Le Pérou est entré dans une grande pagaille, pas très facile à suivre. Une semaine après le coup de force raté et la destitution, par son Congrès, de Pedro Castillo, président de gauche élu en 2021, la Cour suprême a ordonné le 7 décembre la détention provisoire du Chef de l’Etat pour sept jours. On parle maintenant d’une détention de 18 mois. L’homme avait été menacé de destitution par un Congrès de gauche qui l’exècre et l’accuse de corruption. Pour s’en sortir, il a commis un acte anticonstitutionnel en prononçant la dissolution de ce parlement adverse. Mais le Congrès est resté debout et, pour le coup, l’a destitué et fait arrêter. Castillo se réclame du soutien du peuple et rejette en bloc les accusations de rébellion et conspiration. Le Pérou, désormais dirigé par l’ex-vice présidente, Dina Boluarte, est cassé en deux blocs hostiles.
Entretemps, des milliers de Péruviens manifestent dans le pays, réclamant la dissolution du Congrès et de nouvelles élections immédiates. Les manifestations ont provoqué la fermeture des aéroports et la circulation des personnes et des biens est devenue problématique. Le gouvernement a finalement officialisé le 14 décembre la déclaration de l’état d’urgence dans tout le Pérou, ceci pour trente jours.
Cette réplique n’a pas les effets dissuasifs escomptés sur les milliers de manifestants qui exigent la libération du président déchu, la dissolution du Congrès et l’organisation d’élections générales anticipées. Il est vrai que face à l’Armée, le mouvement tend à s’essouffler au fil des manifestations. Concrètement, le droit de réunion est suspendu, ainsi que la liberté de circulation et l’inviolabilité des domiciles. Le gouvernement évalue maintenant la possibilité d’instaurer également un couvre-feu. En matière d’Etat de droit, ce n’est pas mieux que la mauvaise initiative de Carillo.
Les forces armées, alliées à la police, exercent une répression brutale faisant des morts et d’autres explosions de colère populaire. Le ministre de la Défense, Luis Alberto Otárola Peñaranda annonce une réponse ‘’ferme et autoritaire’’ à la paralysie du pays. Apparemment, la démocratie ne tient plus qu’à un fil. L’un des objectifs est de lever les dizaines de blocages routiers. Des passagers et des camions de marchandises sont en rade sur les routes, depuis parfois plusieurs jours.
Cette démonstration de force contraste avec l’attitude hésitante de la présidente Boluarte, qui cède autant qu’il lui est possible aux pressions de la rue et appelle au dialogue ‘’pour mettre tout le monde d’accord’’. Après avoir brièvement caressé l’espoir de se maintenir au pouvoir jusqu’en juillet 2026, elle propose donc d’avancer les élections à décembre 2023 et non plus avril 2024, comme précédemment annoncé. Mais le projet de loi doit encore être approuvé par le Congrès. Il n’est pas sûr que cela soit suffisant pour calmer les opposants. Mais peut-être ce le serait pour faire sortir les prétoriens de leurs casernes, tant la classe politique paraît perdre le contrôle. L’Armée est mise au pied du mur : elle pourrait franchir le Rubicond si les désordres continuaient.
Ces évènements illustrent la vitalité un peu brouillonne des idéaux démocratiques en Amérique latine et, comme partout, l’évidente méfiance des populations face aux manœuvres partisanes de la classe politique. Ils nous font mesurer aussi à quel point, branchés sur le conflit en Ukraine et les bouleversements de la géostratégie, nous perdons de vue des pans entiers de l’hémisphère Sud où se jouent tout aussi bien l’avenir des ‘’petites’’ nations.