le piquer par surprise. En fait, tout cela est géré par les astres : rangez donc les chars ! Dans l’espace insondable, c’est la pyramide cosmique qui se modifie. La conséquence en est simple : la géopolitique astrologique déchaine des forces obscures à travers notre planète. Ressortez vos vieux DVD de Star Wars !

Pour l’astrologue Svetlana Dragan, une vedette des médias moscovites, la Russie est enjointe par ses défunts ancêtres à ‘’se libérer de son statut de colonie et des modèles imposés par l’Ouest : le transhumanisme, l’extrémisme économique, et en général la suppression de l’homme’’ (par le gay ?) … Dans cette bataille, ‘’l’ancien monde (l’Occident) va s’effondrer’’. Dieu le veut ! D’ailleurs, ‘’selon les astres, la République populaire de Donetsk et celle de Louhansk n’appartiennent pas à l’Ukraine’’. On devine à qui, alors. Laissons tomber les Nations Unies, le droit international et la carte du monde qui orne notre bureau ! Dès 2024, tout va s’améliorer pour la Russie. Aux dires d’une certaine Tamara Goba, localement célèbre, ‘’une nouvelle civilisation va émerger dans les années 2030’’.

Ainsi, tout un petit peuple de prophètes, de mages et de médiums se décarcasse à sanctifier Poutine. Ils rejoignent la contribution théologique du patriarche orthodoxe métropolite, Cyrille : propriétaire du label ‘’Antéchrist’’, il le distribue libéralement à tous les ennemis de la Russie. Pour chacun de ces messages tordus sur You Tube, le remue-ménage prophéto-galactique parvient à attirer jusqu’à 12 millions de fidèles sectaires. La propension au spiritisme ne date pas d’hier en Russie et elle n’est pas marginale : Raspoutine a précédé Poutine. Le succès de l’astrologie chauvine n’est pas étranger au mal vivre général qui tiraille la société russe, largement dépassée par les agissements de ses dirigeants et oligarques. Heureusement, les vidéos émanant de l’au-delà proposent des messages lénifiants : le monde extérieur est terrifiant ; néanmoins, la Russie souffre moins que les autres (grâce à Poutine) ; rien ne sert de chercher à comprendre car rien ne dépend des gens ; il faut borner ses ambitions aux personnes les plus proches et s’occuper de ses moutons … parce que s’affronter au nom d’idées politiques – qui varient tout le temps – n’apporte rien de bon à personne.’’ Edifiant.

Le conseil d’apathie est parfait pour servir l’Ogre du Kremlin, qui n’a pas du tout envie de voir ses concitoyens lui demander des explications. Il suffit de vouer au Chef une confiance sans limite.  »Les cartes dans les mains de Vladimir Poutine étant excessivement complexes pour le Russe moyen, seul le Tsar saura en temps voulu si la Russie va triompher ou mourir.‘’ Il fera au mieux, on imagine. Les astro-géopolitologues russes pratiquent, on le voit, une méga-anesthésie (lobectomie ?) de masse à usage populaire. Et des dizaines de millions de braves gens s’y soumettent de bon gré pour éviter d’avoir des ennuis avec l’Autorité ou d’éprouver l’inconfort de pensées personnelles taraudantes.

Médiums et autres voyants se pressent donc sur les plateaux des télévisions d’Etat. Ils atteignent la célébrité non seulement dans la voyance géopolitique, mais aussi dans la culture (paranormale), les loisirs (qui préparent au combat) et dans tous les domaines surréels de la vie courante. Les plus chanceux des auditeurs pourront, par exemple, consulter Ivan Fomine, médium militaire du FSB, pour nénéficier en direct de ses pouvoirs spéciaux de guérisseur politique. Le mage sait parfaitement quand Zelensky signera sa capitulation, mais comme le fakir du sketch de Francis Blanche, il tait cette révélation. Dans le même temps, le recours des forces ukrainiennes à la magie noire est stigmatisé, force arguments à l’appui. A l’heure de ‘’l’opération militaire spéciale’’, Baba Vanga, une voyante de l’ex-KGB bulgare, décédée en 1996, diffuse ses prédictions post-mortem sur la première chaîne de télévision.

Les hi-techs sont, comme il se doit, convoquées pour bétonner les certitudes et repérer les mauvais éléments. A l’heure où j’écris ce billet, des armées de trolls pétersbourgeois s’énervent à le lire en temps réel. C’est que Anton Vaïno, chef de l’administration présidentielle au Kremlin, ne jure que par le ‘’nooscope’’. Il s’agit d’un réseau de scanners spatiaux satellisés capable de sonder la ‘’noosphère’’ : la pensée émise par mon petit cerveau et ceux de quelques milliards d’autres êtres noo-actifs.

Le correspondant du Monde se demande si, à force d’asperger leur petit monde de ce jus de cerveau toxique, Poutine et ses gens n’y croient pas un peu, eux aussi : sont-ils contaminés par leur propre para-tambouille ? La réponse coule de source : observez leurs décisions et leurs actions. Elles les caractérisent sans le moindre doute, comme DINGOS. CQFD.

* 17 juillet – Mon âme pour un baril !

Tournée moyen-orientale sans chaleur, déplacement controversé en Arabie saoudite, influence américaine en reflux, pas de gain immédiat en fourniture d’hydrocarbures. Joe Biden est rentré de Riyad un peu bredouille, honteux de ses courbettes devant ce mauvais garçon de Prince-Héritier, et surtout sans avoir obtenu qu’il augmente sensiblement sa production pétrolière. Bilan très mitigé.

Il a participé à un forum du Conseil de Coopération des Etats du Golfe, un exercice  »Sécurité et défense » du niveau de son secrétaire d’Etat. Il a poliment applaudi le rapprochement israélo-émirien, qui ne doit plus grand-chose à l’activisme initial de l’époque Trump. Quelques paroles graves prononcées sur l’irresponsabilité nucléaire de l’Iran. Pas grand-chose à vrai dire, ni sur le  »Tu ne tueras point » commun à toutes les sagesses. On retiendra la signature de dix-huit accords bilatéraux entre le Royaume saoudien et les Etats Unis, notamment sur le développement des énergies nouvelles. Mais il apparaît bien que les marges de manœuvre occidentales au Moyen-Orient ne sont plus ce qu’elles étaient. Elles ont fondu. Ceci est patent face au mur d’indifférence dressé par les membres de l’OPEP refusant de prendre parti dans l’affaire ukrainienne. Les souvenirs des pataquès d’Irak et d’Afghanistan, la revendication d’un pivotement stratégique plus à l’Est, pour endiguer la Chine, les faiblesses internes de la démocratie américaine, tous ces facteurs restent en mémoire et ils ont fortement relativisé l’aura du leadership US d’antan. Et puis les dirigeants du Moyen-Orient ressentent, de façon générale, une  »fatigue à l’égard de l’Occident ».

Avec la guerre en Ukraine, les cours du brut ont augmenté de plus de 100 dollars le baril, avec un pic à 139 dollars concernant le Brent. En conséquence, depuis l’arrivée aux affaires de Joe Biden, le gallon américain se monnaie à la pompe à cinq dollars ou plus. L’inflation pèse sur les foyers et plus encore sur l’humeur des citoyens-électeurs, à l’approche des ‘’mid-term elections’’ de novembre prochain. Et le plan climat qui est en panne au Congrès. Déprimant, pour Papy Joe…

Livrer sur le marché une quantité supplémentaire significative de naphte supposerait que Riyad rompe son entente avec la Russie au sein de l’OPEP +, qui date de deux ans. Le cartel des fournisseurs a opté en mai pour une stratégie d’augmentation graduelle de sa production, dans l’idée de l’ajuster à la reprise économique post-Covid. Un effort supplémentaire important, juste pour les beaux yeux de la princesse America, semble très peu probable. Un geste limité reste néanmoins concevable pour sauver la face au visiteur américain : rien qui puisse faire réellement baisser le prix du gallon et compenser les millions de barils russes qui manqueront dans les réserves européennes. Car l’Europe figure en tête en proue de la barque folle des énergies carbonées. C’est elle l’otage d’une rupture totale des livraisons de gaz russe et toujours elle qui s’expose à la pire spirale des prix d’Occident. Sans oublier la galère du monde émergent, dont l’archétype de Sri Lanka traduit une vulnérabilité extrême à cette conjoncture mondiale foutraque.

Après avoir décrété, d’eux-mêmes, un embargo par étapes sur le pétrole russe, les pays européens se retrouvent aux abois, contraints à diversifier leur approvisionnement en or noir et surtout en gaz. Pour la France, par exemple, le Qatar est censé apporter une réponse miraculeuse aux maux présents. Le réalisme ambiant a forcé l’oncle Joe à saluer en camarade le hautement criminel et proscrit prince Mohammed Ben Salmane … et, pour le même prix, à avaler sa péroraison sur l’incompréhension Yankee des valeurs morales dont s’honore son royaume. Celles-ci s’affirment identitaires et absolument spécifiques : faire assassiner un gêneur y est perçu comme le signe d’une grâce, par exemple. Oublions les droits humains et retenons plutôt le commentaire flegmatique d’un dirigeant allemand : ‘’Nous préférons désormais être dépendants de plusieurs dictateurs du Golfe, que d’un seul en Russie’’. Bien vu, mais parions que cela ne nous mènera pas très loin. Le contexte pétro-gazier restera déséquilibré et fluctuant : du court terme succédant à du court terme et encore : la routine en somme.

Une gigantesque énergie diplomatique est déployée dans le but d’accroître la dépendance européenne en hydrocarbures du Golfe, quitte à devenir au passage moins honnêtes et moins souverains. En comparaison, très peu est fait pour réduire la surconsommation des citoyens européens ou américains. Il est vrai que leur mécontentement (anticipé) effraie terriblement ceux qui les gouvernent. Cet effroi électoral ou d’ordre public écrase à leurs yeux la perspective de perdre la transition énergétique et, même, de perdre leur âme. La messe est dite, rentrons chez nous..

* 15 juillet – Le jour de résilience est arrivé

Emmanuel Macron a brièvement abordé la situation stratégique en Europe, à l’occasion de l’interview qu’il a donnée à l’occasion du 14 juillet. Bien qu’aujourd’hui ce soit vendredi, jour où l’Ours Géo fait habituellement la sieste, le fait mérite un petit commentaire. Pour une fois, il sera plutôt positif.

Les esprits simples auront retenu que la France n’est pas en guerre contre la Russie. Croyez vous ? En fait, le Chef de l’Etat a précisé qu’elle n’était pas dans une posture de confrontation militaire directe avec l’armée de Poutine… mais bien dans une guerre hybride que nous livre la Russie.

Reprenons les choses calmement : la République est bien en guerre  »par procuration » et  »par livraisons d’armes » contre les envahisseurs de l’Ukraine. Protagoniste actif, elle assume le risque de se voir absorbée dans la bataille, aux côtés de l’OTAN, si la confrontation devait se généraliser. Non pas qu’elle le souhaite, mais le choix est entre ce risque bien réel et un écrasement des libertés et de l’état de droit en Europe. La démocratie a le droit de se défendre avec des canons. Vous pouvez ne pas être du tout d’accord avec cette interprétation. Consulter alors d’autres blogs, sans poster de commentaire sur celui de l’Ours.

La guerre hybride, elle, est bien directe et elle prend l’Europe pour cible. Nous sommes depuis un bail sur le front de la cyber-guerre et de la manipulation médiatique russe. Nos positions d’influence en Afrique et dans le monde émergent sont attaquées, parfois à grands renforts de montages grossiers, comme ce prétendu charnier humain, cadeau des mercenaires de Wagner, supposé  »laissé par les forces de Barkhane », au Mali. Lorsqu’il s’agit seulement de continuer à alimenter par un corridor humanitaire les civils assiégés d’Idlib, en Syrie, Moscou jubile de bloquer l’action du Conseil de sécurité. Même chose dès que l’on essaie de faire sortir le blé des silos ukrainiens, par la Mer Noire pour nourrir les pauvres.

Le président français à trouvé curieux que les médias taisent la coupure du gaz russe à l’Europe, via le gazoduc North Stream. la fermeture des vannes est en cours. Cependant, on préfère attendre qu’elle soit totale pour en parler. La remarque présidentielle paraît fondée. Son auteur a eu le bon sens d’inviter les consommateurs français à faire des efforts de sobriété et de résilience. Excellent réflexe ! Mais il manque manifestement une clé de répartition des économies à faire, des sacrifices à consentir. Le  »QuiFaitQuoi » des sacrifices n’est pas qu’une question de modalité : la domination des choix industriels sur la justice sociale n’est plus acceptable pour beaucoup de citoyens. Voilà un sujet de politique intérieure+extérieure qui mériterait d’être porté devant l’Assemblée  »ingouvernable » issue des législatives du mois dernier. Hop ! Retour à une sieste peu-émettrice en carbone …

* 5 juin – Avec le temps, vas, tout s’en va

Sievierodonetsk est tombé, dévasté par l’artillerie, puis Lyssytchansk. L’oblast de Lougansk est désormais totalement sous le contrôle de l’envahisseur et va être russifié ; la population, chassée, triée, remplacée. Les experts militaires ne donnent plus cher de l’oblast voisin de Donetsk et présagent qu’avant l’automne, l’ensemble du Donbass sera pris par la force. C’est un tournant défavorable dans une guerre qui va connaître d’autres épisodes très durs. Le pouvoir destructeur des canons russes ne semble jamais épuisé. Celui de résistance de l’armée ukrainienne est très entamé. L’aide occidentale pourra-t-elle suivre la montée des enjeux ? On oscille entre attente, crainte et espoir.

– Ecartons d’abord l’hypothèse comme quoi l’offensive poutinienne s’arrêtera là, miraculeusement, sans que l’usure de la logistique l’y oblige. Ce serait par simple contentement d’avoir atteint un objectif militaire, même s’il n’est que partiel au regard du plan annoncé. ‘’L’affaire du Donbass réglée (comme l’a dit le dictateur tchétchène), intéressons-nous à la Pologne et aux autres’’. Le pourtour sud de la Mer noire, une fois franchi le port d’Odessa, constitue un axe d’invasion. Sur la frange-est de la Moldavie, des ‘’sabotages’’ et autres menées agitatrices sont déjà montrées du doigt par Moscou, qui y prépare le terrain. Et la région concernée, la Transnistrie, est de peuplement ethnique russe. Au-delà, c’est la Bulgarie, déjà privée de son approvisionnement en gaz, puis la  Turquie et la Grèce ouvrant sur la Méditerranée. Si donc, les forces du Kremlin poursuivent plein sud, il faudra qu’Odessa tienne bon, à tout prix. L’OTAN n’aura d’autre choix que de s’investisse en Mer noire. Sans doute pas dans les eaux russes, mais dans celles de l’Ukraine : une bataille navale en ‘’mode Wagner’’, sans exhiber les insignes. Ce n’est pas léger à dire.

– Un scénario du même type demeure aussi possible au nord, autour de la Baltique, avec une revanche à saisir sur les républiques baltes – ces transfuges de l’URSS, qui accueillent de fortes minorités russophones – et sur le bloc nordique : en l’occurrence, la Finlande, frontalière sur 1300 km avec la Russie, et la Suède, de tous temps rivale de l’expansionnisme des tsars. Elles sont toutes deux coupables de rallier l’OTAN. L’enclave russe de Kaliningrad n’a jamais autant fait figure de potentiel tremplin d’agression contre la Lituanie honnie (sanctuaire de dissidents) et la Pologne (centre de gravité de la contre-poussée face à l’invasion).  Désormais, la Baltique ne roulera plus des eaux calmes. Au-delà, aux portes de l’Arctique, la Norvège est prise à partie pour appliquer les sanctions européennes à la colonie russe du Svalbard, étrangère au lieu.

– Poutine ne tient pas à envahir l’Europe occidentale : il lui suffirait largement de la casser. Infliger une défaite – par impuissance – à l’Alliance atlantique et l’obliger à se rétracter géographiquement ; remettre, ce faisant, la main sur les franges russophones ou autrefois annexées de l’Empire ; briser l’image d’un Occident fort de ses principes et de son influence sur les affaires mondiales ; désoccidentaliser au passage les institutions multilatérales, avec l’aide des pays non-alignés et bien sûr de la Chine, sa paranoïa suit une logique implacable. Jusqu’où fera-t-il de son rêve un grand plan d’action épique pour imposer sa marque dans l’Histoire ? Etape après étape, le tableau d’ensemble apparaîtra et, dans ce tableau, notre vulnérabilité à la sidération et à l’accumulation des stresses constitue son arme secrète, quasi-imparable.

Dans son ouvrage, ‘’l’obsolescence de l’Homme’’, le philosophe austro-allemand, Günther Anders, désignait comme ‘’supraliminaires’’ les évènements trop immenses et effrayants pour que l’Homme prométhéen puisse les capter dans son esprit et, surtout, pour qu’il puisse mesurer les incidences apocalyptiques de leur répétition. Nous avons tous des connaissances qui se plaignent d’être saturées par l’actualité déprimante et en viennent à bouder entièrement les médias, en fait à demeurer l’esprit vide. L’Homme du Kremlin pense que son espace vital va s’accroître au rythme de notre résignation (et de nos divisions ou confusions), simplement avec le temps.

La fin du mois passe avant la fin du monde : c’est comme pour le climat : n’y pensons plus. En attendant, les vacances arrivent, enfin l’insouciance !

* 29 juin – Météo OTAN : vent d’Ouest contre vent d’Est

A Madrid, l’Alliance atlantique négocie depuis hier un grand tournant : c’est son ‘’Sommet de la transformation’’. La Russie compte évidemment parmi les sujets qui font ‘’l’union sacrée’’ parmi les trente alliés. C’est l’envers de l’engagement massif dans la durée promis à l’Ukraine, jusqu’au reflux de l’agression russe. L’armée de Poutine aggrave délibérément son cas en reprenant ses bombardements de populations civiles sur la région de Kiev et sur l’Ouest ukrainien. C’est sa façon de ‘’marquer le coup’’ après les ouvertures faites à Volodymyr Zelensky, du côté de l’Union européenne, du G 7 et de l’Alliance.

– En rupture avec le ‘’partenariat russe’’ mis en avant jusqu’en 2010, la définition de la nouvelle stratégie de défense et de dissuasion, incluant les offensives hybrides et cyber ainsi que le terrorisme, définit de façon univoque la menace russe comme ‘’la plus importante et la plus directe qui soit contre la sécurité et les valeurs de la zone transatlantique ainsi que de l’ordre international. Moscou a choisi la confrontation, l’Alliance répond sur le même plan, mais défensif. Les dirigeants occidentaux préparent des mesures pour acheminer en plus grande quantité à l’armée ukrainienne un armement moderne de type OTAN.

Derrière la ‘’ nouvelle ère de compétition stratégique’’ (quel charabia !), d’autres questions, moins consensuelles, se profilent.

– Le branle-bas de combat pour porter de 40.000 hommes à 300 000 l’effectif de la Force de réaction (NRF) aura-t-il lieu ? Depuis l’invasion russe, la génération de forces lancée par l’OTAN se montre beaucoup plus lente et faible que prévu. L’OTAN essaye de compenser son déficit avec des ‘’battle groups’’ de plusieurs nationalités, pré-désignés car déjà opérationnels. Cette mobilisation de moyens incombe aux Etats bien plus qu’à l’organisation intégrée elle-même, qui dispose de très peu de moyens (avions-radars, réseaux d’alerte, renseignement …). C’est donc qu’il y a un vrai décalage entre les objectifs géostratégiques avancés et l’intendance, qui ‘’ne suit pas’’. Ce n’est pas lié à un manque de détermination mais, simplement aux capacités logistiques, organisationnelles et industrielles qui n’y suffisent pas. Les Etats-Unis exhortent à nouveau leurs alliés européens à investir au moins 2 % de leur PIB dans la défense (‘’un plancher, pas un plafond’’) mais la réalisation de l’objectif est bien plus complexe que son affirmation.

– La Turquie aura fini par lever  le chantage au veto qu’elle exerçait contre l’adhésion de la Suède et de la Finlande. Sans doute sa manœuvre aura été récompensée d’une façon ou d’une autre. Elle reste le moins fiable et le plus retord de tous les alliés, prompte à dégainer, par pur opportunisme, son pouvoir de nuisance et l’ambigüité de ses choix stratégiques.

– Une dizaine de pays de ‘’l’Indo-Pacifique’’ étaient invités à Madrid, par le Secrétaire général Stoltenberg, connu pour être la ‘’voix de l’Amérique’’. C’est dire que la Chine,soupçonnée par certains de collaborer militairement avec la Russie, figurait haut – bien que pour la première fois – dans l’ordre du jour de Washington, contre la volonté des grands pays européens. Le terme de ‘’menace’’ pour la qualifier a pu être écarté au profit de la notion de ‘’défi systémique pour l’ordre mondial’’. Paris et Berlin ont ainsi obtenu que la déstabilisation mondiale incarnée par Pékin ne soit pas élevée au même rang que la menace militaire russe.

Mais ceci crée une alerte sur l’avenir de l’OTAN. L’Oncle Sam, comme il l’a fait par le passé contre l’URSS, voudrait constituer un maillage mondial de bases militaires au service d’un engagement collectif, sur le modèle (ancien) mis en oeuvre pendant la Seconde Guerre Mondiale puis la Guerre froide. A Paris, on n’a de cesse de rappeler que la sphère de l’Alliance atlantique est circonscrite à la zone euroatlantique et que son mandat se situe là et seulement là.

– De ce constat découle les difficultés rémanentes à traiter de l’approfondissement de la relation UE-OTAN. La France, en particulier, voudrait que le renforcement de la défense européenne soit pris en compte et valorisé par le quartier général de l’Alliance. Comme toujours, cela agace. Par exemple, se trouve proscrite par le clan ‘’tout américain’’ toute mention du ‘’pilier européen’’ de l’Organisation.

Va-t-on envoyer, un jour l’Europe guerroyer dans le détroit de Taiwan aux côtés de l’US Navy ?

* 23 juin – L’épine dans le pied européen

L’ancien port allemand de Königsberg – aujourd’hui ‘’oblast de Kaliningrad’’ – constitue depuis longtemps une épine dans le pied de l’Europe. Avec l’adoption par l’Union européenne, le 17 juin, de sanctions justifiées par l’agression russe en Ukraine, cette enclave redevient un sujet de litige et potentiellement une source de conflit ouvert. Les restrictions partielles frappant le transit de (certaines) marchandises stratégiques, via la Lituanie affectent en effet une partie du fret ferroviaire destinée à Kaliningrad.

Moscou exige de la Lituanie « une levée immédiate des restrictions » et enrage contre une décision « hostile, qui viole toutes les règles imaginables » (en fait, deux accords avec Bruxelles). Son porte-parole, Dmitri Peskov, évoque de prochaines mesures de représailles contre Vilnius. La Lituanie se trouve déjà dans la ligne de mire du Kremlin pour l’accueil que cette petite république, membre de l’UE, accorde généreusement à l’opposition biélorusse et aux dissidents russes. Elle est également en bisbille avec l’allié chinois de Poutine. Son ministre des Affaires étrangères ne peut faire autrement que d’imputer la responsabilité première des sanctions à la décision européenne. Le ton monte entre les deux pays. Pour comprendre comment la tension – récurrente – a ressurgi brutalement, il convient d’en rappeler les origines historiques.

En janvier 1945, la province allemande de Prusse-Orientale avait été annexée à l’URSS, à la suite d’une offensive de l’Armée rouge, puis divisée entre l’Union soviétique (moitié nord) et la Pologne (moitié sud). Le plan d’expansion de Staline a été entériné par les conférences interalliées de Yalta et Potsdam. Lorsque Saint Pétersbourg / Kronstadt sont bloqués par le gel, un couloir terrestre jusqu’à Kaliningrad – via la Biélorussie et la Lituanie – donne à la Fédération de Russie accès aux ports libres de glace de la Baltique. C’est un atout économique mais aussi stratégique.

Auparavant, la population de Königsberg était principalement allemande, avec une minorité d’origine lituanienne et une autre parlant un dialecte polonais. Les habitants qui n’ont pu s’enfuir ont été déportés en Sibérie et remplacés par des Russes, comme en Carélie finlandaise. La prise soviétique a été érigée en oblast de Kaliningrad, rattaché à la République fédérative de Russie. Sa configuration d’enclave entre Pologne et Lituanie  – deux fois plus proche de Berlin que de Moscou – s’est accentuée avec les indépendances baltes de 1991. La capitale de l’Oblast est séparée de Pskov, ville russe la plus proche, par trois frontières et 600 kilomètres, ce qui n’est pas sans évoquer, dans l’entre-deux-guerres, le couloir symétrique de Dantzig ménageant un accès polonais à la Baltique.

Depuis l’adhésion de la Pologne et de la Lituanie à l’Union européenne, en juillet 2003, l’enclave de Kaliningrad constitue l’une des frontières extérieures de l’Union européenne.  Sa nature de forteresse militaire et sa grande base navale sont perçues comme la volonté d’un tremplin russe vers l’Europe du Nord. Elle est surarmée et dotée de missiles nucléaires Iskander, pointés sur les métropoles européennes. Un accord avait été conclu, en avril 2004, entre Bruxelles et la Russie, exemptant de taxes douanières les transits marchands à travers le territoire lituanien, essentiellement par voie ferrée. De plus, un accord sur les petits mouvements frontaliers avait été signé en 2012, permettant une mobilité, sans visa, des résidents russes jusqu’à 30 km au-delà de leurs frontières.

La volonté d’accommodement de l’Union européenne n’est pas épuisée. Josep Borrell, précise ainsi que « le transit terrestre n’a pas été stoppé ni interdit et celui des passagers et des marchandises se poursuit, à l’exception de l’acier et des biens fabriqués à partir de pétrole ». Qui plus est, en cette saison, le trafic peut être aisément acheminé par voie de mer.

La seule vraie question est donc : Vladimir Poutine est-il à la recherche d’un prétexte pour ‘’tenter un coup’’ contre l’Europe du Nord ?

* 22 juin – Au pied du mât de cocagne

Demain et vendredi, les Etats membres de l’Union européenne vont se prononcer sur un statut de candidat de l’Ukraine à l’Union. L’avis positif de la Commission européenne sera discuté lors du sommet du Conseil européen, à Bruxelles. Au 120ème jour de l’invasion russe s’ouvrira une semaine ‘’vraiment historique’’, selon les mots de Volodymyr Zelensky. En conséquence, le président ukrainien s’attend à ce que Moscou intensifie ses offensives contre son pays : ‘’Les Russes ont besoin de cette crise et ils l’aggravent de façon délibérée’’, analyse-t-il. La semaine dernière à Kiev, Paris, Berlin et Rome (rejoints par Bucarest) se sont prononcés pour l’octroi ‘’immédiat’’ à l’Ukraine de ce statut de candidat. Jamais un avis sur une demande de candidature n’aura été rendu en mode aussi express. Reste à faire prendre la ‘’tambouille’’ bruxelloise. 

De fait, c’est à l’unanimité que les 27 devront donner leur feu vert : ce n’est pas gagné. Il faudra dépasser les réticences des Pays Bas et du Danemark – assez fondées en droit, vu certaines mauvaises habitudes ukrainiennes – et la velléité générale d’obstruction dont fait preuve la Hongrie. La question des normes juridiques, sociales, juridiques ou écologiques ne se pose d’ailleurs pas à ce stade : on est dans la diplomatie de guerre, la géopolitique de combat, comme d’autres opèrent dans la médecine d’urgence. Dans le meilleur des cas pour Kiev, le chemin d’une adhésion sera long et lourd en contraintes. Qu’importe le processus, on en parlera plus tard, c’est l’arrimage géopolitique immédiat qui compte … et c’est bien ce qui heurte la volonté hégémonique de Moscou. Le Kremlin, faute de mieux, simule hypocritement l’indifférence.

Ursula von der Leyen a adopté l’expression clé de ‘’perspective européenne pour l’Ukraine’’, synonyme flou d’un sanctuaire provisoire dans cette antichambre où la Turquie, la Serbie et d’autres ont longtemps mariné dans la frustration. ‘’Nous savons tous que les Ukrainiens sont prêts à mourir pour défendre leurs aspirations européennes’’, dixit la patronne de la Commission. Et encore : ‘’Nous voulons qu’ils vivent avec nous, pour le rêve européen’’. Il y aurait donc aussi un ‘’rêve européen’’ comme, à Pékin, Xi Jinping cultive son ‘’rêve chinois’’ ? Décidemment, on est bien en guerre !

La Commission recommande par ailleurs d’accorder à la Moldavie le même statut de candidat, à la condition qu’elle mène à bien d’’’importantes réformes’‘. Si toutefois, enlevant Odessa, les chars russes devait déferler plus au Sud, gageons que ces conditions tomberaient dans l’oubli ipso facto, concernant ce petit pays sans défense. Vendredi, donc, on devrait y voir plus clair.

Quant à la Géorgie, l’oligarque américanisé qui dirie son gouvernement est réputé pour sa complaisance envers Vladimir Poutine. Malgré la sympathique figure de sa présidente (une ancienne collègue à moi, au Quai), le pays attendra et devra faire la preuve d’une meilleure gouvernance politique. Dans l’immédiat, Tbilissi ne paraît pas être la capitale la plus menacée, le pays ayant déjà été partiellement dépecée en 2009, en conséquence d’une occupation partielle par les troupes russes. Deux de ses provinces on été perdues à l’ennemi. Depuis l’avis de la Commission, l’inquiétude y est massive, les Georgiens s’identifiant désormais à la résistance ukrainienne. Agitant des drapeaux européens, quelque 120 000 manifestants se sont massés devant le Parlement pour exprimer ‘’l’engagement du peuple géorgien dans son choix européen et dans les valeurs occidentales’’. L’ensemble des partis d’opposition avait convoqué cette marche pour  »le rêve européen » d’Ursula.

Avec Charles Michel, Ursula von der Leyen pourrait demain régner sur un empire européen immense, s’étendant jusqu’au cœur du Caucase et des Balkans. Est-ce un rêve ? Faudra-t-il remercier Poutine d’avoir tant agrandi l’Europe ?

* 22 juin – Un yoyo pour la Paix

A partir d’une tribune d’Edgar Morin, la brève précédente retraçait le phénomène de yoyo fou qui, depuis deux siècles, caractérise la relation de la Russie (ou de l’URSS) avec l’Occident. Depuis l’avènement de Vladimir le Sinistre, on connaît la suite. Pourtant ne serait-il pas temps d’ajuster notre vue à la persistance du vieux dilemme russe : faire partie de l’Europe, mais avec la tentation de la dominer comme une parcelle de son empire ou s’en voir exclue, sombrer alors dans le syndrome du revanchisme et même fomenter des guerres à n’en plus finir…

Poutine, s’est fait une réputation de brutalité dès la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2000), d’une férocité inouïe. Elle a alarmé les anciens ‘’satellites’’ et les a précipités dans les bras (américains) de l’OTAN. Suivent ensuite plusieurs accès de revanchisme conquérante : Géorgie, en 2009 (deux provinces annexées) ; l’opposition virulente à la ‘’révolution de Maidan’’ à Kiev, en 2013; l’annexion par surprise de la Crimée en 2014, entrainant l’exil des ukrainophones et des tatares puis lancement d’une guerre de sécession dans le Donbass (14.00 morts, dont ceux du vol de la Malaysia Airlines).

La Russie fait revivre à nos yeux le terrible sourire grimaçant de Staline, dans notre époque où le retour à la barbarie paraissait impensable. La résurgence des pires souvenirs a immédiatement saisi les anciens satellites du pacte de Varsovie. Les conclusions tirées de ‘’l’opération spéciale’’ sont un peu différentes en Europe de l’Ouest, plus circonspecte mais aussi plus prospective puisque possédant l’expérience de la série de rabibochages  »yoyo », plus ou moins francs, avec Moscou. A cette dernière incombera, quand l’heure de négocier reviendra, le soin de ne pas rééditer les erreurs politiques et psychologiques des années 1990.

Gardons en mémoire quelques données fondamentales :

-Les Russes vivent dans un espace psychologique et temporel qui n’est pas le nôtre. Beaucoup d’entre eux acceptent encore, avec fatalisme comme des faits de vie, la souffrance et l’injustice. Leur humiliation n’est pas la pire qu’une nation européenne ait éprouvée, de loin, mais elle est durablement ancrée et instrumentalisée dans la psychologie collective.

-Leur vieille paranoïa génère un nationalisme exacerbé, qui installe un cycle sans fin de vengeances et d’actes révisionnistes. La fierté russe reste un facteur puissant, d’autant plus qu’elle n’est pas reconnue à l’extérieur. Elle est desservie par son caractère archaïque et colonial de même que par la doctrine machiavélique des gouvernements moscovites. N’oublions pas que le géorgien Djougachvili (Staline), apôtre de la ‘’Sainte Russie’’, comme l’ukrainien Khrouchtchev ont pleinement incarné cette, identité russe qui n’était pas celle de leur origine ethnique mais reste LE ciment sacré d’une nation composite.

-Dans le Donbass en feu, beaucoup de russophones vouent Poutine aux gémonies tout en restant férocement attachés à leur langue et à leur identité russe. Les Criméens n’accepteront pas de retrouver le giron de Kiev. Ils font face au (compréhensible) ressentiment que leur vouent les ukrainophones. Il n’y a aucune solution militaire à cette forme d’hostilité culturelle communautaire.

-Avec le temps et en dépit des épreuves qui se retourneront contre cette population hypnotisée par son dictateur, il faudrait l’aider à sortir de sa bulle. Cela, sans trop l’humilier. Pour Edgar Morin, la vision de long terme devra composer avec ses caractéristiques mentales extrêmes, plutôt que de lui opposer un mépris opaque. Pour ramener les esprits, pas à pas, aux réalités du monde, il faudra jouer habilement du dilemme russe entre acclimatation à l’Europe et maintien d’un empire brutal mais isolé.

-Poutine ne réintégrera jamais l’univers réel et ses concitoyens devront donc s’en défaire. Ils se doutent déjà un peu de ce que tous les Ukrainiens ne sont pas tous des nazis (même si quelques ‘’bandéristes’’ se manifestent, mais le collabo Bandera a aussi été le leader de leur première indépendance : cela compte) et que ‘’l’opération spéciale’’ est bien une guerre d’invasion très dure et immorale, qui tue de part et d’autre. Ils réalisent forcément avec frustration que leur pays est devenu un paria et qu’ils y sont enfermés comme en prison.

-Le problème reste que cette réalisation du  »vrai monde » progresse bien trop lentement pour mettre un terme aux cataclysmes en chaîne induits par la guerre. Faute de transport des céréales ukrainiens, la famine menace plusieurs régions du Sud ; l’inflation va jeter des populations entières dans l’impécuniosité ; la transition énergétique déraille du côté du charbon ; le contrôle du COVID régresse ; le commerce international se rétracte autour de  »trous » béants ; la prise en compte de l’urgence climatique se voit repoussée aux calendes, etc.

-Alors, comment ‘’appâter’’ les Russes à l’espoir d’une paix honorable et relativement proche ? Dans le Donbass et en Crimée, il ne faudra pas ignorer le fait russe majoritaire. La diplomatie peut faire avancer l’idée d’une autodétermination encadrée internationalement. Les russophones auraient à choisir entre l’annexion à la Russie, la création de deux républiques de statut autonome au sein de l’Ukraine (mais entretenant des liens coopératifs avec la Russie) ou une indépendance dans l’absolu (sous garanties internationales).

-Simultanément, Marioupol, Odessa et les ports sous contrôle actuel russe en Mer Noire et Mer d’Azov adopteraient un statut de ports francs, d’accès ouvert à tous, notamment pour l’exportation de ressources alimentaires, énergétiques ou minéralières.

-Possible bien qu’imparfaite, une ‘’paix de compromis’’ avec Moscou impliquerait la protection par l’OTAN de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, assujetti à un stricte engagement à ne pas faire de ce territoire un tremplin militaire contre la Russie. C’est loin d’être évident. Kiev adopterait une politique de ‘’semi-neutralité’’ (offensive mais pas défensive), celle que votre blog préféré prône, au fil de ses brèves.

– Le bon sens voudrait alors que l’on active alors un forum d’inclusion de la Russie dans l’architecture de défense et de dialogue politique européenne. L’objectif en serait de casser le cycle infernal de la frustration, du mépris, de la vengeance : stopper le yoyo. Excluons que Moscou intègre un jour l’Alliance atlantique, qui est un repoussoir absolu à ses yeux. Quid de l’Union européenne ? Edgar Morin pense que l’on pourrait envisager un rapprochement et même – qui sait ? – jusqu’à une adhésion.

Que tout cela advienne serait trop beau pour y croire ! Car on a encore besoin d’en être convaincu. Mais les prémisses de la démonstration faite par Edgar Morin restent solides. De même sa conclusion :  »en sortir, vite, pour le salut des jeunes générations ».