* 30 juin 2021 – Prix Nobel de la Guerre. Il y a un an encore, l’Ethiopie était le miracle de l’Afrique. Cet ancien empire chrétien de 110 millions d’âmes, héritier de la Reine de Sabah et du Négus, s’était réconcilié avec l’Erythrée voisine qui s’en était séparée au début des années 1990, au terme d’une guerre intestine longue et cruelle. Grâce à la paix, à l’investissement chinois, à l’habilité à gouverner d’Abiy Ahmed, un premier ministre adulé par les médias mondiaux, le Pays s’était constitué une base industrielle performante, très admirée en Afrique. Ahmed, qui plus est, incarnait une rupture salutaire avec la main mise – 27 ans durant – de la minorité tigréenne sur le pouvoir. Forte de six pourcents seulement de la population, celle-ci s’était aliénée le reste du pays par sa pratique de la ségrégation éthique et son comportement hautain. Audacieux, libéral et réformiste, l’activisme du nouveau leader était récompensé, il y a deux ans, par le prix Nobel de la Paix. Ce prix, souvent conféré trop tôt, ne porte pas toujours chance…
Le conflit qui s’est déclaré dans les dernières semaines de 2020 au Tigré, à l’initiative de cette minorité politiquement ‘’dépossédée’’ du nord de l’Ethiopie (le long de la frontière érythréenne) débouche sur un gâchis sans nom. Loin d’user de diplomatie d’un ‘’nobelisé’’ face à cette nouvelle tentative de sécession au sein de l’Empire, l’ancien colonel des services de renseignement a retrouvé des réflexes de chef de guerre sans scrupule, un tantinet mégalomane et faussement messianique. Il a répondu par l’occupation militaire du Tigré dans le but de soumettre cette ethnie coupable et il a mobilisé au passage des milices ethniques adverses de même que – une folie ! – les troupes de l’ennemi érythréen.
A huis clos, seules quelques ONG ayant encore accès au terrain, l’expédition punitive a tourné au carnage et laissé des stigmates indélébiles de massacres, de pillages et de viols. Rien n’aurait pu mieux souder la résistance des six millions de Tigréens, sous l’étendard du TPLF, le parti armé combattant pour leur indépendance. Après deux millions de paysans déplacés par les combats, des milliers de morts retrouvés dans des fosses communes (nettoyage éthique ?), d’énormes destructions d’infrastructures, le point de non-retour est franchi. Même Abiy Ahmed semble prendre la mesure du désastre humain, sous l’angle de ce qu’il dénonce comme une ‘’épidémie de violences sexuelles’’, même s’il n’a que des mots creux à y opposer. A moins d’un anéantissement par la force armée, la révolte du Tigré persistera donc. Les autorités d’Addis-Abeba ont décrété hier un « cessez-le-feu unilatéral et inconditionnel » au Tigré « , tandis que les miliciens du Tigré reprenaient, le même jour leur capitale régionale de Mekel. Les rebelles proclament leur détermination à « intensifier » les combats au-delà de leur territoire. La guerre des mots n’y changera rien. Le Conseil de sécurité, comme toujours divisé, restera impuissant.
De fait, des atrocités sont le fait des deux bords : ceux qui défendent leur territoire et ceux qui combattent pour l’intégrité de l’Ethiopie. A l’extérieur, la communauté internationale – Chine, Russie, Israël et États du Golfe exceptés – instruit plutôt le procès d’Abiy Ahmed. Les Etats-Unis, qui sont de longue date liés à leurs ‘’alliés’’ tigréens, se montrent même virulents cotre Abiy Ahmed. Pourtant, sous l’ancien dirigeant tigréen Zenawi comme sous Ahmed, aujourd’hui, l’Ethiopie n’a connu, de la même façon, que la dictature et c’est uniquement en fonction de leurs intérêts stratégiques que les puissances se déterminent à son propos. Se concentrera-t-on un jour sur la prévention du basculement aussi rapide d’un pays viable et fonctionnel de la paix civile vers la guerre ethnique ? Il faudrait cesser de chercher des ‘’bons’’ ou des ‘’alliés’’ quand il n’y a plus que des tueurs et des victimes, dans chacun des camps en présence.
* 29 juin – L’écho … vide de la solidarité des peuples. Le virus nous laisse un répit en France, tant mieux, mais il continue quand même à muter. Certains de nos voisins subissent déjà durement l’expansion rapide du variant Delta. Dans le monde émergent et, en particulier en Afrique, un nouveau pic pandémique affecte les populations bien plus sévèrement que les vagues précédentes. Aurions-nous motif à nous accorder qu’un peu d’insouciance, comme si le monde était cloisonné entre des régions (relativement) épargnées et d’autres, abandonnées à leur sort. Tant que le hiatus de santé Nord-Sud perdurera, que le virus du Covid mutera dans les espaces sous-médicalisés de la Planète, personne ne sera à l’abri d’un effet boomerang éventuellement sans fin. Bien sûr, on le sait mais cela ne veut pas dire qu’on y pense beaucoup, encore moins qu’on voudrait faire quelque chose pour venir au secours de l’Afrique, du Mexique, du Bangladesh, etc. Première question : Covax, le dispositif que les Nations Unies ont mis en place pour vacciner les populations du Sud a-t-il failli ?
Covax, en tant que réseau d’institutions et établissements proposant une solution vaccinale complète, a livré 87 millions de doses à 131 pays. Pour presque cinq milliards de Terriens démunis, on reste loin du compte. Il s’agit néanmoins de la distribution de vaccins la plus importante vue dans l’Histoire. Ainsi, par rapport à la pandémie H1N1 de 2009, Covax a fourni sept fois plus de doses et répondu 2,5 fois plus vite aux besoins de quatre fois plus de pays. En avril 2020, le dispositif Act-A a été lancé et les coleaders de son pilier ‘vaccins’ – l’OMS, le Cepi et le Gavi – ont été immédiatement opérationnels, si bien que, dès juin 2020, la garantie de Gavi-Covax-AMC a financé d’emblée l’accès gratuit aux vaccins, dans 92 pays à faible revenu. On a vu pires bureaucraties. De plus, Covax n’est pas le seul mécanisme d’acheminement des vaccins vers le monde émergent, puisque le G 7, la Chine et l’Inde ( jusqu’à récemment), ont engagé des distributions gratuites, non sans espérer quelques bénéfices politiques en retour, ce que l’on peut comprendre.
On constate pourtant une distribution particulièrement inégale du vaccin : 1 % seulement des populations des pays les plus pauvres est à ce jour protégé, contre un ratio supérieur à 50 % dans les pays développés. La question se pose donc de devoir vacciner les populations à risque partout dans le monde, plutôt que tout le monde dans une minorité de pays. Ce serait aussi une façon de limiter les mutations du virus liées aux pathologies mal soignées. Mais, d’évidence, ne pas vacciner les jeunes Européens pour mieux protéger les personnes vulnérables en Afrique aboutirait à braquer l’humeur populaire du Nord contre le Continent noir. Les préjugés ont leur poids.
Au milieu de ce mois, 60 millions de doses seulement ont été acheminées dans 80 pays. Une goutte d’anticorps dans un océan de détresse. On n‘a pas encore vu la couleur du milliard de doses annoncé par le Club des nations les plus industrialisées et par des grandes fondations privées. En fait, en additionnant les engagements pris ces dernières semaines, on pourrait financer la vaccination de 1,8 milliard d’êtres humains, soit un tiers en moyenne des nationaux concernés. Mais les doses ‘’prépayées’’ que les pays bénéficiaires sont incités à commander directement auprès des laboratoires producteurs n’ont pas encore été fabriquées, alors qu’il y a urgence. ’’Big pharma’’ peine à augmenter sa production, qu’il destinait, au départ, aux seuls pays solvables (du Nord) comme le stipulaient les contrats initiaux. Trop tard ! De plus, la décision du gouvernement indien de conserver pour sa population toute sa production nationale a fortement amputé le stock vaccinal physiquement disponible pour le Sud, sans cacher non plus certains doutes de l’OMS sur les vaccins chinois. Il ne reste, pour booster le flux des doses, que la solution d’un prélèvement sur les stocks nationaux déjà constitués au Nord. Une ponction politiquement délicate, même si la France, par exemple, propose de mobiliser à cette fin 8% de son stock. L’a-t-elle fait, d’ailleurs ?
Alors que la pandémie progresse rapidement, dans le Sud, laissant entrevoir des millions de morts – dont une proportion plus grande de jeunes – et qu’elle fragilise la vie de milliards de pauvres, on se retrouve sans solution. L’idée de traiter comme bien public à la disposition de tous les formules des vaccins pourrait aider à combattre une pandémie future, si l’industrie pharmaceutique devait s’y plier. Mais, sans un environnement industriel solide et développé, sans professionnels bien formés (ce qui prend des années), elle a peu de chance de créer une décentralisation planétaire de la production. Pour l’instant, c’est un vœu pieux. Aussi, chaque jour où on laisse la contagion progresser sans réponse industrielle adaptée, la mortalité globale s’emballe et cause des pertes énormes pour des économies locales dont dépend la survie de milliards d’individus… et bien sûr, cela entretiendra l’effet boomerang sur les pays riches. Tous sauvés ou personne…
D’où une série d’interrogations : les promesses mirobolantes des pays du Nord ne se concrétiseront-elles pas trop tard (sans doute, à partir de septembre), sinon trop peu ? Les laboratoires portent-ils une part de responsabilité en étant incapables de produire suffisamment pour l’humanité entière, même lorsqu’ils sont payés pour ce faire ? Peut-on attendre de populations riches traumatisées par la maladie COVID qu’elles partagent équitablement avec des inconnus lointains ? Les pays récipiendaires sont-ils tous en mesure d’assurer la logistique et l’administration du vaccin sur leurs territoires ? Sur ce dernier point, on peut s’émouvoir de plusieurs situations où l’on a vu des doses à deux semaines de leur péremption ne pas même être déballées… un grand gâchis.
Tirer les leçons de nos difficultés à assumer une solidarité mondiale impliquerait de concentrer, au plus haut niveau, la détermination comme les moyens de prévoir et d’agir au sein d’une autorité également mondiale, qui s’imposerait aux Etats et aux marchés. On pense à ce projet-fantôme de ‘’Conseil de sécurité économique, social (dont la dimension sanitaire) et écologique’’, dont on a rêvé dans les années 1990. On en aurait besoin maintenant.
* 28 juin – Drone de guerre. L’Iran souhaite-t-il réellement le retour des Etats Unis dans l’accord de 2015 sur le contrôle de son industrie nucléaire ? A constater la multiplication des attaques de drones menées par les milices ‘’sœurs’’ des Gardiens de la Révolution sur les installations américaines en Irak comme sur la frontière syrienne, le doute est permis. Plutôt que de s’engager dans des pourparlers diplomatiques, les stratèges de Téhéran s’appliquent à chasser les Occidentaux de leur arrière-cour chiite. Depuis février, on a ainsi compté une quarantaine d’attaques contre les bases où sont déployés les 2 500 soldats américains de la ‘’coalition internationale’’ chargée de contrer une résurgence de Daech. L’aéroport de Bagdad n’a pas été épargné et la DCA se montre peu efficace contre ses petits objets volant en rase-motte.
Il est quand même intrigant de voir la République Islamique prendre impunément le risque de protéger une centrale jihadiste sunnite, qui lui est fondamentalement hostile. La confrontation avec le ‘’Grand Satan’’ américain emporte manifestement sa priorité. Ce n’est pas le choix des Iraniens, mais leur voix ne compte pas.
En riposte aux multiples attaques de drones armés de charges explosives contre leurs implantations civiles comme militaires en Irak, les Etats Unis ont conduit le 27 juin trois ‘’frappes de précision’’ contre les dépôts d’armes (notamment, de drones) et les centres de commandement de plusieurs milices pro-iraniennes, en Irak et en Syrie. Au moins cinq miliciens auraient été tués. C’était la seconde opération de ce type, après des représailles, en janvier, dans l’Est de la Syrie. Les Américains et leurs alliés doivent donc traiter de front un ennemi terroriste mais aussi un autre, sur le plan militaire.
Aux faucons qui, à la faveur des présidentielles, ont consolidé leur influence à Téhéran, derrière la figure du nouveau président Ebrahim Raïssi (et, nécessairement, avec l’aval du Guide suprême), Joe Biden a répondu en signant ses actes. Ce sera ‘’dur contre durs’’, œil pour œil, dent pour dent’’. Ceci n’exclut pas qu’on aboutisse plus tard à des tractations américano-iraniennes, que dicterait logiquement l’épuisement économique et social de l’Iran. Mais alors, ce ne serait pas celles envisagées par l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Pas ‘’folichon’’ comme perspective, mais pas nécessairement fatal, à moins, entre-temps, d’une perte de contrôle de leurs opérations guerrières par les Pasdarans, enragés qu’ils sont à venger leur chef, tué début-2020… par un drone américain.
* 25 juin – Triste colonie russe. La Centrafrique est, on le sait, l’archétype de l’Etat failli dont la population a sombré dans une guerre civile sans fin. Les 15.000 casques bleus de la Minusca expriment le souci qu’en ont les Nations Unies, sans qu’une solution ne soit en vue, sur le terrain. La force française, envoyée sur place au début des affrontements, n’a pas mieux fait, mais elle a eu l’honnêteté de se désengager du guêpier. Ceux qui se réclament du pouvoir légitime à Bangui n’ont pas trouvé mieux que de sous-traiter à d’autres étrangers.
Pour l’ONU, les groupes rebelles, toujours très actifs, de la CPC » (Coalition des Patriotes pour le Changement) ne sont plus la principale menace sur la paix civile, la protection des populations et le bon déroulement de sa mission de maintien de la paix. Ce sont plutôt les « violations des droits de l’Homme et manquements au droit international humanitaire imputables aux forces armées centrafricaines, forces bilatérales et autres personnels de sécurité ». Derrière l’allusion à ces ‘’forces bilatérales et autres personnels de sécurité’’, chacun reconnaîtra l’armée russe et les mercenaires du groupe Wagner qu’elle amène dans ses fourgons, aux fins d’interventions extérieures ‘’discrètes’’. Loin d’être acteur d’une solution, Moscou n’est jusqu’à présent parvenu qu’à accroître l’instabilité du pays. Non reconnues par leur initiateur, qui prétend les assimiler à de simples prestations de conseil, les opérations russes aux côtés des forces centrafricaines provoquent des violations en séries des droits humains de la population et attisent le conflit. Les forces onusiennes, de leur côté, subissent de la part des Russes des obstructions à leur circulation, des vexations et même des pillages, à l’occasion.
L’ambassadeur français à l’ONU, Nicolas de Rivière, ne mâche pas ses mots : ‘’Soyons clairs, les rapports de l’ONU pointent la responsabilité d’un acteur nouveau, qui intervient aux côtés des forces armées centrafricaines et dont le statut est un mystère. Certains s’efforceront de nier la présence de la société Wagner. Dès lors, qui sont ces hommes impliqués dans les combats, à quel titre sont-ils présents en Centrafrique et à qui répondent-ils de leur action ? » Pas à Paris ni à Pékin (qui aurait submergé le pays de projets économiques), cela va de soi ! Selon Mankeur Ndiaye, le représentant en RCA du secrétaire général de l’ONU : »l’ineffectivité de la chaîne de commandement et de contrôle et le défaut d’interlocuteurs crédibles auprès de certaines forces bilatérales (…) ont fini d’installer une totale confusion’’. Moscou exige par ailleurs une levée de l’embargo sur les armes, en vigueur depuis 2013 et qui expire le 31 juillet. A part un peu d’argent pour ses mercenaires, sans doute un accès privilégié aux richesses du sous-sol, on ne voit qu’un motif pour Moscou à se fourvoyer dans ce bourbier : la guerre hybride contre l’Occident qui obsède Vladimir Poutine.
*24 juin 2021 – Pomme-dépit. Les Hongkongais s’amassent devant les kiosques pour acquérir le dernier numéro du quotidien Apple Daily, contraint par Pékin de disparaître, sous le coup de la loi sur la sécurité nationale. Celle-ci leur a été imposée de l’extérieur, il y a un an. Soutien du mouvement pro-démocratie et auteur de critiques de bon sens à l’égard des dirigeants chinois, l’Apple Daily était en ligne de mire. Le Parti communiste continental n’a eu qu’à évoquer sa loi sur sa loi liberticide pour contraindre le titre à disparaître. Les principaux dirigeants de la Pomme ont été arrêtés et ses employés mis à pied. Les engagements solennels pris par la RPC en 1994 (50 ans sans toucher aux institutions locales) ont été, une fois de plus, transgressés.
Le tabloïd est mort et, au moins, on sait qui il servait et qui l’a tué. Dans celle que l’on dénomme, sans rire, une ‘’Région administrative spéciale’’, la liberté de penser, celle de la presse, l’état de droit sont couramment piétinés par une autorité de fait étrangère à la vie des Hongkongais et à leur identité. Même si leur pays domine le commerce mondial et nous tient tous par la barbichette, il faut cesser de faire semblant de croire à la parole des dirigeants chinois et à leurs fières promesses sur la scène mondiale. Ils n’ont jamais été éduqués au droit. Hors nécessité commerciale, leur régime ne l’enseigne pas et ne le reconnait pas. Beaucoup de régimes militaires africains font mieux en la matière. C’est plutôt, de leur point de vue, une composante de la dialectique, l’art, au Pouvoir d’imposer sa raison en toute chose en invoquant des arguments pseudo- juridiques (mal) ficelés pour faire taire toute critique. Leur justice est politique et fonctionne par la peur, sans respect de la constitution du Pays et du droit reconnu. Les suspects politiques sont jugés à huis clos. On punit les importuns et les indésirables parce qu’ils gênent les dynasties régnantes. Imaginez que ce modèle s’applique un jour à la France ou à l’Europe !
Hongkong est traitée par le Régime, depuis sa fondation, en ‘’putain de l’Occident’’. Pas plus que pour les Taiwanais, les souverains de la Cité interdite ne ressentent la moindre affinité, le plus minime sentiment d’appartenance, de compassion ou de solidarité pour les Hongkongais. Ils veulent simplement ‘’casser’’ mentalement cette population rétive, éduquée aux préceptes et au mode de vie occidentaux, lui imposer une société de surveillance et d’endoctrinement (les Hongkongais étant ‘’subversifs’’), enfin, mettre totalement la main sur la poule aux œufs d’or dont leurs familles se gobergent. De fait, la loi sur la sécurité nationale sert aussi à confisquer des biens et à démanteler des groupes locaux en bourse. L’installation en périphérie d’effectifs de l’Armée populaire de Libération augmente encore la cohorte des gloutons.
Sommes-nous encore choqués par ce Tiananmen du droit et des libertés, dont les prémices remontent à plusieurs années ? Les premiers coups de force nous ont profondément heurtés, mais le pouvoir pékinois a l’habileté d’opérer par vaguelettes successives et de compter sur le temps long pour désarmer notre sensibilité, rapidement fatiguée et sollicitée sur bien d’autres fronts (la pandémie, le climat, la situation sociale, la relance de la croissance, le Brexit,…). L’Apple Daily était accusé d’avoir publié une série d’articles et d’éditoriaux qui, selon la police, appelaient à des sanctions internationales contre la Chine. Réagir par des sanctions reviendrait donc, pour les pays libres, à accréditer la thèse de la propagande pékinoise sur l’existence d’un complot de ‘’puissances antichinoises’’ dont le quotidien sanctionné aurait été l’instrument. Habile ! En fait, bien que les Hongkongais nous ressemblent beaucoup, nous ne sommes plus au rendez-vous de leur conscience. Et encore moins tournés vers les Ouïgours, Kazakhs et Tibétains qui, eux, nous ressemblent moins, mais ont quand même besoin de nous pour entretenir la flamme de leur dignité humaine.
Il ‘est plus acquis que Hongkong garde, dans ses conditions, une aura financière ou économique, malgré ses liens étroits avec la province ‘’hyper-industrielle’’ du Guangdong (province de Canton). La mégapole de huit millions d’âmes glisse vers le bas des classements. Notre attention sera, une nouvelle fois, détournée quand la menace sera redirigée sur Taiwan, dont la conquête par la force est la marotte des dirigeants suprêmes de la Chine. La fin-mai a vu une sorte de répétition générale d’un plan d’invasion, avec des centaines d’intrusions aériennes et navales dans l’espace de cette démocratie de 25 millions d’âmes. Les Taiwanais ont compris ce qui les attend et qu’ils ne seront pas traités en ‘’compatriotes’’ (le langage officiel) mais bien en ennemis.
* 23 juin 2021 – Chaque fraction de degré nous ramollit. Plus 1,5 par rapport à l’ère préindustrielle, on y sera dès demain. La limite sera franchie d’ici 2025 et on rentrera dans une forme plus violente de chaos climatique, un état de non-retour, aux conséquences imprévisibles, en tout cas incontrôlable, ‘’pendant des siècles’’. C’est comme si, en termes astronomiques, on poursuivait en voiturette un voyage cosmique au-delà de Jupiter. L’accord de Paris déboucherait donc sur un échec collectif. ‘’La vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes’’, avance le résumé technique du futur rapport. ‘’L’humanité ne le peut pas’’. Aïe, aïe, aïe, c’est bien du sort de l’humanité qu’il s’agit (pas de la Terre) ! Or, les climatologues estiment devoir, dès à présent, abaisser le seuil sous lequel le réchauffement global pourrait être encore ‘’encaissé’’ par la société humaine : 1,1 ° aurait été la ‘’vraie’’ ligne rouge à e pas franchir.
Pour la biodiversité, ce serait déjà trop tard : ‘’ les conditions de vie vont changer au-delà de la capacité de certains organismes à s’adapter’’. La menace sera extrême, notamment, sur récifs coralliens essentiels à la vie d’un-milliard de riverains des océans ou d’îliens. Les peuples des régions arctiques pourraient aussi disparaître en même temps que leurs écosystèmes. L’alimentation verra ses ressources contraintes sous l’effet des aléas climatiques, dans toutes les régions du monde. D’ici dix ans, jusqu’à 80 millions d’humains supplémentaires rejoindront les cohortes de la sous-nutrition et 130 millions sombreront dans la pauvreté extrême. La hausse du niveau de la mer s’accompagnera de vagues de submersion, à l’origine – comme la sécheresse – de vagues de migrations croissantes. Avec 1,5°C de hausse de température, 350 millions de citadins de plus subiront des pénuries d’eau, surtout par temps de canicule. En termes géographiques (cela mériterait d’être plus finement analysé), des régions comme l’Est du Brésil, l’Asie du Sud-Est, la Chine centrale et presque toutes les zones côtières pourraient être frappées de poly- catastrophes simultanées : canicules, sécheresses, cyclones, incendies, inondations, épidémies de toutes sortes. S’y ajoutent les désastres provoqués par l’Homme, telle la dégradation en savane de l’Amazonie, l’ex-poumon du monde.
‘’Chaque fraction de degré compte’’, face aux dégâts qui s’annoncent. Après vous avoir efficacement glacé le sang – la pédagogie fonctionne sans doute à ce prix – le GIEC se fait un peu souriant, in fine : ‘’L’humanité peut encore orienter sa destinée vers un avenir meilleur en prenant aujourd’hui des mesures fortes pour freiner l’emballement de la deuxième moitié du siècle’’. Ouf ! ‘’Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation’’. On y court ! Ah, on, j’oubliais : on y court plus. On y courait au pire de la pandémie, quand on chantait en chœur le ‘’monde de demain’’. Belle envie de s’investir dans l’avenir ! Où est-elle passée ? Voyez comme ceux qui nous guident préfère désormais parler de fric et de ‘’tout-sécuritaire’’ ! Fermez le ban !
* 22 juin – Le prix de la concorde. Le propre d’une démocratie mâture est de savoir apaiser les tensions politiques nées de ses confrontations intestines. Loin de s’affaiblir en pratiquant, en temps opportun, la clémence envers ceux qui ont défié les institutions (souvent, avec des motivations respectables), l’Espagne de Pedro Sanchez se grandit en envisageant de gracier les neuf leaders indépendantistes catalans incarcérés pour leur tentative de sécession de la région en 2017.
On se souvient de l’enchaînement dramatique déclenché par le combat des autorités catalanes pour se séparer de l’Espagne : contre le jugement de la justice madrilène, Carles Puidgemont, avait organisé un référendum d’autodétermination, en juin 2017. En octobre 2017, le parlement catalan avait déclaré unilatéralement l’indépendance de la généralité. Une grave crise s’en était suivie, amenant Madrid à prononcer la destitution du gouvernement régional et la mise sous tutelle de la Catalogne. Puidgemont s’était alors réfugié en Belgique. Il ‘aura pas droit à la grâce. Neuf autres dirigeants indépendantistes avaient été condamnés à de lourdes peines de prison en octobre 2019. Ce sont eux que Sanchez souhaite libérer, après un an et demi de détention.
La mesure paraît équilibrée, même si elle ne signe pas encore une réconciliation et un pardon définitifs. Critiquée par les Catalans – qui acceptent la grâce mais voudraient plutôt l’amnistie et la réhabilitation de leurs chefs – elle l’est aussi pour une majorité d’Espagnols (53 %) qui estiment cette clémence excessive et imméritée.
L’équidistance des critiques garantit la pertinence du geste de clémence, à court terme. Mais l’esprit de concorde auquel se réfère le président du gouvernement devra continuer à cheminer pas à pas d’un apaisement vers une paix politique durable. La Catalogne ne devrait plus avoir à porter, à terme, le poids d’une quelconque culpabilité, même pardonnée. Le plus délicat sera de gérer les étapes suivantes tout en comblant la division et l’incompréhension installées dans les esprits. Il faudra du temps et de la patience pour que la Catalogne redevienne pleinement elle-même, fière de son identité politique, économique et culturelle en même temps qu’espagnole. Cette hispanité acceptée est hautement souhaitée par l’Europe, qui pourrait aussi lui accorder, à Bruxelles, un statut ‘’spécial’’ – assurément moins qu’étatique mais plus que régional – à la condition expresse qu’elle n’ampute pas la viabilité ni la souveraineté principale du Royaume. Ce serait une jurisprudence applicable, par la suite, à l’Ecosse, à la ‘’Padanie’ ‘ italienne … qui sait, à la Corse ? Ce pourrait être aussi l’occasion de conférer plus de compétences au Conseil des régions, lequel, au sein des institutions européennes, devrait ambitionner un poids et une audience nettement supérieurs.
Prendra-ton ce chemin jusqu’au bout ? La faiblesse des démocraties est de s’en tenir au court-termisme électoral, ce qui leur imprime une trajectoire en zigzag. Mais c’est pourtant le seul régime politique qui puisse entreprendre de telles mises à jour salutaires.
* 20 juin – Les damnés de la Terre ont leur bourreaux. Iran, France, Ethiopie, Arménie, le 20 juin a vu une série d’élections plus ou moins convaincantes et plus ou moins suivies. Cette date marque aussi la Journée mondiale du Réfugié. Il y a peu de chance, dans l’atmosphère d’apathie post-Covid, qu’on y prête beaucoup d’attention. Chaque jour que Dieu fait est la Journée mondiale de quelque chose. Pourtant, celle-là est spéciale, en ce qu’elle teste notre humanité et notre capacité d’ouverture aux autres. Elle est aussi un indicateur de notre volonté de vivre en démocratie, à l’abri des discriminations et des souverainismes imbéciles. Surtout, en nous invitant à regarder et à comprendre le monde tel qu’il est, là où les gens (sur)vivent, la question des déplacés et réfugiés nous appelle à préparer un avenir qui ne soit pas dominé par les guerres et les conflits. Nous le devons à nos enfants.
Selon l’ONU, le monde compte 82,4 millions de personnes réfugiées ou déplacées dont 42 % de mineurs. 86 % des personnes déracinées sont accueillies dans les pays émergents, selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). De fait, la France n’a reçu que 95 600 demandes d’asile en 2020, une contribution infime au soulagement de cette détresse. Chaque jour, dans le monde, des personnes s’enfuient de leur domicile. Rejoindre leur famille, chercher un emploi, se former à un métier portent leur espoir de trouver un lieu vivable. La guerre, les persécutions, les menaces, l’absence d’avenir les poussent à fuir, dans l’espoir d’un avenir meilleur.
C’est un déni d’humanité de considérer toutes cette détresse comme une menace. Le droit international reconnaît et protège leurs droits, lesquels ne sont pas délimités par les frontières. Leur intégration passe par l’égalité des chances, la lutte contre les discriminations dans l’emploi, le refus des ghettos, le soutien éducatif, la participation citoyenne, tandis qu’en retour, les nouveaux résidents ont le devoir de respecter l’identité de la société, ses valeurs et l’ordre public. Pourtant, les déracinés constituent la population humaine la moins protégée contre le virus COVID 19. En avril, le HCR a étudié la situation sanitaire de 153 pays supposés dotés de stratégies de vaccination : très peu de plans prévoient un accès au vaccin praticable pour les exilés.
Parmi toutes les tensions qui traversent la société françaises – et toutes les sociétés occidentales -, l’immigration est la plus instrumentalisées qui soit. Ceci se fait à des fins partisanes malveillantes, au point que, même à l’occasion des scrutins départementaux et régionaux (sans rapport avec leurs fantasmes), les états-majors ‘’illébéraux’’ s’échinent à introduire le thème de la ‘’sécurité’’. Le »tout sécuritaire » est synonyme, pour eux, d’une confrontation avec l’ensemble du monde musulman (bien au-delà de l’islamisme), d’une fermeture autarcique des frontières et d’une pratique xénophobe voir belliciste de la souveraineté, sans démocratie. Il ne s’agit pas tant de contrer un chimérique ‘’grand remplacement’’ que de se hisser au pouvoir en surfant sur les peurs et les préjugés ignorants. Régner sur des ruines misérables mais régner. Cette évolution du discours politique a remis en question toute une histoire nationale faite de construction de la nation par apports humains successifs. Triste et destructrice radicalisation des esprits, alors que l’immigration comme la mobilité des gens remontent aux origines de l’Histoire et contribuent à la richesse collective . Triste dégoût du brassage humain. Triste défiance à l’égard de la République et de l’intégration citoyenne, attachée à celle-ci depuis la Révolution française. Triste combat contre l’humanisme et contre l’humanité. Triste préférence pour la guerre, celle qui incombera aux générations suivantes. Nous ne sauverons notre pays, notre continent que par la fraternité.
* 17 juin – La fortune, au bout du fusil. Très mauvaise nouvelle pour l’Industrie : les exportations d’armement français ont diminué de 41 % en 2020 ! Serait-ce une menace de paix qui plane sur le monde ou seulement le COVID qui aura ralenti l’effort de nos marchands d’armes pour préparer la ‘’prochaine’’ ? Penchez plutôt pour la seconde hypothèse : cette baisse des contrats tiendrait principalement à la pandémie. Les livraisons avaient déjà diminué de près de 8,6 % en 2019. Alors, conjoncture passagère, la dégringolade de 2020 ou accélération de la pente ? Pas vraiment, mais les centaines de milliers de travailleurs affectés à l’export n’auraient pas à se faire trop de souci, selon le Gouvernement. Ça va redémarrer, ouf !
L’an dernier, les prises de commande étrangères s’étaient élevées à 4,9 milliards d’euros », contre 8,3 milliards d’euros en 2019. Trou d’air. Notre ‘’meilleur client’’ – incidemment en guerre contre son voisin yéménite – reste l’Arabie saoudite, pour un montant de 704 millions d’euros. Viennent ensuite les Etats-Unis, pour lesquels les firmes françaises sous-traitent des composants (433,6 millions d’euros), puis le Maroc (425,9 millions d’euros). Tiens donc ! Nos produits iraient-ils se balader au Sahara occidental ? Israël, dont les missiles intègrent des modules made in France (on en a récupéré à Gaza), ne figure plus en position visible. Il est vrai que son circuit d’approvisionnement peut aussi bien passer par les Etats Unis.
L’avenir devrait être assuré. L’Egypte, une démocratie irréprochable, vient de signer pour 30 Rafale supplémentaires, après la Grèce, qui en a requis 18 d’urgence, pour faire face à la Turquie (dont 12 ‘’prélevés’’ sur l’Armée de l’Air française, la pauvre !) et la Croatie qui s’en est fait livrer douze d’occasion. Les affaires reprennent. Le plus curieux est que, dans son rapport 2020, le ministère de la Défense présente l’Europe comme la principale destination des exportations de son industrie (la Défense étant un ministère bis de l’Industrie). Elle absorberait 25 % des commandes. Eureka, on serait donc parti pour réaliser l’Europe de l’Armement ? En fait, oui et non, selon que vous inclurez ou pas la Turquie d’Erdogan, une puissance parmi les plus belliqueuses de la planète. Toutefois, il n’est pas certain qu’Erdogan se voit en dirigeant d’une puissance européenne.
N’allez pas consulter le rapport, il ne vous apprendra pas plus que les généralités qu’on peut lire dans les journaux. Le Parlement français, malgré la mission d’information qu’il a arrachée au gouvernement il y a deux ans, n’en saura guère plus que vous. Le contraste reste total avec le droit à en connaître, qui constitue la règle dans les institutions législatives de nos voisins. L’omerta française sur les exportations d’armement a la peau dure. L’institut de sondage Harris Interactive a récemment relevé que 80 % des Français se déclarent mal informés sur le sujet et qu’ils éprouvent du mal à comprendre les enjeux et les conséquences des ventes d’armes de leur pays. Pour 75 %, une transparence s’imposerait. Encore un petit effort pour sortir du brouillard !
* 16 juin – Autant en emporte le vent guerrier. Avons-nous envie de nous confronter à la Chine ? Veut-on faire d’elle notre ennemie ? Dans un registre très martial, le communiqué final du sommet de l’OTAN dénonce en l’Empire du Milieu un ‘’défi systémique pour l’ordre mondial et la sécurité de l’Alliance atlantique’’. Les Européens ont néanmoins cosigné ce brûlot qui réduit la seconde puissance du monde à l’image sinistre de ses arsenaux militaire et nucléaire et à sa propension à entrer en collusion avec la Russie, dans les crises internationales. Si l’économie reste un élément dans la relation avec Pékin – comment faire abstraction de la première puissance commerciale planétaire ? – l’approche devrait se faire défensive : méfiance à l’égard des investissements chinois, guerre technologique, cyber-confrontation, tricheries sur les règles du commerce. Au total, l’hostilité pékinoise à l’égard de l’Occident serait pour celui-ci un défi aussi redoutable que le revanchisme aventureux de Moscou.
Le trait est assez forcé. Pas même un mot aimable pour les peuples, les cultures, les solidarités nouées. Comme à son habitude, la France a été bien seule à s’interroger sur la pertinence d’un agenda stratégique extrême-oriental prioritaire pour une alliance centrée sur l’aire atlantique. Pékin reproche à l’OTAN ‘’d’exagérer la théorie de la menace chinoise’’. Ce n’est pas totalement faux et il est d’ailleurs piquant que la Cité interdite confirme l’existence d’une part de réalité dans sa (modeste) menace.
A Bruxelles, la vulgate très dure de Washington avait été relayée par avance, par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg. Les Européens n‘y croyaient pas plus que ça, mais ils ont quand même avalé la potion, ‘’pour ne pas gâcher des retrouvailles sentimentales si belles avec Washington’’. Toujours Mars et Venus (qui l’aime secrètement) …et une bonne dose de naïveté chez les ‘’27’’. Angela Merkel a modéré la sortie contre la Chine en invitant les partenaires européens à maintenir une position équilibrée envers Pékin. Il est vrai que le commerce extérieur allemand, hors-OCDE, se nourrit essentiellement du marché chinois. Emmanuel Macron a invité l’OTAN à ‘’ne pas confondre les objectifs’’ et à ne pas ‘’biaiser’’ la relation avec la Chine. Le défi ne serait pas de nature exclusivement militaire : ‘’cette rivale est aussi un partenaire indispensable pour résoudre de grands problèmes du moment, climatiques par exemple’’. Un ricochet inaperçu sur les eaux lisses de l’Alliance. Pourtant, ce qui est dit est dit.
Armé du punch de ses alliés, il ne reste plus, à Joe Biden, qu’à rencontrer Vladimir Poutine à Genève, pour lui régler son compte (pas à coups de revolver, mais de vérités). Associera-t-il les Européens à un dialogue ‘’carte sur table’’ avec son meilleur ennemi ? Berlin et Paris, notamment, voudraient un ‘’dialogue exigeant ‘’ avec le Kremlin et surtout en être parties prenantes. Emmanuel Macron tient particulièrement à ce que la France soit actrice dans toute négociation sur la maîtrise des armes nucléaires. La crédibilité de la force de dissuasion ne peut être préservée qu’à ce prix. Les intérêts stratégiques de l’Europe, de même. La hantise existe toujours que ressurgisse le condominium russo-américain sur l’équilibre stratégique européen et la paix ou la guerre au plan global. Inviter la Chine n’apparaît pas non plus comme une bonne idée aux Européens, ou alors, pourquoi pas, avec l’Inde, le Pakistan, Israël, etc., ce qui ne serait pas plus réaliste.
Enfin l’objectif d’une autonomie stratégique de l’Europe n’a été traité qu’en passant : l’Alliance »relève sa cohérence et sa contribution à l’OTAN », mais elle ne dit rien sur la façon dont elle pourrait s’en accommoder pratiquement. Tant que les Européens ne frapperont pas leurs chaussures sur leurs micros pour exiger que l’on passe aux actes, le concept restera … un concept, rien donc qui ne trouble la sérénité retrouvée de l’OTAN.
* 15 juin 2021 – Bibi Nétanya out ? C’est fait depuis le vote, dimanche, de la Knesset. A part cet objectif cardial de virer le sortant, le cabinet de Naftali Benett n’est pas encore aux manettes mais déjà, chacun se demande quelles sont ses chances de durer. Faibles. A la Knesset, les députés du Likoud, de l’extrême droite et des partis ultraorthodoxes ont déclenché une tumultueuse bronca contre Naftali Bennett, qui a eu bien du mal à se tirer du pétrin. Netanyahou avait déjà connu une éclipse de dix ans dans l’opposition, à l’arrivée d’Ehoud Barak aux affaires (1999-2009). Mais, cette fois, il pourrait réaliser un »come-back express » puisque, comme son comparse Trump, il dispose encore d’une base populaire, un peu hystérique mais solide. Donc, l’appel d’air frais que génère l’alternance politique ne durera qu’un instant. un, deux, trois… hop, c’est fini !
Après douze années de guerre, d’autoritarisme et de scandale, Bibi, contraint de quitter son poste à contre-coeur, exhale une haine horrible à l’égard de son ancien allié et successeur, Benett, qu’il annonce bientôt descendre en flammes, à la première occasion. Là encore, on retrouve chez lui un peu de l’ex-furibard aux cheveux orange, qui régnait à la Maison Blanche. Sa conception très personnelle de la démocratie fait songer à la vision ‘’biblique’’ expansionniste qui lui tient lieu de ‘’droit international fait-maison’’. Le conflit en est l’essence de ce personnage. Le problème est que Benett partage, hélas, cette vision de la cause israélienne (mais pas le caractère extrême de son ex-mentor), que d’autres composantes de la coalition voient les choses autrement et que personne ne comprend ce que le Parti islamique israélien vient faire dans cette galère. C’est un peu comme si on voulait jouer la prochaine guerre israélo-arabe à l’intérieur du cabinet. Après tout, si cela devait permettre de ne pas guerroyer en terre palestinienne…
A moins que ce soit l’ennemi iranien et sa bombe en devenir qui constitue le seul et unique ciment de la classe politique israélienne – avec ou sans Bibi – le seul sujet sur lequel elle puisse avancer d’un même pas… le pas qui déclenche une attaque préventive. Hypothèse glaçante, qui horrifie ce blog. Pas vous ? Ouvertement hostiles à Joe Biden, les dirigeants de Jérusalem ne se laisseront pas retenir au bord du gouffre par la main prudente de l’Oncle Sam.
Si, le temps de mettre cet article en ligne, la situation au proche et au Moyen-Orient a soudain dégénéré, ne m’en veuillez pas ! J’aurai fait de mon mieux pour vous préparer à l’incroyable volatilité de cette zone de crise.
* 14 juin – Le bon climat du Sommet. Après la pandémie, la Chine (surtout, elle), la Russie, la démocratie, les engueulades intra-européennes sur le respect de la frontière de l’UE avec l’Irlande du Nord, le G7 s’est attelé à l’urgence climatique en conclusion du sommet de Carbis Bay. L’enjeu est primordial, mais, dans l’immédiat, il s’agit de rehausser le prestige du Royaume-Uni-hôte. Faute de gérer correctement les suites du Brexit, Boris Johnson tente de relever la tête en s’emparant d’un sujet conforme à l’option du ‘’grand large’’ dont il se réclame. Ainsi, son pays accueillera en novembre la conférence de suivi de l’ONU sur le Climat (COP26). Selon lui, il existe ‘’une relation directe entre la réduction des émissions, la restauration de la nature, la création d’emplois et la garantie d’une croissance économique à long terme ». On peut cependant s’interroger sur le type de croissance que promettent ses options ultra-libérales et sur l’aptitude des grandes entreprises mondiales à pratiquer la vertu d’un tel schéma vert. A l’initiative de Londres, le G7 devrait aussi plancher sur un plan mondial de création d’infrastructures, visant à relancer la croissance verte du ‘’Sud’’. Un grand programme d’investissement dans les énergies renouvelables et dans les technologies propres va être lancé. Ce projet se présente comme une réplique aux « Nouvelles routes de la soie », que Pékin tisse pour étendre son expansion économique mondiale. Emulation, concurrence ou clash en vue ?
Les chefs d’Etat ou de gouvernement des ‘’sept’’ affirment vouloir stopper le recul de la biodiversité d’ici 2030. L’objectif serait de protéger au moins 30% des terres et des mers. En l’état, c’est une ‘’idée’’, pas encore un plan. De son côté, Londres dévoile un fonds de 582 millions d’€uros, destiné à la préservation des océans et des écosystèmes marins dans le monde émergent. Le concert occidental va aussi réitérer son engagement à réduire de 50% les émissions de gaz à effet de serre, d’ici 2030, et à cesser, dès cette année, les aides publiques aux centrales à charbon. Ces mesures s’inscrivent dans l’objectif ancien de limiter l’augmentation des températures en dessous de 1,5°C, par rapport à l’ère préindustrielle. La question est toujours : ‘’cela suffira-t-il pour nous mettre à l’abri d’une perte de contrôle dévastatrice sur les dérèglements climatiques, qui menacerait progressivement de rendre impossible la vie sur Terre ?’’. La réponse est toujours : ‘’non’’.
Ces initiatives collectives – qui n’expriment que de louables intentions – fournissent au moins quelque matière aux médias. Mais l’élément saillant de cette semaine bien chargée restera la présence forte du président Biden, très actif à démontrer à quel point ‘’America is back’’ et qu’elle peut compter sur ses alliés. L’isolement caractéristique de l’ère Trump est terminé. Derrière la bonhommie de Joe Trump, chacun tentera de percevoir si l’heure est au leadership ou bien au partenariat. Emmanuel Macron s’y est essayé devant l’intéressé, tout sourire mais silencieux. Le ‘’Club des riches’’ se montre d’autant plus actif qu’il s’était mis en sourdine ce dernières années. Est-t-il pour autant réellement entreprenant ? Oui, si l’on en croit sa volonté de parler en ‘’directoire des démocraties occidentales (auquel le Japon est agrégé). En tout cas, le climat s’est installé dans la sphère des intérêts géostratégiques traités à 7, même si la réalisation de plans performants n‘est pas encore avérée. Les ONG n‘ont pas été entièrement convaincues par les annonces de résultats à venir, mirobolants mais par des approches ‘’molles’’. Elles manifestent, comme il se doit, leur scepticisme. Le bon climat du Sommet va-t-il nous porter au sommet du combat pour le climat ?.
* 11 juin 2021 – Honni soit qui Mali panse ! Avec l’annonce du démembrement de Barkhane, Emmanuel Macron lâche une tempête dans un ciel géostratégique chargé de déceptions et de menaces. Les 5100 combattants de l’opération française lancée en 2014, à la suite de Serval, quitteront bientôt leurs bases dans le nord du Mali. Ce n’est pas un abandon, puisque les populations locales ne veulent plus d’eux et que le gouverement de Bamako a renoncé à ses fonctions d’Etat dans cette vaste zone. La succession des coups d’Etat ou des »transitions » militaires, dans au moins deux des cinq Etats considérés, a rendu irréversible la coupure, ancienne, entre les capitales et les régions investies par les jihadistes. Sauf à revenir aux méthodes coloniales… et encore… le volet politique de la guerre en cours – celui qui touche à l’incarnation et à la mission des Etats auprès des Africains – est failli. C’est une première défaite face aux franchisés de Daech et d’Al Qaïda. Elle était annoncée, mais la politique locale ayant pris un tour destructeur, cela a précipité les choses. En creux, le président français reconnaît l’échec tout en dégageant sa responsabilité. Reste l’autre responsabilité, celle d’un engagement militaire asymétrique dans lequel s’enlise une armée occidentale. Il est évocateur du conflit afghan, où, face à la puissance américaine, les Talibans sont en passe de gagner la guerre. La France veut éviter de porter, seule, le poids d’une opération militaire certes vaillante mais qui s’éternise sans issue possible. Ce blog a souvent relevé qu’une fois perdues l’adhésion et la mobilisation des Africains eux-mêmes, l’intervention armée française perdait son sens et prenait l’aspect d’une occupation croisée. On y est.
Paris rebondit sur ce qui était la principale ambiguïté de l’opération Barkhane : combattre pour le Sahel ou pour protéger le flanc Sud de la France ? C’est la seconde option qui est retenue, même si l’on voit mal comment on pourrait délier les deux espaces stratégiques, dont l’un est le rempart de l’autre. Un nombre limité de soldats français va donc poursuivre les opérations jihadistes, mais sur la zone des trois frontières d’où des infiltrations se multiplient vers l’Afrique occidentale. C’est un pari et il n’est pas gagné d’avance. D’abord, parce que la propension des classes politiques à négocier voire à frayer avec les mouvements jihadistes pourrait rendre ce déploiement de forces spéciales tout aussi inopérant qu’au Mali. Un basculement d’opinion est possible dans le ressentiment qui pourrait s’aiguiser à l’égard d’une »France qui vous lâche ». C’est un paradoxe : trop présente ou trop absente, la France s’exposera à leurs yeux, puisqu’elle met en exergue la faiblesse des Etats africains. Cette amertume sera attisée par le choix assumé du président français de défendre l’Europe plutôt que les Africains. Le faire savoir n’était pas très habile et montrer du dépit, non plus.
Ensuite, c’est un défi lancé, soudainement, à nos alliés occidentaux, au moment où le président américain vient, en visite inaugurale, »choyer les Européens ». Biden, les partenaires européens de la France et l’OTAN se voient placés devant un dilemme : prendre le relais de Barkhane – sous conduite français des opérations – ou partager les fautes et les conséquences, dans une perspective de défaite. Ne pas réagir rendrait vaines les opérations de grande ampleur menées au Moyen-Orient depuis 2014, contre les centrales jihadistes. Mais qui souhaite vraiment tirer les conséquences de ce que le terrorisme moyen-oriental s’est transféré en Afrique ? Ce coup de semonce va rester en travers de la gorge de nos alliés. Ils font tous face à des électeurs qui ne veulent, pour rien au monde, que leur pays s’engage dans une croisade militaire aussi incertaine. La politique intérieure se cache dans tous les interstices de la politique extérieure. En ce sens, E. Macron fait aussi un pari sur son propre avenir.
*10 juin – Hello, Old Joe ! Bush était allé au Mexique, Trump en Arabie saoudite, Joe Biden choisit l’Europe pour la visite inaugurale de sa présidence. Il débarque au Royaume Uni avec son Irlande ancestrale à l’esprit, principale ‘’victime du Brexit’’ ; arrive sur le vieux continent avec des annonces vaccinales pour le monde émergent; parlera au cœur de l’OTAN avec le souci de ‘’souder’’ (sic) la solidarité occidentale face aux puissances totalitaires ; tournera dans le grand musée européen de la révolution industrielle avec une détermination inébranlable à refouler l’ambition hégémonique de la Chine. Ce dernier thème, le seul qui fasse l’objet d’un consensus au Congrès, pourrait marquer plus que tout autre cette première tournée à l’étranger, celle du ‘’retour de l’Amérique’’.‘’Mon voyage en Europe est l’occasion pour l’Amérique de mobiliser les démocraties du monde entier‘’. Après la période de grâce ouverte par son arrivée aux affaires, les Européens réajustent leur perception de ‘’Papy Joe’’ : la nouvelle administration ne va-t-elle pas ressortir le mantra du leadership mondial ? L’Union Européenne ne se retrouvera-t-elle pas, comme toujours, à jouer la partition du ‘’fidèle allié’’, alors que sa vocation devrait être celle d’un partenaire égalitaire ?
L’appétence de Joe pour les dossiers internationaux ne date pas d’hier. Il arrive avec des habitudes datant de sa vice-présidence sous Obama et, avant cela, de trois décennies de diplomatie au sein de la Commission des AE du Sénat. Au seuil de ‘’l’orgie de sommets’’ de huit jours qu’il entame, il connaît tout le monde, a une idée sur chacun et peut désormais exprimer ses préférences personnelles. Le programme est dense : G7 de vendredi à dimanche, Otan lundi, Etats-Unis /Union européenne, mardi. Il culminera sur un tête-à-tête avec Vladimir Poutine, mercredi à Genève, où il va devoir démontrer tout son punch sous peine de se retrouver en difficulté face à son congrès.L’autocrate russe est-il, de son côté, désireux d’une relation plus stable et plus prévisible avec Washington ?
Premier arrêt : Londres, pour un sommet bilatéral avec Boris Johnson, jeudi ; dimanche, la protocolaire et prestigieuse visite à la reine Elizabeth II. Peut-être sera-t-il plus facile de parler d’ouverture et de paix avec celle-ci qu’avec son inconséquent et peu scrupuleux premier ministre. De toute façon, Londres s’affichera comme la principale tête de pont des Etats Unis en matière de vitalité de l’Alliance atlantique. Après la rupture recherchée par Trump, les autres capitales sont rassurées de ce retour, mais aussi un rien appréhensives quant aux évolutions internes à plus long terme de la première puissance du monde, alors que les forces populistes ou suprémacistes y restent puissantes.
A Bruxelles Biden multipliera les rencontres bilatérales. Il aura des paroles d’hommage pour l’Union Européenne mais ira-t-il plus loin que ces douceurs oratoires pour encourager la parité entre Venus-UE et Mars-USA ? On va scruter son message de près. Quant à son message au G7 pour la ‘’périphérie’’ (‘’the rest of the world’’), Biden, qui se sait critiqué pour avoir tardé à partager ses vaccins contre le Covid-19, a annoncé une livraison massive de doses de vaccins, d’ici fin juin, au dispositif de partage Covax. Rendez-vous bientôt pour examiner ce qu’en pense Xi Jinping.
* 8 juin 2021. Commémorer les morts, oublier les vivants. Depuis février, en Algérie, les militants du mouvement du Hirak réoccupent la rue. Les dirigeants algériens répriment sans aucun état d’âme leurs manifestations non-violentes, à Alger comme en province.
La pandémie avait eu raison, pendant un an, des manifestations du Hirak, mais le désir de changement du monde politique a ressurgi. Plus encore que sous la présidence Bouteflika, il est réprimé brutalement. La police interdit tout rassemblement et les disperse sans ménagement dès qu’ils ont lieu. Les arrestations sont systématiques et le durcissement des autorités les amènent à traiter leur jeunesse de ‘’terroriste’’, du moins tous ceux qui, par leurs activités, colportent l’information. Des enseignants, des journalistes et des militants des droits humains sont poursuivis en justice (quelle justice !) où ils encourent de lourdes peines et même la peine capitale, sur la base de preuves fabriquées. A quelques jours des élections législatives, attendues le 12 juin, les collaborateurs du président Tebboun sombrent dans la paranoïa du pouvoir, percevant partout des ’’complot contre l’État’’, ourdis par ces manifestants pacifiques. Il s’agit de terroriser ces prétendus ‘’terroristes’’.
On ne critiquera jamais le devoir de mémoire dans lequel la France officielle s’engage – très précautionneusement – envers l’Algérie. La justice n’est jamais superflue dans le regard que jette l’Histoire sur leurs et nos disparus. Mais les jeunes algériens d’aujourd’hui, qui n’ont pas encore disparu, eux, mériteraient aussi que l’on crie ‘’Justice’’ pour eux, à Paris. Quel silence assourdissant !
* 7 juin -Pyrrhus et la Big money. Croiriez-vous que les plus puissantes entreprises du globe se convertissent à l’impôt, sous l’effet de la grâce divine ? Je veux dire payer leur dû à la société, là où leurs profits sont réalisés et non là où on les attire en les exonérant. Et bien, vos journaux, eux, y croient ! Ils jubilent en décrivant les ministres des finances du G7, réunis à Londres, se mettre d’accord sur un taux d’imposition minimal pour les multinationales. Ce seuil »doux » sur les sociétés serait de 15 %’’. Rien d’inquiétant pour Oncle Picsou : c’est la norme d’un paradis fiscal. On comprend que Wall Street et le CAC 40 ne sombrent pas dans une hystérie soudaine. Nos directeurs de conscience célèbrent pourtant un pas accompli dans le sens de la réforme ambitieuse de la fiscalité internationale engagée au sein de l’OCDE et qui stagnait depuis des lustres. La norme fiscale de 15%, tout en mansuétude, vise, en particulier, les grandes entreprises du numérique, souvent américaines, sans qu’il soit besoin de leur tordre le bras (mais qui en aurait la capacité ?). Celles-ci vont assurément rompre avec les pays où la fiscalité est de pur dumping. Converties en rédemption, vont-elles soumettre leurs monstrueux profits à l’impôt sévère ? Vont-ils remercier les gouvernements de leur conférer un rôle de probe citoyen au service de la communauté ? Le masochisme mène-t-il à la sainteté ?
Nos médias ne perdent pas de temps à y penser : c’est une belle ‘’avancée décisive’’, à l’horizon de la réunion du G20 en juillet, à Venise, où un accord ‘’plus concret’’ (on est donc dans l’abstraction) sera produit. Les ministres des Finances trouveront aussi une clé de répartition entre eux du magot. Une mafia ? Non. Alléluia, les milliards vont tomber sur nos têtes !
Ceci dit à leur décharge, on n‘est plus sous l’ère Trump. On prendra donc du plaisir à entendre la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, annoncer la fin de la course vers le bas de la fiscalité des entreprises. On va ‘’ apporter de la justice pour la classe moyenne et les travailleurs, aux Etats-Unis et à travers le monde’’. Formidable ! Evaporée la belle arrogance dominatrice du big business américain et son total mépris de l’Etat (‘’big government’’) et de tout ce qui le compose ? Il y aurait eu miracle, dû au départ chaotique de l’homme aux cheveux orange, le héros de la Bourse américaine ? La question peut également se poser en Europe. Supputons plutôt des grandes manœuvres de résistance dans les prochains mois, derrière une façade de fausse complaisante envers la régulation mondiale. Facebook assure, ainsi, avec sa bonne dose d’hypocrisie usuelle,‘’ vouloir que la réforme fiscale internationale réussisse, même si cela pourrait signifier que Facebook paye (un peu) plus d’impôts et dans différents endroits’’ Hommage soit rendu à la sincérité vertueuse de M. Zuckerberg !
En France, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, se persuade qu’on est sur la bonne voie. Londres aurait été ‘’une étape historique dans le combat contre l’évasion et l’optimisation fiscale’’. Ah, tiens : l’optimisation, aussi ? C’est un point intéressant à relever, mais il est loin de correspondre à l’attente universelle de ses pairs de l’OCDE. La version française du consensus de Londres serait celle d’un ‘’tremplin de combat pour que le taux d’imposition minimal soit réhaussé autant que possible’’. Voilà qui est loin d’un compte rendu de victoire, à peine un vœu pieux. Attac le confirme : ‘’le bénéfice attendu de cette mesure sera marginal. Un taux à 25 % « aurait constitué une avancée réelle’’. Sur un tel objectif, il ‘y a aucun accord en vue. Alors, le sommet de Venise accouchera-t-il d’une mauvaise nouvelle pour les paradis fiscaux ? GAFA, vas-tu capituler ? Zuckerberg, vas-tu rendre les sous que tu nous voles ? Arrêtons- là : vous avez perçu mes doutes.
* 4 juin 2021 – Boum, quand votre cœur (nucléaire) fait Boum ! L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a repéré des traces d’uranium enrichi sur trois sites non déclarés par l’Iran. Dans un récent rapport, elle documente des irrégularités anciennes mais aussi des nouvelles, de la part des responsables du programme nucléaire iranien. Elle dénonce surtout le refus de Téhéran de s’en expliquer, les transgressions commises dans ce pays relevant toujours du pouvoir suprême religieux (le Guide Khamenei) et de la surenchère guerrière pratiquée par les gardiens de la Révolution, mal contrôlés mais toujours protégés. A ces constantes du climat politique iranien se greffe la perspective proche d’une élection présidentielle, dont il est acquis par avance qu’elle sera remportée par les faucons du régime (le favori déclaré par le Conseil des gardiens étant le sinistre grand patron de la procurature).
A l’extérieur, l’objectif des mollahs est de tester la résistance de la nouvelle administration américaine, de retour dans le jeu des négociations 6+1, sinon encore dans l’accord de règlement nucléaire dénoncé par D. Trump, en 2018. la puissance dominante du Chiisme tire donc sur la ficelle, en accumulant les petites provocations, sans rompre définitivement un dialogue de forme agressive : tout un jeu au bord du précipice.
.Pourtant, le nucléaire iranien inquiète de plus en plus. Le pays a accumulé une quantité d’uranium faiblement ou moyennement enrichi seize fois supérieure au plafond assigné par l’accord de 2015 : 3.241 kilos – contre une limite fixée à 202,8 kilos. Et l’AIEA n’a pu vérifier les évolutions récentes de ce stock, du fait des restrictions d’accès aux sites que lui impose Téhéran. Plus grave, l’Agence a établi l’existence de plusieurs centres d’enrichissement non-déclarés, susceptibles de faire bondir cette masse critique, tant en quantité qu’en degré de concentration. L’extrapolation est l’acquisition d’un combustible fissile de qualité militaire pouvant armer une série de bombes atomiques. Il faut sonner l’alerte.
Cette obstination iranienne à dissimuler les installations nucléaires prend à contre l’opposition qu’avait exprimée la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, à Vienne, à un projet de résolution américain prônant des ‘’contre-mesures’’. Les Européens pensaient alors que Téhéran cherchait encore un compromis diplomatique et ils avaient préféré missionner le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, pour de nouvelles discussions de bonne foi avec Téhéran. Les illusions sont tombées et, du côté iranien, il n’y a plus aucun signe de bonne foi, encore moins d’une acceptation d’élargissement de l’agenda nucléaire à d’autres chapitres, comme l’arsenal balistique ou les menées intrusives des Pasdaran à travers le Proche-Orient.
L’impasse est un peu vexante : on n’en parle pas trop et, en gros, on attend l’issue de l’élection présidentielle. Ceci n’empêchera pas d’introduire à distance quelques virus informatiques dans la chaine de prolifération iranienne. Téhéran prend, en retour, des résidents occidentaux en otages (vrais espions ou malchanceux voyageurs ?).
Est-on en passe d’oublier que l’enjeu n’est pas seulement l’accession de l’Iran au statut de puissance nucléaire, ce, par la fraude (en violant ses obligations au titre du traité de Non-prolifération de 1969) ? L’enjeu à terme serait la nucléarisation consécutive d’une demi-douzaine d’autres puissances moyen-orientales, qui feront tout pour casser ce monopole. Israël serait très capable d’attaquer la première l’Iran, préventivement, et de s’engager dans un duel nucléaire à mort. Sans aucun doute, l’Arabie saoudite se mettrait en capacité de répliquer à l’Iran et les Emirats la suivraient, provocant une contre-réaction du Qatar. La Turquie rétablirait son hégémonie régionale via une dissuasion imposée par sa propre bombe. L’Egypte lui emboiterait le pas pour lui contester cet avantage indu et se tournerait sans doute vers les ramifications pakistanaises de la »prolifération en supermarché », un défi vital pour l’Inde, provoquant un effet d’entrainement mortifère sur la Chine ce qui (mobiliserait, comme suite logique, les Etats Unis, déjà impliqués dans la défense d’Israël avec, en face d’eux, la Russie, etc. …). Où pourrait-on situer le petit arsenal français dans ce grand château de cartes ? Sacré feu d’artifice, M. l’Ayatollah, dont Darius n‘aurait jamais rêvé en son temps !
*4 juin 2021 – Bibi, c’est fini ? La coalition hétéroclite ‘’carpe-lapin’’ était remontée ‘’à bloc’’ contre le Premier ministre israélien sortant. Ses chefs de file ont fait le forcing, parvenant à un accord de gouvernement. au terme d’une journée de folie. La gauche, le centre et une partie de la droite dure ont finalement réussi à former une coalition, avant que ne sonne le gong d’un possible retour aux urnes, le cinquième sous la mandature en cours. Transformer l’essai impliquerait que la Knesset valide, sous dix jours, un gouvernement issu de ce conglomérat atypique, à la limite des normes de fonctionnement des institutions d’Israël. Le seul objectif commun à tous ces prétendants au pouvoir est de congédier Benjamin Netanyahou et son Likoud, qu’ils honnissent, et de réaliser leur slogan ‘’tout sauf Bibi’’.
Curieux spectacle que celui de Naftali Bennett, l’intégriste religieux, dur des durs, champion du pouvoir des colons et prétendant autodéclaré à la direction d’une future coalition, écoutant tout sourire le libéral et laïque Yaïr Lapid, ancien allié de Natanyahou, devenu aujourd’hui son plus sévère censeur. La présence des Travaillistes dans cette entreprise baroque pose question : sont-ils résignés à jouer les utilités aux dépens de leurs propres convictions ? Bien que mandaté pour la former, Lapid ne conduira pas l’alternance partisane. Partisane et on pas politique, car sur la question vitale de la cohabitation avec les Palestiniens, il n’y aurait pas l’épaisseur d’un papier à cigarette entre les obsessions du sortant et celles de son successeur présumé. Toute l’énergie et la fureur se sont concentrées sur la seule personnalité – sulfureuse et polémique – de Netanyahou. Beaucoup estiment que ses douze années à la tête du pays, marquées par une suite de guerres et de scandales de corruption, cela suffit. Mais l’opinion pro-Bibi reste forte et elle n’a pas encore désarmée. La défaite de Trump aux Etats-Unis n’a pas provoqué pas mécaniquement celle de Netanyahou en Israël, mais elle a privé celui-ci de son principal soutien. Aujourd’hui, l’administration démocrate se cantonne dans une prudente neutralité à l’égard de ce terrible »sac de nœuds » que constitue la politique intérieure israélienne. La règle de la proportionnelle quasi-intégrale achève d’y produire des assemblages contradictoires de partis morcelés et adverse, sans programmes.
Bennett serait donc premier ministre pendant deux ans, avant de céder so poste à Lapind. Contre toute vraisemblance, Yesh Atid, le parti de ce dernier et le parti centriste Kahol Lavan (Bleu et Blanc) de Benny Gantz se seraient mis d’accord sur les grands axes politiques de leur futur gouvernement, notamment sur le renforcement de la démocratie dans la société israélienne. Gantz garderait même le portefeuille de la Défense dans le nouveau cabinet. Faut-il vraiment y croire ? Ces tractations se doublent d’autres, plus surréalistes encore, avec les travaillistes du Meretz ainsi qu’avec le parti nationaliste Yisrael Beitenu d’Avigdor Lieberman, si célèbre pour ses orientations guerrières et intégristes. Tout est réuni pour faire exploser en vol la composante juive de cette étrange coalition !
De son côté, la Liste arabe unie hésite à rejoindre ce »bloc » largement anti-arabe mais veut encor moins se marginaliser au sein de l’arène politique. Elle a décidé, pour l’heure, de rejoindre la coalition, ce qui constituerait une première incroyable : l’arrivée au gouvernement d’Israël d’une formation musulmane (islamiste) indépendante. L’embrouille politique (‘’combinazione’’, en langue italienne) dégagera-t-elle, malgré tout, une majorité viable ? Plutôt prédire que le blocage n’est pas loin. La question des colons et des discriminations opérées, selon la communauté d’appartenance, dans l’accès à la construction d’habitats devrait être la première posée par les députés musulmans. Les positions sur ce problème se sont durcies de toutes parts. Le changement d’ère et d’air politique n’est pas gagné et ‘’Bibi’’, à la tête du premier parti en nombre de sièges (le Likoud), n’est pas aussi électoralement fini que le clament ses ennemis. Chaque opération militaire conforte son aura malgré ses piteuses tribulations judiciaires. N’attendons aucun beau miracle : le débat partisan se fiche royalement de l’intérêt général !
* 2 juin 2021 – Quelque chose de pourri au Royaume du Danemark. Le Danemark figure régulièrement en haut du palmarès des pays honnêtes et fiables. C’est surement justifié concernant les sujets de ce petit royaume, membre de l’UE. Mais certains des Danois, qui détiennent le contrôle des infrastructures, peuvent s’avérer plus laxistes, voire carrément vendus. Ils ont en tout cas laissé l’agence américaine de sécurité nationale (NSA) infiltrer leurs réseaux aux fins d’espionner sans vergogne plusieurs dirigeants européens, dont la chancelière Angela Merkel.
Grâce à la collaboration des services de renseignement militaire danois, la NSA s’est directement branchée aux têtes de câble des télécommunications. Depuis ces points de haute concentration des données privées, elle espionnait ses ‘’cibles’’ politiques, en Allemagne, en Suède, en Norvège, en France… sans doute ailleurs aussi. Les médias danois, à commencer par la télévision publique, ont découvert le pot aux roses en mettant la main sur un rapport interne de leurs services secret intitulé ‘’ Opération Dunhammer’’. Ils se sont taillé le beau rôle en lançant l’alerte, dans le droit fil de l’affaire Snowden – et ont été repris, telle une trainée de poudre, par leurs confrères européens. Les faits remontent à l’époque de l’administration Obama et ils étaient connus depuis juin 2013. Washington les assumait assez cyniquement tout en éprouvant quelque gêne de leurs effets collatéraux sur des nationaux étasuniens innocents, associés aux cibles européennes. A l’époque, la filière danoise n’avait pas été suspectée. A vrai dire tout n’est pas encore clarifié. Et Copenhague, sommée de s’expliquer, ne pipe pas…
Ne pas être Américain ne signifie pas devoir être impunément dépouillé de tous ses droits et à son insu. Le Quai l’a rappelé en des termes fort polissés. Pourtant, c’est surtout la duplicité des gestionnaires danois qui énerve : ‘’ (l’espionnage politique) , ce n’est pas acceptable entre alliés, encore moins entre alliés et partenaires européens ‘’, a martelé E.Macron, en marge d’un conseil des ministres franco-allemand. Angela Merkel a renchéri. Une enquête sera conduite, dont on se doute bien qu’elle ne débouchera sur rien d’autre que le constat usuel de lamentable servilité à l’égard des Etats Unis et peut-être, d’un brin d’Europhobie légère. On retrouve là l’éternelle faille géopolitique entre Européens. Il y aura ensuite quelques mots durs, mais pas beaucoup… et rien d’autre, car personne ne souhaite déclencher des cycles de rancune et de rétorsion au sein de la famille européenne. Celle-ci tire déjà à hue et à dia. On marchera donc sur des œufs, de crainte d’en faire un Hamlet.
* 1er juin – Floraison des Libertés. Les libertés, petites ou grandes, sont toutes également chéries. Comme les Sabine d’Alphonse Allais, les Miss Liberté fleurissent au printemps, sous la forme de statues. Merci Bartholdi, Viollet-le-Duc, les ateliers Eiffel ! Elles seront toutes accueillies avec émotion. Justement, grâce à la complicité de Philippe Etienne, notre ambassadeur à Washington DC, une jumelle de la Miss d’Ellis Island – de taille nettement plus petite – débarquera à New-York, le 4 juillet, en provenance du Havre, pour célébrer la fête nationale yankee. Prêt de la France, elle sera exposée pendant dix ans sur la petite colline de Georgetown où nos vaillants diplomates entretiennent de leur mieux l’alliance scellée entre Louis XVI et Washington. Pendant quelques jours, les deux ‘’Liberté’’ – celle de 93 mètres et celle de trois mètres de haut – se côtoieront à Ellis, l’ancienne baissant sa torche sur ses pieds pour apercevoir sa toute nouvelle et minuscule petite sœur. Coincée à Paris, la sœurette de l’Ile aux Cygnes, va bouder, c’est certain !
Grâce à la collaboration des services de renseignement militaire danois, la NSA s’est directement branchée aux têtes de câble des réseaux. Depuis ces points de haute concentration des données privées, elle espionnait ses ‘’cibles’’ politiques, en Allemagne, en Suède, en Norvège, en France…sans doute ailleurs aussi. Les médias danois, à commencer par la télévision publique, ont découvert le pot aux roses en mettant la main sur un rapport interne de leurs services secret intitulé ‘’ Opération Dunhammer’’. Ils se sont taillé le beau rôle comme lanceurs d’alerte, dans le droit fil de l’affaire Snowden – et ont été repris, telle, une trainée de poudre, par leurs confrères européens. Les faits remontent pourtant à l’époque de l’administration Obama et ils étaient connus depuis juin 2013. Washington assumait assez cyniquement ses intrusions, tout en éprouvant quelque gêne des effets collatéraux sur des nationaux étasuniens, innocents mais associés aux cibles européennes. A l’époque, la filière danoise n’avait pas été suspectée. A vrai dire tout n’est pas encore clarifié. Et Copenhague, priée de s’expliquer, ne pipe pas…
Ne pas être Américain ne signifie pas devoir se laisser dépouiller impunément dépouillé de tous ses droits, et à son insu. Le Quai l’a rappelé en termes fort polissés. Pourtant, c’est surtout la duplicité des gestionnaires danois qui énerve : ‘’ (l’espionnage politique) , ce n’est pas acceptable entre alliés, encore moins entre alliés et partenaires européens ‘’, a martelé E.Macron, en marge d’un conseil des ministres franco-allemand. Angela Merkel a renchéri. Une enquête sera conduite, dont on se doute bien qu’elle ne débouchera sur rien d’autre que le constat usuel de servilité lamentable à l’égard des Etats Uni. Sans oublier peut-être une dose d’Europhobie légère. On retrouve là l’éternelle faille géopolitique de l’Europe. Il y aura par la suite quelques mots durs, mais pas beaucoup… et rien d’autre, car personne ne souhaite déclencher des cycles de défie et de rétorsion au sein de la famille européenne, laquelle tire déjà à hue et à dia. On marchera donc sur des œufs, de crainte d’en faire un Hamlet.
* 31 mai – Retenez-moi ou Je m’en vais ! Voilà le message adressé aux dirigeants de la Cédéao. Ils étaient réunis au Ghana pour tirer les conséquences du deuxième coup d’État perpétré au Mali en moins d’un an. Plus que la relative sévérité manifestée, par ses pairs, au colonel Goïta, on retiendra ce ‘’Je’’ très monarchique d’Emmanuel Macron, prononcé à distance par le truchement du Journal du dimanche. Tout va mal au Mali, c’est certain. Depuis la dernière réunion du G 5 consacrée à la ‘’résurrection’’ des Etats du Sahel dans le rôle qu’ils ont déserté au service de la paix civile, trois coups d’Etat et une régression des institutions étatiques quasi-générale laissent ‘’Je’’ (Jupiter) désarmé et furieux. ‘’Je’’ va-t-il rappeler la force Barkhane ? La colère de ‘’Je’’ constitue-t-elle le nouveau cap de la politique étrangère de la France en Afrique ?
Ce qui frappe au premier chef, c’est le pessimisme du maître des horloges diplomatiques. Le coup d’Etat dans le coup d’Etat à Bamako est ‘’inadmissible’’, celai va de soi. ‘’Il y a aujourd’hui cette »tentation » au Mali ‘’ : il aura fallu huit ans pour constater la propension des populations à pencher plutôt du côté de leurs traditions culturelles et religieuses que du côté du sauveur blanc étranger, qui débarque avec son arsenal et son mode de pensée exogène. Combien de temps faudra-t-il encore pour arriver à un constat ‘’à l’afghane’’ ? Alors qu’une défaite annoncée à Kaboul resterait dans les confins septentrionaux de l’Asie du Sud, ce qui est déjà très grave, ‘’perdre le Sahel’’ serait par comparaison synonyme d’un basculement géopolitique bien plus dramatique : celui de l’ensemble sub-saharien – une cinquantaine d’Etats fragiles, un pôle démographique de l’ampleur du monde chinois. Le Maghreb, déjà affecté, n‘y résisterait sans doute pas. La rive nord de la Méditerranée deviendrait alors ligne de front. Qui n’éprouverait pas un certain vertige devant une telle perspective ?
E. Macron ne s’y réfère qu’indirectement, à peine implicitement. Pourtant le déferlement jihadiste, favorisé par une préférence (illusoire) des populations pour la soumission pacifique à l’Islam politique, ne peut qu’alimenter sa crainte de voir la France partager une défaite majeure devant l’Histoire (et aussi devant l’électorat de la prochaine présidentielle). A l’évidence, le président français bluffe, quand il menace de retirer les 5100 militaires de Barkhane, quand bien même ce retrait est hautement recherché, mais dans des circonstances plus favorables. Comme toujours l’Histoire est traîtresse, même à l’égard de ‘’Je’’ Il n’existe pas de plan B honorable, pour l’heure. Pousser les feux de l’aide au développement et « investir massivement » dans un plan Marshall » pour l’Afrique sub-sahélienne, l’idée n’est pas nouvelle ni très efficace sans gouvernance digne de ce nom. Elle sert surtout à mettre la trop fameuse (et inconsistante) ‘’communauté internationale’’ devant sa part de responsabilité… et de culpabilité. Souvenons-nous comme elle avait fui le Rwanda a l’heure du génocide ! Mettre la pression sur les prétoriens qui se déchirent à Bamako : tout le monde le fait, ça ne coûte rien et ça ne changera pas grand-chose non plus. Mettre au défi le G 5 d’opérer militairement sans ses appuis français : autant renoncer à tout plan B. Secouer les dirigeants de la CEDEAO : il faudra du temps pour qu’ils intègrent une vision géopolitique de la menace pesant sur leur région. Ils ne raisonnent pas en ces termes-là. Finalement, la cible imparable des critiques macroniennes ce sont les populations du Sahel elles-mêmes, lorsqu’il dénonce leur ‘’tentation’’ de céder aux islamistes radicaux et d’accepter une contagion à l’échelle continentale. C’est à la fois cyniquement réaliste et très inquiétant pour la suite du conflit. En clair : si les Africains tiennent à ‘’se suicider’’, qui sont les Français pour les en empêcher ? Ce type de propos, plutôt malheureux, fait écho à une autre ‘’tentation’’, du côté français, celle-là : désengager sa responsabilité en invoquant celle des autres, pour le cas où la situation sur le terrain passerait de ‘’mauvaise’’ à ‘’irrémédiable’’.
* 29 mai – Il court le virus : qui l’a lâché ? Le président des Etats-Unis a appelé les services de renseignement de son pays à enquêter plus avant sur un possible accident de laboratoire à Wuhan, qui aurait été potentiellement la cause de l’apparition du Covid 19. Il a déploré l’absence de coopération et de transparence de la Chine sur le sujet. Les autorités chinoises s’étranglent d’indignation. Elles voulaient croire cette hypothèse balayée par la communauté scientifique et avaient tout fait pour que celle-ci enterre, une bonne fois pour toute, ce scénario qu’elles jugent infamant.
A la mi-mai, pourtant, une quinzaine d’experts ont publié l’évaluation suivante, dans une tribune dans la revue Science : ‘’Nous avons besoin de plus de recherches pour déterminer l’origine de la pandémie … les théories d’une origine animale ou accidentelle en laboratoire restent toutes les deux plausibles … mais on ne leur a pas été apporté une attention égale’’. Bénéficiant d’une fuite des services secrets, le Wall Street Journal affirmait, tout récemment, que trois chercheurs de l’Institut de virologie de Wuhan avaient été hospitalisés, ce, dès novembre 2019, avec des symptômes évocateurs du Covid-19 autant que d’une infection saisonnière.
Le Waijiaobu (Mae) chinois a beau rejeter ces informations ‘’totalement fausses et politisées’’ comme un sombre complot de la CIA et renvoyer aux conclusions aseptisées dressées, en mars, par le rapport conjoint de ses experts et ceux de l’OMS, Pékin se trouve à nouveau sur la défensive. Les dirigeants chinois récusent de façon répétitive la possibilité d’une erreur de manipulation dans leurs laboratoires de virologie. Ils, ne veulent voir, dans la suspicion des Occidentaux, qu’un stratagème pour détourner l’attention de leurs propres échecs à juguler la crise sanitaire. Leur exigence d’une ‘’étude complète sur tous les premiers cas de Covid-19 trouvés de par le monde et sur »certaines bases secrètes et laboratoires biologiques » à l’étranger’’ vise à ‘’diluer la sauce’’ à l’infini et à y noyer le poisson. De fait, l’apparition des premiers cas recensés de Covid-19 remonte à l’automne 2019 et se situe dans la métropole de Wuhan. La pandémie qui s’en est suivie a affecté près de 3,5 millions de personnes. Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’OMS, peu suspect de sinophobie, a fini par réclamer une nouvelle enquête sur l’hypothèse d’une fuite en laboratoire. La santé est un sujet politiquement hyper-sensible. Finira-t-on par se faire la guerre pour prouver que le virus est mieux maîtrisé ici que là-bas ?
* 28 mai – Réconciliation millimétrée. En Afrique, la France s’agrippe au hard power militaire face à son présent (la vague jihadiste qui progresse vers l’Atlantique et la Méditerranée) mais elle s’essaie aussi au soft power, pour soigner les plaies de son passé. Avec un certain succès, elle s’est prêtée, avec le Rwanda, à un exercice d’introspection et de dépassement de ses erreurs – et sans doute de ses fautes – à propos su génocide Tutsi de 1994.
Le scénario a été conçu par le président rwandais, Paul Kagame. Lors d’une conférence de presse commune au palais présidentiel de Kigali, Emmanuel Macron a admis la « responsabilité accablante » de son pays dans ce drame humain, sans pour autant formuler les excuses attendues par beaucoup. Ceci marque, de façon positive, la fin d’un déni français qui entravait la marge d’action et de crédibilité de la politique africaine de Paris et reflétait une bonne dose d’archaïsme dans la façon dont celle-ci avait été conçue. Mais, loin d’être un ‘’coup de maître français », ces aveux effectués sans demande de pardon tracent un parcours borné et imposé par l’homme fort de Kigali. La France l’a négocié à l’initiative de celui-ci et c’est pour cette raison que Kagamé s’en dit pleinement satisfait. Il n’y aura eu aucune place pour l’improvisation ou pour la spontanéité des émotions : c’était un acte diplomatique longuement mûri. Et c’est pour cela que cette contrition bien mini métrée peut faire avancer les choses. Pour la même raison, Kigali va laisser Paris simuler en avoir pris l’initiative et avoir agi en totale souveraineté. Qu’importe !
« La France n’est pas complice, mais elle a un rôle », a déclaré le premier des Français, en reconnaissant ‘’ la part de souffrance infligée au peuple rwandais … pour avoir trop longtemps fait prévaloir le silence sur l’examen de vérité. » La reconnaissance de responsabilité est la seule démarche significative en droit, avec l’extinction de l’incrimination de complicité de crime contre l’humanité. Une fois effectuée, elle expose bien sûr à des demandes de réparation. On peut supposer que cet aspect des choses a été réglé auparavant, au cours du grand marchandage diplomatique, et que des engagements ont été pris pour que des demandes reconventionnelles n‘aillent pas trop loin et ne mettent pas en péril l’édifice de la réconciliation.
Les excuses non-prononcées n’y auraient pas changé grand-chose. On navigue là sur l’océan des sentiments et de la communication pure. C’est une perception des choses qui est cependant d’une importance majeure, pour le vécu des populations, à la fois du côté des victimes et de celui de l’Etat responsable. Ce sera plus facile de gérer toutes ces émotions et la suite des indignations populaires après s’être entendus entre gouvernements. Une certaine vigilance restera de mise à l’égard des médias, surtout ceux de sensibilité nationaliste (va-t-en-guerre ?), en France comme au Rwanda. Le thème du génocide est trop sensible pour que les expressions échappent à la tentation d’en faire une machine à scandale et un buzz.
En amont, une révision de la vision des actes passés a été rendue possible par les différents rapports d’historiens français et rwandais, qui ont préparé le terrain. Ces documents constituent typiquement un mode de cheminement du soft power, entre œuvre de justice et tractations non-violentes pré-diplomatiques. Ainsi, du côté français, le rapport Duclert a fourni la clé d’une sortie de contentieux en oblitérant le grave soupçon d’une complicité dans le génocide, pour y substituer le constat de « lourdes responsabilités » de la France. Les armées françaises ne sont donc plus spécifiquement montrées du doigt (et pourtant…) et tenues redevables des exactions commises. L’aboutissement de ce schéma d’ensemble va pouvoir être l’échange d’ambassadeurs et la reprise de la coopération bilatérale.
La solution trouvée est autrement plus intelligente que la polémique agressive et les mesures de représailles (hard power civil). Pour autant, une lecture angélique de cette normalisation des relations entre Paris et Kigali, en imaginant qu’elle procèderait de pieux sentiments, serait légèrement naïve, voire ridicule. Il est intéressant de noter que la France s’est fait entrainer dans un mode diplomatique plus moderne et plus réaliste que sa pratique habituelle, par un petit Etat du tiers-monde. Et qui plus est, par un gouvernement qui est loin d’être un modèle de l’Etat de droit et du respect des normes humanitaires internationales. 15 A, jeu égal !
* 27 mai – Comment se débarrasser de la torture ? C’est une flétrissure sur le front d’une Amérique censée être ‘’civilisée’’ et sur celui de quelques uns de ses alliés. Guantanamo, tel est l’archétype du lieu fermé et secret, échappant à toutes les règles du droit et de la morale. Il y a eu d’autres sites similaires ‘’anti-humains’’, consacrés à la torture et à l’usure des corps et des âmes. Certains de leurs détenus, suspects d’islamisme ou de terrorisme, jamais jugés, ne sortent jamais non plus. Trois pays d’Europe de l’Est et plusieurs pays d’Islam en ont abrité sur leurs territoires, sous l’égide de la CIA. Le plus emblématique et le plus durable reste Guantanamo, planqué dans son enclave portuaire sur la côte de Cuba, où aucun visiteur ne peut se présenter sans être dûment autorisé.
C’est peu dire que cet enfer sur terre ne met pas à l’aise l’administration américaine entrante, qui se réclame, bien plus que la précédente, d’une exigence en matière de droits humains. La libération – pour motif de santé – de trois prisonniers arrêtés entre 2001 et 2003 rouvre le débat quant à une fermeture définitive du centre. Que faire alors des quelque 40 prisonnier qui y croupissent en tenue orange ? Douze d’entre eux sont soupçonnés de crimes de guerre, dont Khalid Sheikh Mohammed, le cerveau présumé des attentats du 11-Septembre. Dix-neuf autres seraient ‘’trop dangereux pour être incarcérés à l’étranger’’. Joe Biden aimerait bien tourner cette page sinistre de la politique extérieure de son pays, mais, même pour un président américain, ce n’est pas si facile que cela.
Les États-Unis procèdent à leur retrait d’Afghanistan qui devra s’achever le jour du 20e anniversaire du 11-septembre 2001. Les attentats de New York et de Washington mènent tout droit à l’invasion de l’Afghanistan et à la mise en œuvre des ‘’recettes’’ de Guantanamo. C’est le pire contexte de politique intérieure qui soit pour adopter des mesures de clémence et, simplement, de modération. Au nom des symboles, ‘’Joe le mou’’ est certain de se faire brocarder par les ‘’patriotes’’ écervelés du Congrès et des médias. Bien sûr, la mouvance progressiste réclame à hauts cris la liquidation du lieu maudit. Vingt- quatre sénateurs, essentiellement des Démocrates, lui ont ainsi adressé un message fustigeant Guantanamo comme “un symbole d’injustice et de violations des droits de l’Homme” qu’il convient d’effacer le plus tôt possible. Mais vingt-quatre élus ne constituent pas une majorité au Congrès.
Joe Biden était déjà vice-président, en janvier 2009, lorsqu’ Obama avait ordonné la fermeture du camp. L’idée était alors de faire juger les prisonniers chez eux ou aux Etats Unis, par des tribunaux civils. Pourtant certains retours de prisonniers vers leur Etat d’origine, notamment le Yémen, sont devenus impossibles, alors qu’une proportion majeure des prisonniers sont originaires de ce pays en guerre. Au plan intérieur, le transfert d’affaires conduites dans le secret et la violence, vers des juridictions civiles, territoriales et légales, n’est pas facilement validable en droit et peut se conclure par la condamnation des tortionnaires. Quoi qu’il en soit, le projet, très impopulaire, a été rejeté par le Congrès à majorité républicaine. Tout s’est figé sous Trump. Bonne chance, Joe ! On n’aimerait pas trop être à ta place.
* 26 mai – De putsch en putsch. N’avez-vous pas l’impression que l’Afrique est en passe de s’abandonner à une ruée jihado-bandito-tribaliste, qui emporte tout sur son passage y compris la soumission des peuples ? En termes strictement synonymes, le continent noir n’est-il pas »gouverné » ou seulement pillé par des professionnels du pouvoir presqu’aussi toxiques que la vague qui déferle sur eux ? A bien considérer la suite de putschs au Mali – mais aussi au Niger et au Tchad, voisins – on devine des armées française et européennes bientôt vaincues dans la grande région du Sahel, moins par les armes adverses que par l’absence d’alliés politiques locaux qui puissent faire la liaison avec les peuples en suscitant chez ceux-ci un sursaut citoyen. L’Afrique subsaharienne n’aurait-elle aucun réflexe de défense, seulement des querelles picrocholines de pouvoir ?
Un coup d’Etat au sein d’un coup d’Etat (formule d’E. Macron, au Conseil européen), qui succède à l’autocratie d’un putschiste, qui, tout comme ses pairs, truquait régulièrement les élections avec la complicité de tous les organes de l’Etat. Et vous pouvez remonter de même jusqu’à l’indépendance. Les putschistes auto-installés pour une transition à laquelle personne ne croit vont nuitamment éliminer leurs camarades co-putschistes pour se hisser à nouveau aux affaires et à l’argent. Voici une description à peine forcée des évènements récents au Mali et au sein du G 5, qui est censé prendre le relai de l’opération Barkhane. Ces parodies tristes de vie politique, se résumant à une prédation pure, sont entretenues au sein d’un mouchoir de poche social, par les mêmes prétoriens et hauts fonctionnaires issus des mêmes familles et des mêmes circuits clientélistes ou tribaux. Trop peu de citoyens africains voient clair et cherchent à agir face à cette stratégie de mort lente (pas si lente) et leur absence de discernement vaut une forme de collaboration avec l’ennemi. Franchement, cet état des lieux est du gâteau pour toutes les franchises d’Al Qaïda ou de Daech qui travaillent à faire de ce grand continent une forteresse mondiale de l’islamo-banditisme. Les militaires français se sentent seuls et surtout sans cause porteuse à défendre auprès des populations qu’ils sont censés protéger mais qui restent étanches à toute considération géopolitique, voulant seulement qu’on cesse de tourner autour d’elles.
Au lendemain du plus récent coup de force des militaires maliens, le colonel Assimi Goïta affirme avoir dû ‘’placer hors de leurs prérogatives’’ le président intérimaire non-élu, Bah Ndaw, et le Premier ministre aux ordres, Moctar Ouane. Et alors, hormis ce langage bureaucratico-fleuri, ça va changer quelque chose ? Non. D’ailleurs, les appels ‘’citoyens’’ à se rassembler à Bamako pour protester n’ont trouvé aucun écho. Les militaires, qu’une foule un peu simplette avait accueillis avec enthousiasme, se voient, ces jours derniers, exposés au soupçon d’avoir trop pris goût au pouvoir. Rien ne change, décidemment ! On nous parle d’’’intenses activités diplomatiques’’ autour d’un Mali, plongé dans son inextricable crise et de la venue prochaine du médiateur des États ouest-africains, Goodluck Jonathan. Certes ! Un jour prochain, la crise du Mali s’éteindra d’elle-même, car il ‘y aura plus de Mali (déjà aux deux tiers dissous hors du contrôle de sa capitale) mais juste un ‘’grand Sahel islamique’’ et une ligne de défense européenne repliée sur la Méditerranée. Déprimant !
* 25 mai. Piraterie en Baltique. Vous êtes tranquillement à bord de l’avion qui vous emmène, en villégiature, d’une capitale méditerranéenne à une capitale balte de l’Union européenne. Dernières minutes du voyage : la descente vient d’être entamée vers l’aéroport de Vilnius (Lituanie) ,qui en principe vous accueillera dans dix minutes… Et bien non ! Un petit groupe d’Igor déclenche une agitation dans l’allée tribord. Il repousse les hôtesses et éructe un mot slave qui doit vouloir dire ‘’bombe !’’. Les énergumènes sont violents et l’équipage doit encaisser des coups. Pour ajouter au pic d’angoisse soudain, un chasseur Mig 29 apparait à quelques mètres des hublots, côté bâbord. Votre avion vire au sud-est. Le commandant de bord bafouille des excuses confuses : ‘’atterrir à Minsk (c’est où, ça ?)… évacuer le bord … procéder à une fouille des bagages … se soumettre aux ordres des autorités biélorusses (Ah, c’est donc dans l’enclave stalinienne qu’on va être otage !) … délais et désagrément inévitables … Vous imaginez l’ambiance. Vous êtes donc victime d’un acte de piraterie, tel que défini par le droit. Celui-ci vous permet de pendre les pirates qui vous agressent, mais, dans la pratique, on n’y arrive jamais.
Vos bagages sont fouillés devant vous et projetés aux quatre coins du hall d’aéroport. Si, par malheur, il y avait eu une bombe cachée dans une valise, la totalité des passagers et des flics patibulaires regroupés autour des bagages aurait explosée en une boule de chaleur et lumière. Mais, aucune bombe, bien sûr, et d’ailleurs l’aéroport de Minsk, pressé de se débarrasser de vous, l’avait reconnu un peu trop tôt, alors que la fouille battait son plein. Alors, quoi ? Si : les Igor mettent la main au collet d’un jeune couple d’allure sympathique et emmènent les deux passagers on ne saura jamais où. Lui est journaliste sur le web, elle, termine ses études supérieures. Ils sont biélorusses (les pauvres…), basés en Pologne, et pour leur malheur ils restent les sujets d’une dictature européenne caricaturale, qui détient, au sein du Continent, le monopole des exécutions capitales. Au quotidien, elle assassine ou fait disparaître comme ‘’terroriste’’ tout sujet coupable de s’être exprimé contre le gouvernement par la terreur de M. Loukachenko.
Sous la protection de V. Poutine, Big Brother est bien installé à Minsk, à quelques centaines de kilomètres de Paris. Qu’avons-nous fait pour aider à rétablir l’état de droit dans ce sinistre royaume ? Les Biélorusses se sont dressé en masse – mais pacifiquement – contre leur dictateur, après qu’il a encore truqué la sixième élection présidentielle qui le maintien au pouvoir depuis trois décennies. En août 2020, le peuple de Minsk est entré en résistance et les militaires de Loukachenko écrasent désormais tout ce qui bouge. Les opposants les plus repérables ont fui en Lituanie (où la direction politique du mouvement démocratique s’est repliée) ou en Pologne. Les rues de la capitale ont été ‘’nettoyées’’ et le tour semble venu d’opérer de même dans les sanctuaires des Etats voisins. D’où le recours à la piraterie.
Bruxelles, dont les sanctions ont été plutôt ponctuelles et symboliques contre ‘’l’Ogre de Minsk’’ sort de léthargie, à l’occasion du conseil européen en cours. L’occasion est trop belle de montrer que l’UE est un acteur : l’Etat-pirate sera puni d’une interdiction d’espace aérien européen. Comme personne, chez nous, ne veut aller à Minsk, mais que le trajet inverse est vital pour le ‘’Belarus’’, et que ça ne gênera pas trop Poutine, voilà une réponse ferme et courageuse qui ne coûtera pas cher ! Pour autant, ce beau geste identitaire va-t-il œuvrer au retour de la démocratie ? Si même c’était le cas (chose non-évidente), Moscou ne le tolèrerait pas (chose certaine). Dans un passé pas si lointain, les services dits secrets occidentaux ont eux aussi procédé à des actes de piraterie aérienne. Souvenons-nous de l’affaire Ben Bella, relative aux dirigeants du FNL algérien en route pour Tunis et dont l’appareil fut détourné sur Alger par le SDECE. Peut-être que les successeurs de cet organe d’Etat musclé pourraient opérer finement … cette fois, pour faire atterrir Loukachenko à La Haye, juste devant la porte de la Cour Pénale Internationale. Bingo, la Justice !
* 24 mai – A quand le bataille de l’Arctique ? Ce blog a précédemment traité des deux dérives qui compromettent les fragiles équilibres naturels de l’Arctique : d’une part, l’exploitation économique, rendue possible par le réchauffement climatique, laquelle menace l’écosystème fragile de la Région; D’autre part, la militarisation de ce continent et de ses eaux adjacentes (désormais libres l’été), qui dessine une aire de rivalités géopolitiques. Il est donc logique que le Conseil de l’Arctique, qui s’est tenu le 20 mai à Reykjavik, en Islande, a débouché sur une déclaration prônant la préservation de la paix et la lutte contre le réchauffement climatique. Dalida chanterait ‘’Paroles, paroles, paroles …’’ tant cette rhétorique pieuse n’a pour but que d’occulter les tensions et désaccords persistants entre membres de ce Forum de coopération économique. Le Conseil a été désarmé, au fil des décennies par les convoitises et les rivalités d’Etats qui le traversent.
Ce forum intergouvernemental regroupe, depuis 1996, les pays riverains, nordiques, nord-américains et la Russie ainsi que des observateurs intéressés. Il n’avait pas été créé pour régler des questions géostratégiques. Pourtant, des relents de Guerre froide s’y manifestent. Faute de mieux, on y forge des ententes de façade qui ne sont qu’un tribut creux rendu aux grands principes sans lendemain. Antony Blinken, avec une franchise bien américaine, a dénoncé ‘’l’augmentation de certaines activités militaires dans l’Arctique ». Chacun aura reconnu l’empreinte lourde de la Russie, qui, de son côté, martèle que l’Arctique constitue pour elle ’’une zone d’influence légitime’’ et dénonce dans la foulée « l’offensive » occidentale dans la région’’.
A partir des 14 bases militaires qu’elle a construites ou modernisées, l’armée russe multiplie les gesticulations militaires, allant jusqu’à simuler des attaques aériennes contre les réseaux radar de l’OTAN et à effectuer des opérations aéroportées massives au-delà du cercle polaire. Il s’agit de démontrer sa capacité de projection stratégique dans des conditions climatiques extrêmes. En face, l’Alliance atlantique montre aussi les dents en augmentant la fréquence de ses manœuvres défensives. L’exercice « Trident Juncture » conduit en 2018, avait bénéficié d’une génération de forces d’ampleur inégalée, mobilisant 29 Etats membres rejoints par la Suède et par la Finlande. Moscou l’avait très mal pris. L’objectif à atteindre, de part et d’autre, serait désormais une invasion réalisable sous 48 heures.
Moscou contrôle de facto le passage du Nord-est, tant pour l’utilisation des brise-glace que sur le plan militaire. Les russes y ont introduit la flotte commerciale chinoise qui s’impose comme la plus grosse ‘’utilisatrice’’ et acquitte d’importantes redevances. L’expansionnisme russo-chinois se tourne désormais vers le passage du Nord-ouest, moins accessible du fait des milliers d’archipels qui barrent la navigation, mais néanmoins praticable l’été depuis, quelques années. Ces eaux et territoires canadiens restent isolés et très peu peuplés. Ceci constitue le maillon faible du dispositif de l’Alliance. Même avec l’appui des Etats Unis, ces territoires sont quasiment indéfendables. Ottawa en a pris conscience depuis une quinzaine d’années et s’efforce d’établir des ports défensifs en eaux profondes, au moins en certains points du passage, et d’y maintenir quelques effectifs humains, sous des latitudes invivables.
En fait, le dérèglement du climat – quatre fois plus rapide et plus important au pôle Nord qu’ailleurs sur le globe – crée un bouleversement géostratégique majeur doublé d’une aubaine économique. Avec la hausse des températures, la banquise d’été aura totalement disparu d’ici 2030, ouvrant des parcours maritimes bien plus court entre l’Europe à l’Asie : moins d’un mois au lieu d’un mois et demi par la route habituelle via le canal de Suez. De plus, le sous-sol de l’Arctique regorge de minerais exploitables : nickel, plomb, zinc, uranium, platine, terres rares, et il contiendrait 22 % des réserves mondiales d’hydrocarbures non encore découvertes. Voilà qui aiguise les appétits et pourrait justifier des différends sur la délimitation des zones économiques exclusives, voire des opérations d’appropriation comme le Chine en fait au-delà de sa mer adjacente !
La Russie compte bien faire quadrupler sur les quatre prochaines années son eldorado gazier du Pôle. Et accroître d’autant, également, le volume marchand en transit, pour une bonne part, en partenariat avec la Chine. Celle-ci lui fournira les capitaux et sera comme chez elle en matière de navigation. Le groupe français Total s’est associé à ce montage, non sans prendre des risques politiques à terme. En effet, depuis plusieurs années, Pékin s’impose progressivement en partenaire économique et scientifique dominant et affirme un intérêt jaloux pour l’eldorado situé à 1 400 km de ses côtes les plus proches . La Russie pourrait s’en inquiéter un jour. Une station scientifique chinoise a été construite au débouché du passage Nord-Est, sur l’archipel norvégien du Svalbard. Tous les pions sont en place pour un grand jeu de géopolitique polaire.
* 21 mai – Migrants ou marcheurs de combat ? Manipuler une foule pour créer un état de fait anarchique menaçant un Etat adversaire. Tout détestable qu’il soit, le procédé existe et il est appelé à devenir une arme démographique dans la panoplie des conflits géopolitiques. Il n’y a pas de décompte exact des familles ou individus expulsés de chez eux par la guerre ni, au sein de cet ensemble, de ceux qui ont été poussés, par leur propre gouvernement, à franchir illégalement les frontières de pays voisins. L’intrusion en masse n’est ni plus ni moins qu’un mode de déni du droit et de la souveraineté d’autrui. Si une bonne partie des 40 millions de nouveaux déplacés civils comptés au cours de l’année écoulée sont plutôt des victimes de violences intercommunautaires, des catastrophes naturelles comme d’idées préconçues sur le futur ‘’mirobolant’’ qui les attendrait ailleurs, beaucoup ont été trompés ou conditionnés à marcher en envahisseurs, par une gouvernance perverse. Ainsi, en 1975, la Marche verte, téléguidée par les autorités du Maroc, a eu recours à l’afflux des sujets du roi Hassan II dans le territoire sans maître (L’Espagne s’en étant retirée) du Sahara Occidental. De ce fait, près d’un demi-siècle plus tard, la question de l’autodétermination de l’ex-territoire hispanique n’est toujours pas réglée, malgré les efforts des Nations Unies. La souveraineté exercée sur une part majeure de celui-ci par le Maroc, et pour le reste par une République arabe Saharaoui largement issue des ambitions concurrentes d’Alger, n’existe que de facto et de façon conflictuelle.
Rien d’étonnant, dans ses conditions, à ce que ce soit installée une bisbille entre Rabat, qui veut interdire toute solution ‘’de l’extérieur’’, et Madrid, qui exige une autodétermination des populations. Celles-ci à l’origine limitées à quelques centaines de bédouins, ont cru depuis lors de façon exponentielle.
De là à faire le lien entre la position juridique de l’Espagne, tout à fait honorable, et le legs de sa présence maintenue dans deux enclaves tout au Nord du Rif Marocain, face à l’Andalousie et bien loin des rivages atlantiques du Sahara … et bien le pas a été franchi par le Royaume chérifien. Toujours sur le mode conquérant, une marée humaine a été activée : 8 000 marcheurs, comptant une forte proportion de jeunes, ont envahi l’enclave de Ceuta depuis le rivage, en bénéficiant de la négligence bienveillante des garde-frontalière marocains. Le ton est monté : la ministre espagnole de la Défense a dénoncé une ‘’agression à l’égard des frontières espagnoles, mais aussi des frontières de l’Union européenne’’ et Bruxelles s’est rangé au diapason. Rabat a affirmé que le refoulement brutal de ses nationaux était excessif et disproportionné, une façon de reconnaître en être à l’initiative pour. ‘’punir » sa voisine européenne.
Sans être assimilable à une ‘’agression’’ – la foule »assaillante » n’était pas armée et elle semble avoir été encadrée – il s’agit bien d’un affreux chantage et d’un procédé hors la loi. Sur le plan humanitaire, l’épisode a fait de nombreux malheureux, manipulés puis trahis. Il a même provoqué deux noyades. Ce type de stratégie aventuriste s’avère payant auprès d’une opinion publique intérieure chauffée au nationalisme mais, à l’international, il est assimilable à une forme de piraterie. Très mauvais pour l’Image d’un pays. L’Espagne a-t-elle payé une forme de rançon politique ? En tout cas, le Maroc fait tout comme s’il avait gagné la partie : 6 000 ‘’migrants’’ infiltrés ont été expulsés au cours des derniers jours et le Maroc les a repris en charge.
Les tensions demeurent, bien sûr, et elles ressurgiront à une prochaine occasion. Quand on regarde la carte, Ceuta et Melilla paraissent bien insérées sur la côte marocaine. Les deux enclaves font partie de l’UE et comptent une population qui ne veut évidemment pas devenir marocaine. La question coloniale reste complexe. Madrid entretient à l’égard du Gibraltar britannique (clairement sur son territoire) la même frustration que Rabat vis-à-vis des miettes de la colonisation espagnole, parallèle à celle de la France. Paris à céder l’essentiel du Sahara à l’Algérie en 1965, avec pour résultat, une »guerre des sables » entre les deux voisins maghrébins. Raison de plus pour trouver des solutions triangulaires, acceptables par les populations concernées. Un vrai défi … et aussi un casse-tête !
* 20 mai – Sortie de camisole, à Santiago. Au Chili, le fantôme de l’ancienne dictature militaire commence à se décomposer. Une trentaine d’années pour solder un ordre constitutionnel liberticide, inégalitaire et anti-social, c’est plus d’une génération sacrifiée, mais on y est : le vote populaire vient d’ouvrir la voie à l’adoption d’une nouvelle Loi fondamentale. Fondamentalement différente ?
Trop tôt pour le dire, mais les partis de gauche devancent la droite, au terme du scrutin destiné à nommer les concepteurs du futur projet constitutionnel et ils sont déterminés à modifier en profondeur le texte d’Augusto Pinochet (1973-1990). Avec 20,80 % des suffrages, le gouvernement de droite au pouvoir, partisan d’un maintien d’un néo libéralisme ‘’thatchérien’’ se retrouve plus ou moins hors-jeu, en tout cas sans levier sur la future Assemblée constituante. Mais, même en emportant un tiers des sièges, les deux listes de gauche ne sont pas non plus dominantes dans ce collège de 155 membres et elles devront batailler pour faire pour faire prévaloir leur objectif de droits sociaux garantis dans l’éducation, la santé ou le logement. Les candidats indépendants, souvent issus des conflits sociaux de 2019, ont, en effet raflé la mise et supplanté les formations politiques traditionnelles. C’est eux qui donneront la tonalité des débats, s’ils restent unis. Par ailleurs, les peuples autochtones se voient attribuer dix-sept sièges, ce qui assurera que l’impasse ne soit pas faite sur leur sort peu enviable. Du fait de l’absence de sondages, le piètre résultat de la droite alliée à l’extrême droite au sein d’une liste unie, ni la déferlante des candidats indépendants n’étaient attendus. Cette surprise rebat les cartes alors que se rapproche, en novembre, l’échéance de la présidentielle. Le système politique est en pleine reconfiguration dans le sens probable d’une plus grande diversité et d’une complexité accrue. La nouvelle Loi sera écrite dans le délai d’une année et sera soumise à referendum l’an prochain.
Quelles que soient les arcanes du processus suivi, l’aboutissement sera bien une rupture d’avec la constitution Pinochet et un changement d’époque. Toute notre estime va au peuple chilien.
* 19 mai – Biden en virage. Le cauchemar israélo-palestinien rattrape Joe Biden, qui espérait bien échapper le plus longtemps possible à ce conflit sans issue. Détourné, malgré lui, de ses priorités asiatiques et des grands défis globaux (climat, crise du Covid, relance de l’économie, etc.), le voilà confronté, comme ses prédécesseurs, à la violence enracinée dans le Proche-Orient incandescent… et exposé à la pression de l’aile gauche de son parti : le dilemme se situe entre le droit d’Israël à se défendre et la prise en compte des droits des Palestiniens.
L’aile progressiste des Démocrates l’appelle à revoir la politique traditionnelle des Etats Unis d’appui inconditionnel à la sécurité de l’État hébreu. Bernie Sanders, l’incarnation de la gauche qui se réveille au sein de la jeunesse, comme la très populaire Alexandria Ocasio-Cortez, élue de New-York, l’appellent à pousser plus à gauche le curseur d’un grand nombre politiques intérieures. La question est également posée pour la diplomatie, désormais.
Mais la crise israélo-palestinienne n’était pas censée ressurgir aussi vite, avant le délai nécessaire à une revue générale des politiques extérieures, nécessitant d’intenses et longues tractations internes. Les incidents de Jérusalem et leur généralisation aux territoires mixtes ou occupés – et même au-delà – créent soudainement la nécessité d’une posture face à la violence extrême que rien n’a pu éteindre, depuis le 10 mai. Cette violence s’est muée en guerre entre Tsahal et le Hamas. Le monde arabo-musulman risque la contamination et le reste du monde désigne le président américain comme le seul qui puisse y mettre fin, du moins du côté israélien. Selon Mme Ocasio-Cortez, l’absence d’admission des faits à l’origine du cycle de violence – à savoir ‘’les expulsions de Palestiniens et les attaques contre la mosquée Al-Aqsa -escamote les motifs de révolte des Palestiniens et laissent prévoir que les États-Unis vont fermer les yeux sur la catastrophe humanitaire en cours. ‘’Pourquoi cette question n’est-elle presque jamais posée ? »Quels sont les droits du peuple palestinien ?’’ questionne, de son côté Bernie Sanders.
Nombre de personnalités démocrates issues de la majorité modérée pressent aussi la Présidence de prendre ses responsabilités, démarquées de l’engagement inconditionnel pro-israélien de l’ère Trump, en mettant en avant son souci déclaré des droits humains et une volonté d’équité entre les protagonistes. Un émissaire américain a été dépêche sur zone. Biden a contacté le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, mais pas le Hamas, taxé de terrorisme. A ce jour, il s’est contenté d’appeler à la retenue militaire tout en soulignant surtout le droit d’Israël à se défendre. La frustration du camp du changement est à son comble et le reproche monte qu’il fait fi des droits des Palestiniens et de la situation humanitaire à Gaza. Signe de leurs hésitations à franchir le pas, les États-Unis assistent aux réunions du Conseil de sécurité pour y refuser toute résolution qui pourrait imposer (en théorie) une cessation des hostilités. Un répit sanglant est donné à Nétanyahou, pourtant privé de toute légitimité politique dans son pays, pour ‘’finir le travail’’. Dans cette mer de critiques, l’administration Biden cherche surtout à maintenir l’équilibre entre l’aile gauche et l’aile traditionnelle des Démocrates, tout en se préservant d’ouvrir un nouveau front avec les Républicains, par principe alignés sur les positions israéliennes. On ne gouverne pas les Etats Unis comme on piloterait un hors-bord : c’est un très lourd vaisseau et tout changement de cap est laborieux. Rarement à 180 ° d’ailleurs sur ce genre de question ‘’quasi-interne’’ mobilisant le Congrès, mais pas impossible. Souhaitons que le timonier soit vaillant et musclé, à la barre !
* 18 mai – Le virus et la charité. La dette publique de l’Afrique explose, en conséquence de la crise économique et sanitaire. Après avoir proposé un moratoire immédiat sur les dettes extérieures des pays africains, jusqu’à la fin de la pandémie, E. Macron convie à Paris les représentants du Continent noir pour trouver une solution à leur asphyxie financière. Les grands organes financiers internationaux participent à ce sommet, aux côtés d’une trentaine de dirigeants africains et européens.
Le bilan du COVID en Afrique se caractérise par une relative mansuétude de la pandémie – avec, quand même 130 000 morts sur un total de 3,4 millions à l’échelle mondiale – mais les finances publiques, déjà faibles, ont été saignées par la chute des échanges commerciaux, de l’activité de l’économie formelle et par les dépenses sanitaires effectuées dans l’urgence. De plus, à moins d’une sortie franche et totale d’épidémie des populations africaines (plus d’un milliard d’âmes), la pandémie ne pourra jamais s’éteindre à l’échelle du Globe. Surtout, le continent a subi sa première récession en un demi-siècle. La croissance pourrait rebondir de 3,4 % en 2021 et de 4 % en 2022, mais ceci resterait insuffisant pour autoriser un rattrapage et éviter une crise de la dette. Le FMI considère que l’Afrique risque de voir son déficit global se creuser de 290 milliards de dollars sur les 18 prochains mois. Le moratoire institué en avril 2020 a apporté un certain soulagement aux pays les plus endettés. Pourtant, il ne suffira pas : selon la Banque africaine de développement (BAD), 39 millions d’Africains sont en voie de tomber dans l’extrême pauvreté,
Selon le schéma classique en la matière, les problèmes de remboursement de la dette publique seront traités séparément de la solvabilité des emprunteurs privés. Lors d’une conférence de presse conjointe, le chef d’Etat français et son homologue de RDC (Félix Tshisekedi, également président de l’Union africaine) tireront les enseignements de la réunion. Le FMI confirmera l’attribution aux pays concernés de 650 milliards de dollars, sous forme de droits de tirage spéciaux, en vue d’acquérir « les liquidités indispensables à l’achat de produits de base et de matériel médical essentiel ». Modeste contributrice au FMI, l’Afrique ne peut compter que sur un retour modeste lorsqu’elle appelle à l’aide, sauf à rehausser ses quotas d’émission par rapport aux autres acteurs économiques. Une telle révolution n’est guère probable. Cependant, la demande principale des Africains porte sur l’instauration d’un moratoire immédiat sur le service de toutes les dettes extérieures jusqu’à la fin de la pandémie. Pour montrer l’exemple, la France décide de faire grâce au Soudan de cinq milliards de dollars d’encours bilatéral. La Chine, qui est de très loin le premier créditeur de l’Afrique mais ne renonce pas, par principe, à ses créances (quitte à les transformer en prise de possession), se voit mise sur la sellette. On peut donc s’attendre à une contre-offensive politique musclée de sa part et à quelques contremesures choisies, pour gêner l’Occident.
Parlera-t-on, enfin, de l’aide au développement ? Son déclin constant depuis plusieurs décennies a été, d’une certaine façon, compensé par les transferts d’argent des communautés immigrées vers leurs proches, »au Pays ». Les migrants sont à leur tour étranglés par la crise et leurs efforts s’en trouvent réduits de moitié. Comment rétablir ce flux, si ce n’est par l’accueil de nouveaux migrants, qui puissent s’intégrer dans les économies européennes ? Une telle formule ‘’gagnant-gagnant’’ suscite, on le sait, révulsion et haine parmi beaucoup de citoyens-électeurs occidentaux. Tout s’imbrique et la crise humanitaire du Sud n’est plus séparable de la déshumanisation du Nord.
* 17 mai – L’adieu au monde d’avant. C’est avec l’administration Biden que Paris pourrait tenter de relancer le débat sur la gouvernance mondiale post-Covid (synthèse d’une tribune dans Le Monde de Michel Duclos, conseiller spécial à l’Institut Montaigne).
Les préoccupations américaines concernant le climat et la lutte contre les inégalités rejoignent actuellement celles de la France. Dans le pays de Voltaire, on se soucie plus qu’ailleurs des méfaits du système international ‘’globalisé’’. Lors de la dernière édition du Forum de Paris pour la Paix, en novembre 2020, le président Macron avait proposé le lancement d’un débat international sur l’organisation du monde après le Covid-19. Pour leur part, les Etats Unis sont en chantier de ‘’réparation’’, après quatre années passées à déconstruire le système multilatéral, les mécanismes de paix et d’alliance. En réintégrant l’accord de Paris et l’Organisation mondiale de la Santé, ils ont repris l’initiative et rendu une chance à des projets novateurs, tel l’Accélérateur ACT destiné à partager mondialement les outils de lutte contre le Covid ou la taxation des sociétés multinationales. Ils font maintenant leurs toute une série de paradigmes dont la paternité était plutôt européenne, sans remonter à de plus lointaines origines rooseveltiennes, sous le New Deal. Ensemble, les deux pays peuvent caresser l’idée, un tantinet messianique, de définir un ‘’consensus de Paris’’ sur un système économique et pacifique mondial revisité.
Les deux gouvernements ont pris du recul sur l’époque Reagan et Thatcher et leurs recettes néo-libérales forcenées : privatisations, tyrannie de l’équilibre budgétaire, déréglementation financière et autres, croissance économique destructrice de l’écosystème, effacement de l’Etat, etc. Les temps post-Covid appellent des principes différents, permettant de faire face à des défis nouveaux : la lutte contre le changement climatique, la réduction des inégalités, la protection des citoyens et des entreprises contre les catastrophes et les prédateurs. Pourtant, le débat (à peine) esquissé par le président français n’a pas décollé, pour au moins deux raisons : la difficulté à mener un projet prospectif, alors que la pandémie n’a pas fini de bouleverser le cours du monde ; et le rayonnement soudain de la nouvelle administration démocrate, qui affaiblit d’autant l’aura et l’auditoire du locataire de l’Elysée.
Va-t-on pour autant vers une sorte de concurrence affûtée entre l’Ancien et le Nouveau Monde autour des nouvelles recettes de la gouvernance en démocratie ? Le constat est plutôt celui du soin que prend Washington de ne pas se couper, sur ces questions, de l’allié européen. L’Amérique est, avant tout, focalisée sur sa rivalité systémique avec la Chine, mais elle souhaite se garder de l’isolement et de l’unilatéralisme, là où elle peut jouer en coalition. Voilà une évolution positive. En sens inverse, pourquoi Paris se priverait-il de l’opportunité de porter, avec Washington, le débat sur une nouvelle donne de la gouvernance post-Covid ? Il ne s’agirait pas d’imposer mais de formuler en concertation des préceptes adaptés à l’avenir. Les matières à traiter sont multiples et complexes, concernant l’adaptation des institutions et leur résilience, la régulation des finances – dont la taxe Carbone aux frontières – , l’invasion de la vie privée par les technologies, la relance du développement, de l’éducation, la maîtrise de la démographie, les flux migratoires, la consolidation du droit, etc. A l’image des citoyens réunis pour élaborer une stratégie sur le climat, on pourrait assembler un collège d’experts pour défricher le terrain, sujet par sujet, et objectiver les obstacles à surmonter. Les conclusions de cette commission viendraient ensuite alimenter le travail engagé dans de nombreuses enceintes internationales, au sein du système des Nations-Unies comme en dehors.
Ainsi, les présidents français et américain pourraient initié la mise en place de cette commission internationale sur les lignes directrices d’une gouvernance globale renouvelée, lors du sommet du G7 prévu du 11 au 13 juin, à Carbis Bay, en Angleterre. Un premier bilan d’étape interviendrait à l’occasion du Forum de Paris, en novembre. Il associerait Mario Draghi au pilotage de l’Initiative, puisque le président du conseil italien préside le G20 cette année et que l’objectif visé est celui d’une concertation à l’échelon mondial.
* 14 mai – Ruminer le Proche-Orient. La situation du Proche-Orient est si dramatique, si violente, qu’on ne peut échapper au sujet. Avouons néanmoins que tout ou presque a déjà été dit et même essayé et depuis longtemps, concernant les enchainements de violence et de haine. Ceux-ci sont devenus, depuis des décennies, le marqueur de la tragédie israélo-palestinienne. N’attendez donc aucune révélation de cette brève, juste un souffle de tristesse devant le plus significatif, le plus impardonnable, des échecs de la Paix. De même pour ce qui est des pertes de vies innocentes, dont le décompte s’amplifie inexorablement. Ajoutons que celles-ci ne sont hélas qu’une carte ‘’dissuasive’’, pas même un enjeu, dans la stratégie de terreur concoctée, comme par connivence, entre l’extrême droite israélienne, dominée par les colons et les ‘’orthodoxes’’ (bien télécommandés par les derniers gouvernements de Jérusalem) et une jeunesse arabe palestinienne désespérée et risque-tout, que le Hamas sait porter à ébullition (pour étendre son influence aux dépens du Fatah). Dans un conflit aussi ancré dans les psyche collectives, presque fossilisées par un siècle d’affrontement, les crimes se répartissent inévitablement entre les deux bords.
L’entrée du ‘’Grand Israël’’ dans un épisode de guerre civile va unifier les conflits et les camps protagonistes : c’est à la fois la Saint Barthélémy (deux populations dans Jérusalem et les villes mixtes qui se massacrent), les croisades et l’occupation, l’ethnicisme suprémaciste conduisant à l’apartheid et enfin une posture guerrière face aux alliés extérieurs de l’ennemi intérieur. Tout y est toxique. Dans toute enquête sur les facteurs déclenchants, le souci de la réalité oblige à pointer les mesures d’extorsion (expulsions de Jérusalem Est) et d’humiliation (non-respect des lieux saints de l’Islam, nouveau dispositif sécuritaire discriminatoire, quartier libre donné aux extrémistes anti-arabes) comme impliquant une responsabilité supérieure du gouvernement de l’Etat hébreux. Celui-ci a suivi cette ligne, de façon constante, sous les gouvernements Natayahou successifs.
En élevant le niveau d’analyse géopolitique, il apparaît que la puissance dominante devrait reconnaître qu’elle détient l’avantage d’une conscience plus éthique et d’une responsabilité plus grande, comparativement au protagoniste dominé, dont la faiblesse n’est compensée que par la vigueur de son désespoir. Nous n’avons guère perçu cette vérité au travers de nos conflits coloniaux, ni les Etats-Unis dans leurs expéditions impériales en Amérique centrale. La Chine reste aveugle à ce principe, au Xinjiang comme au Tibet. Pourtant, la nécessité de compenser cette asymétrie est désormais admise comme un adjuvant au rétablissement du droit international quand il est bafoué. La question des territoires occupés n’est pas très différente, de ce point de vue, que celle du Donbass occupé ou de ce que fut la guerre d’Algérie. Sur le terrain, demeure, au contraire, le ressassement mortifère des torts subis. Qu’il serait heureux d’oublier les blessures de l’Histoire pour y voir plutôt une science utile nous faisant échapper à des ruminations vengeresses comme aux errements passés, enfin objectivés ! Les émotions négatives finissent par rendre fous des peuples entiers …Vous ne lirez pas ça dans la presse.
La fin du mandat britannique en Palestine remonte au 14 mai 1948, il y a 73 ans. C’était le jour premier de la Nakba, cette dispersion forcée des habitants musulmans et chrétiens qui composeront, au fil des épreuves, le peuple palestinien. Il reste, comme le peuple juif, accroché à son malheur, mais le sien se perpétue et n’est jamais soigné. Nakba contre Shoah, les deux identités douloureuses se ferment l’une à l’autre les voies de l’avenir. Celui-ci devrait évidemment être une réconciliation et un partage (les deux Etats), mais il est désormais quasi-impossible d’y parvenir envers et malgré tout. Aux dépens des vieux idéaux démocratiques, l’affrontement enkysté est devenu la Loi, conférant un pouvoir fanatique et guerrier aux profiteurs de guerre sur des civils apeurés ou simplement inertes. Des deux côtés, la vengeance et l’humiliation de l’autre justifient une gouvernance ‘’sécuritaire’’, sans âme ni vision. Par résonnance identitaire, cette impasse menace de contagion une jeunesse européenne mais aussi l’ensemble monde arabo-musulman. Le reste du monde reste muet et impuissant. Encore et toujours d’autres guerres ?
* 12 mai – Le monde de 2040 : help ! La prospective sert de boussole au travail géopolitique. Quand il n‘est pas suffisamment rigoureux, c’est aussi un exercice marqué parle subjectivisme, voire par l’approximation. Ces dérives ne concernent pas le rapport de la CIA sur l’état du monde et les prévisions pour les deux prochaines décennies que la centrale de Langley élabore tous les quatre ans, à l’intention du (nouveau) président élu. Pour l’essentiel, il connaît une diffusion publique. En effet, il n’a pas d’autre objectif que d’apporter une vision américaine rigoureuse et solidement documentée des évolutions qui dicteront les intérêts de la première puissance mondiale. Celle-ci s’affirmant globale, l’étude embrasse de multiples facteurs qui concernent aussi l’Europe et le vaste monde. A l’image des travaux de Jérôme Fourquet sur ‘’l’Archipel français’’, la puissance du ‘’big data’’ apporte une forme de caution scientifique aux anticipations de l’Agence.
L’édition française aux Éditions des Équateurs pose comme constat de départ la pandémie de Covid-19 cause de la plus forte perturbation mondiale observée depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est assurément la plus déstabilisatrice que les Etats aient dû subir en temps de (très relative) paix. Paradoxalement, alors que l’universalité des évènements vécus (pandémie, défi climatique et écologique, révolution numérique, société de la surveillance, conflit être croyances, intelligence artificielle omniprésente, populisme porté par les réseaux sociaux, ingénierie du vivant) uniformise la vie et les épreuves du genre humain, les mêmes évolutions amplifient les cassures et la fragmentation anarchique de la géopolitique mondiale. Les régions tributaires de l’agriculture pluviale seront particulièrement vulnérables : l’Afrique subsaharienne, l’Amérique centrale, certaines zones de l’Argentine et du Brésil, certaines parties de la région andine, l’Asie du Sud et l’Australie. Par contraste, certaines, situées à des latitudes plus élevées, comme le Canada, l’Europe du Nord et la Russie, pourraient bénéficier du réchauffement climatique grâce à l’allongement des saisons de croissance et à l’investissement en intelligence artificielle. Ces déséquilibres physiques se conjugueront avec une démographie humaine décalée entre riches et pauvres. En conséquence, ils porteront à leur paroxysme les tensions préexistant dans nos sociétés et créeront une sorte de continuum conflictuel entre crise-guerre et épisodes de paix. les répits seront néanmoins perturbés par l’invasion de la désinformation sur les réseaux mondiaux toxiques.
Le ‘’monde d’après’’ (une expression naïve mais répandue) sera composé, en premier lieu, de communautés d’individus connectés et vieillissants, retranchés dans la défense ou dans la promotion impulsive de leurs identités. Les Etats seront à la merci d’intérêts privés multinationaux plus puissants qu’eux. Les vagues migratoires affluant des régions sans protection sociale ni avenir, ou issues des populations déplacées par les catastrophes naturelles, porteront ces crispations xénophobes ou racistes à un niveau d’intolérance compromettant le fonctionnement démocratique. Les inégalités de richesse progresseront, tant entre le Nord et le Sud qu’à l’intérieur de sociétés hyper-urbanisées et dont le niveau d’exigence (ou de frustration) s’élèvera sans rapport avec le potentiel des politiques sociales.
La rivalité entre les Etats Unis et la Chine continuera à marquer la confrontation idéologique et militaire entre grands Etats. Le risque de conflit interétatique est susceptible d’augmenter, en raison des progrès technologiques, de l’élargissement du nombre de cibles comme de la plus large variété des acteurs. Il en résultera une dynamique de dissuasion plus difficile et l’affaiblissement croissant des traités et des normes. On cherchera à éviter la guerre totale, mais le risque va augmenter d’erreurs de calcul ou d’une inflexibilité suicidaire de la part d’acteurs poussés dans leurs retranchements qui pourraient déclencher des fuites en avant involontaires. Les groupes djihadistes mondiaux sauront tirer profit de ce grand désordre. Ils pourraient constituer la plus forte menace transnationale persistante de même qu’un danger pour leurs régions d’origine. Leur accès probable à de nouvelles technologies offensives laisse présager d’attaques à distance de grande envergure. Ils bénéficient humainement d’une idéologie cohérente axée sur un avenir millénariste, de structures organisationnelles solides et de la capacité d’exploiter de vastes territoires non ou mal gouvernés, notamment en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud.
Par ailleurs, le ralentissement de la croissance et les aléas pesant sur l’emploi entretiendront méfiance et désillusion dans les pays riches socialement ‘’déclassés’’. L’épuisement des finances publiques (lié à l’endettement exponentiel) et celui de gouvernants, perçus comme peu légitimes, à répondre aux attentes citoyennes deviendra d’autant plus destructeur, comme facteur d’instabilité politique et sociale. La quête d’une protection face à un contexte économique et sécuritaire dégradé, l’écho donné aux scandales de corruption, la remise en cause du monopole des élites, la dénonciation des inégalités seront autant de motifs de colère populaire. On peut pronostiquer une division plus visible de la société, une montée des populismes, des vagues violentes de protestation urbaine. Elles mettront à l’épreuve la démocratie comme la résilience des Etats. Certains d’entre eux pourraient même s’effondrer. Les régimes autoritaires seront confrontés à ces mêmes risques.
Voilà un tableau sombre de chez Méphisto. Il oblitère, certes, l’Union Européenne. Le rapport de la CIA détecte – en lumière noire – les menaces et pas les bonheurs à venir. Ces derniers seront une surprise quand ils surviendront ! Ce tableau d’apocalypse ne doit pas être vu comme un échéancier des désastres, mais comme une boussole pour tracer un chemin vers 2040, à l’abri des péripéties du monde.
* 11 mai – Jour de la ‘’réunification’’ de Jérusalem. Les violences de ces derniers jours dans la Ville Sainte étaient liées à de nouvelles méthodes d’expulsions de Palestiniens de Jérusalem Est. La violence s’est généralisée.
Depuis juin 1967, Jérusalem-Est constitue le nœud le plus inextricable du contentieux israélo-palestinien. C’est, à la fois, la question la plus douloureuse et la moins traitée du contentieux. De fait, les négociateurs des accords d’Oslo de 1993 l’avaient mise de côté de côté comme étape ultime d’un processus de paix, sachant trop bien le potentiel de déchainement des passions qu’elle contenait. Ceci s’explique de par la concentration de tous les lieux saints dans un mouchoir de poche géographique mais aussi du fait de l’enjeu politique attaché, de part et d’autre, à la fonction très symbolique de capitale d’Etat. Bientôt trois décennies et des dizaines de relances vaines, américaines ou européennes, auront scellé l’impossibilité d’un plan autour de deux Etats en coexistence.
Les générations se sont succédé : intransigeante, insensible au droit et ancrée dans la confiance en sa force, du côté d’Israël ; déstructurée, abandonnée et révoltée de sa propre faiblesse et de l’indifférence du monde, du côté des Palestiniens. La cassure entre l’OLP et le Hamas, depuis 15 ans, de même que 12 années de gouvernement Netanyahu à la tête de l’Etat Hébreu ne procurent, à chaque camp, que des séquences de violence absolue, en guise d’unité retrouvée. Les prédations des colons israéliens, les collisions entre fidèles de confessions rivales, les décisions de justice iniques – dont les expulsions forcées de Palestiniens de leurs logis ou de leurs terres ancestraux – les cycles de vengeance prenant pour cibles des non-combattants, la mort qui rôde dans les airs… On aurait du mal à recenser toutes les étincelles qui peuvent mettre le feu aux poudres. Une circonstance aggravante s’y ajoute : après quatre scrutins accouchant de coalitions impossibles en Israël, ‘‘Bibi’’ a perdu tout mandat mais reste néanmoins au mannettes comme gestionnaires des ‘’affaires courantes’’. Il s’est fait une spécialité de se maintenir au pouvoir par la guerre. Ce n’est guère mieux du côté palestinien, où Mahmoud Abbas, totalement déconsidéré, rechigne à l’exercice de la démocratie et frustre la jeunesse palestinienne.
A Jérusalem Est, partie ‘’inaliénable’’ de la capitale éternelle d’Israël, la présence arabe est méthodiquement grignotée au fil des expulsions. Cette menace réveille le douloureux souvenir des grandes expulsions de 1948 et 1967. Comme stratégie de conquête, elle déstabilise les Palestiniens dans leur espace de vie. L’épicentre en a été le quartier de Cheikh Jarrah, où vivent 300 000 Palestiniens, progressivement chassés par l’expansion de plus de 200 000 extrémistes juifs. Il n‘en fallait pas plus pour faire exploser les territoires occupés et tout l’espace israélo-palestinien. En pleines cérémonies de fin du Ramadan, les violences ont éclaté sur l’esplanade des Mosquées, puis partout.
La justice israélienne n’approuve pas mais ne se hâte pas non plus à trancher le litige. Elle laisse simplement le déplacement de population se produire de facto. C’est aussi à cause d’elle que l’idée d’une solution à deux États est devenue pratiquement impossible, le grignotage continu des territoires occupés ayant privée ce schéma de toute viabilité. Plusieurs pays arabes (Bahreïn, Émirats arabes unis, Maroc, Soudan) ont normalisé leurs relations avec Israël, l’ex-administration Trump a transféré son ambassade à Jérusalem… Tout va dans le même sens : le Grand Israël prend forme – une solution d’apartheid – et plus personne ne semble à même d’arrêter ce processus destructeur autant qu’illégal.
Réagirait-on encore à l’annexion de Jérusalem Est ? Par des mots courroucés, certainement. Mais qui aurait la folie d’introduire la force du droit dans cette poudrière ? Pour le système des Nations Unies et toute la chaîne des institutions post-1945, fondées sur la Charte de San Francisco, se serait un terrible revers systémique. Accepter ce précédent reviendrait à entériner les conquêtes en Ukraine, Moldavie, Géorgie, etc. de la Russie de Poutine ou d’attribuer toute la Mer de Chine et les franges de l’Himalaya à la Chine. Ce serait aussi passer aux pertes et profit le droit international humanitaire et celui des conflits dont dépendent les vies de centaines de millions d’innocents (à commencer par les 83 millions de civils déplacés ou exilés). Une ère de colonisation débridée et violente ne pourrait-elle pas s’en suivre, alors que les catastrophes climatiques suscitent des convoitises pour la terre et pour l’eau et qu’elles se concrétisent par des bruits de bottes ? Le monde n’en peut plus du conflit israélo-palestinien. Il use les énergies positives et menace la sécurité de l’Europe, où ses résonnances sociales et psychologiques sont multiples et mortifères. Cela fait des décennies que le contrôle de l’incendie depuis l’extérieur est perdu. Les pompiers de la Paix renoncent. Il faut néanmoins espérer que de nouveaux acteurs, mieux pourvus en discernement et plus courageux politiquement, émergeront parmi les protagonistes. Plaise à Dieu !
* 10 mai – Où va le petit train européen ? Face aux « passions tristes » des Français (cf. Spinoza), Emmanuel Macron a saisi l’occasion du sommet social des 27, à Porto, pour relancer sa conception de l’agenda européen. On ne pourra pas lui reprocher de penser à ’’l’après-Covid’’, qui restera une période exposée à de nombreux défis et dangers. S’en prendre au dumping social en prônant un ‘’SMIC européen’’ constitue une recette populaire auprès des électeurs français. Mais comme horizon continental, cela ne nous mènera pas loin et n’effacera pas l’appréhension nettement plus forte que suscitent les réformes qui suivront la pandémie dans le but de rétablir la compétitivité et l’équilibre des comptes.
Où va l’Europe ? Que fait l’Europe ? Elle serait devenue aux yeux des Français un »marché sans âme’’. Elle devrait être, effectivement, un projet construit autour d’un ‘’bouclier social’’ et d’un levier d’action sur le monde. Mais …
Qui est en mesure de construire cet avenir ? Un chef d’Etat un peu isolé dans sa tour d’ivoire, à un an de l’échéance présidentielle ? Cela paraît conforme à cette curieuse préférence française pour la gouvernance verticale. Seraient-ce plutôt les institutions européennes – Parlement, Conseil, Commission ? Elles en ont la légitimité, mais sont empêtrées dans les contradictions d’une famille d’Etats encore trop diverse. Elles sont également écartelées entre le primat donné aux marchés, à la concurrence et au libre-échange, d’un côté, et leurs quêtes d’écologie, d’émancipation des consommateurs, de renaissance de la démocratie locale et de soft power dans le monde, de l’autre. L’Europe c’est également un Conseil des régions manifestement hors-jeu en matière de démocratie locale. Celui que ses pairs baptisent narquoisement ‘’le Roi de l’Europe’’ compte bien sur son ‘’initiative’’ pour sublimer son aura continentale sous présidence française de l’Union, à quelques mois de sa possible réélection. Du coup, il oublie d’associer à sa haute réflexion les élus du Parlement ainsi que des régions, départements et communes : une révolution timide et fortement encadrée, mais sans états généraux ?
La formule miracle est ailleurs : tirer au sort quelques citoyens, les former, faire une synthèse de leurs débats, élaborer à l’Elysée quelques propositions législatives que le Parlement (trop heureux de ne pas être complètement shunté) adoptera sous une forme aseptisée. Le climat, les vaccinations, maintenant l’Europe passent par cette moulinette que beaucoup préfèrent aux prérogatives des élus (des élites forcément suspectes). Cette gouvernance par affichage de citoyens anonymes reste, pleinement, celle du Souverain. S’il s’agit de mieux se positionner par rapport à nos partenaires (qui voient en la France une convalescente assez faiblarde), la dimension sociale et humaniste que défend le Chef d’Etat français à l’international est dépassée par les initiatives ‘’rosseveltiennes’’de Joe Biden sur ce même terrain. Son plan de relance de 1 900 milliards de dollars fait paraître indigent celui de 750 milliards d’euros, laborieusement élaboré à Bruxelles. Le président américain prévoit aussi d’imposer une taxation minimale de 21 % aux multinationales et d’imposer les très grandes fortunes. Certains diront que son collègue français est plutôt enclin aux options monétaristes opposées. La passe d’arme entre eux sur l’accès des pays pauvres aux vaccins contre le Covid et l’éventuelle levée des brevets nous est servie pour aiguillonner nos petites fiertés. Mais, les deux propositions étant en fait complémentaires (plus de vaccins, moins de brevets), cette aimable saynète ne nous dira pas si quelqu’un, à bord du petit train européen, pourrait deviner quelles en sont les prochaines stations.
* 7 mai – Bibi à la retraite. Après 12 ans de fanatisation de la vie politique israélienne et d’entorses au droit comme à la justice de son pays, Benjamin Netanyahu est en passe de quitter la scène publique. Il a dû s’avouer incapable de former un nouveau gouvernement, à l’issue des dernières législatives. Il avait survécu à tous les excès et tous les scandales, mais, avec l’accession de Joe Biden à la tête des Etats-Unis, il n’est plus guère courtisé que par Poutine, Bolsonaro et Orban. Surtout, chez lui, les Israéliens ont dû subir quatre élections générales en deux ans, sans qu’une majorité viable ne sorte des urnes : ils sont lassés. Leur priorité reste ‘’la sécurité’’ (par quelles voies ?), mais le temps leur paraît venu de confier à une personnalité moins polémique et moins autocentrée le soin de diriger les affaires.
Ancien présentateur vedette de la télévision, le centriste Yaïr Lapid est le chef de file incontesté du camp anti-Netanyahu et, désormais, l’homme de la situation. Il a été désigné, le 5 mai, par le président Reuven Rivlin, pour former le prochain gouvernement de Jérusalem, un exercice d’acrobatie redoutable s’il en est. En fait, personne ne souhaite une cinquième convocation aux urnes. Chef de file du Yesh Atid, un parti laïc (honni des Juifs orthodoxes) et centriste proche des sensibilités idéologiques européennes (il est dans les meilleurs termes avec Emmanuel Macron), il va devoir composer avec une opposition hétéroclite comprenant les partis de gauche, les ultranationalistes, d’anciens membres du Likoud et les formations arabes. Il a 28 jours pour y parvenir. Le rejet de Netanyahu suffira-t-il à souder cette coalition disparate ? Dans l’affirmative, un nouveau chapitre s’ouvrirait dans l’histoire de l’Etat hébreu. Le système israélien de micro-partis pratiquant la surenchère et les retournements d’alliance est plutôt un handicap qu’une source de souplesse politique.
Le Changement de circonstances n’a pas échappé à l’attention des diplomaties européennes. Très probablement en coordination avec les Etats-Unis – qui ne peuvent pas se permettre d’apostropher Israël de front – la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni viennent de demander au gouvernement israélien de « mettre un terme à sa politique d’extension des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens occupés’’. Le gouvernement plus ou moins vacant de Jérusalem est plus précisément prié de cesser, dès à présent, la construction illégale de 540 nouvelles habitations dans la colonie de Har Homa, en Cisjordanie occupée. Au-delà du cas précité, la pression vise à réactiver, à plus long terme, le plan d’Oslo dont l’objectif est d’établir deux Etats côte à côte et mutuellement reconnus, l État palestinien, viable, ayant Jérusalem (Est) comme capitale. Même si elle est muette, la signature de l’administration Biden apparaît bien dans ce changement de politique, peut-être difficile à présenter au Congrès. Et la propension des européens à coopérer en mode atlantique se confirme, là encore. On croyait le règlement de la question palestinienne enterré une fois pour toutes, sous une couche épaisse d’indifférence. Tout pourrait bouger dans l’avenir.
* 06 mai – Le retour des corsaires. Au fou ! Est-ce que les gouvernements de France et du Royaume Uni veulent rejouer la Guerre de Cent ans ? Quelque chose comme une geste moyenâgeuse, aux accents de souveraineté froissée est en train de se créer entre les deux rives de la Manche. On se souvient de la sensibilité politique disproportionnée qui avait caractérisée la question de l’accès des pêcheurs continentaux à leurs zones de pêche ‘’traditionnelles’’, dans les eaux britanniques. Moins de 2 % des intérêts européens dans le partage post-divorce avait éclipsé tout le reste, dans les médias et dans l’arène politique, tout au moins.
De nouvelles conditions ont été imposées, par les autorités britanniques, aux chalutiers français, opérant au large des îles anglo-normandes. Sans doute peu conformes aux dispositions adoptées au titre du récent traité commercial post-Brexit, elles ont suscité la fureur des pêcheurs normands et bretons. Une cinquantaine de leurs bateaux se sont agglutinés devant Saint-Hélier, la capitale de l’île, ’’pour marquer le coup’’. Certains se sont risqués à une forme de blocus ponctuel. Un acte de guerre, malgré tout, que la ‘’Royale’’ française ne semble pas avoir sanctionné, comme elle l’aurait dû. Du coup, Londres a procédé, le 5 mai, à l’envoi de deux bâtiments militaires au large de Jersey. Vers une bataille navale comme à l’époque des corsaires ? Non pas, mais comme cette agitation populiste paraît malsaine ! D’autant plus qu’entretemps, Paris avait évoqué la menace de couper l’électricité alimentant l’île anglaise, depuis la France. Ni plus, ni moins : au fou (bis) !
Ce vent de folie soufflant entre deux vieilles démocraties voisines et alliées est simplement effarant. Renier un engagement tout juste souscrit ou soutenir une guérilla corporatiste, au point de menacer – ne serait-ce qu’en paroles – de mettre en péril une population innocente et amie, voilà qui est indigne de l’une et l’autre nations. C’est un signal extrêmement funeste pour la paix et la coopération en Europe, laquelle compose l’un des continents du monde et pas uniquement une organisation pluri-étatique. Du côté français, le blâme ne doit pas être mis sur les pêcheurs, désespérés et impulsifs, à qui il n’est pas demandé de percevoir les incidences internationales de leurs actes. Par contre, l’Etat, pour s’être désisté de ses missions régaliennes puis avoir surenchéri dans l’agressivité, s’est gravement déconsidéré. Il devrait balayer devant sa porte et veiller à ce que cet incident ne se reproduise plus. Dans ce type de contentieux, l’arbitrage est le seul recours civilisé et contractuel. Revenons au 21 ème siècle, pas celui des démocratures mais celui de l’Etat de droit.
* 5 mai – Combien de complaisance pour un Rafale ? 4 milliards d’€uros empochés par l’avionneur français : de quoi pavoiser ! Certes, c’est l’argent des contribuables qui va garantir l’emprunt aux banques françaises, en espérant que dans les dix ans qui viennent, l’Egypte pourra rembourser. En attendant, trente Rafale flambant neuf et quelques accessoires du
genre missiles, etc.: ça en impose ! La DGA, de concert avec la firme Dassault, va camper en championne de l’emploi et en bienfaitrice du monde ouvrier. Le contrat aurait été perdu, que quelques agitateurs ‘’droitdel’hommistes’’ auraient alors été pointés du doigt comme fauteurs de plans sociaux. Ce nouveau succès à l’export des armes françaises est encourageant si l’on se place sur le plan de l’industrie de défense. La France a besoin d’exporter pour s’assurer de son autonomie stratégique. Celle-ci est essentielle et dans le contexte actuel de guerre hybride mondiale, où disposer d’une aviation militaire performante est un besoin vital.
Le ‘’hic’’ – car il y en a un – est qu’elle ne vend plus guère ses matériels à la Belgique, à l’Allemagne ou au Japon mais, au contraire, à des Etats politiquement peu fréquentables et mêlés à des conflits dans lesquels le droit de la guerre est totalement bafoué. Tout se fait dans le secret, hormis la grosse propagande. La tentation de politiser ces contrats un peu sulfureux au moyen de grandes déclarations politiques creuses sur ‘’le partenariat stratégique anti-terroriste qui nous lie corps et âme’’ conduit les démagogues de service à nous chanter ces transactions – toutes commerciales – comme autant de contributions majeures à la lutte contre Daech. C’est l’exercice mécanique auquel se livre Mme Parly, encore et toujours, à la tête du ministère des Armées. Déjà cela est assez fort de café ! Le Caire et Paris entretiennent, certes, une certaine convergence sur quelques enjeux de sécurité régionale, se méfiant par exemple de la Turquie en Méditerranée orientale. Cela ne constitue pas une alliance. Par ailleurs, l’aviation égyptienne a été engagée au Yémen…
Pour le contrat Egyptien, on a totalement oublié que la tête de l’Etat a pour raison d’être de consolider la cohésion de la Nation, de défendre l’Etat de droit et surtout de ne pas bombarder l’opinion de calembredaines idéologiques. Les Rafale ne vont pas priver de sommeil Daech ni Al Qaïda : ils n‘en verront jamais les cocardes. Là où il aurait fallu sobriété et discrétion, on a fait donner de la voix Emmanuel Macron. Sur le pire des registres,qui plus est : nous affirmer que le ‘’partenariat anti-terroriste’’ avec le maréchal Abdel Fattah al-Sissi serait ‘’dissocié’’ de toute considération sur le régime (dictatorial et anti-démocratique) de celui-ci et de sa pratique abominable des droits humains. Pourquoi proclamer une telle énormité que l’on verrait plutôt dans les bouches de Viktor Orban, Donald Trump ou Xi Jinping ? Faut-il se renier pour mieux vendre ? Comment en arriver à désigner la démocratie comme une gêne pour le marchand ? Si d’aventure l’on vendait des Rafales à la Chine, souscrirait-on à la liquidation démocratique de Hong Kong, par devoir de complaisance commerciale ?
L’insulte est autant à nous-mêmes, démocrates et français, qu’aux milliers de combattants pour la démocratie – sans même mentionner les islamistes – qui sont torturés au quotidien dans les geôles du Maréchal. Le marketing en matière de vente d’armes à des dictatures consiste-t-il à se présenter soi-même en dictateur-ami des dictateurs (larme) ?
* 4 mai – L’Occident en gants de boxe. Quelle définition donner aux ‘’menaces mondiales’’ ? La liste pourrait en être très longue, mais quand ce sont les acteurs du G 7 qui en fixent les items, on est bien en présence d’un agenda occidental. Pour le coup, les ministres des Affaires étrangères desprincipales démocra Lties se sont réunis en présentiel – une habitude qui s’était perdue avec le Covid – à Londres, afin de coordonner les répliques de leur camp. Les représentants de l’UE, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande, de l’Inde, de la Corée du Sud ainsi que de l’Asean s’y sont joints en qualité d’invités. Les consultations préfigurent les débats que conduiront les chefs d’Etat et de gouvernement, dans ce même cadre du G 7, en juin.
Protéger les démocraties. Ce n ‘est plus un trait d’alarmisme malsain, mais bien une nécessité, tant les attaques et autres tentatives de déstabilisation politique se multiplient, venant de l’Est et du Sud. L’Etat de droit dépérit depuis longtemps, mais la société mondiale établie sur des règles édictées, admises et respectées, paraît-elle aussi bloquée, voire en danger. Les agressions-surprises par voie des mercenaires, les annexions territoriales, les expulsions de populations sont redevenues monnaie courante, sans doute plus encore que dans les années 1930. Chine, Libye, Ethiopie, Turquie et Russie sont bien sûr à l’ordre du jour des échanges. On ne les pointera pas forcément du doigt, au risque de les braquer, mais elles se reconnaîtront. Les chefs des diplomaties prendront mois de gants pour évoquer l’Iran, la Corée du Nord, la Somalie, la Syrie, le Sahel ou la Birmanie où sont à l’œuvre des régimes tueurs ou desperados.
Antony Blinken a marqué son souci de voir rétabli un « ordre international fondé sur des règles », pour sauver la paix mais aussi pour faire face aux défis globaux allant du dérèglement climatique à la relance économique post-pandémie. Au sein du club des riches, les campagnes de vaccination progressent vers une forme d’immunité collective, alors que, dans le Sud, d’autres pays affrontent des résurgences catastrophiques de la maladie Covid 19. Ce fossé béant face à la contagion devra être comblé pour parvenir à une sortie globale du cycle pandémique. Les ‘’7’’ devront contribuer à un dispositif mondial autour du programme Covax (accès universel aux vaccins) et d’aides matérielles au cas par cas, comme celles pratiquées pour l’Inde. Concernant le dérèglement climatique, enfin, le Royaume Uni veut démontrer que sa sortie de l’Europe ne handicape pas sa diplomatie et il cherche à maximiser les contributions annoncées par les pays riches e accueillant à Glasgow, en novembre, le sommet de la COP26.
Bonne chance, le G 7 ! Mais vous n’avez pas de mandat pour dénouer le désordre mondial. Ceci n’interdit pas d’afficher de l’exemplarité avec un zest d’intelligence et même d’audace. Renouveler l’image plutôt trouble de l’Occident dans ce monde où aucun autre acteur n’apparaît, non plus, ‘’sans tache’: quel défi exaltant !
* 3 mai. Les cent premiers jours rétablissent la confiance. Il fait ce qu’il a dit sérieusement et rapidement. Au terme de cent jours de ‘’réparation de l’Amérique’’ depuis la Maison Blanche, Joe Biden, politicien démocrate sans aspérité, apparaît presque comme un ange par rapport à son toxique prédécesseur. Mais surtout il agit en sage pressé de remettre son pays en selle, avant que son temps ne s’achève. Sa période de grâce aura été un chantier besogneux mené au pas cadencé. Les changements tous-azimuts font ressurgir une Amérique bien plus rassurante et partenariale (pour l’Europe) mais aussi ferme et impériale vis-à-vis de ses adversaires systémiques. On en oublierait presque la persistance des maux intérieurs qui ont eu raison du ‘’rêve américain’’ : inégalités extrêmes, failles des systèmes social et éducatif, violence armée, racisme et suprématisme, mode de vie gaspilleur, etc. Comme Roosevelt avant lui, Biden ambitionne de s’y attaquer. Mais il faudra bien sûr plus qu’un mandat présidentiel pour consolider la société américaine de l’intérieur… si toutefois la tâche s’avère possible.
Le cap est tracé, en tout cas. Par son comportement, son souci – en bon Papy – de la société, sa volonté de rallier à lui les gouverneurs des états et leurs particularismes, mais surtout par la conception de ses programmes, il s’efforce de projeter l’image d’un gouvernement fédéral qui protège et qui soigne. Préparé depuis son purgatoire dans l’opposition, sa campagne magistrale de vaccination contre le COVID donne à l’Exécutif washingtonien une image autrement plus avenante et efficace que les habituels préjugés ruminés dans l’arrière-pays. Biden compte rebondir à partir de là pour combler les déficits accumulés en matière de santé, d’éducation, d’infrastructures, de revenu des foyers avec enfants et même pour s’atteler à la question – symbole de souveraineté locale s’il en est – de la libre circulation des armes, laquelle, induit, elle aussi, un coût absurde pour la société.
Du côté des recettes (fiscales), il annonce cibler la minorité des infiniment riches, qui n’a cessé de creuser son écart de patrimoine abyssal avec les classes moyennes. Avec une cagnotte (empruntée) de plus de 2000 milliards de $, il s’emploie à doper l’économie en s’appuyant sur la consommation des classes moyennes. La pandémie dictant un cours d’urgence, les Républicains se sont, de leur côté, départis du favoritisme fiscal pro-riches et de la non-implication de l’administration dans l’économie, qui constituaient leur doxa sous Trump. Une sorte de retour à la loi de la jungle et en même temps à celle du casino constitue le seul horizon politique qu’ils promeuvent pour revenir aux affaires. Tant que le balancier de la politique glisse à gauche, l’administration Biden continuera à engranger des résultats. Mais il ne faut pas la sanctifier : les temps des contradictions va revenir, les erreurs et les inerties gripperont puis bloqueront peut-être les mécanismes de la gouvernance. Il n’empêche que ces succès obtenus à recréer de la confiance, du respect et de l’optimisme dans la population resteront des atouts forts pour affronter la suite. A bon entendeur européen, salut !
* 30 avril – Les droits des desperados. Sept anciens militants de l’extrême gauche armée italienne, réfugiés à Paris, dont plusieurs ex-membres des ex-Brigades rouges condamnés pour des actes de terrorisme dans les années 1970-80, ont été interpellés sur requête de la justice italienne. Ils avaient tous été condamnés, en Italie, pour leur implication – directe ou non -dans des attentats meurtriers contre des personnalités de l’arène politique, des milieux d’affaires ou de la police. Ces exilés sous statut de réfugiés (défini par le droit international, dans la Convention de Genève) ont néanmoins été accueillis en France, en vertu de décisions prises par plusieurs présidences successives. La ‘’doctrine Mitterrand’’ édictée à l’époque stipulait ainsi que l’asile leur serait garanti en France, en échange de leur renoncement à la violence, pourvu qu’elles ne se soient pas rendues coupables de crimes de sang. Ce fut le cas. On peut trouver ces décisions contestables voire choquantes mais elles ont été prises en connaissance de cause et engagent la crédibilité de la République. Ces réfugiés politiques vont pourtant être privés de la protection internationale qui leur avait été accordée, il y a quatre ou cinq décennies. Ils seront extradés vers le pays qu’ils ont combattu et qui veut les punir.
Il y a une lecture politique : pourquoi poursuivre ces personnes âgées et rangées, ne se cachant pas et ne présentant plus de dangerosité, plus de quarante ans après leurs actes ? Ne serait-ce pas pour faire un ‘’coup électoral’’ et parodier un succès anti-terroriste par confusion avec l’actualité terrible du jihadisme, sans rapport aucun avec la révolte éteinte que ces acteurs ont jadis incarnée ? Une autre lecture est juridique : les dépouiller de leurs droits et les livrer, en l’absence de nouveau crime de leur part depuis leur mise sous protection par la France, constitue une violation du droit d’asile et de la parole donnée par l’Etat. La décision a été prise par Emmanuel Macron lui-même et non par la Justice, ce qui suscite l’impression que le Droit et la Justice cèdent, une fois de plus, aux caprices de l’Exécutif. Montesquieu est effaré d’un tel déni de l’Esprit des Lois.
En 1985, l’Italie sortait à peine d’une décennie de violence politique extrême : plus de 12 600 attentats avaient provoqué la mort de 362 victimes, entre 1969 et 1980. Ce chaos était l’oeuvre de groupuscules d’extrême gauche plus ou moins organisés mais aussi de groupes d’extrême droite. Ces derniers bénéficiaient de complicités au sein de l’appareil d’Etat (notamment pour l’attentat de la gare de Bologne, en 1980, qui a fait 85 morts) et ne semblent pas poursuivis avec autant de rigueur. La plus grande urgence allait alors à un retour à la paix civile. La ‘’mise sous couvercle’’ en France des militants italiens de gauche les plus radicaux s’est opérée dans les années 1980, par consentement tacite entre les deux pays. Par la suite, aucune demande d’extradition n’a été adressée à la France, du moins avant le début du siècle. Plus récemment, une divergence s’est fait jour entre Paris et Rome, l’Italie s’éloignant de son pragmatisme initial pour adopter une posture plus nationaliste et plus revendicative. L’humeur du moment ignore généralement l’Histoire et les racines anciennes des problèmes. C’est le court-termisme, encore synonyme d’électoralisme à courte vue. Frustrer l’opinion italienne de son désir de sanction n’est pas une option réjouissante. Mais se renier et répudier le Droit n’est pas plus glorieux.
* 29 avril – L’Inde dévorée par le Covid-19. L’Inde est le premier producteur de vaccins au monde, mais elle souffre néanmoins d’une pénurie de vaccins ; Elle s’est dotée d’excellents médecins et hôpitaux, mais ne compte qu’un praticien pour 10 000 habitants et même pour 20 000 habitants, dans les régions défavorisées. La moitié de la population reste très pauvre et désarmée face à la pandémie. Aussi, le virus Covid 19 y a fait d’énormes dégâts humains. Symbole de la gravité de la crise sanitaire, les autorités ont dû libérer de l’espace dans des parcs et même dans les rues pour y dresser des bûchers, les crématoriums ne suffisant plus à la tâche.
Au moins, deux états de l’Union sont particulièrement affectés par la diffusion du variant B.1.617 dit »indien » : le Bengale-Occidental (est) et le Maharashtra (centre-ouest), tandis que beaucoup d’autres, mal pourvus en dispositifs épidémiologiques, restent dans le flou. À l’extérieur, le génome »indien » a été identifié dans une vingtaine de pays ou régions, notamment à Singapour, en Guadeloupe, à Saint-Martin, en Nouvelle-Zélande, au Nigeria, mais également en Australie, en Corée du sud, Turquie, au Royaume-Uni, en Irlande, en Belgique, aux États-Unis, en Allemagne, en Suisse, en Italie et en Espagne.
On ignore encore les conséquences exactes de la quinzaine de mutations qu’il incorpore. La mutation E484K serait associée à une diminution de l’activité neutralisante des anticorps et donc à un échappement immunitaire. La mutation E484Q correspondrait à une réduction, d’un facteur dix, du pouvoir neutralisant des anticorps. La mutation 681H. modifierait le comportement du virus et provoquerait une augmentation de son infectiosité. Enfin, la mutation L452R, également présente dans d’autres variants, affaiblirait la neutralisation du virus par le plasma des sujets convalescents.
Mais la flambée actuelle du nombre de cas en Inde ne résulterait pas du seul variant B.1.617. Elle serait – aussi ou surtout – la conséquence de grands rassemblements avec abandon ou relâchement des mesures, les deux facteurs pouvant se combiner. Le virus n’a pas une contagiosité hors-norme, par rapport à d’autres variants et il semble avoir circulé longtemps à bas bruit avant de devenir virulent. Il pourrait donc être moins problématique que d’autres variants préoccupants, comme ceux initialement identifiés en Afrique du Sud et au Brésil. Des études poussées restent nécessaires.
L’Inde fait face à une explosion de cas, dépassant des seuils jamais atteints, avec 360 000 nouvelles contaminations recensées hier. Près de 6 millions de nouveaux cas se sont ajoutés pendant ce seul mois d’avril. Le nombre de morts du Covid-19 dans le pays a dépassé les 200 000, avec plus de 3 200 décès signalés en vingt-quatre heures, selon les données officielles. Près de 6 millions de nouveaux cas ont été recensés pendant le mois d’avril. De nombreux experts estiment que le véritable bilan est plus lourd. De nombreux experts estiment que le véritable bilan est encore plus élevé. Le pays a jusqu’à présent administré 150 millions de vaccins. Le programme sera bientôt étendu à toute la population adulte ( 600 millions de personnes supplémentaires). De nombreux Etats signalent toutefois que leurs stocks de vaccins sont insuffisants, notamment concernant les groupes vulnérables. Discrètement, le gouvernement de New Dehli appelle au secours.
Les premières cargaisons britanniques de ventilateurs médicaux et de concentrateurs d’oxygène sont parvenues à New Dehli, mais ces 600 unités sont loin d’être à l’échelle des besoins. La France lance aussi son opération de solidarité : huit unités de production d’oxygène médical par générateur, de conteneurs d’oxygène liquéfié permettant d’alimenter en oxygène médical jusqu’à 10 000 patients sur une journée, ainsi que du matériel médical spécialisé afin de rendre autonome en oxygène un hôpital indien pendant une dizaine d’années. Après un refus initial de partager leurs réserves de substances vaccinales, les Etats-Unis ont décidé une livraison de composants biologiques, de tests et d’équipements de protection. Quant à l’L’Union européenne, elle a promis de fournir une contribution, via son Mécanisme européen de protection civile.
L’occasion se présente de prouver que la solidarité humaine n’est pas un vain mot dans notre système international privé d’âme. Mais mimer l’aide serait tromper le peuple indien. Il faut à l’Inde une aide désintéressée et d’ampleur exceptionnelle.
* 28 avril – La chèvre de M. Johnson. L’interminable feuilleton du Brexit nous renverrait-il à l’ère des dinosaures ? Depuis 2016 que le Royaume Uni a dit ‘’Me.de’’ à l’Europe, l’impression est là d’une Guerre de cent ans qui crépitera, tristounette, en arrière-plan du monde réel pour l’éternité des siècles, sans issue et sans intérêt. Les manœuvres législatives du gouvernement torry pour revenir sur des clauses essentielles de l’accord de divorce ont cassé le peu de confiance qui subsistait. La ‘’guerre’’ du Brexit a été perdue par les deux rives de la Manche, mais des batailles peuvent encore être jouées ‘’gagnant-gagnant’’. Le bon sens économique comme les intérêts stratégiques partagés plaident pour un solide partenariat. Seule manque la confiance en un avenir commun.
Le bilan des échanges reste déprimant : selon Eurostat, en janvier et février, les exportations européennes vers le Royaume-Uni ont reculé de 20,2 %. Pire encore, les importations britanniques dans l’UE ont chuté de 47 %. Dans cette ambiance crépusculaire, l’approbation, par le Parlement européen, d’un projet d’accord commercial bilatéral constitue un premier pas vers une forme de réveil. Sur 697 députés, 660 ont approuvé le texte, cinq s’y sont opposés et 32 se sont abstenus. On parle de l’accord le plus ambitieux jamais conclu par l’UE avec un pays tiers. Le 24 décembre, Boris Johnson en avait accepté les termes, bien moins favorables que son projet idéologique initial de ‘’grand large britannique’’, une concession sans gloire au réalisme. Le projet a connu un début de mise en œuvre, à titre provisoire. Le PM britannique voit aujourd’hui ce vote très majoritaire, comme « la dernière étape d’un long voyage ». Comme toujours, il se trompe (on connaît son discernement limité) : le voyage sera sans doute long, mais cette étape ouvre un champ de coopération pour l’avenir et nous extrait d’un lourd passé d’auto-destruction. Mais pas de chèque en blanc pour ce Partenaire si particulier : la Commission européenne poursuit sa procédure contre le Royaume-Uni pour violation du protocole de Brexit et Ursula von der Leyen a affirmé que, en cas de fourberies d’Albion, elle n’hésiterait pas à activer contre Londres des ‘’mesures de compensation unilatérales’’ d’ailleurs prévues par l’accord. On avance en se tenant par la barbichette, avec une main dans le dos prête à flanquer une baffe… mais on avance.
* 27 avril – La Sécurité par la Justice, pas la police. Entre 2018 et 2020, les autorités d’une trentaine de pays européens ont perdu la trace 18.000 enfants et adolescents migrants non-accompagnés. La France n’est pas la dernière à faire fonctionner la machine à créer des clandestins, en partie parce que l’Intérieur a une forte propension à faire sortir des statistique les étrangers dont la présence est irrégulière. Par conséquent, on leur refuse une seconde chance dans la vie, s’agissant notamment de très jeunes adultes. C’est également par insistance à utiliser des méthodes non-scientifiques pour évaluer leur âge (être réputé avoir atteint l’âge de la majorité devient alors synonyme d’exclusion du système social et potentiellement, d’expulsion). Accessoirement, les services d’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) sont difficilement mobilisables et pas toujours attentionnés à l’égard de ces jeunes ‘’sans papiers’’.
Depuis une dizaine d’année, l’obsession sécuritaire – dans le sens policier du terme ‘’sécurité’’ – fait des dégâts dans la conscience morale des électeurs, puisque c’est bien sous l’angle de l’arithmétique partisane que les gouvernants s’adressent aux citoyens. Très symptomatique de ce biais légèrement populiste est la position de non-rapatriement adoptée à l’encontre des jihadistes français, de leurs conjoints et enfants, qui croupissent dans des camps à la garde des Kurdes syriens ou de gardes-chiourmes irakiens. Apparemment, les juger en France serait violemment impopulaire, bien que ce soit la seule option digne d’un Etat de droit. L’Electeur veut oublier ce passé douloureux et ne plus en entendre parler : pas de place pour eux parmi nous ! C’est la présentation psy des choses qu’on nous offre, mais il est loin d’être établi qu’une majorité de Français soutienne une position qui ne résout rien et ouvre le risque de terribles vengeance dans l’avenir. Officiellement, les cas des mères et de leurs enfants sont examinés ‘’au cas par cas’’, mais la population française des camps ne diminue pas depuis quatre ans que le problème se pose.
Cette insensibilité égoïste cause l’accaparement des Kurdes, qui auraient plus urgent à faire face à la menace turque, à Daech et à Bachar que la sous-traitance du travail carcéral pour les beaux yeux de l’Etat Français (qui n’a pas été un bon allié face à Erdogan). Quant aux prisonniers détenus en Irak, ils risquent la peine de mort. On pourrait s’interroger sur l’ambiguïté française à cet égard, puisque ‘’les voir disparaître’’ est clairement le seul but logique. Très rares sont les jihadistes français mais aussi les loups solitaires étrangers à finir aux assises, ce qui serait pourtant la meilleure façon d’éclairer et de prémunir le public français. Quand ils sont appréhendés, ils ne reçoivent pas la mitraille dans les jambes : ils sont ‘’neutralisé’’ et l’appareil sécuritaire fait ainsi l’économie d’un procès. L’Electeur voudrait qu’il en soit ainsi. Face au terrorisme, point d’intelligence, seulement de la dureté (et tant pis pour les institutions, l’Electeur n’en aura cure) .
Le contre-terrorisme servirait-il en même temps l’ordre public et certaines visées électorales, à partir d’une perception caricaturale de la volonté des Français ? Sans aucunement soupçonner un complot, le rappel s’impose que même héroïque (et c’est souvent le cas) l’élimination de la menace ‘’terroriste’’ procède autant d’une culture politique et philosophique que d’un sens de la mission d’intérêt général. Il n’y a pas d’objectif simple et unique, la crise sécuritaire et l’angoisse des gens ouvrant d’innombrables opportunités pour remodeler la scène politique et institutionnelle. Dans le mauvais sens. Combien de lois ont été adoptées au cours de la décennie passée pour lutter contre le monstre, à chaque fois qu’il nous frappait ? Si on les alignait sur un tableur pour les comparer, ne verrait-on pas de nombreux bégaiements, des clauses purement idéologiques, des moments propices pour capter l’opinion, des mesures inapplicables, de la bouillie législative dont le sens n’est pas clair et les interprétations pourraient s’avérer dangereuses ? Où se trouve l’efficacité : dans le fatras des dispositions règlementaires ou plutôt dans la qualité et l’éthique des fonctionnaires ?
Le terrorisme est une méthode immonde, la pire qui soit, dans un conflit asymétrique. Que ce soit la vengeance ou la domination, le terroriste’’ suit un but guerrier et ne s’identifie pas lui-même au terrorisme. Il dira que c’est notre société qui est ‘’terroriste’’. Le mot n’a aucune définition dans le droit international et continue à perdre son sens, puisque de Poutine à Erdogan, tous les dictateurs voient en ceux qui les contestent des ‘’terroristes’’. Les résistants français déjà s’étaient gagné ce qualificatif aux yeux des Nazis. On peut se demander si certaines armées régulières suréquipées et opérant dans la haine des civils qui leurs résistent ne mériteraient pas le vocable infamant. Voyez la Birmanie, la Biélorussie, etc.
Le sens donné à ce mot devrait être de caractériser des crimes de masse, commis de façon aveugle, inopinée et indiscriminée contre des catégories entières d’êtres humains (une parenté évidente avec les crimes de guerre et les génocides) dans le but de provoquer l’effondrement de l’adversaire dans la panique et la confusion ? Ce, en invoquant n’importe quelle idéologie, et il y en a une diversité, comme l’Histoire le montre. Vu sous cet angle, on voit mieux que, tout en saluant la police et le Renseignement pour leurs accomplissements, il faut mieux laisser au citoyen – pas à l’Intérieur – le soin de sauvegarder, face à l’ennemi, la culture démocratique et le fonctionnement de la Justice et des institutions. Ce point de vue porterait à ne pas abandonner à des instincts de vengeance ces jeunes, français ou étrangers qui se sont dressés contre nous. Plutôt leur prouver que nous restons fermement debout et que leur haine est impuissante.
* 26 avril – Cuba dans sa gangue. Raul Castro a quitté le pouvoir, à l’issue du 8e congrès du Parti communiste cubain. Une page se tourne, celle du leadership idéologique sur la gauche ‘’révolutionnaire’’ en Amérique latine et de l’époque où l’île symbolisait une résistance – totalitaire mais ‘’héroïque’’ – à l’isolement et à la persécution que les Etats-Unis lui faisaient subir. Soixante ans, jour pour jour, après la proclamation par Fidel Castro de la révolution, Raul Castro passe le relais à la tête du PCC, l’appareil central du pouvoir, à Miguel Diaz-Canel, l’actuel président de la République. Raul, le patron historique de l’Armée jusqu’en 2008, avait succédé à son frère en tant que président jusqu’en 2018, tout en détenant le pouvoir suprême en tant que premier secrétaire du parti depuis 2011. L’intermède ‘’Raul’’ a-t-il amorcé une transition que le changement de génération devrait amplifier ou, au contraire, Raul Castro va-t-il continuer, pour quelques temps encore, à tirer les ficelles du pouvoir en coulisse ?
Difficile à dire, s’agissant d’une succession dictée par la disparition de la génération des guérilleros de la Sierra Maestra et non pas par une volonté de renouveau explicitement exprimée. Ces vieux révolutionnaires qui ont renversé la dictature Batista en 1959, n’ont jamais cédé le pouvoir. Ils ne laissent pas d’autre testament que »la continuité de l’ordre socialiste’’, à laquelle la population n’est plus, elle, autant acquise qu’avant, tant la vie quotidienne, le discours politique poussiéreux et les archaïsmes de la gouvernance la frustrent et la lassent.
Avec Miguel Diaz-Canel, la relève semble assurée dans la continuité. À 60 ans, ce ‘’jeunot’’, diplômé d’ingénierie, a patiemment gravi les échelons au sein du PCC avant d’être désigné président par Raúl Castro, en 2018. C’est, dit-on, ‘’le seul survivant’’ des purges destinées à mettre à l’écart les cadres de sa génération. De ce point de vue, le parallèle chinois est tentant de la curieuse filiation de Deng Xiaoping à Li Peng. Diaz-Canel n‘a d’ailleurs pas manqué d’évoquer ‘’l’autorité du Père’’ : ‘’ Le camarade Raul conduira les décisions pour le présent et l’avenir de la Nation’ ’ou encore : ‘’l’homme ne peut se contenter de pain : il a besoin d’honneur’’, ce qui avait mis en rage nombre de ses compatriotes, exaspérés par les pénuries. De fait, l’île est exsangue économiquement après avoir perdu son approvisionnement énergétique depuis le Venezuela et du fait du durcissement des sanctions – un vrai blocus – par Donald Trump. En plus, la crise du Covid-19 la prive des recettes du tourisme qui constituent sa rente principale. Le PIB a diminué de 11 % l’an dernier. Qui pourrait encore sauver Cuba ? La Chine ? Sa contribution se place sur un plan commercial et elle ne dispense aucune faveur, quand bien même son modèle économique ‘’socialiste de marché’’ intéresse La Havane. La seule hypothèse de salut viendrait d’un changement radical d’attitude à son égard de la part de l’administration Biden. Ce serait un coup magistral mais pour le jouer, il faudrait que soit dépassée la féroce querelle partisane qui divise les Américains sur Cuba… et aussi que les dirigeants de l’Ile manifestent des dispositions à s’extraire de la gangue mentale dans laquelle ils se sont enfermés.
* 23 avril – Un long feuilleton slave, sans issue claire. La fermeté paie-t-elle en géopolitique ? En évitant une réponse standard, le retournement d’attitude de Vladimir Poutine sur l’Ukraine pointe plutôt l’affirmative, étant entendu qu’un geste tactique ne marque qu’un temps court; que l’économie a généralement sa part dans les (brefs) accès de bon sens des autocrates et que ceux-ci ne sont sensibles à la fermeté de l’adversaire que lorsqu’ils disposent eux-mêmes de qualités de pragmatisme et de discernement. Ce n’est pas toujours le cas.
Moscou vient d’annoncer, le 22 avril 2021, le retrait de ses quelque 100.000 soldats massés sur les frontières de l’Ukraine et en Crimée annexée. Sans doute, une proportion de mercenaires infiltrés restera au Donbass, mais pour un travail de sape patient, pas pour une invasion frontale. Mieux encore, V. Poutine se dit prêt à recevoir à Moscou « à n’importe quel moment » le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, pour parler des hostilités avec son voisin occidental. Certes, la mention ‘’à Moscou’’, laisse deviner un environnement pressurant le jeune homologue de Poutine, mais l’ouverture correspond à la demande faite par celui-ci et la publicité accompagnant un tel évènement empêcherait le Kremlin d’aller trop loin dans l’intimidation. L’autocrate russe tient – ce n’est pas étonnant – à conserver la face et à rester maître du jeu, au moins aux yeux de ses compatriotes. Il prétend ainsi que Kiev est ‘’l’agresseur’’ qui chercherait à ‘’détruire’’ ses relations avec Moscou (sans doute une allusion oblique aux velléités ukrainiennes de candidater à l’OTAN et à l’UE). Il renvoie également l’Ukraine à ses responsabilités à l’égard des séparatistes de Donetsk et Louhansk, ce qui, pour une part, tient la route. Personne n’imagine non plus qu’il songe un instant à ‘’rendre la Crimée, ce qui scellerait pour lui une Bérézina. Au contraire, depuis la presqu’île, il maintient un dispositif d’entrave à la navigation de navires d’Etat étrangers bloquant l’accès au détroit de Kertch séparant la Mer Noire de la Mer d’Azov. C’est une vraie menace pour les ports et le commerce du Sud-est de l’Ukraine. Mais ses ‘’lignes rouges’’ sont bien connues et quand il somme les Occidentaux de les respecter, le vrai message – que n’ont pas capté les médias – était qu’il était prêt à bouger, mais pas résigné à perdre.
L’Otan a pris note de l’annonce du retrait évoqué et appelle bien sûr à la vigilante ». En tout cas, les sanctions ont mordu. Celles de l’Europe – surtout centrées sur le sort de Navalny – ont été utiles, mais le relais pris par l’administration Biden a été plus puissant. La Russie est mal en point : malgré son bon vaccin, qu’elle peine à produire en quantité, le COVID y fait discrètement des ravages. Ses interventions militaires en Europe, en Afrique et au Moyen Orient saignent ses moyens financiers. La Biélorussie, en pleine révolte, est un autre virus, politique, à sa porte. Ses recettes tirées des hydrocarbures ne porteront plus longtemps son économie (et elle n’a pas de plan B). La popularité de son tsar vieillissant baisse inexorablement, en même temps qu’augmente le mal-être de la vie quotidienne des Russes, etc. C’est donc une longue série à rebondissements à laquelle il faut se préparer, dans une mise en scène somme toute assez classique. Mais ça pourrait quand même mal tourner…
* 22 avril – Perdre ou réparer la boule. America ‘s back ! La mobilisation internationale contre le dérèglement climatique est relancée, sous l’étendard de l’administration Biden. Oublié le grand ‘’trou noir’’ laissé par le mandat Trump, Washington fait son come back dans l’accord de Paris en ambitionnant même d’en être le fer de lance. John Kerry, a battu le rappel des Européens, à Bruxelles (UE) et donné le signal d’une coopération renforcée avec les Européens pour fixer des objectifs ambitieux aux réductions des émissions de GES = dans le monde = d’ici 2030. ‘’Je viens renouveler le dialogue … à propos de notre coopération sur le climat, qui avait été extraordinaire dans la préparation de (l’accord de) Paris’’. Excuses pour la défaillance passée de l’Amérique et reprise de leadership : l’Amérique redeviendrait le cœur verdoyant de l’écologie globale ! Si l’on y regardait de plus près, notamment la puissance des lobbies des énergies fossiles et le consumérisme vorace de l’’’American way of life’’, tout en se félicitant de ce renfort tardif de la première économie du monde à la cause climatique, on n’en attendrait peut-être pas de grands miracles …
Toujours est-il que Washington entend rajouter une couche aux acquis de l’accord COP 21 signé à Paris, en 2015. Un sommet de deux jours en visio-conférence se tient à son initiative, pour consolider le processus. Limiter le réchauffement planétaire à moins de 2 C n’est plus guère qu’un slogan chimérique, au train où s’accumulent les émissions et les catastrophes climatiques. Il faudra se résigner à ce que les progrès réalisés restent très en deçà des engagements pris. Il n’empêche que les Occidentaux veulent croire en de nouvelles avancées possibles à l’horizon de la COP 26 de Glasgow, prévue en novembre. Par rapport à la référence de 1990, l’UE s’est engagée, en décembre 2020, à relever son objectif de réduction de CO2 à 55 % ou plus, d’ici à 2030, dans l’espoir d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Les Etats-Unis devraient bientôt annoncer des engagements à la mesure du rôle de premier plan qu’ils s’octroient dans la diplomatie verte et aussi, de leur responsabilité de premier pollueur mondial, avec la Chine.
John Kerry a réussi à se faire entendre des dirigeants chinois et russes, qui participeront au e-sommet, parmi quarante chefs d’Etat et de gouvernement. Ce n’était pas gagné d’avance, tant sont nombreux et graves les motifs de raidissement et de confrontation entre les trois poids lourds du G5 du Conseil de Sécurité. Parviendra-t-on à faire de l’enjeu climatique une exception dans l’agenda ‘’hystérique’’ des relations internationales ? L’année s’annonce catastrophique en termes d’émissions de GES, mais aucune puissance ne prétend plus y être indifférente ou étrangère. Avec les yeux de Candide, on pourrait en déduire qu’une nouvelle forme de détente – certes, limitée aux grands enjeux partagés – pourrait inculquer un brin de bon sens à ce monde. Qu’en dites-vous ?
* 21 avril 1974 – Toyota tchadiennes et boucle en rond. Trois coopérants étaient enlevés à Bardaï, dans le nord-ouest du Tchad. Ce kidnapping aura fait connaître la rébellion des Toubous du Tibesti et son chef : Hissène Habré. Celui-ci, parti de sa base libyenne à la tête d’une colonne de pic-ups Toyota armés, tentait de fondre sur la capitale, N’Djamena. Habré a retenu en otage l’archéologue Françoise Claustre pendant 33 mois, avant que son ‘’Frolinat (Front de libération du Tchad) ne parvienne à s’empare du pouvoir. Il cherchait à échanger ses otages contre des armes et de l’argent. Les négociations secrètes ont violé tous les principes de droit publiquement affichés par le gouvernement français et par son ambassadeur au Tchad (dans les faits, totalement court-circuité et abusé). Le commandant Pierre Galopin, qui les menaient, dans l’espoir d’obtenir’’ par la bande’’ la libération des deux prisonniers Français, sera exécuté par les rebelles en avril 1975. Venant de Libye ou du Soudan, les colonnes de pic-ups armés descendant vers le Sud vont se succéder comme une routine, au fil des décennies et des raids armés sur la capitale. Le Tchad ne connaît pas d’autre forme d’alternance qu’on aurait du mal à qualifier de ‘’politique’’. A chaque épisode, la France, militairement présente sur le terrain où elle dispose de bases, fait décoller ses chasseurs pour clouer sur place les hordes déferlantes.
C’est un pays de guerriers aguerris mais sans scrupule. C’est le pilier principal du dispositif de Barkhane dans le Sahel et l’allié le plus efficace – mais pas le plus respectueux des civils – qu’aient les militaires français. Le Tchad est un cas de conscience pour qui voudrait appliquer au jihadisme invasif un antidote démocratique incontestable.
Tout recommence en boucle, dans ce couloir d’invasion aux confins stratégiques très sensibles. Idriss Debby, parvenu lui aussi, au pouvoir (en 1990) à la tête de Toyota affublées de fusils mitrailleurs, s’est fait tuer en pleine bataille, par d’autres rebelles, venus eux aussi de Libye, pour s’empares eux aussi du pouvoir. On ne sait pas trop qui ils sont mais, comme toujours, un intellectuel formé à Paris leur sert de figure de proue. L’avis des Tchadiens n’a jamais été sollicité mais la France, en sa qualité de gendarme de l’Afrique subsaharienne, perd un partenaire précieux sur le plan militaire et, surtout, l’assurance de pouvoir opérer de façon stable et continue depuis sa base arrière tchadienne.
Ce coup dur intervient en pleine introspection sur sa stratégie au Sahel, alors que son intervention militaire ne peut manifestement pas suffire à ‘’recréer’’ des sociétés et des Etats à même d’assumer la Paix et que, par ailleurs, ses autres partenaires militaires ne font pas le poids. La tâche ne dépasse-t-elle pas ses moyens, son influence, ses responsabilités ? En attendant, dans la famille Debby, le fils prend la place et les canons du père et il ne risque aucune critique de la part de Paris. Dans un vrai régime démocratique, ce ne serait pas dans les brèves d’un blog inconnu mais à l’Assemblée Nationale que le sujet serait débattu.
* 20 avril – Le déni nous lobotomise. Ecume des jours dans les médias : la COVID a fait officiellement trois millions de morts et ce n’est qu’un début. Des centaines de millions de survivants (on ne peut pas les compter) en gardent des séquelles. Dans le »Sud » de la planète, certains pays, surtout en Afrique, n’ont mis en place aucune parade sanitaire. Deux géants, le Brésil et l’Inde, ont perdu tout contrôle sur la circulation du virus. Ces pays produisent, de ce fait, des variants particulièrement virulents qui se recombinent entre eux en rendant inopérantes les stratégies vaccinales laborieusement mises en place dans le Nord. Des enfants de moins d’un an et une proportion affolante de jeunes sont atteints par la maladie, en Inde. Les frontières se ferment comme des sas étanches. En Europe, la troisième vague tombe sur des populations mentalement épuisées : la peur de la perte d’emploi, le sentiment d’enfermement, la solitude et la séparation des familles, les soupçons à l’égard du sérum AstraZeneca, l’angoisse des lendemains qui feront mal… STOP ! N’en jetez plus, on connaît tout ça ! Vraiment ?
Et bien, pas tout le monde, car le fait est là, ahurissant : le complotisme sanitaire se porte bien, envers et contre tout. Si vous tendez bien l’oreille (surtout sur les réseaux sociaux) vous entendrez, médusé, que »la COVID n’existe pas », voire même que la maladie a été sournoisement »inventée » pour donner à je ne sais qui le contrôle de nos âmes et de nos biais politiques… ou tout bêtement pour nous détruire (ce qu’il fait très bien, mais naturellement). Il n’a pas fallu attendre le virus pour qu’une minorité grandissante »psychote » prisonnière de son incapacité à suivre et surtout à comprendre la marche du monde, au sens le plus large du terme. Ces esprits égarés aux marges de la civilisation humaine sont, à la base, des personnes respectables, bien qu’incomplètement structurées. L’angoisse, l’incompréhension et la paresse intellectuelle aidant, ils se muent – souvent inconsciemment – en puissants vecteurs de simplification des causes et de leurs effets. Leur soulagement (relatif) viendra de la valorisation sociale qu’ils tireront de leur expression dissidente de la science et de la géopolitique, des disciplines forcément biaisées au profit »d’ennemis des gens ». Mais leur succès doit d’abord à la simplicité extrême des thèses complotistes, par rapport aux réalités, trop complexes. La vérité, le réel ne fournissent aucun confort intellectuel : il y a beaucoup à gagner à les nier et cette dérive n’est pas désintéressée.
Le problème est que pour atteindre ce relatif confort, ils vont devoir injurier les victimes et leurs proches et troubler le deuil de familles éprouvées. Ils leur expliqueront que leurs parents sont morts »de leur faute », d’une maladie bénigne ou inexistante, et qu’ils sont en quelque sorte »coupables » de confirmer le détestable état des lieux officiel. Interdire le chagrin est une oppression abjecte. La pente de la déshumanisation par le déni et par la peur conduira ensuite à catégoriser ceux dont la mort »ne compte pas » : personnes âgée, étrangers de passage ou exilés, patients affectés de handicaps ou de morbidité, pauvres, prisonniers, »races » telles ou telles, humanistes toxiques, etc. On voit bien vers quel enfer le basculement mental des complotistes pourraient nous mener.
Kant disait : »l’intelligence humaine se mesure à la quantité d’incertitude qu’un esprit saura confronter ». A méditer…
* 17 avril – L’Ennemi, une notion »tendance »’ ? L’époque est révolue où la France ne se sentait pas menacée. Aujourd’hui, des groupes djihadistes la voient en cible prioritaire et des Etats cherchent à l’affaiblir. La période de grâce s’est achevée au début des années 2000 avec les attentats du 11 septembre 2001, à New-York et à Washington puis lorsque AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique) la désignée en ennemi des croyants. Aujourd’hui, les forces françaises sont engagées au Sahel comme au Levant, Selon os stratèges : ‘’ne pas se préparer au conflit, c’est être (mangé) au menu’’. Lla notion d’ennemi reviendrait au goût du jour ?
Dans un contexte international à la fois chaotique et volatile, où le fait guerrier redevient une culture, les armées se préparent ces dernières années à affronter des conflits de haute intensité, ceux qu’on n‘imaginait plus possibles, qu’ils soient symétriques (entre armées), asymétrique (terroristes ou partisans) ou encore qu’ils combinent ces deux composantes (conflits civils à ramifications internationales). L’OTAN aussi planche sur les ‘’guerres du futur’’ dont on sait qu’elles sont déjà engagées – bien qu’à faible intensité – et qu’elles seront hybrides (cyber, financières, par recours aux sanctions économiques, aux moyens d’influence, d’espionnage, etc.). Mais la guerre se tient à distance et sa réalité n’est pas évidente pour tous. Il y a quelques mois, le général Lecointre, CEMA, a présenté une formulation ‘’conventionnelle’’ de la dissuasion à la française : faire comprendre à nos ennemis qu’ils ne sont pas à l’abri de ripostes, s’ils nous agressent, et pour cela déployer des moyens de lutte de haute intensité’’. De fait, sans se départir de sa doctrine stratégique, la France se prépare en priorité à des formes de confrontation interétatiques dans la dimension navale (accrochages avec la Turquie, la Chine, l’Iran) comme dans ses opérations terrestres outre-mer. Elle est concernée au premier chef par la sécurité du Vieux Continent face à la menace russe – une partie au bord du gouffre se joue en Ukraine -, mais aussi par le Moyen-Orient, le Maghreb et le Sahel. La défense des départements et territoires d’outre-mer pourrait aussi prendre un tour conflictuel. Comment garantir souveraineté et libre navigation, face à des dénis d’accès ? Ce sont aussi toutes ces zones interdites de survol ou d’approche par des missiles installant des vides de réaction en cas d’agression car ils mettent l’attaquant hors de portée des systèmes de défense et de réplique du pays ciblés.
L’identification de l’adversaire s’impose dans la préparation opérationnelle, mais on ne nomme jamais ouvertement les pays avec lesquels risquent de se produire des affrontements. En Occident, la guerre a un lourd relent d’immoralité, même pour qui y serait confronté contre sa volonté. Le fait est qu’il serait effectivement indécent d’oublier que c’est un phénomène horrible comme l’est la pandémie, mais de-là à renoncer à se défendre… Tout devrait toujours être fait pour qu’il n’y ait pas d’ennemi, même si c’est au prix d’un déni cognitif. Ainsi, la Turquie est alliée dans l’OTAN, donc mieux vaut se taire. La Russie est appelée à s’intégrer ‘’un jour’’ dans l’architecture de sécurité européenne (un objectif souhaitable), alors ménageons – verbalement – V Poutine. En sens inverse, pourtant, la France et l’Alliance sont bien catégorisées publiquement comme des ennemies et parfois même comme ‘’terroristes’’. L’URSS de Brejnev avait peur de l’OTAN et aspirait à la détente avec l’Occident. Par contraste, la Russie de Poutine juge possible l’effondrement de l’Occident et se montre plus agressive. Cette posture flatte également les opinions revanchardes en Russie et dans d’autres autocraties populistes. Elle favorise la mobilisation guerrière des populations et la fuite en avant.
La frontière entre l’ennemi et l’adversaire est mince. Moscou a procédé à des annexions de territoires en Europe, par la force, mène des cyberattaques en grand nombre, assassine des opposants sur le sol européen, soumet la Biélorussie, encercle le flanc sud de l’Europe depuis la Libye, l’Afrique noire et le littoral syrien, etc. Est-ce suffisant pour être une ennemie, dans le sens inexorable et ancien du terme ? Tant que des règles de comportement cohérentes et constantes existent – même si elles sont criminelles – il vaut mieux s’en tenir à la notion d’ ‘’adversaire stratégique’’ qui ménage la possibilité de dialoguer et d’agir de concert dans quelques secteurs d’intérêts communs. Cette approche réaliste et peu enthousiasmante serait aussi adaptable à l’hégémonisme chinois, si la nécessité d’un durcissement s’imposait. De même avec la Turquie, dont on peut espérer que le gouvernement sortira, de lui-même, de son aventurisme paradoxal.
* 16 avril – Fraternité des frères musulmans. L’ambassade de France à Islamabad recommande– elle n’a pas le pouvoir d’ordonner -aux Français présents au Pakistan de quitter temporairement le pays, en raison ‘’des menaces sérieuses’’ pesant sur les intérêts français. L’alerte fait suite à de violentes manifestations anti-françaises au cours de la semaine.
Depuis l’automne, les partisans du Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), un parti islamiste proche des frères musulmans, réclament avec fureur l’expulsion de l’ambassadeur de France. Non qu’ils en veuillent personnellement à ce personnage qui n’est qu’un simple rouage d’exécution de la diplomatie française, mais il représente à leurs yeux un symbole du laïcisme français, qu’ils exècrent. La vraie cible est bien Emmanuel Macron, du fait de ses propos au lendemain de la décapitation de Samuel Paty, à Conflans Sainte Honorine. Depuis plusieurs mois, les manifestants se heurtent brutalement à la police au sein de laquelle ils ont tué deux agents. Leur leader, Saad Rizvi, a été arrêté après avoir appelé le 20 avril à une nouvelle marche contre la France. Pour le faire libérer, le TLP a alors tenté de bloquer les plus grandes villes du pays, Lahore (Est) et Karachi (Sud), ainsi que la capitale Islamabad. Il lui serait hasardeux d’appeler directement à des attentats contre le pays de la ‘’liberté de blasphémer’’, à laquelle il est dit qu’il ne renoncera pas, mais l’idée figure, implicitement, dans son message comme dans sa culture d’assassinat et de lynchage. Fin octobre, Imran Khan, le premier ministre pakistanais, avait accusé Emmanuel Macron d’’’attaquer l’islam. Arif Alvi, le président, s’en est pris à son homologue français à propos du projet de loi sur le séparatisme, qui porte, selon lui, atteinte aux musulmans. La ministre pakistanaise des Droits de l’Homme, Shireen Mazari, a quant à elle affirmé que ‘’Macron fait aux musulmans ce que les nazis infligeaient aux juif’’. C’est dire le ton chaleureux des relations officielles.
Constat désagréable à entendre : la France fait figure d’ennemie traditionnelle des Frères musulmans. Elle est l’incarnation vivante de la laïcité, soit encore, de tout ce que l’islam politique rejette et veut détruire. La haïr est la recette parfaite pour doper les militants de l’Islam politique. L’histoire de cette animosité remonte à 1939, lorsque Hassan al-Banna, le guide fondateur de la mouvance frériste, a appelé à la vengeance contre les ‘’honteuses positions’’ françaises sur la Syrie, sur la question marocaine et le dahir berbère. Il prophétisait que le bassin méditerranéen tout entier redeviendrait un jour aux frères et à l’Islam. Depuis, les Frères musulmans trouvent systématiquement un motif ou un autre pour s’attaquer à la France, comme moyen de radicaliser leur base. Le Pays de Voltaire tient le rang de seconde tête de Turc des frères, après Israël. Depuis la promulgation de la loi de mars 2004, qui encadre le port de signes ou de tenues religieux ostensible dans les établissement scolaires, la fureur des frères ne s’est jamais calmée. Affaires du voile, caricatures de Mahomet, burkini, positions françaises au sujet de la Syrie, de la Libye, du Kurdistan, de la Méditerranée orientale, de la Grèce, de l’Arménie, du Sahel, etc. ils font feu de tout bois. Cette animosité n’est pas représentative des sentiments des musulmans du monde – dont beaucoup sont attachés aux libertés et à la modernité – mais elle alimente l’Islam politique, où curieusement, se retrouvent très souvent des combattants sunnites et chiites mélangés. Le ‘’croissant islamiste’’ où s’exerce leur emprise relie symboliquement l’Indonésie au Maroc, en passant par la Malaisie, le Pakistan, l’Afghanistan, l’Iran, le Qatar, la Turquie, la Libye, la Tunisie et l’Algérie.
En 2014, les Émirats arabes unis ont a classé les Frères musulmans comme mouvance terroriste. Les Saoudiens ont suivi en 2020 et ils cherchent désormais à se désengager de tout prosélytisme politique à l’étranger, sans parvenir à se défaire de la radicalité de leur wahhabisme / salafisme. En décembre 2019, un sommet ‘’anti-saoudien’’ à Kuala Lumpur s’est fixé l’échéance de 2024 – centenaire de la chute du califat ottoman – pour rétablir le mode dynastique de l’Islam d’antan. A cette occasion, Mohamad Mahatir, le premier ministre malaisien, a invité les croyants à ‘’tuer des millions de Français’’.
La Turquie de R.T. Erdogan est – on l’aura deviné – le pilier et le moteur de cette stratégie d’expansion agressive. Erdogan ambitionne d’émerger en nouvel unificateur et guide suprême de l’Islam ou du moins de l’islamisme. Son pays s’est doté, contre l’Europe, du levier de contrôle très sensible actionnant les flux de réfugiés, à la fois à l’Est (Mer Egée) et au Sud (Libye). Il dispose ainsi d’un outil de chantage majeur sur l’Europe. A la suite de l’assassinat de Samuel Paty, la Turquie a attisé les flammes de la vaste mouvance frériste contre le président Macron. Parmi les porte-paroles les plus déterminés de cette francophobie, on pourrait citer certains députés islamistes marocains, des politiques qataris, koweïtiens et jordaniens ainsi que les nombreux mouvements anti-chrétiens du Bangladesh, du Bihar indien et du Pakistan,. Les correspondants du réseau turc au Pakistan sont à la manœuvre sur le thème du blasphème.
* 15 avril – Pensées sombres sur la Mer Noire. La situation continue de se tendre dans l’est de l’Ukraine. Sur la ligne de front du conflit avec les séparatistes prorusses, les incidents armés meurtriers se multiplient depuis plusieurs semaines. La trêve instaurée en 2020 a volé en éclats et ce changement de pied n’a pu être décidé qu’à Moscou. Kiev soupçonne que le Kremlin cherche un prétexte attaquer le Donbass, après que la Russie a massé plus de 80 000 soldats près de sa frontière orientale et en Crimée ,annexée après sa ‘’révolution orange’’ de 2014. Le conflit avait fait, plus de 13 000 morts et d’1,5 million de déplacés dans les territoires ukrainiens frontaliers de Lougansk et Donetsk. L’intensité des combats avait fortement baissé après la signature, au printemps 2015, des accords de Minsk, dont le France, avec l’Allemagne, est garante pour le camp occidental. Aujourd’hui, la boucle est bouclée : le président, Volodymyr Zelensky, en treillis de combat, se rend sur les fortifications, face au dispositif russe, à proximité de Lougansk. Kiev affirme adopter une posture purement défensive et ne pas vouloir tirer la première salve, mais se prépare ostensiblement à subir une offensive militaire imminente.
La dégradation de la trêve a été évoquée au téléphone par Vladimir Poutine avec Angela Merkel, cette dernière engageant le président russe à alléger son dispositif offensif. Pour l’autocrate russe, ce serait au contraire Kiev qui orchestrerait des « provocations visant à aggraver la situation », étant entendu qu’une intervention russe ne serait pas exclue pour ‘’protéger la population (séparatiste) locale’’. Kiev affirme soutenir une solution « politique et diplomatique » pour récupérer les territoires qui lui échappent, mais ne cache aucunement que, face à l’expansionnisme russe, la principale garantie qu’elle recherche serait une adhésion à l’OTAN. Ce serait évidemment une ligne rouge dont le franchissement déchainerait la vengeance de Moscou. Sans risquer de s’engager en ce sens, le président Joe Biden assure néanmoins V. Zelensky de son ‘’soutien indéfectible’’. Il a aussi dépêché deux bâtiments de l’US Navy en mer Noire, dont Moscou cherche à faire un lac intérieur, ciblant en particulier le contrôle du port ukrainien de Marioupol. Les conditions d’une internationalisation du conflit sont donc réunies. Il y a quelque chose d’évocateur du »couloir de Danzig » ou de »l’ultimatum sur les Sudètes », dans cette démonstration – très »années 1930 » – de volonté d’annexion territoriale et d’espace vital ethnolinguistique. Mais ce pourrait être l’occasion, à l’inverse, d’un vaste deal entre Washington et Moscou, dans lequel la population de l’Ukraine n’aurait que marginalement voix au chapitre. On en est là.
* 14 avril – Saucissonner l’adversité stratégique. Relever les défis un par un, selon leur degré d’urgence. Après trois mois passés à la Maison Blanche, le président Biden ne peut guère douter d’être soumis à des tests. En sus de ceux inhérents à l’instabilité et l’imprévisibilité du système international, il doit éviter les chausse-trappes que lui tendent des grands et moyens acteurs du camp anti-démocratique (ou anti-occidental, ce qui est quasi-synonyme). Poutine, Xi Jinping, Erdogan et les centrales jihadistes l’attendent au tournant : c’est un fait et le chemin est truffé de mines. Un peu dans la précipitation, il vient de réajuster, tout en la confirmant, la retraite de ses troupes d’Afghanistan. Curieux choix que celui de date : le 11 septembre comme échéance, ce qui revient à caler l’admission d’une défaite sur l’anniversaire du désastre subi y a vingt ans. La dure réalité est qu’il n’y a plus rien d’utile à escompter de cette présence militaire étrangère, vomie par la population. Entre parenthèse, c’est un redoutable signal pour la France au Sahel (et au-delà), qui s’est piégée de façon très comparable et doit fait face aux mêmes ennemis.
Une fois soldée la Bérézina dans le bourbier afghan, Washington ne tarde pas à ‘’engager’’ ceux de ses adversaires avec qui des tractations sont encore possibles. En-haut de la liste figure Vladimir Poutine. L’autocrate ‘’tueur’’ (selon les dires récents de Biden) a ainsi reçu un appel de sa part et, pas trop vexé de sa qualité d’assassin, a dit bien vouloir se prêter au jeu des tractations entre ‘’grands’’, un statut essentiel pour son aura nationale. Prêts à se parler pour le bien de « la sécurité mondiale »- un concept plus policier que celui de ‘’stabilité internationale ‘’ ou de ‘’paix mondiale’’- les deux hommes d’Etat ont commencé à discuter de la situation en Ukraine, alors que le regain des échauffourées et la concentration de forces russes à la frontière font redouter une relance de la guerre au Donbass.
Joe Biden a proposé à son interlocuteur-adversaire de tenir, au cours des prochains mois, une rencontre au sommet dans un pays tiers. L’espoir serait de passer de la nouvelle guerre froide, bien engagée, à une ‘’relation stable et prévisible entre les deux puissances ». Pas un partenariat donc, mais une détente. Poutine doit encore confirmer, mais la seule perspective d’une redéfinition des relations russo-américaines a de quoi donner la migraine au troisième larron : la Chine de Xi Jinping. Les relations entre Moscou et Washington sont aujourd’hui minées par des confrontations sectorielles autour de l’Ukraine, de la Syrie, des ingérences électorales, de la cyber guerre, du développement d’armes nouvelles, d’opérations d’espionnage et d’autres mauvais procédés. Contenir ces animosités au sein d’un tout ‘’gérable’’ ferait beaucoup pour dissiper le cauchemar stratégique que constituerait une solide alliance sino-russe face au camp occidental.
*13 avril – Qui paie l’impôt s’enrichit. Géopolitique, la taxation des firmes géantes ? Absolument : c’est l’un des rares leviers de pouvoir des Etats sur ces puissantes entreprises hégémoniques qui font la pluie et le beau temps à travers la planète. Depuis des décennies, l’Europe rêve – sans vraiment passer à l’acte – d’un monde où le système de de règles fiscales serait, sinon commun, en tout cas largement partagé pour ce qui est des gros contributeurs : ceux qui se jouent des frontières et des législations pour minimiser leurs impôts.
Ce ‘’level playing field’’, aujourd’hui l’administration Biden s’y attelle, dans un esprit de progressiste qui évoque le New Deal de Roosevelt. Janet Yellen, secrétaire au Trésor de Joe Biden, a ainsi défendu une concurrence fiscale équitable entre les multinationales de la planète : ‘’Ceci permettrait aux Etats de remplir leurs missions sans que le dumping fiscal planétaire ne tarisse leurs ressources financières’’… ‘’Nous travaillons avec les pays du G20 pour convenir d’un taux d’imposition mondial minimum sur les sociétés, qui puisse arrêter la course vers le bas’’. Dans cette logique, elle considère positivement le processus initié au sein de l’OCDE et que l’Europe ne parvient plus à faire avancer.
Cette prise de position encourageante intervient après que Joe Biden a lancé, à Pittsburgh, un gigantesque plan de relance économique de 2 200 milliards de dollars, qui sera abondé par la hausse de la taxation des entreprises de 21 % à 28 %. C’est aussi un élément central de la politique sociale des Démocrates, visant à rééquilibrer la dépense publique au profit des classes populaires. Ce programme requiert une contribution fiscale accrue des entreprises, le strict contraire de la politique ‘’pro-business’’ menée par D. Trump. Il prévoit de doubler la taxation forfaitaire des bénéfices réalisés par les multinationales hors du territoire des Etats-Unis, sans péréquation possible par le biais d’un quasi-paradis fiscal (à chaque pays, son dû fiscal ira en proportion de la valeur ajoutée générée sur son territoire).
Bien sûr, la fin des exceptions, échappatoires et autres paradis d’optimisation fiscale ne surviendra pas en un seul printemps – la résistance à l’impôt promet d’être être colossale – mais, au moins, la voie est ouverte. Comme le dit Biden : ‘’un pompier et un enseignant payent 22 % d’impôt. Amazon et 90 autres grandes entreprises ne payent pas un cent. Je vais mettre un terme à cela.’’ C’est dire, au passage, que les pernicieux GAFA seront aussi mis dans la boucle, une avancée que le gouvernement français souhaite par-dessus tout. Les paradis fiscaux et le big business qui les abreuvent privent les braves gens d’Occident de 1000 milliards $ de recettes ainsi détournées chaque année de la justice sociale ou du combat climatique. Si le virus n’était pas là, il devrait y avoir bal dans nos rues !
* 12 avril – Barbichette nucléaire. Le monde de la prolifération et des armes de destruction massive ne connait ni la transparence ni la négociation de bonne foi. Face au risque – avéré ou non – de l’emploi des technologies de double-usage (de recherche scientifique ou d’attaque de grande intensité), la règle reste la ruse et le recours aux sanctions. Parmi les installations suspectes observées avec attention, celle de centrifugation de l’uranium, à Natanz en Iran, est assurément l’un des sites les plus critiques de la planète. Demeuré secret pendant de longues années, il s’est extrait, étape après étape, des contrôles exercés par l’AIEA et ses inspecteurs. Sa production d’uranium enrichi à 20 % et plus dépasse de loin le seuil destiné à un usage civil, sans avoir encore atteint celui autorisant la production de combustible fissile militaire, en clair : de bombes A. Mais on s’en rapproche.
Il y a quelques années, un virus ‘’patient’’, distribué sur des clés USB hors-circuit verrouillé de l’installation, avait fini par mettre à bas son système informatique, retardant d’un an le programme iranien. Compliments d’Israël et des Etats Unis, associés. En juillet 2020, l’usine d’assemblage de centrifugeuses plus puissantes a été frappée par une mystérieuse explosion : nouveau retard, sans doute du fait des mêmes commanditaires. Hier, l’usine a connu un accident majeur d’alimentation électrique. Selon l’organisation iranienne de l’énergie atomique, aucune victime ne serait à déplorer. Les autorités de Téhéran ont néanmoins conclu à un « sabotage d’origine terroriste » (l’adjectif désignant communément tout ce qui leur est hostile). Est-il besoin d’attendre les résultats de l’enquête des autorités, dont on devine facilement les cibles pressenties ?
La veille, les autorités nucléaires iraniennes venaient de lancer de nouvelles cascades de centrifugeuses beaucoup plus performantes, prohibées par l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien. Le président Hassan Rohani avait salué la mise en route des nouveaux ateliers d’assemblage de Natanz, ordonnant dans la foulée la mise en service de trois nouvelles installations en cascade. Deux constats s’imposent :
-l’Iran ne s’arrêtera pas dans sa quête du seuil nucléaire militaire, ce seuil n’impliquant pas la mise en batterie de missiles armés, mais la possibilité d’y parvenir rapidement en cas de crise critique. Donc, une possibilité de bascule stratégique plutôt qu’une exhibition précoce de l’arme ‘’à la nord-coréenne’’.
-La petite guerre – très réelle – autour des installations, notamment de celle de Natanz, n’est compréhensible qu’à la lumière de grandes manœuvres géopolitiques en cours. En signalant envisager de réintégrer l’accord de 2015 = = sous conditions = = les Etats Unis forcent l’Iran à s’engager aussi sur le terrain politique et diplomatique. Dans les tractations en cours avec les Cinq du Conseil de sécurité, l’Europe joue les intermédiaires de bons offices et les Américains campent en coulisse. Il s’agit de désigner un coupable : soit, celui qui s’entête à lâcher sur le Moyen-Orient les démons de la prolifération, soit celui qui sanctionne aveuglement une population civile éprouvée par ses sanctions. Aucun des deux camps ne peux renoncer à ses objectifs stratégiques ultimes, d’autant plus que les logiques d’opinion intérieures ne leur pardonneraient aucun écart. Reste la simultanéité des concessions ou semi-concessions. Washington désamorcerait un peu les sanctions et réintègrerait – pas trop officiellement – l’accord. Téhéran accepterait de parler à nouveau des contrôles de l’AIEA, étant entendu que les progrès récents réalisés dans ses programmes ne seraient pas remis en cause…Hyper complexe, dans les faits comme dans leur perception médiatique. C’est bien un combat de boucs qui se tiennent par la barbichette !
* 9 avril – Brexit désespérant. Souvenons-nous comme Michel Barnier mettait en garde contre les conséquences du Brexit sur la paix civile fragile de l’Irlande du Nord. Rétablir une frontière douanière signifiait, selon le positionnement de celle-ci, que l’Irlande insulaire se retrouverait coupée en deux ou détachée de l’Angleterre et, dans les deux cas, que la violence y cheminerait à nouveau. Facile prédiction que Westminster ne voulait pas entendre, tout à son obsession d’une Grande Bretagne cinglant vers le grand large. On y est : non pas vraiment au grand large, mais dans la déconstruction de la paix laborieusement rétablie en 1998 par l’accord dit du Vendredi Saint. La sanction de la myope indifférence de Boris Johnson a été préfigurée par un spectacle d’étales alimentaires vides, à Belfast, les distributeurs s’étant perdus dans les arcanes des nouveaux circuites douaniers permettant d’importer d’Angleterre.
Ensuite, les formations politiques locales ont mis en ébullition les populations pauvres regroupées de part et d’autre des ‘’murs de la paix’’, des grilles que l’on ferme chaque soir à 18h00 pour bien séparer les communautés protestante et catholique. La première est d’autant plus nerveuse que sa majorité au gouvernement de Belfast ne tient qu’à une voix d’avance. Les premières briques, lancées par des jeunes contre la police, sont venues de là, à l’incitation des groupes unionistes (protestants) paramilitaires. Ces loyalistes, partenaires par essence du gouvernement de Westminster, sont en effet profondément divisés. La fracture passe entre ceux qui en veulent à Johnson de les avoir trahis et sacrifiés – après qu’ils l’ont aidé à faire voter le Brexit – ils ressentent, de ce fait, moins d’hostilité envers la République d’Eire au Sud – et, à l’autre bout de l’échiquier politique, ceux qui s’acharnent à relancer l’insurrection, pour éviter un désaveu par les urnes. De Londonderry à Belfast, ceux-là ont mis le feu, chaque nuit, depuis une dizaine de jours et transformé en fortifications les murs de la paix. Les jeunes catholiques ont répliqué par les mêmes procédés. Du seul côté de la police, on compte déjà une cinquantaine de blessés.
Le Premier ministre britannique condamne bien sûr ces émeutes, qui sont pourtant le pur et prévisible résultat de sa politique inconséquente, la rançon d’un mépris ‘’colonial’’ à l’égard de tous les Irlandais. Le gouvernement de Belfast, composé d’Unionistes et de Républicains, est totalement dépassé. Après d’âpres négociations, Londres et Bruxelles étaient parvenus à une solution ad hoc, le ‘’protocole nord-irlandais’’, écartant tout retour à une frontière physique sur l’île. Ceci passait par une localisation des contrôles dans les ports nord-irlandais. ‘’L’accès sans entrave’’ promis par Boris Johnson a été un leurre. On sait maintenant que le Brexit aura bien les conséquences destructrices que l’on redoutait. Souhaitons à l’île d’Irlande de retrouver un jour le cheminement pacifique que Londres a compromis. Ce n‘est pas pour demain. Sans mentionner les états d’âme compréhensibles de l’Ecosse.
* 8 avril – Bruit de bottes de glace. Une agitation mystérieuse trouble l’univers glacé de l’Arctique. Entre Mourmansk et l’Alaska, la Russie est à la manœuvre depuis 2016 et sa flotte du Nord se cuirasse sous un réseau d’installations navales et aériennes endurcies et plus ou moins secrètes. Certaines infrastructures ont été réactivées de la période soviétique, d’autres sont nouvelles et censées abriter de redoutables système d’armes ‘’imparables’’, tels des drones ‘’nucléaires’’. CNN a diffusé quelques images du dispositif russe renforcé, qui devient bien visible et, au moins en partie, opérationnel. C’est une façon, pour le Pentagone, de faire partager aux Occidentaux son souci face à la militarisation de l’Océan (encore un peu) glacial, au-delà du détroit de Béring, à proximité des côtes américaines. Washington dresse un parallèle avec l’accaparement, par Pékin, des eaux de la Mer de Chine orientale et méridionale. Un clash est possible.
-L’activisme russe est-il destiné à grignoter de l’espace stratégique. Dans ce cas, est-ce pour disposer d’un cluster rapproché d’armes nucléaires à même de menacer, à très court préavis, des objectifs stratégiques sur le territoire américain. Un couperet au-dessus de l’Alaska et des territoires canadiens du Nord-Ouest.
-Hypothèse alternative : la marine russe serait persuadée que sa flotte du Nord, qui embarque la principale composante de l’arsenal nucléaire russe, serait ciblée de façon critique, par les contre-systèmes américains et donc trop vulnérable. Son ‘’blindage’’ par toute une série d’abris et de caches viserait alors à renforcer ses chances de survivre à une frappe ‘’préemptive’’ des Etats Unis. Les nouveaux drones ‘’invincibles’’ déployés ces derniers mois pourraient n’être nucléaires qu’au niveau de leur seule propulsion. Ils constitueraient surtout un dispositif d’observation et de brouillage pour protéger pour les sous-marins russes.
-Troisième hypothèse, cumulable avec les précédente : l’Ours russe voudrait s’imposer, au plan économique aussi, en maître de la navigation commerciale et de l’exploitation des ressources, le long de la route arctique du Nord-Est. Ce scénario est très plausible mais il ne requière pas particulièrement des armes extraordinaires et des sites de lancement secrets pour sa mise en oeuvre. Donc, une tentative ‘’à la chinoise’’ d’accaparer le contrôle d’un espace maritime plus large (ou ‘’à la turque’’, pour reprendre le contrôle du Bosphore) n’expliquerait pas tout.
Paranoïa russe classique, expansionnisme économique ou bluff affuté, la recherche par Moscou d’une capacité de menace renforcée sur l’espace nord-ouest américain pourrait aussi bien constituer les prémices d’un grand marchandage sur la militarisation de l’Arctique. L’administration Biden vient de valider la prolongation de l’accord New Start sur les ogives et leurs lanceurs. Poutine sait sans doute que son pays n’a plus les moyens économiques d’une course aux armements débridée avec son grand rival stratégique. Il pourrait dès lors tenter de geler, à un niveau avantageux pour lui, les dispositifs militaires dans le Grand Nord, quitte à en rabattre un peu à propos de ses nouvelles ‘’armes imparables’’.
* 7 avril – Les têtes de Turc de Pékin. Au Xinjiang (Turkestan oriental), les tensions entre la majorité locale musulmane (principalement ouïgoure) et la majorité nationale han (Chinois de souche installés localement en colons) se traduisent en épisodes d’accrochage puis de répression. Les deux hauts responsables locaux de la Justice et de l’Education, des hauts fonctionnaires ouïgours ‘’collaborateurs’’ de Pékin, responsables de secteurs administratifs traversés par de vives tensions ethniques, viennent d’être condamnés à mort pour »séparatisme islamique’’. Ces condamnations, assorties d’un sursis de deux ans, sont, en pratique, commuées en détention à perpétuité. La Révolution a dévoré certains de ses enfants. L’administration, à so tour, cloue au pilori ses administrateurs non-Han. Le plus étonnant est que le régime pékinois n’ait rien appris de ses purges passées, par catégories entières de citoyens. C’est de ces méthodes d’ogre engloutissant sa progéniture que l’Ankar des Khmers rouges s’étaient inspirées dans les années 1970. Elles n’étaient plus de mise sous Deng Xiaoping. L’atavisme réémerge sous Xi Jinping.
Plusieurs pays, dont les Etats-Unis, évoquent un génocide dont les Ouïgours musulmans et à, un moindre degré, leurs coreligionnaires Kazakhs, Kirghiz et Tadjiks seraient les victimes. Il n’est sûrement pas conçu comme tel, mais l’obsession de régner sur les consciences et d’imposer des comportements contre-identitaires conduit au même résultat. Et, plus que jamais, la fin justifie les moyens. Les nombreux responsables pékinois que ces méthodes rebutent doivent cacher leurs sentiments ou affronter les sanctions du Parti. Plusieurs organisations de défense des droits de l’homme estiment à plus d’un million le nombre des Ouïgours internés dans des centres de rééducation depuis 2017. Pékin affirme que ces sites fermés abritent des ‘’centres de formation professionnelle’’ destinés prémunir les Ouïgours du séparatisme et des pulsions d’attentats qui leur sont attribuées. Juste la même chose, mais formulée en langue de bois. Comment ne pas réagir à cette reconnaissance cynique d’un traitement ethnique collectif contraire à tout critère de droit, infligé à cette communauté sunnite dont les représentants sont tous présumés coupables et ‘’modifiables’’ à volonté ?
* 6 avril – Sublime Portefeuille. Le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sont à Ankara pour solder une période d’invectives et de contentieux avec la politique agressive de la Turquie et les excentricités du président Recep Tayyip Erdogan. Celui-ci aurait donné des signes de souhaiter une reprise graduelle des relations économiques et d’être prêt à marchander à nouveau l’endiguement des exilés proche-orientaux massés dans son pays.
Le Conseil européen de mars a décidé de ne pas sanctionner la Turquie, comme il l’envisageait. Ceci répond à des signaux positifs d’Ankara, en particulier à un répit dans les tensions en Méditerranée orientale autour de la prospection gazière à proximité de la Grèce et de Chypre. De ce fait, a été ouvert un ‘’agenda positif ‘’, le motif de cette première reprise de contact directe. Les Vingt-Sept vont mettre sur la table certaines facilités de visas pour les ressortissants turcs et la modernisation des règles douanières bilatérales. En termes de philosophie générale, c’est une incitation à plus de bonne volonté de part et d’autre. Mais les contours d’une entente restent imprécis du côté européen, la France se montrant bien moins conciliante que l’Allemagne quant au degré de confiance à investir dans l’autocrate mégalomane et aventuriste. Certains Etats-membres de l’UE souhaiteraient que les deux dirigeants bruxellois évoquent le sujet de l’État de droit et des droits de l’Homme en Turquie. Ce serait le plus sûr moyen de braquer Erdogan. L’UE attend une issue pacifique des tractations sur l’exploitation des gisements off-shore renouées entre Ankara et Athènes. Elle imagine possibles quelques marques d’apaisement sur les interventions militaires d’Ankara en Libye, en Syrie ou dans le Caucase. Mais, toute honte bue, elle a surtout besoin de la coopération monnayée d’Ankara face aux quatre millions de migrants syriens et autres concentrés en bordure de la Mer Egée. Le pacte de signé en mars 2016, à l’initiative de l’Allemagne, a fonctionné en barrage efficace face aux tentatives de passage vers l’Europe. Les Européens se défaussent ainsi de leur devoir humanitaire mais, dans l’état de repli frileux où se trouvent les opinions, ce manquement est plutôt bien compris. De son côté, Erdogan veut renégocier cet accord, qui parvient à échéance, et obtenir les précieux financements européens pour renflouer l’économie turque. On n’est pas encore dans l’entente mais le réalisme dur est de retour.
* 5 avril – Justice mais sans punition. Joe Biden se montre particulièrement actif à ‘’réparer l’Amérique’’ dans la phase initiale de son mandat et tant que sa très courte majorité sénatoriale le lui permettra. Parmi les décisions iniques de son prédécesseur sur lesquelles il entend revenir, l’offensive de D. Trump contre la justice internationale, en juin 2020, compte parmi les plus exécrables. Il vient de mettre fin, le 2 avril, aux sanctions lancées contre la Cour pénale internationale (CPI), notamment celles ciblées contre sa procureure, Fatou Bensouda.
Ces sanctions avaient choqué beaucoup d’observateurs de la scène internationale, attachés aux idéaux de justice et d’incrimination des crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Elles constituaient une attaque contre tout ceux qui tiennent à la compétence universelle de certains tribunaux comme un outil indispensable contre l’impunité générale. Elles revenaient à torpiller les possibilités de rétablir la Paix dans les conflits les plus destructeurs et à entretenir un désir de vengeance inassouvie chez les victimes.
Antony Blinken a annoncé la levée des sanctions imposées à Fatou Bensouda, dans le cadre de son enquête visant à déterminer si les forces américaines ont commis des crimes de guerre en Afghanistan. Phakiso Mochochoko, le chef de la division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération de la CPI, est également retiré de la liste noire des magistrats à humilier. La juridiction de La Haye a sobrement salué « une nouvelle phase dans l’engagement commun à lutter contre l’impunité’’. Aimable de sa part et non-polémique. Malgré ses convictions multilatéralistes, Joe Biden a néanmoins confirmé que Washington s’opposerait à toute enquête de la CPI sur des faits reprochés à des personnels américains, c’est-à-dire nationaux d’un État non-signataire du Traité de Rome de 1996. Du moins, « en l’absence de saisine du Conseil de sécurité des Nations unies ». Vu les possibilités de blocage au niveau de cette instance, ce n’est donc pas pour demain.
Le poids de l’institution militaire et de ses relais d’opinion dans la classe politique est assurément trop lourd pour qu’un homme de bonne volonté – serait-il président – puisse ouvertement le défier. Le constat n’est pas très différent, en France, où différents préjudices subis par des populations civiles réémergent aussi dans l’actualité. La décision américaine – mi-chèvre mi-choux – convient manifestement au ministre Jean-Yves Le Drian, qui a salué une ‘’ excellente nouvelle pour tous ceux qui sont engagés au service de la lutte contre l’impunité, du multilatéralisme et d’un ordre international fondé sur la règle de droit »… néanmoins, en ménageant un peu nos soldats en Afrique ?
Vingt ans d’intervention armée en Afghanistan, dont une partie menée en coalition hétéroclite, une part assumée par des ‘’mercenaires’’ et une autre, par des drones, ne pouvaient qu’entraîner de graves entorses au droit humanitaire, quelles que soient les précautions prises, sur le terrain. La faute primordiale est à rechercher du côté du flou accompagnant la définition de l’ennemi et des objectifs militaires dans leur dimension politique et à une stratégie totalement ‘’étrangère’’ à la population. Il y a des leçons à en tirer.
* 2 avril – On vous reparle de la Birmanie. La situation s’y aggrave. Le Conseil de sécurité de l’ONU a publié une déclaration aseptisée par la Chine . ‘’Profondément préoccupés par la détérioration rapide de la situation », les membres du Conseil déplorent la mort de centaines de civils, incluant des femmes et des enfants » et dénoncent (et on pas condamnent) le recours à la violence contre des manifestants pacifiques ». A peine plus qu’une réaction à une catastrophe naturelle ou à une manifestation qui aurait mal tourné. Or, beaucoup d’observateurs s’interrogent : en est-on aux prémices d’une guerre civile, avec sa cohorte d’interférences régionales ? Dans les versions précédentes du texte, les Occidentaux avaient proposé que le Conseil de sécurité soit « prêt à envisager de nouvelles étapes », une discrète allusion à l’hypothèse de sanctions contre les généraux putschistes. Pékin n’en a pas voulu, pas plus que du mot ‘’meurtre’’ pour qualifier les exécutions aveugles de civils. Quant à Moscou, son plus grand souci lui paraissait être la mort de plusieurs tireurs appartenant aux forces de l’ordre. Blocage de la Russie avec la Chine. Mais tel est le Conseil de Sécurité avec lequel il faut essayer de faire avancer les causes de la Paix et de la Justice.
Le risque de guerre civile en Birmanie ne soucie guère ces grandes puissances souverainistes, alors qu’à travers les villes et les territoires de minorités éthiques se multiplient les zones de guerre. Après deux mois de répression féroce, les manifestations de rues à grand renfort de casseroles ne sont plus qu’un souvenir périmé. 536 victimes d’armes à feu, dont de nombreux étudiants, ont été recensées par l’association pour l’assistance aux prisonniers politiques (AAPP). Le 27 mars, « Journée des forces armées », 140 personnes, dont une dizaine d’enfants, sont tombées sous le feu des fusils. Des centaines d’autres, mortes ou vivantes, ont été enlevées. Entre le mouvement de désobéissance civile à la junte du général Min Aung Hlaing et les militaires accrochés à leurs privilèges politiques et économiques, il n’est plus question de retenue. Donc, les militants cherchent à s’armer. Les rebellions éthiques du Nord du Pays ne demandent qu’à leur prêter main forte face à l’ennemi commun. Les Kachin et les Karen passent à l’attaque de sites militaires et se sont même emparé d’une base aérienne. Des bombardements ont été ordonnés par Naypyidaw, en représailles. L’escalade de la violence est désormais enclenchée.
Arrivée au pouvoir en 2016, Aung San Suu Kyi s’était engagée à conduire le pays à une réconciliation inter-ethnique. Malgré une exception choquante aux dépens des Rohingyas, elle a tenté d’apaiser les tensions attisées autour des ressources minérales et énergétiques que l’Armée exploite en en chassant les communautés ethniques, propriétaires du sol. Elle visait une forme d’accès partagé. Le retour à une dictature militaire ‘’dure’’ aura aussi pour conséquence d’enflammer les marches du pays, qui sont des régions très sensibles.
– 01-04 – Un jour spécial. Mais peut-on plaisanter avec l’état du monde, si tristounet ? De très nombreux adeptes de ce blog ont exprimé le souhait ardent d’une forme d’illustration de ses fortes pensées. Ainsi, beaucoup regrettent les apparitions graphiques de l’Ours, dont la philosophie originale et plantigrade continue pourtant d’irriguer nos bonnes feuilles électroniques. Prolonge-t-il son hibernation par une séclusion anti-Covid 19 ? Reste-t-il coincé dans sa tanière trop étroite ?
Les adieux de Plantu à la communauté médiatique, ce 1er avril, fournissent l’occasion de marquer la date, en saluant son grand art. Jean Plantureux a profondément marqué le lectorat français, tant par le génie savoureux de son crayon que par sa maîtrise sans faille du sens de l’actualité. Personne n’a croqué mieux que lui le cours bancal de nos sociétés et l’absurdité géopolitico-ironique du monde. Sans poisson aucun, voici son ultime dessin, philosophique, comme toujours. Merci, Jean !
* 2 avril – On vous reparle de la Birmanie. La situation s’y aggrave. Le Conseil de sécurité de l’ONU a publié une déclaration aseptisée par la Chine . ‘’Profondément préoccupés par la détérioration rapide de la situation », les membres du Conseil déplorent la mort de centaines de civils, incluant des femmes et des enfants » et dénoncent (et on pas condamnent) le recours à la violence contre des manifestants pacifiques ». A peine plus qu’une réaction à une catastrophe naturelle ou à une manifestation qui aurait mal tourné. Or, beaucoup d’observateurs s’interrogent : en est-on aux prémices d’une guerre civile, avec sa cohorte d’interférences régionales ? Dans les versions précédentes du texte, les Occidentaux avaient proposé que le Conseil de sécurité soit « prêt à envisager de nouvelles étapes », une discrète allusion à l’hypothèse de sanctions contre les généraux putschistes. Pékin n’en a pas voulu, pas plus que du mot ‘’meurtre’’ pour qualifier les exécutions aveugles de civils. Quant à Moscou, son plus grand souci lui paraissait être la mort de plusieurs tireurs appartenant aux forces de l’ordre. Blocage de la Russie avec la Chine. Mais tel est le Conseil de Sécurité avec lequel il faut essayer de faire avancer les causes de la Paix et de la Justice.
Le risque de guerre civile en Birmanie ne soucie guère ces grandes puissances souverainistes, alors qu’à travers les villes et les territoires de minorités éthiques se multiplient les zones de guerre. Après deux mois de répression féroce, les manifestations de rues à grand renfort de casseroles ne sont plus qu’un souvenir périmé. 536 victimes d’armes à feu, dont de nombreux étudiants, ont été recensées par l’association pour l’assistance aux prisonniers politiques (AAPP). Le 27 mars, « Journée des forces armées », 140 personnes, dont une dizaine d’enfants, sont tombées sous le feu des fusils. Des centaines d’autres, mortes ou vivantes, ont été enlevées. Entre le mouvement de désobéissance civile à la junte du général Min Aung Hlaing et les militaires accrochés à leurs privilèges politiques et économiques, il n’est plus question de retenue. Donc, les militants cherchent à s’armer. Les rebellions éthiques du Nord du Pays ne demandent qu’à leur prêter main forte face à l’ennemi commun. Les Kachin et les Karen passent à l’attaque de sites militaires et se sont même emparé d’une base aérienne. Des bombardements ont été ordonnés par Naypyidaw, en représailles. L’escalade de la violence est désormais enclenchée.
Arrivée au pouvoir en 2016, Aung San Suu Kyi s’était engagée à conduire le pays à une réconciliation inter-ethnique. Malgré une exception choquante aux dépens des Rohingyas, elle a tenté d’apaiser les tensions attisées autour des ressources minérales et énergétiques que l’Armée exploite en en chassant les communautés ethniques, propriétaires du sol. Elle visait une forme d’accès partagé. Le retour à une dictature militaire ‘’dure’’ aura aussi pour conséquence d’enflammer les marches du pays, qui sont des régions très sensibles.