* 22 décembre – Le Pérou sous état d’urgence, cassé en deux

Le Pérou est entré dans une grande pagaille, pas très facile à suivre. Une semaine après le coup de force raté et la destitution, par son Congrès, de Pedro Castillo, président de gauche élu en 2021, la Cour suprême a ordonné le 7 décembre la détention provisoire du Chef de l’Etat pour sept jours. On parle maintenant d’une détention de 18 mois. L’homme avait été menacé de destitution par un Congrès de gauche qui l’exècre et l’accuse de corruption. Pour s’en sortir, il a commis un acte anticonstitutionnel en prononçant la dissolution de ce parlement adverse. Mais le Congrès est resté debout et, pour le  coup, l’a destitué et fait arrêter. Castillo se réclame du soutien du peuple et rejette en bloc les accusations de rébellion et conspiration.  Le Pérou, désormais dirigé par l’ex-vice présidente, Dina Boluarte, est cassé en deux blocs hostiles.

Entretemps, des milliers de Péruviens manifestent dans le pays, réclamant la dissolution du Congrès et de nouvelles élections immédiates. Les manifestations ont provoqué la fermeture des aéroports et la circulation des personnes et des biens est devenue problématique. Le gouvernement a finalement officialisé le 14 décembre la déclaration de l’état d’urgence dans tout le Pérou, ceci pour trente jours.

Cette réplique n’a pas les effets dissuasifs escomptés sur les milliers de manifestants qui exigent la libération du président déchu, la dissolution du Congrès et l’organisation d’élections générales anticipées. Il est vrai que face à l’Armée, le mouvement tend à s’essouffler au fil des manifestations. Concrètement, le droit de réunion est suspendu, ainsi que la liberté de circulation et l’inviolabilité des domiciles. Le gouvernement évalue maintenant la possibilité d’instaurer également un couvre-feu. En matière d’Etat de droit, ce n’est pas mieux que la mauvaise initiative de Carillo.

Les forces armées, alliées à la police, exercent une répression brutale faisant des morts et d’autres explosions de colère populaire. Le ministre de la Défense, Luis Alberto Otárola Peñaranda annonce une réponse ‘’ferme et autoritaire’’ à la paralysie du pays. Apparemment, la démocratie ne tient plus qu’à un fil. L’un des objectifs est de lever les dizaines de blocages routiers. Des passagers et des camions de marchandises sont en rade sur les routes, depuis parfois plusieurs jours.

Cette démonstration de force contraste avec l’attitude hésitante de la présidente Boluarte, qui cède autant qu’il lui est possible aux pressions de la rue et appelle au dialogue ‘’pour mettre tout le monde d’accord’’. Après avoir brièvement caressé l’espoir de se maintenir au pouvoir jusqu’en juillet 2026, elle propose donc d’avancer les élections à décembre 2023 et non plus avril 2024, comme précédemment annoncé. Mais le projet de loi doit encore être approuvé par le Congrès. Il n’est pas sûr que cela soit suffisant pour calmer les opposants. Mais peut-être ce le serait pour faire sortir les prétoriens de leurs casernes, tant la classe politique paraît perdre le contrôle. L’Armée est mise au pied du mur : elle pourrait franchir le Rubicond si les désordres continuaient.

Ces évènements illustrent la vitalité un peu brouillonne des idéaux démocratiques en Amérique latine et, comme partout, l’évidente méfiance des populations face aux manœuvres partisanes de la classe politique. Ils nous font mesurer aussi à quel point, branchés sur le conflit en Ukraine et les bouleversements de la géostratégie, nous perdons de vue des pans entiers de l’hémisphère Sud où se jouent tout aussi bien l’avenir des ‘’petites’’ nations.

*  12 décembre – Algorithmes de la haine

En 2017, plus de 700 000 personnes fuyaient la Birmanie pour le Bangladesh afin d’échapper aux atrocités commises par les forces armées du Pays. Victimes d’une campagne de nettoyage ethnique, des milliers de Rohingyas ont été torturés, tués. Des femmes ont été sauvagement violées. L’affaire avait commencé en juillet 2014. à Mandalay, la deuxième ville de Birmanie. Une flambée de violence éclatait entre des groupes bouddhistes et musulmans, faisant deux morts et 14 blessés. Un post sur Facebook affirmait que des jeunes musulmans avaient violé une jeune femme bouddhiste : c’était un fake.

Si ce contenu Facebook a circulé comme une trainée de poudre en déclenchant des émeutes, c’est que le système algorithmique de Meta l’avait identifié comme ‘’positif’’, au vu du nombre de commentaires enthousiastes. Le même phénomène a été constaté lors de l’attaque sur le Congrès américain, en janvier 2021. Les cas de conditionnement en ligne à la barbarie sont en fait fréquents.

La haine virtuelle a contribué à la transposition des violences dans la vie réelle. Les algorithmes de Facebook – une enseigne de Meta – ont permis la diffusion d’une majeure part des messages d’appels à la  haine et à la violence contre les Rohingyas. La stigmatisation de cette communauté musulmane, comparable à celle des Juifs sous le régime nazi, s’est généralisée à tout le pays. Meta le savait. Meta n’a rien fait. ‘’Nous déclarons ouvertement et catégoriquement que notre pays n’a pas de race Rohingya’’ : ce message a été publié sur Facebook par le général en chef de l’armée du Myanmar, Min Aung Hlaing. À ces messages du plus haut niveau de l’armée, s’ajoutaient des milliers des messages de haine : ‘’Les musulmans sont des chiens qui doivent être abattus’’ … ‘’Ne les laissez pas vivre ! Éliminez totalement cette race, le temps presse !’’. Voici le type messages qui circulaient dans un pays du Sud où Facebook constitue l’accès principal à l’internet. La plateforme américaine y est omniprésente, et, hélas, perçue par la population comme la meilleure source d’information disponible.  

Le modèle économique de Facebook, basé sur la surveillance et le profit à tout prix, se soucie peu de mettre en danger toute une communauté. Beaucoup d’ONG estiment que Meta devrait verser des réparations aux Rohingyas. Et que ceux-ci seraient justifiés à lui intenter un procès criminel. Ils sont désormais en majorité réfugiés dans le camp géant de Cox’s Bazar, au Bangladesh et n’ont aucune perspective de retour. Un parallèle pourrait être fait avec la ‘Radio des mille collines’ du Rwanda qui avait exercé un rôle majeur dans le déclenchement du génocide des Tutsi en 1994.

Les contenus les plus commentés et partagés, occupent une place privilégiée dans le fil d’actualités de Facebook. Pour cette raison, l’algorithme identifie certains posts comme populaires et promeut leur diffusion comme celle de contenus similaires. Il est problématique que ces publications, qui font réagir, peuvent promouvoir des messages de haine. Les systèmes algorithmiques donnent en fait la priorité aux contenus les plus incendiaires, les plus susceptibles de maximiser leur audience. Quand un groupe d’internautes se fanatise collectivement, les effets portés font boule de neige sur les réseaux. La violence immatérielle diffusée sur les écrans se meut en une violence physique frappant des innocents.

Facebook ne peut techniquement modérer que 2% des discours de haine qui circulent sur sa plateforme, qui dessert près de 3 milliards d’utilisateurs à travers le globe. Plus de modération lui imposerait un coût. Celle-ci peut réduire la diffusion des discours de haine, mais nullement les contrôler. Elle ne maîtrise pas la massification des contenus haineux ou violents, permis par les algorithmes. Concernant la Birmanie comme de nombreux autres cas, Meta n’a rien fait et ne fera rien : l’entreprise américaine s’est abstenu, à plusieurs reprises, d’exercer la diligence requise en matière de droits humains concernant ses opérations dans des pays fragiles. Sans doute, Mark Zuckerberg ira un jour exprimer sa (grande) contrition ad post auprès de quelque autorité birmane plus sourcilleuse que la junte militaire au pouvoir … comme il le fait, tous les quinze jours, devant le Congrès de Washington, sans bien sûr jamais rien changer à ses méthodes.

* 6 décembre – Iran : bonnes mœurs et mauvais meurtres

L’Iran a-t-il vraiment annoncé l’abolition de la police des mœurs à l’origine de l’arrestation de la jeune Mahsa Amini ? La mort en détention de cette jeune femme avait provoqué une vague de contestation qui perdure depuis près de trois mois. Le procureur, Mohammad Jafar Montazeri, a avancé cette hypothèse et également annoncé que ‘’le Parlement et le pouvoir judiciaire travaillaient sur le port du voile obligatoire. Il n’a pas précisé ce qui pourrait être modifié dans la loi de 1983 l’ayant imposé quatre ans après la révolution islamique. La décision est donc encore virtuelle mais déjà difficile à interpréter. Elle survient à la veille d’une tentative de grève générale qui constituera un test décisif pour la révolution en marche. Est-on en présence d’une vraie concession faite à la jeunesse du Pays – peu suivie par les générations plus âgées – ou d’une tentative de manipulation des manifestants ? Ou encore d’un cafouillage au sein du pouvoir théocratique ?

Rappelons que cette question ultra-sensible (le droit individuel de se voiler ou non) a conduit à la mort de plus de 300 jeunes manifestants depuis la mi-septembre. De part et d’autre se joue désormais le jeu de la mise à bas du régime des mollahs ou de l’enfermement de la génération montante dans une soumission abjecte. La ‘’révolution des femmes’’ succède à la vague de contestation de juin 2009 (liée à l’élection truquée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence), à une première bronca contre le voile, en 2017, et à un mécontentement très large devant l’état calamiteux de l’économie et le chômage massif. L’avenir tiendra à la convergence des luttes en cours ou, au contraire, à leur éparpillement. La frustration des jeunes résulte aussi de l’enfermement du Pays dans un contexte de confrontation avec les pays voisins et avec l’Occident, lequel reste un phare, qui fascine la nouvelle génération.

La réponse du Guide et de son régime est toujours la même depuis 2009 : une répression sans pitié. Khamenei garde à l’esprit la fin du régime du Shah, en 1979, malgré toute une suite de réformes tardives et de concessions sociales qui n’avaient fait qu’accentuer sa posture défensive et son image de faiblesse. De plus, il n’est pas dans la mentalité des Ayatollahs, qui forment désormais une ploutocratie, de céder quoi que ce soit de leur dictature à la ‘’population d’en bas’’.

Aucun scénario ne s’impose encore : une convergence de toutes les classes d’âge pourrait faire basculer l’Iran dans la guerre civile. Une nouvelle révolution pourrait s’ensuivre. Un répit assorti de quelques desserrements des contraintes ne changera pas grand-chose et risque surtout de déboucher sur un regain ultérieur de répression faisant de nombreuses victimes. Un putsch en sous-main des Pasdarans aux dépens de l’autorité du clergé (pour sauvegarder leur Etat dans l’Etat) transformerait l’Iran en dictature militaire classique, à l’image de ses voisins arabes, englués dans leur mauvaise gouvernance.

Sauf à vivre dans l’œil du typhon, il serait vain de prendre un pari. Inch’Allah !

* 29 novembre – Immobilités chinoises

La Chine pèse lourd sur les affaires du monde, mais elle est aussi une vaste prison à ciel ouvert. Transformée en société de surveillance, dardée de mouchards et de contrôles de ses citoyens, elle a affronté la pandémie du Covid comme un défi à l’autorité de la direction du Parti. Celle-ci a fait de la politique d’isolement, destinée à empêcher toute contagion collective, une cause sacrée et surtout un manège infernal. Seule au monde à persévérer dans la politique ‘’zéro Covid’’, elle l’a pratiquée avec une inflexibilité et un mépris des libertés individuelles à rendre fous les mieux résignés de ses sujets. Au bout de trois ans de ce régime carcéral absurde à répétition, sans résultat probant, la révolte est survenue et la nature humaine reprend un peu partout le dessus : l’expression d’une révolte contre l’enfermement et contre les ‘’enfermeurs’’.

Les ouvriers de Foxconn à Zhengzhou ont sauté les murs et les barrières. Canton s’est mobilisé, clashant avec les forces de l’ordre. A Shanghaï, des milliers de jeunes ont occupé la rue et affronté la police après le drame de l’incendie d’Urumqi. Pékin à suivi (la prestigieuse université Tsinghua, n° 1 du Pays), puis Canton à nouveau, Wuhan, Chengdu, Xi An… une trainée de poudre relie entre elles les grandes métropoles de l’empire  urbain qu’est la Chine. C’est un phénomène nouveau, lié à l’ère numérique. Le raz le bol est devenu général, qu’il saisisse les strates ouvrières enfermées dans leurs usines ou les campus privés de vie normale, voire d’avenir. Le moment est à ‘’briser les cages pour prendre son envol’’. L’exaspération est à son summum depuis ces trois ans où se sont ont accumulés les cas de suicide, les mises au chômage, l’injustice arbitraire, un régime punitif pour tous. Infinitésimaux en nombre à l’échelle du Pays, les rebelles brandissant des feuilles blanches – dénonciation habile de la censure et du vide de leurs vies gâchées – parlent pour une population très large. Les réseaux sociaux, dont le contenu ‘’viral’’ est vite effacé ont rendu leur rébellion populaire. Le Parti veille à une censure immédiate. Il est peu probable que le contrôle total que s’y est construit Xi Jinping puisse être entamé si peu de temps après le  »congrès de son apothéose », mais un débat sur l’assouplissement de la ligne sanitaire couplé à une chasse aux contestataires pourrait bien s’immiscer dans son ordonnancement monolithique. De toute façon, aucune alternative de pouvoir n’est concevable en Chine.

 Le 26 novembre, des centaines de jeunes gens ont scandé‘’ Xi Jinping, démission !’’ ou encore ‘’A bas le Parti communiste !’’. Cela ne sera pas pardonné, pas plus que le Tian An Men de 1989, qui encensait la ‘’5 ème modernisation’’ (la démocratie) et vomissait la corruption et le népotisme. Comme il y a 33 ans, les gérontes psychorigides du Bureau politique vont vouloir ‘’refermer la cage’’.  Même si la jeunesse ne brandit pas encore de slogans politiques élaborés, sa lutte ne peut que se radicaliser compte tenu de la volonté féroce qu’aura le pouvoir de l’étouffer par tous les moyens. Le plus probable est que la lourde machine de la répression s’en prendra aux individus les plus repérables et misera sur la peur du chaos et de l’anarchie d’une majorité de Chinois  »embourgeoisés » pour déconsidérer le mouvement. La brutalité des procédés répressifs matera les autres par la peur.

Moins d’un mois après le ‘’triomphe’’ de XI Jinping, consacré par le 26 ème Congrès du Parti, le coup est rude, porté au maître absolu de la Chine. Inflexible et surtout piégé dans sa propre ‘’idéologie sanitaire du zéro Covid’’, il est inimaginable qu’il fasse marche arrière. Aucune notion d’humanisme n’est susceptible de lui traverser l’esprit : il est le gardien de la forteresse. D’ailleurs, tout abandon précipité de la politique de confinement systématique d’énormes collectifs humains pourrait conduire à l’exposition massive au virus d’une population mal vaccinée et insuffisamment préparée à y faire face. A partir des 40.000 nouveaux cas par jour actuellement recensés, la contagion pourrait alors exploser et rapidement dépasser les possibilités du système sanitaire chinois. En même temps, poursuivre l’enfermement des gens ne mènera nulle part, à plus long terme, sinon à faire exploser la révolte. Tel est le dilemme insoluble de ‘’l’Oncle Xi’’.

* 10 novembre – Too close to call

Chaque camp politique pourra trouver son compte dans les résultats – non encore définitifs – des élections américaines de mi-mandat, une échéance traditionnellement peu favorable aux incombants. Joe Biden a obtenu un score honorable, plutôt meilleur que ses prédécesseurs démocrates, à l’occasion du renouvellement biennal des chambres. Il semble pouvoir préserver l’essentiel, sans subir le cuisant coup de bâton que lui promettaient les sondages. De fait, il devrait garder la main sur le Sénat, de justesse, il est vrai. Il se dit même prêt à envisager un second mandat en 2024, après discussion avec sa famille.

D’un autre côté, le Trumpisme garde le vent en poupe, les candidats ‘’adoubés’’ par le milliardaire caractériel ayant connu de bons résultats dans les urnes, à l’exception des plus extrémistes. Le gain prévisible d’une majorité – modeste – obtenue par les Républicains au sein de la Chambre des Représentants va mettre sous l’éteignoir le nouveau Congrès, pourtant sorti d’un verdict relativement équilibré des urnes. Les deux années à venir ne connaîtront plus les grandes réformes structurelles engagées par le président démocrate mais plus probablement beaucoup de confrontation et de tumulte partisans. L’Exécutif devra faire avec un Législatif auto-paralysé. Il y a des précédents montrant que ceci est possible, mais à un niveau d’ambition limité.

La menace que la Cour suprême fait peser sur le droit à l’avortement a sans doute joué dans le camp démocrate, mais elle n’a pas été l’enjeu majeur du scrutin. Trois états ont même adopté des lois sanctuarisant le droit d’accès à l’IGV. La défiance des électeurs face à la poussée d’inflation très forte qui frappe l’économie a manifestement motivé le choix d’un plus grand nombre d’électeur. Mais ce ressentiment populaire a été en partie atténué par une forme de fatigue à l’égard des joutes partisanes les plus outrancières. Les citoyens aspirent à moins d’agressivité que les états-majors politiques. Pour autant, est-ce un premier pas vers la réconciliation des deux électorats antagonistes ? On ne semble pas avoir beaucoup progressé vers une ‘’paix civile’’ durable, mais les candidats les plus marqués à gauche comme à droite n’ont pas eu la préférence. Les modérés Démocrates comme Républicains auront leur part à jouer dans la bataille des chefs.

Car la bataille pour les présidentielles de 2024 est ouverte, sans scénario probable émergeant plus qu’un autre. De son côté, Joe Biden, qui a pour lui sa posture centriste, est bien conscient de son handicap d’âge et cerné par des candidats plus jeunes et plus progressistes. Bernie Sanders, plus âgé encore, constitue moins un défi pour lui que la sensibilité qu’il représente. Kamala Harris, elle, ne décolle pas en popularité. Chez les Républicains, la stature omniprésente de Donald Trump domine le jeu de façon écrasante. Elle pourrait s’user : sa furie fatigue même ses partisans ; ses ennuis judiciaires pourraient le voir concourir pour la Maison Blanche depuis la prison ; Ron de Santis, le gouverneur de la Floride présente mieux et possède un meilleur potentiel à long terme ; l’opinion oublie peu à peu le contentieux de janvier 2021.

Alors, faut-il que le ‘’reste du monde soit soucieux’’ ? Il faut dire que la communauté planétaire est toujours quelque peu appréhensive relativement à ce qui ‘’sortira de la poudrière américaine’’ et moins avertie des évolutions infra-échelon fédéral. Quatre années de Trump et le cataclysme qu’il a causé en matière d’action internationale contre le dérèglement climatique n’ont pas inhibé l’aspiration de certains états, telle la Californie, à un verdissement des lois et des politiques. Les énormes bourdes en rapport avec la non-prolifération (la Corée du Nord, l’accord dénoncé avec l’Iran) ont été trop coûteuses pour qu’il puisse songer, le cas échéant, à les réitérer. Une bonne partie des élus républicains reste attachée – comme les Démocrates – à l’OTAN, aux alliés européens et au soutien dû à l’Ukraine contre l’invasion russe.

Face à une Amérique qui lui dit : ‘’Grow up, child !’’, l’Europe n’en a pas moins motif à prendre en main plus avant sa défense, ses politiques russe et chinoise, son indépendance stratégique et commerciale, tout en gardant fort – plutôt que vital – le lien transatlantique. On reste cool.

* 9 novembre – L’Ethiopie loin des regards

Le 2 novembre, le gouvernement éthiopien et le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) ont signé un accord de cessation des hostilités. Faut-il croire la paix à portée ? Le Tigré, est une région montagneuse au nord de l’Éthiopie. En deux ans, le conflit entre cette province sécessionniste et le régime d’Addis Abeba est devenu l’un des plus meurtriers de la planète. Pourtant, personne ou presque n’en parle. Aujourd’hui, une lueur d’espoir, faible, apparaît. Ce premier pas vers un retour à la normale est encore loin de régler les problèmes de fond qui tiennent à un partage historique du pouvoir qui était favorable aux Tigréens mais qui a été rompu. On est aussi encore loin de songer à rendre justice aux nombreuses victimes et survivants du conflit.

Depuis 1991, le  »fédéralisme ethnique » structure l’organisation interne du pays. L’Erythrée s’est toutefois séparée de l’Ethiopie en 1993. Les régions administratives prennent leur nom à partir de déterminants ethniques présumés caractériser la majorité des habitants. Lors du recensement de 1994, les Oromos et les Amharas représentaient respectivement 32,1 % et 30,2 % de la population, en tant qu’ethnies les plus nombreuses. On dénombrait aussi les 7 %d’Afars et seulement 4,2 % de Tigréens, enfin, autant de Somalis.

Pourtant, les Tigréens ont dominé la vie politique en Éthiopie pendant près de trente ans, jusqu’à l’arrivée au pouvoir, en 2018, d’Abiy Ahmed, un Oromo, comme premier ministre. Les autorités tigréennes sont retirées alors dans leur région, en reprochant une marginalisation de la minorité tigréenne  »plus noble », par le pouvoir. Quelques mois plus tard, le 4 novembre 2020, l’armée gouvernementale a envahi le Tigré pour en reprendre le contrôle par la force. Les forces armées gouvernementales sont notamment soutenues par les forces de la région Amhara, voisine du Tigré, et par l’Érythrée, frontalière au nord. Face à cette attaque, le FLPT, dans un premier temps, a mal résisté, avant de contre-attaquer très efficacement. Les forces amharas se sont rendues coupables de crime contre l’humanité en menant une campagne la terre brûlée contre les Tigréens. Le front s’est brutalement déplacé. 

Cette guerre pour la fierté ethnique et le pouvoir politique a produit des dizaines de milliers de morts civils, d’innombrables victimes de viols et d’esclavage sexuel et, dans sa phase la plus récente, un nettoyage ethnique par la faim et le blocus. Depuis le début des combats, en 2020, des dizaines de milliers de civils ont été sacrifiés, des millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays et 61 000 ont fui au Soudan.

Quand on use le terme ‘’guerre’’ aujourd’hui, on pense à l’Ukraine ou au Yémen, pas à l’Éthiopie. Le conflit au Tigré se déroule à huis clos et les massacres ont eu lieu à l’abri des regards. Sans doute, ils continueront encore. Le gouvernement fédéral interdit tout accès à la zone de conflit. Qu’ils soient journalistes, humanitaires, chercheurs, aucun observateur n’est autorisé à assister à la confrontation. Malgré ce black-out imposé, quelques rares enquêteurs discrets sont parvenus sur le terrain. Ils sont en mesure de  dénoncer ce qu’il s’y passe, même si la documentation des crimes est non-existante. On ne saura sans doute jamais jusqu’où la barbarie a été poussée dans cette fédération-mosaïque de plus de 111 millions d’habitants (12ème rang mondial). C’est dans le Sud : c’est loin…

* Mardi 8 novembre – La démocratie partie en vacances ?

Pendant que la pénombre géopolitique persistait sur le monde, des élections ont eu lieu ça et là. Peut-être faudrait-il s’en réjouir. Peut-être, car la sagacité des gouvernements ne s’en trouve pas accrue, la démocratie n’y trouve pas toujours son compte, l’alternance se fait le cas échéant vers le passé, les populations ne s’attachent pas prioritairement aux vraies questions, celles qui touchent à leur (future) vieillissement, à la Paix, à la guerre, à l’émancipation, au climat et à la biodiversité, bref à la viabilité du monde à venir.

– L’exemple du bref passage à Downing Street de Liz Truss est sans doute le plus accablant. Elue à la barre d’un navire qui prend l’eau depuis le Brexit, la dirigeante conservatrice tirait sa légitimité du vote de 0,03 % de l’électorat britannique. C’est presque surréaliste survenant après l’isolement, le déclin et les mauvaises manières induits par son prédécesseur ébouriffé, l’inimitable brouillon, Boris Johnson. La dame s’était perçue comme réincarnant Margaret Thatcher, dans les heures graves des Falklands. Reniement des liens avec l’Europe, affirmation d’une grandeur toujours victorienne du Royaume auquel le monde devait rendre hommage, dureté avec les pauvres et fiscalement dévotion aux riches : elle n’est parvenue qu’à affoler sa propre banque centrale, les marchés et une majeure part de la classe politique anglaise. Las ! Rattrapée par le monde réelle, elle tente un tour de passe-passe faisant peser le coût des dégâts sur son chancelier des finances, Jeremy Hunt. Celui-ci annonce que le gouvernement de sa Majesté fera tout le contraire de ce à quoi la Première ministre s’est engagée devant le parlement de Westminster. Trois semaines après avoir été ‘’inaugurée’’ par le roi Charles III, Liz a été débarquée par ses amis les plus proches. Le maire de Londres, vaincu du scrutin interne des Torries récupère la place.

– Au Brésil, la campagne présidentielle a ressemblé à une guerre civile en vraie grandeur. L’insulte a dominé l’espace des débats. Jaïr Bolsonaro, le sortant, obsédé par le précédent créé par Donald Trump n’a pas manqué d’afficher un colossal mépris pour les règles de la démocratie. Au point que son silence au lendemain du scrutin a pu être interprété comme un appel lancé à l’armée – dont il est issu – pour qu’elle effectue un putsch. Ignacio Lula da Silva a gagné, ric-rac, sans gloire ni grandeur particulière. Le dirigeant syndicaliste et ancien chef d’Etat emprisonné pour concussion n’est plus le héros populaire qu’il avait été avant son prédécesseur. On a un peu l’impression que la geste politique brésilienne tourne en rond… mais n’arrive plus à reproduire les hauts faits passés, dans un contexte économique et social très dégradé. Lula garde comme atout un fort potentiel pour le dialogue et le compromis. Son vice-président a été choisi au centre droit, son programme n’est plus très progressiste. On peut prédire que le Brésil se dirige, cahin-caha vers de nouveaux épisodes de crise interne.

– Le cas israélien est à part. Cinq scrutins généraux sont intervenus en trois ans, mettant aux prises la droite dure, l’extrême droite hystérisée et les extrêmistes religieux, complètement déjantés. La gauche n’existe plus et le Centre s’est rangé à droite : le jeux politique ne peut donc plus produire une vraie alternance, car il est enchassé dans des considérations ethnico religieuses et un racisme d’Etat. Le choix est entre un état de guerre autoritaire et insensible aux épreuves des Palestiniens (eux-mêmes incapables d’organiser un scrutin) et un apartheid armé, en bonne et due forme. Les accords d’Oslo ne sont plus de ce monde et la confrontation sert de fuel à la classe politique. Le deal proposé aux citoyens est : ‘’ne faites plus de politique, nous nous en chargeons. En retour, confiez-nous sans état d’âme votre sécurité’’. François Guizot aurait-il dit autre chose alors que Louis Philippe 1er préfigurait l’humeur actuelle de l’incontournable ‘’Bibi’’ Netanyahu, centre de gravité indévissable de l’ultra-nationalisme bourgeois israélien. Le prix à payer sera élevé le jour, encore lointain, où le système s’effondrera sur fond de guerre civile, car les citoyens-électeurs seront revenus en force dans le jeu.

– Aujourd’hui se tiennent, aux Etats Unis, des élections de mi-mandat pour le renouvellement du Congrès, une échéance politique toujours défavorable à la présidence en place. En temps normal, l’enjeu partisan reste dans les limites raisonnables d’un débat programmatique et de préférences idéologiques d’ordre commun. Mais le précédent de la révolte encouragée par Trump contre les institutions (jusqu’au raid de janvier 2021 sur le Capitole de Washington) et l’ascendant toxique que le milliardaire caractériel conserve sur le parti Républicain pourraient faire monter les enchères dans une situation où les ennemis du système’’ s’empareraient des deux chambres du Congrès. L’inflation galopante, notamment celle qui impacte les coûts de l’énergie, incite les électeurs à faire passer ‘’la fin du mois’’ avant  »la fin du monde’’ et Joe Biden pourrait se trouver impuissant à maintenir l’ordre civil et la cohésion sociale à un niveau vital minimum. Les présidentielles et législatives françaises ont été également marquées par cette propension au court-termisme, on ne peut donc blâmer l’électeur américain. Mais le poids des Etats-Unis dans les grands défi mondiaux est d’une tout autre dimension. Sous les traits d’un D. Trump de retour en 2024, un retrait définitif de l’Oncle Sam des affaires du climat, de celles de la prolifération nucléaire ou encore du soutien accordé à l’Ukraine dans la défense du droit et de la justice tracerait les contours d’un véritable cauchemar géopolitique.

* 3 novembre – Sorciers milliardaires et manipulateurs du monde

Le GAFAM est-il déjà le général en chef, voire le ‘’maître du Monde’’. Cela évoque les fictions primaires et faciles d’antan mais la question, qui n’est guère posée maintenant, trouve un écho dans l’actualité géopolitique. Le milliardaire américain, Elon Musk, se prend vraiment pour le Dr Strangelove / Follamour. Il ne lui suffit pas qu’une de ses Tesla tourne en orbite autour de la Terre et d’avaler Twitter pour en faire un médium  »libertaire » pour porter sa voix dans le monde. Il vient de proposer un plan de paix pour l’Ukraine (désarmé et neutre face à l’agression russe), propose d’instituer une  »zone administrative spéciale » pour régler le sort de la pauvre Taïwan ‘’à la sauce hongkongaise’’.

Il cherche à sécuriser l’accès à Internet par ses satellites pour les Iraniennes en révolte contre les mollahs. Mais il menace, en même temps, de supprimer les prestations GPS de sa société Starlink aux militaires ukrainiens. Ceci, précisément, si le Trésor américain ne prenait pas le relais de leur financement : l’homme le plus riche du monde a muté en apprenti sorcier, à l’image du réseau des réseaux lui-même. A 51 ans, le ‘’génie’’ sud-africain se révèle autiste en géostratégie. Son égo monte en trajectoire de Space X, et sa prétention est galactique, mais le fait est là : il est en train de jouer avec le sort de l’humanité. Sans doute, il doit trouver ça drôle… Le président Zelensky lui, n’apprécie plus du tout, mais l’ambassadeur de Chine à Washington a beaucoup aimé. On a les admirateurs qu’on peut.

Ce n’est pas la première fois que les milliardaires américains s’appliquent à exercer un rôle politique dominant par-dessus le dos des élus et des peuples. Avec sa fondation, Bill Gates est devenu le super-ministre de la santé (officieux) de l’Afrique et il est reçu partout comme un chef d’Etat. Reconnaissons que son mécénat n’est pas inutile mais il le rend terriblement puissant. Nous verrons bientôt comment Mark Zuckerberg, grand patron de Meta / Facebook, porte une responsabilité dans le massacre et l’exode des Rohingyas de Birmanie. La France a ses propres capitaines d’industrie sur une échelle mondialisée. En Afrique et au Moyen Orient, ils n’hésitent pas à s’acheter des gouvernements étrangers et à passer commande.

Les Etat Unis ont de façon logique, plus que les autres, de supermen de cette trempe. Il y a plus d’un siècle, Andrew Carnegie, magnat de l’acier, avait tenté de rencontrer Guillaume II pour désamorcer la première guerre mondiale. John Rockefeller Junior, héritier de l’empire pétrolier de son père, a financé l’Organisation des Nations unies à New York après-guerre, tandis que l’ex-spéculateur George Soros s’investit depuis trente ans dans la défense de la démocratie libérale. Il s’est fait percevoir comme un ennemi par les régimes politiques autocratiques… Ce sont souvent des philanthropes, mais la proportion des mégalomanes augmentent dans le lot actuel. Certains n’ont absolument aucune fibre morale, d’autres fonctionnent sur des caprices des pulsions d’hubris. Tous  s’emploient à prouver que le marché de la gouvernance et de l’aide public voire celui de la recherche de la guerre ou la Paix est sous leur main, pas sous celle des Etats.

Et que pauvres de nous, ils se font fort de nous formater le logiciel crânien. Ca donne à réfléchir pour la suite des choses… si l’on y arrive encore.

* 13 octobre – Nos rangs s’éclaircissent mais de nouveaux voisins se pointent

Bravo ! Le programme des Nations Unie pour la population nous a appris que nous serons huit milliards d’humains sur terre, à compter du 15 novembre. Cela fera un milliard de plus qu’en 2010 ; deux milliards de plus qu’en 1998 et cinq milliards et demi de plus qu’en 1950

Le vrai scoop, c’est que nous allons cesser de croître et même stabiliser notre nombre avant la fin du siècle. En 2100, au pic, nous serons entre 8,9 et 12,4 milliards de voisins, par définition, conviviaux. Ensuite, nous vieillirons tous ensemble et passerons beaucoup de temps à pleurer dans les enterrements.

Si vous voulez à tout prix voire le verre comme plein, l’Inde va devenir le pays le plus peuplé au monde (1,7 milliard), détrônant une Chine vieillissante, qui, dès l’an prochain, devrait connaître un déclin absolu de sa population (1,3 md). L’arithmétique démographique en fera-t-elle de cet empire une puissance en déclin, comme l’Europe d’aujourd’hui ? L’Asie centrale et celle du Sud deviendront, en revanche, des superpuissances humaines. En Afrique subsaharienne, on le sait, la population va pratiquement doubler d’ici à 2050 : deux Chine ! A eux seuls, huit pays du Continent noir contribueront à plus de la moitié de la croissance de la population mondiale. Une telle performance comprend moins d’avantages que de handicaps. En Afrique australe, par exemple, chaque femme donne actuellement naissance à 2,3 enfants. Mais le Covid-19 a repris les gains d’espérance de vie péniblement gagnés après les décennies du sida. La longueur de vie moyenne est retombée à 61,8 ans.

Côté verre qui se vide, la chute du taux de fécondité va marquer la fin du renouvellement des générations. En 2020, la croissance démographique a chuté sous 1 % par an. Elle continuera à fléchir jusqu’à la fin de ce siècle. L’Europe orientale, en particulier, va se vider de sa population d’ici 2050 (– 10 %), deux fois plus vite que l’Europe occidentale (- 5,4 %). Entre les deux, l’Extrême Orient se délestera de 8,2% de ses habitants. L’Europe et l’Amérique du Nord, peu fertiles, atteindront rapidement leur pic de peuplement et accuseront une décrue dès la fin de la prochaine décennie. Une étude suggère que la population mondiale, elle aussi, pourrait décliner dès 2064. On verra quand on y sera. La carte redessinée du peuplement mondial déterminera une autre époque de notre civilisation. Et le pauvre Malthus devra alors aller se rhabiller. Ce gars là aura été tout à fait pénible.

Le rapport onusien évite de spéculer sur l’évolution des flux migratoires : les interprétations divergent pas mal, à cet égard. En 2020, c’est la Turquie qui a accueilli le plus grand contingent de réfugiés (près de 4 millions), devant la Jordanie, la Palestine et la Colombie. L’Occident figure loin, en queue de peloton. La fermeture des frontières et la paralysie des transports internationaux liées au Covid-19 auraient ralenti les déplacements entre continents. Selon l’ONU, ce contexte aurait réduit de moitié le solde migratoire des deux dernières années. Depuis, ça a repris de plus belle. Aussi, les esprits chagrins souhaiteront ils une suite ininterrompue d’épidémies à venir.

D’un autre côté, la pandémie a provoqué un ‘’baby flop’’ mondial : va-t-il falloir importer des nouveaux nés d’autres galaxies ? Le Covid-19 est surtout à l’origine d’une surmortalité ‘’recensée’’ de 14,9 millions d’individus, en 2020 et 2021 (un surcroit de 12 % des décès, sur deux ans). Mais le décompte réel représenterait en fait trois fois le nombre des cas enregistrés. Méfiez vous des statistiques. En voilà :

Actuellement, l’espérance de vie des hommes (mâles) s’établit à 68,4 ans ; celle des femmes à 73,8 ans, représentant un écart de 5,4 ans. C’était 5,2 ans, deux années plus tôt. On prédit que les papies octogénaires réchappés de l’hécatombe auront un maximum de cases à cocher sur leurs carnets de bal. Tout cela cache, bien sûr, de grandes disparités d’une région à l’autre, liées aux niveaux de développement humain. In fine, à l’échéance de 2050, le nombre de femmes égalera celui des hommes : la Paix sur Terre devrait y gagner. Enfin, une perspective positive !

Une fois n’est pas coutume : une brève de l’Ours irradie l’optimisme.

* 27 septembre – Faux frères italiens et autres

Pour la première fois depuis l’après-guerre, la Péninsule va être gouvernée par l’extrême droite. Giorgia Meloni, la patronne du parti postfasciste, Frères d’Italie, a remporté les législatives du 25 septembre avec une majorité relative. Paradoxalement, c’est son éloignement du pouvoir, ces dernières années, qui la propulse au pouvoir par le choix d’un électorat sceptique et désorienté. Tous les records d’abstention ont été battus. Assistera-t-on à une tentative de retour dans le passé, à  l’avènement d’une gouvernance intégriste et réactionnaire ou encore à celle d’une extrême droite populiste de type Est-européen, à la hongroise ou à la polonaise ? Peut-être un cocktail instable des deux derniers ingrédients, l’héritage fasciste étant destiné à s’estomper avec l’exercice réaliste du pouvoir.

Péché de jeunesse : à 19 ans, Mme Meloni a milité pour le parti postfasciste, Alliance nationale, héritier du Mouvement social italien (MSI), lui-même créé en 1946, par d’anciens dignitaires de la République pronazie de Salo. Marqueur d’un passé dont on sait bien au fond qu’il n’est utile qu’à la propagande, le programme du parti Fratelli, qu’elle a cofondé en 2012, ne s’identifie plus à un projet fasciste. Vingt-six ans ont passé, Giorgia  est désormais blonde et elle a ajusté sa ligne politique à la vague populiste qui déferle sur l’Europe. A la tête d’une coalition qui réunit aussi la Ligue de Matteo Salvini (en déclin) et Forza Italia de l’éternel Silvio Berlusconi, elle vient de remporter 26 % des suffrages aux législatives. Cette alliance obtient la majorité au Parlement, mais elle ne pourra pas lancer une refonte de la Constitution, qui nécessiterait de contrôler les deux tiers des votes.

Parvenu en première position de tous les partis d’Italie, Fratelli d’Italia réclame logiquement pour sa cheffe la conduite du gouvernement. Mais monter un gouvernement de coalition prend du temps en Italie, même si les ‘’combinazioni’’ s’avèrent souvent éphémères, l’instabilité de l’Exécutif restant chronique. La profession de foi de Giorgia, livrée dans son ouvrage autobiographique à succès, ‘’Io sono Giorgia’’ reste floue sur l’avenir des institutions italiennes et le sens à donner, dans ce contexte, au présidentialisme dont elle se réclame.

Malgré ses déclarations rassurantes, son parti réunit tous les ingrédients d’une extrême-droite radicale, populiste, aveugle au monde et qui plus est raciste. Le chauvinisme, la promotion de valeurs passéistes (famille traditionnelle, soutien à la natalité, anti-IVG, haine de la culture ‘’de genre’’, etc.), la volonté de grandeur en politique étrangère (syndrome anglais) sont autant de thèmes de droite qui, s’ils faisaient bien partie de la culture politique fasciste, ne lui sont pas exclusivement spécifiques. Avec des slogans pétainistes comme ‘’Dieu, patrie, famille’’ ou ‘’Je suis une femme, je suis une mère, je suis chrétienne’’, Giorgia Meloni se poste dans une version identitaire – mais pas christique – de la Religion. Surtout, elle se montre implacable à l’égard des ‘’faibles’’ et des étrangers. Les migrants, en particulier, se voient promis aux eaux profondes du cimetière de la Méditerranée. Pas de trace de christianisme, ni d’humanisme sur ces sujets.  Faut-il craindre pour la démocratie italienne, voire pour la paix en Europe ?

L’opportunisme et sa pointe de réalisme sont à l’œuvre : Giorgia a fortement corrigé son credo pour le rendre plus acceptable dans les temps présents. Elle déclare être revenue de ses outrances passées : ‘’Il y a plusieurs décennies que la droite nationale a relégué le fascisme à l’Histoire, en condamnant sans ambiguïté la privation de la démocratie et les infâmes lois antijuives’’.  L’hubris de pouvoir modère le langage et devient une motivation en soi. Les 191 milliards d’Euro que Bruxelles a marqués à destination de l’Italie (première bénéficiaire, de loin) pour relancer son économie après la crise du Covid pèsent dans l’inflexion à la baisse du souverainisme, jusqu’alors si présent dans son ADN d’opposante.

Ses déclarations de soutien Ukraine, sa fidélité toute nouvelle à l’OTAN projettent l’image d’un parti populiste au visage présentable, du moins en superficie. Mais le refus de Fratelli d’Italia et de la Ligue, le 15 septembre, de voter le texte du Parlement de Strasbourg définissant le régime d’Orban comme une ‘’autocratie électorale’’ vient à point nommé réactiver l’ADN ancien. On trouve là les limites du renouveau engagé. Sur l’Europe et l’attitude à adopter face à Poutine (que Giorgia a longtemps admiré), les trois partis alliés risquent de se déchirer. Vu le poids de l’Italie en Europe, ceci n’empêchera pas l’ ‘’axe Sud – Nord-Est’’ autoritariste et populiste de se renforcer face aux démocraties ouest-européennes et à la Commission : Italie, Pologne, Suède, Hongrie, Slovénie, Slovaquie … Cette contamination rampante est inquiétante pour l’avenir du Continent où les démocraties respectueuses du droit se retrouvent encerclées.

* 8 septembre – Adieu l’Afrique ?

Il y a cinq mois, ce blog écrivait, à propos de l’intervention française au Sahel :

(Après la déconiture de l’Occident à Kaboul, en août 2021),  »l’autre  »retrait » annoncé par avance est celui du Sahel. Barkhane, Takuba et peut être le G 5 sont virés du Mali, une situation   »perdant-perdant », qui a de quoi réjouir et relancer Al Qaïda et Daech. Certes, les soldats de l’Occident vont « se redéployer » au Niger, un plan alternatif énigmatique, sans conviction. L’urgence est à l’évacuation des bases militaires du Nord-Mali, pas au choix d’une stratégie. Au train ou vont les choses, cela pourrait signifier trois ou quatre coups d’état à Bamako , un nombre indéterminé de changement de politiques et une progression irrémédiable du Jihad terroriste. Qu’importe ! Ne regrettons pas ces opérations militaires uniquement efficaces à décimer des états majors terroristes, lesquelles se recomposent aussitôt, avec l’assentiment assez large de la base. On tournait en boucle dans une seringue dont le nom est  »impasse ».

On sait que la menace se déporte désormais sur les pays riverains du Golfe de Guinée. L’exercice d’endiguement s’annonce complexe : il va falloir rassurer sur l’engagement de la France au Sahel et dans la bande côtière, sans compromettre la décision de s’extraire de la nasse, tout en se dégageant du maquis des contradictions politiques africaines et en convainquant les populations. Le volet politique et social du combat contre le djihadisme importé du Moyen-Orient ne mérite même pas le qualificatif d’échec : ce fantôme n’a même pas existé. Une victoire sur le terrain humain était impossible; elle le reste ».

L’Ours Géo se répète un peu, en septembre :

 »Le 15 août, sous le signe de l’ascencion de la Vierge, Barkhane a discrètement fait monter son dernier détachement de Gao sur Niamey. Ainsi est scellé l’échec d’une opération d’inspiration juste mais qui a trop duré et mal tourné. Les hauts faits des militaires français ont caché la réalité d’un échec politico-militaire (la progression éclair du jihadisme). C’est bien quand même l’Afghanistan de la France. D’une opération ponctuelle de refoulement sur la frontière saharienne algéro-malienne, on est passé au contrôle progressif du jihadisme sur cinq pays et au-delà, tant au Sahel qu’en Afrique occidentale.

Le coût se monte à de dizaines (centaines ?) de milliers de morts civils. Dans un cocktail de populisme local et de polémique à la sauce moscovite, Bamako s’est empressé de dénoncer au Conseil de sécurité des actes présumés d’indiscipline aérienne et d’appui aux rebelles jihadistes, que la junte impute à Barkhane. L’invasion jihadiste se double désormais d’une percée de la dictature russe.

L’approche à dominante militaire, depuis longtemps caractéristique des interventions françaises en Afrique, ne pouvait pas traiter les problèmes à la racine. D’ailleurs, lesmilitaires le savent bien. L’absence de vision, de plan et de cohérence de la politique court-termiste du gouvernement français, sa prétention malgré tout à décider seul, son inertie à s’ajuster aux réalités des sociétés africaines constituent les causes profondes de ce désastre partagé en coresponsabilité avec les Africains. Beaucoup voudront l’oublier. Au contraire, il faudra en tirer les leçons le jour où l’on réapprendra à gérer le monde collectivement et sur le long terme.

* 7 septembre – La matrice du monde à l’image du climat

Les Etats Unis, la Chine et l’Europe, les trois principaux moteurs de l’économie mondiale se grippent en même temps. Le repli de chacun sur soi et contre les autres porte en fait un nom : le déclin du cadre multilatéral des relations internationales. On perd tout ce qui nous permettrait de vivre ou de circuler sans crainte sur la planète en échappant à la Loi de la jungle. Cette matrice est composée des instruments juridiques régissant les relations entre les acteurs internationaux, des autorités et agences supra-nationales structurant des régions (UE, ALENA, Communauté andine, Ligue arabe, etc..) ou des activités fonctionnelles (Croix rouge, G 8, OPEP, OMC, OCDE, Nations Unies et leurs organes spécialisés, etc.).

Du fait de son rôle de forum global de la paix, de la coopération, du développement et de la sécurité juridique, l’ONU en constitue le chapeau. Mais, quels acteurs, quels Etats le respectent encore vraiment, à l’heure des plus graves menaces contre la Paix depuis 1945 ? Aucun. La paralysie désespérante du Conseil de Sécurité – due aux blocages russe et chinois, mais tout autant à l’absence de réforme en son sein – a anihilé toute capacité à servir d’intermédiaire dans les conflits et d’aiguillon dans la résolution des menaces globales. Le système mondial est fantômatique et la Loi de la jungle revient en force.

La stabilité du monde et la justice des hommes jouissaient des meilleurs chances lorsque toutes ses structures agissent comme lubrifiant des contradictions et des chocs planétaires. On pouvait alors espérer des marchés qu’ils convertissent cette stabilité en croissance, un autre mode de désarmement des tensions. Aujourd’hui, les marchés se cassent en blocs régionaux. Leur fonctionnement vise le plus souvent au rapport de forces voire à la domination. Les sanctions sont reines, les règles, caduques.

La matrice du monde fonctionne en fait à rebours, en grande partie parceque les Etats et leurs citoyens tentent d’échapper aux règles de la coexistence multilatérale, préférant servir leurs bases populaires, voire les fantasmes populistes en vogue. Chaque gain se fait aux dépens de publics étrangers, ce qui relance les conflictualités en boucle… Ce phénomène est illustré par la crise de l’énergie, en partie alimentée par la guerre en Ukraine (en fait l’offensive russe contre l’Occident) et par la politisation du commerce, mais aussi en partie, par la spéculation d’entreprises dénuées de toute conscience sociale.

L’inflation actuelle devient systémique et elle s’emballe par anticipation d’un futur supposé pire encore : va-t-elle muer en récession globale, cet hiver ? Va-t-on avoir froid, connaître des rationnements, voir notre pouvoir d’achat fléchir et le train de vie de l’Etat, grêvé par l’explosion du coût des filets sociaux ? Va-t-on refuser le prélèvement nécessaire au rétablissement de notre capacité de défense, à l’heure où des millions d’hommes libres sont massacrés, déportés, esclavagisés et où nous sommes nous-mêmes menacés d’holocauste ? La conférence de revue sur la non-prolifération nucléaire avait déjà tourné à l’échec au printemps.

Dans le court terme, on assiste au rush gazier de l’Occident sur l’Arabie et la Qatar, l’Algérie, … à l’heure où Gazprom coupe les vannes à grand renfort de mises en scène tragicomiques. Mettre la main sur de nouveaux gisements d’énergie implique moultes complaisances et courbettes envers des émirs, gourmands en armement et, par ailleurs assez méprisants des droits humains. Cela confirme au passage le biais pro-sunnite de la classe politique en Occident, plus portée à fustiger le radicalisme de l’Iran chiïte qu’à rechercher la coexistence des deux écoles de l’Islam.

Le jihadisme des principales multinationales terroristes, continue de progresser en Afrique sub-saharienne. Il se rapproche irrémédiablement des régions côtières. Les victimes civiles sont nombreuses au Mali (en dépit ou plutôt à cause de la présence des mercenaires Wagner) et au Burkina Fasso. La Minusma se heurte, à son tour, à l’agressivité des dirigeants de Bamako. Ceux-ci se lancent dans des campagnes de diffamation manifestement téléguidées par Moscou. Poutine ou l’émir de Daech, maître de l’Afrique ? Cela jetterait plus d’un milliard d’humains dans un abîme de souffrance.

L’abandon des priorités de la transition climatique saute aux yeux, alors qu’un été caniculaire et enflammé suivi d’immenses innondations (le Pakistan est en perdition) rappelle à tous l’acuité de la crise climatique. A deux mois de la COP 27 à Charm-el-Cheikh, l’Occident boude la conférence préparatoire consacrée à l’adaptation consacrée au contient africain. L’Afrique est frappée plus durement que d’autres, par un défi qui dépasse ses capacités et sa médiocre gouvernance. Dans le même ordre d’idées, la conférence internationale sur le haute mer a également jeté l’éponge, en raison de la cassure de la communauté mondiale.

La communauté internationale, kesako ? Plus encore que l’ONU, elle recouvre tous les égoïsmes et toutes les démissions. Autant dire qu’elle est, sur un plan opérationnel, moribonde, incapable de répondre aux grandes urgences et de travailler au rétablissement de la Paix. Ceux, dont les médias, qui l’invoquent à tort et à travers sont des naïfs ou des hypocrites impénitents. Le multilatéral avait constitué un vrai trésor au cours des anées 1990. Des murailles de confiance, de coopération et d’ouverture pourraient, dans l’avenir, remettre le train mondial sur de bons rails. Mais probablement pas sans un réveil assez brutal.