* 30 septembre – Mauvais voisinage. Priver les petites classes moyennes du Maghreb de la possibilité de venir – légalement – en France, avec un visa, c’est comme leur retirer leur pain quotidien et les portions de ‘’vache qui rit’’, si populaires en Algérie, Maroc et Tunisie. Le gouvernement français s’attaque à des populations qui entretiennent des liens parentaux avec les trois à cinq millions de Maghrébins résidant en France (selon la définition de leur statut), pères, mères, aïeux des binationaux qui sont nos compatriotes. Ces ‘’cousins’’ sont frottés aux cultures des deux rives et à l’histoire de la Méditerranée, déclinable en deux versions. Ils acceptent de subir les interminables files d’attente devant les consulats de la République. Certains – peu nombreux – en profitent pour s’installer ou pour se faire soigner gratuitement et même quelques-uns se laissent entraîner dans la délinquance des quartiers, qui est, elle, bien de chez nous. C’est la contrepartie d’une contribution utile à la marche économique de cette ‘’seconde patrie’’ que leur est la France et cela n’affecte pas notre qualité de vie. Globalement, ces »franco-compatibles » jouent le jeu et rentrent au pays. Leurs demandes de visa sont traitées par profilage (susceptibilité de migrer ou non) : malheur à ceux dont les intérêts patrimoniaux détenus au Pays ne sont pas suffisamment importants pour impliquer le retour au bercail ! Les plus modestes (une majorité des demandeurs) n’ont aucune chance d’obtenir le sésame. Peu de nationaux étrangers font l’objet d’un filtrage »visa » aussi dur.
Sabrer de moitié (ou du tiers) ce flux légal, déjà réduit à néant par la pandémie de Covid, ne constitue pas un mode de régulation rationnel. Cela équivaut à rejeter les échanges humains avec des peuples-partenaires que l’on devrait prémunir de toute radicalisation et arrimer à nos intérêts et à notre culture en tant que proches voisins. Au lieu de cela, on sépare les membres français et non-français des mêmes familles, on dresse des murs policiers et réglementaires. Pourquoi désespérer ces voisins, pourquoi faire surgir un visage aussi inamical de la France ? Où va-t-on à long terme ?
On ne va pas refaire l’histoire de cette circulation humaine millénaire, par-delà les mers et les frontières. L’état du monde rend strictement impossible d’en tarir les sources à long terme. Quelques remarques sur la façon discutable dont on s’y prend :
– Le visa représente le mode de déplacement respectueux du droit et de l’autorité étrangers. Fermer cette vanne honnête, c’est ouvrir toujours plus grand celle des entrées clandestines. On s’en apercevra dans quelques mois.
– La motivation de Paris touche un problème très différent des visas : la réadmission des clandestins ‘’reconduits’’ (expulsés) dans leur pays d’origine. Celle-ci nécessite l’émission d’un laisser-passer consulaire de la part des autorités du pays d’origine. On comprend bien que certains ‘’illégaux’’ posent des problèmes d’ordre public, de délinquance, etc, et soient renvoyés. Mais pourquoi sanctionner à leur place les visiteurs légaux ? Ne cherche-t-on pas à créer dans l’esprit du citoyen français une confusion entre la reconduite d’illégaux et la venue de visiteurs respectueux des règles ?
– Cette impression est encore accentuée par la façon de sanctionner une population, alors qu’on en veut à son gouvernement. A la guerre comme à la paix, les contentieux entre Etats ne sont pas supposés prendre comme cibles ou otages les citoyens civils. On comprend bien que la police française soit frustrée par la quasi-absence de coopération des consulats maghrébins dans l’Hexagone. Il faudrait s’en prendre aux ‘’coupables’’, plutôt qu’aux braves gens. L’entrée sur le territoire relève du pouvoir régalien de l’Etat, sa souveraineté (à l’exception de l’asile). Pourquoi ne pas ajourner certains rendez-vous d’Etat avec les trois pays voisins, voire suspendre pour une période limitée les déplacements d’officiels ? Sans doute parce que le tarissement des visas a été dicté par la police française, peu initiée aux multiples canaux de la diplomatie.
– Les accords de réadmission, source du contentieux actuel avec les trois capitales, ont pour source la frustration de nos autorités policières. Ils ont été conçus selon une pure logique d’affichage statistique et ignorent les paramètres sociaux et qualitatifs profonds de la circulation humaine. Même les coopérations en co-développement ont été assujetties au but de restreindre une présence étrangère mal vue de certains Français, tous statuts confondus. Il est d’autant plus piquant que quelques politiciens proposent de supprimer cette coopération censée reteir les gens chez eux (une vision fausse d’ailleurs).
– Ces accords ont été conclus par torsion de bras… mais aussi par intéressement financier. Avec les gouvernements du Maghreb, la France, comme d’autres pays d’Europe, rétribue peu ou prou une fonction de barrage aux flux clandestins de l’Afrique subsaharienne. Un service redu, en échange des visas. Par extension, elle escompte de la part de ces partenaires obligés une ‘’modération’’ sinon une régulation des candidats au départ sans visa. Maintenant, si tous les canaux se ferment, que valent ces accords ?
– Paris n’a pas d’état d’âme à ce propos. Mais les Etats d’origine ressentent une certaine honte à défendre ces arrangements face à leurs électeurs. Car ces accords ont, pour leurs nationaux, comme un parfum de trahison et d’hégémonie (post) ‘’coloniale’’. Il est tabou de reconnaître publiquement qu’on s’y soumet et il serait politiquement dangereux de les honorer de façon visible du public. Il y a un brin d’hypocrisie à se formaliser de ces ambigüités.Paris, Alger, Rabat et Tunis naviguent au plus près des aspirations ou des fantasmes de leurs opinions et médias. Il est vraiment dommage qu’une question de long terme aux incidences systémiques multiples et graves soit traitée au gré d’humeurs et de calendriers purement conjoncturels. A chacun ses électeurs, après tout !
* 29 septembre – Muttie et successeurs. Juste trois mots sur les législatives en Allemagne. En fait, rien ne presse : Angela Merkel est encore à la barre pour un trimestre… peut-être plus. Il y a quelque chose de rassurant dans le bon ordre, lent mai stable dans lequel se déroule la transition. Aux journalistes français qui s’énervent pour savoir comment la succession de Muttie est prévue, quand la nouvelle coalition sera sur pied, les acteurs politiques allemands font une réponse »3ème ou 4ème République à la française ». Après le verdict des électeurs (historiquement sévère pour la CDU), de longues et méticuleuses négociations entre les partis accoucheront d’une formule de compromis entre les partis, forcément complexe, puisqu’à trois composantes. A Berlin, cela se fait sérieusement et sert un esprit de gouvernance collective qui stabilise assez bien la société. On pourrait même y retrouver la démocratie chrétienne malmenée d’Armin Laschet (qui se refuse à démissionner) mais sûrement pas l’extrême gauche (die Linke) exclue du jeu parlementaire par son score inférieur à 5 %, ni l’AdF fascisante, qu’en Allemagne personne ne veut fréquenter (petite différence avec la France ?). Dans l’équation gouvernementale, les faiseurs de roi sont Les Verts (quasi-sûrs d’y participer si leurs exigences ne dépassent pas les limites acceptables) et le petit parti Libéral (FDP), à vrai dire plus orienté à droite que la CSU et peu attirant pour les sociaux démocrate, mais on est dans l’arithmétique plus que dans les affinités). Formule »jamaïcaine » (CDU, Libéraux, Verts ) ou feu tricolore (SPD, Libéraux, Verts). La volonté d’attelage commun se manifeste depuis la campagne, entre les Sociaux-démocrates et les Verts, tous deux favorisés par l’électorat. Donc, Olaf Scholtz bénéficierait un certain avantage dans la course à la chancellerie.
Mais qu’importe ! Il y a de fortes convergences entre les partis sur la politique extérieure du pays, à commencer par son arrimage à l’Europe, la volonté de renforcer celle-ci, l’importance de la relation franco-allemande comme moteur des politiques, la nécessité de garder un lien fort de défense avec les Etats-Unis et l’OTAN, même si les déconvenues récentes en ont limité la crédibilité. On aimerait constater un tel consensus en France. Félicitons-nous que l’Alemagne soit aussi lisible et rassurante ! En sens inverse, nos voisins d’outre-Rhin (bien qu’une partie de la Rhénaie est sur la même rive que nous) ont quelque motif à s’interroger sur les orientations du gouvernement français – sans doute monolithique), qui suivra la présidentielle et les législatives en France. Point de compromis entre partis, ici : le monarque vainqueur devra détruire la classe politique ou la soumettre à sa loi. Le Parlement n’aura que très peu d’accès à la politiqe étrangère, comme les citoyens d’ailleurs. Amis Allemands, pardon si, au final, c’est nous qui risquons de vous faire peur !
* 28 septembre – Le petit dragon délaissé. On néglige trop cette démocratie de 28 millions d’habitants, dotée d’institutions dynamiques, d’un niveau de vie à l’occidentale et d’un savoir-faire industriel hi tech hors-pair. Elle alimente, entre autres, en composants et en systèmes numériques sophistiqués nos industries dévoreuses de puces électroniques, celles qui maquent cruellement à l’heure de la relance économique.
Son tort : avoir évolué de façon totalement autonome d’un bastion d’ancien régime (celui de Chiang Kai-shek) à un état de droit moderne, multipartite et régulé par des élections libres… ce, à quelques encablures de l’hyper-puissante Chine continentale. Par-delà le langage autoritaire de sa propagande, la RPC a énormément profité de ce voisinage en termes d’économie, d’investissements, de technologie et de savoir-faire gestionnaire. Mais c’était avant que la tension ne monte dangereusement entre les deux rives du détroit de Taiwan.
La prospérité et la santé démocratique de l’île autonome constituent une énorme épine plantée dans la fierté des dirigeants pékinois. Comme si leur révolution n’avait pas pu atteindre pleinement son objectif national et que leur légitimité – pourtant incontestée – se trouvait fragilisée pour ne ‘’pas avoir fini le travail’’. Privée de son siège à l’ONU à l’entrée de Pékin dans l’organisation mondiale, en 1971, Taipeh n’en a pas moins bénéficié d’une tolérance de sa part pour sa participation à des organisations internationales économiques ou techniques. Il s’agissait de laisser à l’île une marge de respiration pour la convaincre que, comme Hongkong, elle pourrait un jour réintégrer la ‘’mère-Patrie’’, tout en préservant sa prospérité, sa société libre et ses réseaux commerciaux. On sait ce qu’il est advenu de Hongkong depuis 2020 et c’est exactement ce que les Taiwanais ne veulent à aucun prix.
Comment croire encore en la relative bienveillance de la RPC depuis l’avènement, en 2012, de Xi Jinping à la tête du PCC. ? L’époque de la bienveillance est finie. Le durcissement tous-azimuts de la RPC, la logique de guerre froide qui s’instaure avec les Etats Unis posent désormais, en termes existentiels, la survie de Taiwan en tant qu’entité politique et acteur international. Le traitement de haut vol que Taiwan a apporté à l’épidémie de COVID – alors que Pékin bloque toujours son admission à l’OMS – a braqué les projecteurs sur les contributions utiles de l’Ile à la communauté internationale et, en creux, sur l’injustice de son isolement imposé. La présence au pouvoir d’une présidente ‘’autonomiste’’ (en fait, attachée à un statu quo de coexistence) suit une logique de non-retour (volontaire) dans le sein de la Grande Chine. Ceci exaspère la haute direction chinoise. Celle-ci répond par le déploiement d’un énorme arsenal de missiles et de capacités d’invasion amphibie sur les côtes voisines du Fujian, juste en face. La possibilité d’un blocus, d’une invasion et/ou d’une réduction de la résistance taiwanaise par des bombardements massifs est entrée dans les plans conceptuels de l’Armée de Libération du Peuple : le détroit de Taiwan et la Mer de Chine environnante sont devenus des points chauds du globe, porteurs d’un risque de conflit de grande expansion et intensité.
Dans un tel contexte, la demande d’adhésion de Taiwan, le 23 septembre au ‘’Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership (CPTPP)’’ fait sens. Ce partenariat remplace une précédente initiative américaine (torpillée en 2017, par Donald Trump). Il pourrait ouvrir, sinon une protection stratégique (du seul ressort des Etats Unis), une posture réhaussant le profil de l’Ile dans sa région. Signé en 2018, le CPTPP est le plus grand pacte de libre-échange de l’Asie-Pacifique. Il couvre 13,5 % de l’économie mondiale et 500 millions de consommateurs. L’accord favorisera les échanges économiques et commerciaux à l’intérieur d’un groupe de onze pays non-inféodés à Pékin, dont le Japon, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Canada, le Mexique, le Pérou et plusieurs ‘’petits tigres’’ dynamiques de l’ASEAN comme le Vietnam Le CPTPP devrait examiner la demande d’adhésion de Taipeh par voie de consensus.
Comme on pouvait s’en douter, la RPC a coupé l’herbe sous les pieds du petit dragon. Sans souci de ses mauvaises relations avec certains des membres de l’Accord (l’Australie, par exemple), ni de la tension qu’y introduirait sa politique offensive à l’égard de Taiwan, elle pose, elle aussi, une demande d’adhésion. Evidemment, son initiative possède un poids d’une dimension bien supérieure. Source d’épineux problèmes et potentiellement d’une nouvelle injustice pour Taiwan, elle ne devrait guère susciter d’hésitation. Le gros dragon chassera le tout petit. Que voulez-vous, il s’agit de LA Chine, l’’’Affaire du siècle’’ à ne pas manquer, la puissance suprême… surtout, ne pas contrarier !
* 27 septembre – Abandonné en plein vol ! Devant l’assemblée générale de l’ONU, le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, a accusé la France d’un ‘’abandon en plein vol’’. Il se référait à la décision française de resserrer le dispositif Barkhane sur la principale zone de pénétration jihadiste, dite des ‘’trois frontières’’, ce qui laissera ‘’à découvert’’ la moitié nord de son pays. On parle là d’une zone de tensions ethniques et de sous-administration chronique, mais aussi l’ère initiale d’intervention des troupes françaises en 2013 lorsqu’il avait fallu empêcher la chute de Bamako (à l’appel pressant d’un président malien affolé).
Le choix des mots peut paraître ingrat – surtout dans une stratégie de chantage entre France et Russie – mais il est aussi touchant, pour la faiblesse qu’il reconnait. La France serait cette mère omniprésente et directive qui exige de son enfant malien qu’il vole au moins un peu de ses propres ailes. Elle portera à tout jamais le visage de l’ancienne puissance coloniale, coupable d’avoir tout régenté et coupable aussi de ne plus vouloir tout régenter, qu’on adore blâmer pour tout mais qu’on stigmatise aussi parce qu’elle vous lâche. Une mère castratrice, qui vous laisse sans volonté, sans feuille de route assumée. Même ‘’en plein vol’’, cela tenait du rase-motte. Pourtant : ‘’la nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires’’.
S’il y a une faille dans le dispositif de coopération français, c’est bien au niveau de la coopération militaire et de défense avec les forces armées africaines : 60 ans ininterrompus d’assistance, d’instruction, de formation dans les écoles militaires françaises n’ont pas permis de créer un outil de défense digne de ce nom. Sur le plan opérationnel, les cadre et leurs troupes se débandent devant l’ennemi. Leur capacité à remplir un rôle défensif est quasi-nulle. Après huit ans de protection par le dispositif français, rien n‘a changé et, comme l’a amèrement regretté en son temps le général Lecointre (ex-Chef d’état-major de Armées), le comportement tribaliste et prédateur des militaires maliens n’a fait qu’aggraver la situation des droits humains et les tensions civiles dans cette zone que Barkhane leur abandonne, effectivement. Le Gouvernement et le Parlement devraient remettre à plat ce secteur de la coopération, tant son échec est devenu patent au fil des coups d’état et des crises politiques. Les séjours de formation en France n’apportent plus aux stagiaires africains le moindre vernis démocratique en matière d’état de droit et de respect de la démocratie. A leur décharge, les écoles et collèges de défense français ne peuvent pas grand-chose face aux réalités sociologiques africaines : la carrière militaire est le principal mode d’ascension vers le pouvoir ; le pouvoir se protège d’un bouclier ethnique contre les frustrations des populations ; la présence aux affaires est un risque physique et la sortie du jeu politique, un vol direct vers la ruine ou la mort : il faut donc prélever le maximum sur l’économie et la société en prévision d’un futur problématique.
L’absentéisme des dirigeants administratifs et leur autisme face aux maux de la société complètent le tableau d’un ‘’abandon’’ général de la population. Quelle que soit leur volonté de réforme, le système collectif pousse au repli, à l’enfermement. Aurait-on dû dissoudre l’armée (et la laisser passer au banditisme à plein temps) et l’administration (un réseau éphémère de partisans), ou mettre la moitié nord du pays sous tutelle ? Les Nations Unies n’ont plus l’autorité pour établir ce mode de transition, d’ailleurs condamné par l’Histoire. New York ne pourrait d’ailleurs agir qu’en mobilisant les organisations régionales africaines, fortement complices des dirigeants autoritaires des capitales. Après huit ans de combats difficiles, qui ont permis d’éviter la disparition du Mali, la France ne doit pas s’enferrer dans l’inconsistance des politiques africaines. Bamako menace de s’adresser au groupe de mercenaires Wagner. Paris doit refuser le chantage et persévérer à mobiliser des relais plus acceptables. Mais on tourne un peu en rond.
* 24 septembre – Vexe-Action 2. ‘’Titillée’’ au Sahel, la diplomatie française réagit avec vigueur, comme elle l’a fait aussi dans l’affaire des sous-marins. A ceci près que c’est le ministère des Armées qui fait fonction ‘’Quai d’Orsay’’ dans cette région. Il faut s’y faire. On retrouve l’intrépide ministre française des Armées face à ce qu’il faut bien appeler un gouvernement voyou. Les colonels putschistes du Mali, issus du coup du 18 août 2020, sont les principaux auteurs de l’effondrement militaire de leur pays. Mais, ils ont leur fierté. Ils détestent reconnaître leur besoin d’une protection extérieure, surtout venant d’une ancienne puissance coloniale qui jauge leur faible capacité à gouverner. Grand paraît l’amateurisme de ces néophytes arque boutés sur leur fierté de caste plutôt que qu’à la défense du Pays face à la déferlante jihadiste. En jouant avec l’idée de changer de tutelle protectrice, Bamako menace de basculer vers l’offre russe. Celle-ci, comme de coutume, concerne le groupe Wagner et les mercenaires sans insigne de Vladimir Poutine. Le but est d’improviser un levier de pression sur la France pour qu’elle cesse de regarder leur mauvaise gouvernance et d’attiser les sentiments anti-français qui couvent dans la population.
La Centrafrique a déjà pratiqué ce revirement. Elle n’en a tiré qu’un surcroit de violence qui ne règle pas ses maux internes. Moscou ne demande bien sûr qu’à dépêcher sa Bamako les tueurs sans âme du groupe Wagner. Mais en se payant sur la bête : une exploitation exclusive de ressources minéralières du sous-sol en sera le prix. En optant pour la dépendance à l’égard d’une dictature prédatrice des rares ressources économiques du Mali, on voit bien à quoi se réduirait le ‘’deal’’. Et donc, pas vraiment en quoi Wagner se se consacrerait aussi bien ou mieux que Barkhane à rétablir l’intégrité du Mali. Comment d’ailleurs l’armée privée russe pourrait-elle agir parallèlement à l’opération française et aux G 5/ Minusma ? Sauf à chasser du Mali les ‘’gêneurs’’ occidentaux, africains et onusiens, évidemment. Le chantage de la junte malienne paraît irresponsable et pernicieux.
Florence Parly a affirmé bien haut la détermination française à poursuivre les opérations militaires au Sahel (hormis les zones du Nord du Mali), sous un format concentré. Les forces continueront à engager les katibas jihadistes, mais sans avoir à ‘’occuper’’ les arrières. La préoccupation de Paris est de ne pas placer les soldats français et européens en situation d’occupants. A la lumière du précédent afghan, une présence trop visible génère de fortes tensions et la certitude un enlisement militaire. La ministre a bien ‘’secoué les puces’’ aux susceptibles colonels. Ils ont été priés de mettre en œuvre une présence défensive et administrative sur leur propre sol national, là où les combats n’ont pas lieu (mais où les tensions ethniques s’expriment). Mme Parly n’a pas mâché non plus ses mots sur la monstruosité d’un recours à Wagner/Moscou et s’est fait relayer auprès de Bamako par les voix des alliés de la France, européens et atlantiques. Alors que la communauté internationale n’a jamais été aussi mobilisée à combattre le terrorisme (au Sahel),’’ l’option russe serait celle de l’isolement », ‘’il faudrait en mesurer les conséquences’’, ce qui, en termes clairs, signifie que le Mali s’exclurait du bouclier anti-jihadiste et de la communauté internationale..
Leurs premiers commentaires trahissent un certain flottement chez les colonels maliens. Il leur a aussi été rappelé que leurs voisins et partenaires africains s’inquiètent de leur peu d’empressement à organiser des élections pour rendre le pouvoir aux civils, en février 2022, comme la CEDEAO l’exige. La mauvaise gouvernance est devenue le vrai sujet, avec quelques coups bien mérités sur les doigts des fautifs. Il fallait bien une ministre-soldate plutôt qu’un distingué diplomate de salon pour accomplir ça !
* 23 septembre – Vexe – Action. La France n’est jamais meilleure en diplomatie active que lorsqu’elle est vexée. Et c’est peu dire que sa mise hors-jeu dans le Pacifique (et l’Océan indien) par une collusion ‘’anglo-saxonne’’ l’a froissée. Emmanuel Macron n’a pas perdu de temps pour mettre l’Union européenne de son côté – du moins Josep Borell, son haut représentant pour l’action extérieure et vice-président de la Commission – et mettre l’Inde, dans sa poche. Avec Narenda Modi et après un échange téléphonique, Paris et New Delhi ont publié un communiqué commun affirmant leur commune ‘’volonté d’agir conjointement dans un espace indo-pacifique ouvert et inclusif ». Les deux pays se donnent pour ambition ‘’de promouvoir la stabilité régionale et la règle de droit, tout en écartant toute forme d’hégémonie ». L’expression ‘’ouvert et inclusif’’ est une pique transparente contre l’esprit étroit de ‘’club fermé’’ (Aukus) illustré dans l’affaire dite des ‘’sous-marins français vendus à l’Australie. L’épine a été intentionnellement glissée dans la chaussure de Joe Biden, au moment même où il vantait, à New-York, le multilatéralisme à l’Américaine et le compagnonnage avec les alliés. La réplique s’organise. Jean-Yves Le Drian a, pour sa part, rencontré à New York son homologue indien, Subrahmanyam Jaishankar, pour des consultations stratégiques. Quant à la dénonciation de »l’hégémonie », on comprendra qu’elle s’adresse à la Chine mais aussi, en filigrane, à ‘’l’autre grande puissance’’. Fait incroyable, l’Inde, elle aussi, avait été sortie de la stratégie Indo-Pacifique élaborée par Washington. ‘’Indo’’, ne signifie-t-il pas l’Inde ? …dont la présence est perçue comme un contre-poids majeur à la volonté d’expansion chinoise. Quant à ‘’Pacifique’’, peut-on en sortir la Polynésie française, Wallis et Futuna, la Nouvelle Calédonie ? Il est assez évident que la France y est plus impliquée, au plan stratégique que, par exemple, le Royaume Uni.
Cette réaction rapide est bien meilleure que la ‘’pleurnicherie’’ concernant le marché du siècle perdu, dans laquelle s’était enfermé J-Y Le Drian, en agent comptable de l’armement. Un tel contentieux ne devrait pas sortir des entreprises concernées. La réponse présidentielle vise plus loin, plus haut. Ni Paris ni New Delhi n’ont envie de s’aliéner durablement l’Amérique, dont ils ont besoin pour agir dans le monde (voyez l’aide reçue au Sahel !). Et ce sentiment est sans doute réciproque, bien qu’à une moindre intensité. Un réajustement général rabibochant tout le monde peut réussir, si Paris travaille, sans hargne, à une sortie par le haut :
Ce serait, au minimum, l’intégration de la France et de l’Inde dans la coalition fermée créée par les stratèges américains. Les deux pays apporteraient des moyens important à un dispositif dissuasif qu’ils pourraient influencer dans un sens moins agressif qu’initialement imaginé. On ne voit pas trop ce que l’Amérique aurait à y perdre, surtout si l’on retient les propos pondérés de Joe Biden à l’ONU (pas de nouvelle guerre froide ni de confrontation gratuite, le droit international, l’action collective…). L’Australie, dont la coopération militaire avec la France couvre tant la Pacifique que l’Océan indien consoliderait son partenariat dans l’aire territoriale et les eaux maritimes des TOM-DOM, l’Inde aussi.- Une option plus forte serait de fusionner l’Aukus à trois et le Quad (Etats Unis, Japon, Australie, Inde) dans une seule et même organisation… sans doute aussi, d’y introduire l’Europe, dans la sillage de la France. Sept samouraïs, en tout. Elle désespérerait peut-être Boris Johnson dans sa farouche préférence pour une formule assurant sa spécificité et une distanciation d’avec les 27. Bôf, tant pis !
* 22 septembre – Les barrières se lèvent, les murs demeurent. L’interdiction de voyager aux États-Unis, en vigueur depuis mars 2020, va être levée le 1er novembre, pour les nationaux européens et chinois. Bonne nouvelle ! Liée à la pandémie de Covid-19, la fermeture des frontières avait été décidée par Donald Trump et n’aurait dû durer que trente jours. Il est vrai que le pays a été particulièrement éprouvé par la pandémie : plus de 600.000 décès à ce jour. Sa fermeture au monde extérieur aura duré vingt mois. Cela se compare au recroquevillement de la Chine à l’intérieur de ses frontières, toujours en vigueur. Pour les voyageurs arrivant aux États-Unis, bientôt plus de quarantaine mais la présentation d’une preuve qu’ils sont vaccinés, un test négatif, le traçage par les compagnies aériennes et le port du masque.
Les Européens réalisent-ils leur chance de vivre sur un continent où, moyennant quelques contrôles, la circulation est possible ? Les temps sont durs, mais quand même un peu moins pour certains.
Les habitants du Vieux monde sont davantage vaccinés que les Américains. Le maintien du « travel ban » leur restait en travers de la gorge, alors que l’Union européenne et le Royaume Uni accueillent librement les visiteurs d’Outre-Atlantique, moyennant les formalités sanitaires qui sont désormais d’usage. L’absence de réciprocité devenait difficile à justifier et l »interdiction de voyage était d’autant plus troublante que Washington pratiquait, par dérogation, un régime de libre-accès sans restriction en faveur certains États pourtant submergés par la crise sanitaire et pour certains investisseurs. Dans un second temps (quand ?) les frontières américaines devraient s’ouvrir à l’Inde et au Brésil.
En revanche la circulation des pauvres et des exilés n’est pas près de se libéraliser. Joe Biden annonce la dispersion et le refoulement de dizaines de milliers d’Haïtiens massés sous un pont, à la frontière du Texas. La France des jours de campagne électorale entonne à nouveau le »fais-moi peur » du »grand remplacement », même si les arrivées d’exilés et autre »sans papier » fléchissent et leur nombre reste insignifiant : pas même 1 % de sa population. La circulation humaine sur la planète se rétablira bientôt, mais entre le Nord… et le Nord. Idem pour la sortie de Covid.
* 21 septembre – Le »Machin » et les machines de guerre. Premier jour de l’automne, moment des discours rituels, à New York, des dirigeants de ce la planète devant l’Assemblée générale des Nations Unies. Tout le monde s’en fout ! Et depuis pas mal de temps. Ces grands du monde sont en général polis (pas tous) mais la bienveillance n’est plus de notre époque et la Paix n’est plus à leur programme. Est-ce toujours cette ONU crée à San Francisco, au sortir de le seconde guerre mondiale, dans l’allégresse des peuples fatigués des affrontements sanglants et aspirant à l’arbitrage des différends dans le droit international et le devoir moral de les résoudre pacifiquement ? Papa ou Grand Papa y a cru. Le général de Gaulle a, lui, moqué le »Machin » en bon souverainiste et pour faire un bon mot (l’ONU avait été sévère avec la France coloniale). on oublie un peu vite que sans les Nations Unies, la prolifération des armes nucléaires et la course quantitative aux armements militaires auraient atteint le stade de l’holocauste, que jusqu’à des temps récents, le »machin » new-yorkais est parvenu à prévenir des conflits dès leur phase initiale et à éteindre des guerres parties pour durer toujours. En fait, la réalité est que les membres de ce conseil, censé veiller sur la bonne marche du monde ne méritent pas (ou plus) l’honneur de la fonction qu’ils détiennent. Ils utilisent ce forum pour couvrir ceux de leur camp qui se sont mis en position d’agresseur, pour punir les protagonistes d’en face (qui les sanctionneront à leur tour).. et pour bloquer toute tentative de résolution des conflits.
Les cinq membres permanents ne représentent plus depuis longtemps la société internationale telle qu’elle fonctionne. Ils s’entendent plus ou moins pour bloquer toute réforme qui légitimerait leur organe. Aucune crise majeure depuis celle de Syrie, en 2011, n’a pu se dénouer à New York faute de toute possibilité d’entente entre les »grands ». La Russie de Poutine allume tous le incendies qu’elle peut dans les arrières cours de ses adversaires stratégiques, elle pratique une guerre hybride menaçante et débarque en Afrique avec ses mercenaires Wagner, la Chine de XIjinping se taille son empire sur les mers du Sud et se montre encline à lancer, pour la conquête de Taiwan, un conflit potentiellement mondial. Les Etats Unis de Joe Biden retombent dans l’unilatéralisme de Trump et tente de refaire son prestige et sa cohésion interne e affrontant le Dragon chinois. Le Royaume Uni se vend se vend à tous les vents, pourvu qu’ils ne soient pas d’Europe. La France se repaît de ses désaccords avec l’oncle Sam, parle fort sur l’avenir de l’Europe sans se faire entendre ni dissiper les soupçons. Sa diplomatie de puissance moyenne, à assise économique limitée, est devenue sectorielle : elle n’est plus à l’échelle du monde.
Même la pandémie qui a ravagé tous les pays avec une simultanéité absolue, n’a pas vu ces garants de la bonne marche du monde se réunir, encore moins décider une trêve des combats. C’est ainsi qu’on a abandonné aux armes d’assaillants des populations déjà victimes du virus. Pire, encore, de nouveaux conflits ont éclaté. Citons seulement l’Arménie/Azerbaidjan, les zones kurdes de Syrie, la Libye envahie de l’extérieur, l’Erithrée, le grignotage du Donbass qui a repris en Ukraine et les opérations au Sahel qui se sont étendues à de nouveaux pays, en se rapprochant du littoral du Golfe de Guinée, La note à payer (par les populations) pour toutes ces défaillances du multilatéral est simplement prodigieuse.
On a aujourd’hui l’impression que le seul et dernier membre du Conseil de Sécurité est … le secrétaire général de l’Organisation. Profond et pathétique, le plaidoyer d’Antonio Guterres pour un retour au mode multilatéral de préservation de la paix et de la stabilité, mais aussi pour soigner la détresse humanitaire de centaines de millions de gens, n’est pas rapporté dans les médias : ce ne serait rien d’autre que le blabla bien pensant habituel. Au Conseil lui ont succédé les empoignades et les coalitions agressives. A l’idéal humaniste et pacifique des pères fondateurs fait suite une machinerie à régler des comptes, parfois même à légitimer des machines de guerre. Ce blog tient des exemples précis à votre disposition. Mais, encore une fois, qui se soucie de ce que des Etats-vampires aient vider l’Organisation des Nations Unies de son sang ? Avons nous vu des foules à Paris, Pékin, Moscou ou New York manifester pour la Paix ? Avons nous vu des partis politiques inscrire le mot »Pax » dans leurs priorités programmatiques ? N’entendons-nous pas d’innombrables voix bien intentionnées appeler à des jours ouveaux, climatiques, éducatifs, sanitaires, justice sociale, développement, etc. sans trop réaliser que, sans la paix et la stabilité corollaire, rien de tout cela ne pourra se faire.
* 20 septembre – ‘’Torpillée dans le dos’’. Pour une fois qu’un contrat d’armement français n’était pas destiné à un dictateur tropical ! Avec l’Australie, les douze Barracuda à gazole dit ‘’classe Attack’’, constituaient le contrat du siècle, passé pour une fois avec une démocratie respectable et sérieuse. La marine cliente étant exposée, qui plus est, à l’expansionnisme chinois sur les mers du Sud jusqu’à la mer de Corail, c’était géostratégiquement sérieux. Un peu comme à l’époque où l’Ile-continent faisait face au militarisme du Japon. Raté, complètement raté ! Huit milliards passent sous le nez de ‘’Naval group’’. Cherbourg et la DGA s’en remettront : leur carnet de commandes est confortable. Mais la posture de moyenne puissance de la France : Boum, coulée !
Surtout, Paris pensait qu’un contrat aussi stratégique que celui-là scelle une solide alliance (la DGA a tendance à passer un accord de défense à chaque fois qu’elle vend un équipement militaire) et voilà qu’on hérite d’une crise stratégique et diplomatique d’ampleur. Le pire est que l’Amérique ait fait savoir, sans grâce aucune, à la France – son plus ancien allié – qu’elle ‘’ne compte pas’’ sur son échiquier stratégique. Cela creuse un énorme déficit de confiance. La colère un peu théâtrale du ministre Le Drian enfonce la France dans le rôle de l’épouse trompée. Elle l’isole dans des apitoiements et diminue encore son statut de puissance.
Par le petit bout de la lorgnette, on la voit en effet vexée à mort, au point d’adopter le registre du mauvais perdant colérique : le rappel des ambassadeurs (sauf avec Londres) et toute une gamme de vitupérations (‘’Biden fait du Trump’’,’’ plus d’alliance’’ mais des ‘’coups dans le dos’’, de la ‘’duplicité’’). La vieille maîtresse, trompée depuis 18 mois apprend soudain qu’elle est supplantée par une donzelle dont le mariage avec le cow-boy – plus costaud – a été porté par une conjuration sournoise. Elle gueule très fort. Dans la forme, on ne pouvait en effet faire plus disgracieux : les trois conjurés ont rendu publique leur alliance exclusive et fermée à grand tapage d’annonces jubilatoires. Le cocufiage de la France est patent… au point qu’elle en oublie le cœur du sujet : une inquiétante volonté de confrontation militaire avec la Chine.
La stratégie de pivot vers le Pacifique s’inscrit dans une perspective de confrontation avec la Chine. Elle se fonde sur le besoin d’un ennemi pour insuffler à l’opinion américaine un esprit d’union sacré et de grandeur du Pays (une façon de transcender les fractures internes). Il y a une certaine continuité avec l’époque Trump, c’est vrai. Washington a mis le grapin sur le club anglo-saxon (un concept très français, qui reprend du service) et, au passage, confisqué à son profit le contrat conclu par Naval group en vigueur depuis cinq ans. Il suffisait d’ imposer l’option de la propulsion nucléaire que la France aurait pu fournir, mais dont Canberra ne voulait pas alors. On ne s’est pas attardé sur l’effet collatéral conduisant à dégrader la coordination stratégique avec la marine française dans une région du monde où Paris compte des territoires, de vastes eaux territoriales et une coopération avec l’Australie. La stratégie américaine a emprunté la voie d’un ‘’coup’’ affairiste avec un fort parfum d’argent. Sans doute, la France est atteinte là où elle pêche souvent : exactement la même avidité à l’export d’armement, qui lui tient lieu souvent, elle aussi, de politique extérieure. Le même ministre Le Drian aura géré l’une, en 2016, puis l’autre, dans la crise des sous-marins, signe aussi de la dérive vers les affaires des intérêts géostratégiques.
Car dans cette affaire tous les protagonistes ont voulu faire de l’argent aux dépens des intérêts stratégiques collectifs. L’Australie ne considérait sans doute pas Paris en allié intime, mais en simple fournisseur. Elle a néanmoins simulé, sans être tout à fait pas satisfaite de l’évolution du coût du chantier (largement délocalisé sur son territoire) et par les délais que ceci entrainait. Canberra en aurait parlé avec Mme Parly. Mais sans jamais évoquer une possible révision de ses choix, dit-on du côté français. Scott Morrisson parle de doutes anciens australiens comme si le contrat était encore à négocier, en l’absence d’appel d’offres concurrentiel et comme s’il ne l’avait pas signé en 2016 (Etait-il alors dans un état second ? Est-il frappé d’amnésie ?). La communication entre ‘’alliés’’ a dépassé le nul absolu.
Les médias français ne veulent considérer que l’aspect financier de ce coup de Trafalgar. Ils créent l’impression détestable que Paris pourra être ‘’consolé’’ avec un peu d’argent et quelques gentils mots. Belle absence de discernement ! Les Français, les Américains, les Australiens et les autres se montrent tous incapables d’exprimer à leurs opinions publiques les intérêts de long terme qui sont en jeu ! Aucun stratège militaire n’a d’ailleurs eu le droit de s’exprimer sur le sujet. Les partenaires européens campent sur la réserve, craignant encore ‘’un coup des Français’’ destiné à les mettre en porte-à-faux avec la ‘’matrice OTAN’’, dont ils connaissent l’usure… mais quoi d’autre ? L‘Union européenne comme les non-anglophones de l’Alliance s’habituent à absorber, au fil des crises, une dose croissante de doute quant à la consistance des engagements américains à l’égard de leurs alliés. Lassitude et résignation.
Le préjudice le plus durable sera bien sûr la perte de confiance et de cohésion entre alliés. La présence jubilatoire du gouvernement anglais dans le ’’club’’ antichinois’’ – même comme ‘’5ème roue du carrosse américain’’ – casse l’engagement de Londres à rester aux côtés des membres de l’UE dans les crises stratégiques. L’existence de cette alliance de l’entre-soi (anglo-saxon) n’avait été communiquée à Paris que quelques heures avant son annonce fracassante aux médias. Pendant plus d’un an, donc, Londres a joué la dissimulation, le mensonge par omission, vis-à-vis de Paris. La coopération de défense franco-britannique aura du mal à survivre à ce qui est perçu comme une extension militaire du Brexit. Une rupture de cette sorte n’était pourtant pas souhaitée par l’ex-candidat Biden ni par Boris Johnson. On y est et on s’attend à ce que Washington et Londres recrutent à leur Club le Canada et la Nouvelle Zélande, dans la logique du programme ‘’Ears’’ d’espionnage, à cinq, du reste du monde. Surtout, la lune de miel franco-américaine, initiée par l’élection de Joe Biden, est pour un temps, torpillée. Tout juste publié, le concept Indopacifique de l’UE se voit d’emblée contré, sans discussion possible, au profit d’une démonstration de muscle américaine. Dans la foulée du récent retrait américain précipité d’Afghanistan, l’Occident se retrouve affaibli et divisé. Pas pour toujours, bien sûr mais le doute érode de l’intérieur. Pékin, Moscou, Ankara et beaucoup d’autres peuvent s’en réjouir !
* 17 septembre – Sahel à tue et à toise. Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, dit « Awas, a été tué par les forces françaises. Ceci a été confirmé par Emmanuel Macron en personne, sur Twitter, dans la nuit du 15 au 16 septembre : ‘’il s’agit d’un nouveau succès majeur dans le combat que nous menons contre les groupes terroristes au Sahel’’. L’action de Barkhane remonterait, en fait, à plusieurs semaines. Adnan Abou Walid Al-Sahraoui – Lahbib Abdi Said, de son vrai nom -était ancien combattant sahraoui, passé par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) avant de s’affilier à Daech Emir de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) depuis 2015, il était tenu pour responsable de la plupart des attaques contre les étrangers et les populations villageoises dans la zone des ‘’ trois frontières’’, aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Son groupe avait revendiqué e août 2020 l’assassinat de six travailleurs humanitaires français et de leur guide et chauffeur nigériens, au Niger. Ses jihadistes agissent de façon plus sanguinaire encore que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), l’organisation rivale ralliée à Al-Qaida. Awas ciblait la France comme ennemi prioritaire et la réciproque était tout aussi vraie.
Ce succès de Barkhane va-t-il aider à justifier le retrait de la force française au cours de 2022 ou, au contraire, accentuer le flottement des armées africaines, peu susceptibles qu’elles sont de prendre le relais ? L’organisation djihadiste est-elle en voie d’attrition du fait de la neutralisation de plusieurs de ses cadres dirigeants ? La prochaine frappe serait, dit-on, destinée à Iyad Ag Ghali, le chef du GSIM. Il s’y attend. Ce groupe lié à Al-Qaida a développé une pratique d’administration des territoires qu’il domine. Aux yeux de certains civils, notamment des Touareg, sa gouvernance est plus supportable que celle de l’Etat malien absent ou prédateur. Le plus gros problème se pose bien à Bamako et dans les autres capitales politiquement indéfendables.
Au ministère de la défense on table sur une perte de cohésion des jihadistes liée à la disparition des chefs historiques et à la montée d’une nouvelle génération moins unie et moins expérimentée. Dans tous les cas, les recrutements à la base ne se tariront pas. Lorsqu’elles s’allient entre elles, ces nébuleuses constituent une armée pléthorique, coordonnée et habile. Elle dépasse alors les capacités offensive ou défensive du petit (mais vaillant) dispositif français. La parade pourrait venir d’une stimulation des conflits intestins entre katibas sectaires, en jouant de la rivalité Al Qaïda – Daech et sur les dissensions tribales. Une tâche très pointue et pas exclusivement militaire, mais également un jeu risqué, car le cycle de la vengeance pourrait inciter certains chefs jihadistes à fomenter des attentats sur le sol européen.
* 16 septembre – L’Union fera-t-elle la force ? Un point sur l’état de l’Union – sur le mode américain – en plein septembre. Pourquoi pas ? Il s’est passé beaucoup de choses dans le monde qui déstabilisent la civilisation humaine et concernent donc aussi l’Union européenne. A moins, bien sûr qu’on la considère comme une grosse autruche, la tête douillettement enfouie dans le sable… et qui préfère ignorer le coup de matraque qui va l’assommer d’on ne sait où. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, n’est pas au nombre de ces inconscients autocentrés. Elle sait bien que l’avenir des Européens et leur capacité à faire face au monde passe plus encore par Bruxelles (et aussi par les exécutifs locaux) que par le truchement des Etats-membres, dépourvus de moyens, obsédés par les échéances électorales et portés à se chamailler sur tout. Les 27 ressemblent bien à des tribus gauloises face à l’offensive de Rome (le monde extérieur). La Commission a plus de vision, bien qu’elle soit ligotée par l’impératif du consensus entre les capitales et par un défaut du pouvoir exécutif (le Parlement et le Conseil ne constituant pas un duo d’autorité).
Bref, Ursula a donc prononcé, le 15 septembre, son discours sur l’état de l’Union, dont elle s’engage à faire un rendez-vous annuel. Fort bien. Espérons que les autres institutions européennes mais aussi les capitales sauront lui embrayer le pas par des propositions et des volontariats.
Concernant le Covid-19 Mme von der Leyen s’est réjouie du succès de la vaccination au sein de l’UE et a annoncé l’attribution de deux cents millions de doses de vaccins supplémentaires au programme Covax d’ici mi-2022. Ce don (d’Astra Zeneca, dont on ne veut plus chez nous ?) s’ajoutera aux 250 millions de doses déjà annoncées. ‘’C’est un investissement solidaire et c’est aussi un investissement dans la santé mondiale’’, a-t-elle souligné. L’assistance à l’acquisition équitable des vaccins et à la progression vers l’immunité collective est un domaine que la Commission a pris directement en main, sans trop s’attarder sur ses compétences de par les traités. Elle est parvenue à suppléer à l’impéritie de certains de ses Etats-membres et à coordonner la levée des restrictions à la circulation des personnes. Gros impact, donc, sur la vie des citoyens. C’est, par ailleurs, un volet significatif du ‘’pouvoir doux’’ (soft power) en politique extérieure de se projeter en protecteur (sanitaire) des pays du Sud. Dans la perspective des cycles pandémiques qui s’annoncent, le Vieux Continent peut regagner, par cette voie, une part de l’influence perdue au début de la crise du virus Covid, du fait de puissances plus dynamiques et plus agressives.
Un sommet sur la défense européenne au premier semestre de 2022 ? Voilà qui paraît taillé sur mesure pour le président français, qui exercera la présidence tournante. Et on comprend la Commission de lui avoir prudemment délégué un sujet aussi explosif, qui va générer une énorme polémique et le risque d’une paralysie, comme la Communauté européenne de défense l’a fait à la fin des années 1950. Les forces d’inertie sont énormes dans les opinions publiques. Les loyautés des dirigeants vont souvent vers l’Atlantique Nord plutôt qu’à Bruxelles. La radinerie est la règle concernant les dépenses militaires. L’état du monde et ses dangers, au lieu de susciter un sursaut, deviennent un objet de déni : l’autruche enfonce sa tête plus profond. ‘’Ce qui nous a retenus jusqu’à présent n’est pas seulement un manque de capacités, c’est le manque de volonté politique », dixit Ursula. Pratiquement, il faudrait réaliser une Europe fédérale pour gérer la défense à 27. Impossible.
A l’extérieur, la débâcle occidentale en Afghanistan est aussi celle de l’Europe, même si les Etats Unis en assument la responsabilité principale. Pourquoi donc a-t-on laissé l’OTAN être détournée par des aventures orientales mais pas au Sahel et à quoi sert désormais cette alliance ? Va-t-on nous embarquer, par la suite, dans un duel stratégique avec la Chine ? La demande a été faite et Washington construit un dispositif d’endiguement militaire dans le Pacifique, au sein d’une alliance privilégiée avec le Royaume Uni et l’Australie (laquelle renonce du coup aux 12 sous-marins commandés à la France au profit de bâtiments américains à propulsion nucléaire). Faut-il suivre, faut-il renoncer à une préférence pour l’équipement de défense européen ou, au contraire, imposer une discipline ? La réflexion sur l’autonomie des Européens ne sera pas un fleuve tranquille… si toutefois elle parvient à terme. ‘’Le moment est venu pour l’Europe de passer à la vitesse supérieure pour se défendre contre les cyberattaques, agir là où l’Otan et l’ONU ne sont pas présents et gérer les crises à temps », a expliqué Ursula. Constituer un roc de stabilité et de droit là où l‘anarchie prévaut : l’idée séduit. Quant aux modalités, la mention d’une force européenne de réaction rapide de 5 000 militaires tient du gadget. Elle renvoie aux multiples tentatives – sur une plus grande échelle – qui ont émaillé les débats sur la défense dans les années 1990. Sur le papier et même en effectifs réels, ces forces ont existé, mais on voit les Français très peu épaulés par d’autres dans leurs opérations au Sahel. Le problème tient à la totale (et archaïque) souveraineté des Etats-membres, libres de ne PAS engager leur contingents au combat. Josep Borrell synthétise la chose ainsi : ‘’Vous pouvez disposer des forces les plus avancées du monde, mais si vous n’êtes jamais prêts à les utiliser, à quoi servent-elles ?’’ Ce n’est pas gagné d’avance.
Bref, on souhaite à Emmanuel Macron non pas du courage (il en a ) mais de l’écoute et une sacrée force de persuasion.
* 15 septembre – Rendre justice au Qatar. Ce blog a été un rien catégorique concernant le rôle de l’émirat du Qatar en Afghanistan. Il reconnaissait que Doha était un interlocuteur obligé avec les talibans. Il n’y en a pas d’autre, c’est vrai. Mais il exprimait le doute que sa diplomatie puisse vraiment extraire de griffes talibanes les masses de malheureux laissés pour compte par le retrait américain. Sur ce point, c’était à moitié réaliste. Ainsi, 49 français ont pu rejoindre, hier, Doha puis Paris sur les ailes de Qatar Airways. D’autres occidentaux vont en faire autant sur le plus long terme. C’est un demi soulagement. Les nouveaux maîtres de Kaboul souhaitent »se débarrasser » des étrangers inassimilables à leur loi rigoriste. Ils tiennent leur »promesse » sur ce point et s’entendent avec le petit émirat chef de file des frères musulmans pour qu’il organise pratiquement ces départs. Mais s’agissant de leur engagement à laisser partir les Afghans qui le souhaitent, les talibans mentent (comme le déclare Jean-Yves Le Drian) et n’ont aucun souci des enjeux humanitaires. Une lutte pour le pouvoir semble en cours entre leurs chefs. Le mollah Baradan, tête de proue des »pragmatiques » ne répond plus à l’appel et les éléments les plus durs ont le vent en poupe.
On est pourtant entré dans la phase post-militaire de la crise afghane. Celle que les guerriers islamistes ne savent pas gérer. Nos répulsions politiques ou confessionnelles ne comptent plus : seul importe le sort matériel et moral de 38 millions d’Afghans dont la vie est fracassée et la survie compromise. Antonio Guterres a raison de marteler ce point et de s’inquiéter de l’immense détresse alimentaire, médicale, financière, etc. qu’entraîne la victoire talibane. Il est dans son rôle réaliste et lucide de »patron » de l’ONU d’argumenter en faveur de contacts – voire de vraies relations – avec les »étudiants en religion », car c’est seul moyen de permettre le sauvetage. D’ailleurs, une récente réunion de bailleurs de fonds internationaux à New-York à aboutit à une mobilisation »’potentielle » de plus d’un milliard de dollars. »Potentielle » et même seulement »virtuelle », tant que l’Occident, humilié par cette guerre perdue, attachera à la libération des fonds des conditions politiques – conformes à la morale – que les nouveaux maîtres de Kaboul, archaïques, ignorants et autocentrés, ne vont pas accepter. L’Afghanistan, perdu militairement, reste »gagnable » par une soft politique intelligente, plus sobre, plus généreuse, plus patiente.
* 14 septembre – Jihad endémique et socialités problématiques. L’expansion jihadiste procède, on l’a vu, des erreurs stratégiques et des canaux dangereux suivis par la réplique occidentale autant que du délire nihiliste d’une minorité de musulmans ultra-politisés, sorte d’ ‘’Action directe’’ à la sauce islamiste. Sans l’arrogance cynique des néo-conservateurs américains – les Dick Cheney, Donald Rumsfeldt, Paul Wolfowitz et autre John Bolton, etc. et la vacuité stratégique de George W. Bush – l’Occident aurait conservé son âme et l’image de l’agressé, pour un temps limité tout au moins. Malheureusement, ces dirigeants dogmatiques ont voulu Abou Ghraib, Guantanamo, les charters de la CIA, la plus terrible machine à torturer sans doute produite en terre ‘’chrétienne’’, depuis l’époque nazie. Les mêmes ont personnellement bénéficiés de la privatisation de la guerre qu’ils prônaient. Sur le terrain, les Halliburton et autres Blackwater ont présidé à de nombreux massacres (en comparaison des troupes régulières). Le recours massif à des exécutions par drones tactiques, leur trop grande tolérance pour les ‘’victimes collatérales’’ (beaucoup de familles innocentes, des mariages…) ont privé leurs opérations militaires de toute justification morale. La moralité s’est d’ailleurs perdue dans les deux camps.
Ainsi, le concepteur des attentats du 11 septembre croupit encore dans une cellule de Guantanamo, en attente d’un jugement, rendu impossible par la pratique intensive de la torture à son encontre. Ni le Pakistan ni aucun autre Etat n’accepterait de reprendre chez lui Khalid Cheikh Mohammed et ses 19 complices. Leur procès tournerait inévitablement en incrimination de leurs geôliers – et tortionnaires – américains et de la justice américaine, elle-même. C’est l’administration Bush qui a perverti la justice américaine. Elle ne rendra pas de compte. Que reste-t-il pour dire le droit face aux terroristes ?
De 2006 à 2011, la phase de ‘’contre-insurrection’’ a tenté de stabiliser le chaos produit par la riposte américaine trop extensive et non-préparée dans son volet civil (cf; la précédente brève). Al-Qaida, à l’origine plutôt hors-sol, reprend alors racine en menant des soulèvements populaires contre l’occupant, en Irak et en Afghanistan. Les pasdarans iraniens en Irak et les milices ou groupes combattants sunnites à travers toute la région se montrent habiles à s’attirer les sympathies des populations, en tablant sur leur fureur anti-occidentale. En particulier, la révolte de l’ancienne nomenclatura sunnite d’Irak accouche d’une nouvelle obédience jihadiste, plus ‘’territoriale’’ et pas moins panislamiste qu’Al Qaïda, donnant naissance à Daech (Etat islamique) à Mossoul, en juin 2014. Ce califat profite de l’implosion de la Syrie et d’une sorte de complicité de Bachar (qui ouvre ses prisons et laisse passer les armes) pour se tailler un territoire à cheval sur les frontières d’Irak et de Syrie .
Avec les images de Guantanamo et des scènes d’exécution capitales d’ ‘’impies’’, la nouvelle nébuleuse s’adapte à l’âge numérique des médias et cible particulièrement la jeunesse révoltée (un état normal, pour la jeunesse) avec une approche calibrée, digne des meilleurs ‘’influenceurs’’ d’internet. Les mosquées européennes fournissent le ‘’présentiel’’ et le va -et-vient des propagandistes (ou artificiers) complète l’impressionnant dispositif de mobilisation jihadiste. L’exécution de Ben Laden au Pakistan, en 2010, alimente la fièvre de revanche. La mouvance se montre cependant plus prudente à attaquer directement le territoire américain – mais n’hésite pas à le faire dans le reste du monde comme sur le terrain militaire. Franchissant un pas de plus dans l’horreur, elle innove dans son mode opératoire en confiant à des enfants d’immigrés musulmans et à des convertis étrangers la mission de perpétuer des attentats face à la coalition ou sur le sol de l’Europe. Cette tactique est assurée de soulever dans les pays, visés ‘’de l’intérieur’’, une hostilité à l’Islam local et une cassure intérieure des sociétés démocratiques. La blessure s’avère moins guérissable qu’une défaite militaire. A travers le monde, elle dresse les unes contre les autres les cultures occidentales et orientales et fait perdre tout contrôle sur la stabilité du monde.
Le ‘’ califat voyou’’ ne sera réduit qu’au bout de cinq ans par les bombardements de la coalition internationale, les milliards d’euros investis dans les opérations des militaires kurdes et irakiens. Au passage, l’Occident se retrouve toujours plus en posture d’envahisseur, puisque les attentats qui le visent apparaissent à l’opinion arabe comme une juste vengeance plutôt qu’un motif légitime à l’autodéfense. La longue agonie de Daech sera émaillée d’attaques vengeresses, qui ont ensanglanté l’Europe comme le monde arabe (mais pas les Etats Unis). La chute des places fortes de Mossoul et Rakka, en 2017, puis du réduit de Baghouz, en mars 2019 et, finalement, la suppression du calife Abou Bakr Al-Baghdadi, par un commando américain, en octobre de la même année, annihilent les infrastructures matérielles du califat sans vraiment éliminer ses combattants ni, a fortiori, sans atténuer son emprise sur les jeunes esprits. Le mal n’est plus géopolitique : il est devenu sociétal.
La donne militaire a changé après l’effondrement de Daech et le déclin d’Al Qaida mais l’idéologie de la nouvelle génération jihadiste est identique à celle de ses anciens et elle a contaminé ce phénomène, à l’origine distinct de l’islamisme. Le jihad, désormais servi par une stratégie de manipulation à distance, est l’affaire de fomenteurs de haine, omniprésents sur la Toile. Les loups qui exécutent les tâches ne sont qu’à moitié ‘’solitaires’,’ puisque préalablement endoctrinés en distanciel puis, en présentiel, par la fréquentation de certaines mosquées ou associations radicales. Mais ils ne reçoivent plus – directement – des ordres d’attaque, contrairement à l’usage des organisations précédentes. La méthode a endeuillé la France à l’automne 2020, avec l’assassinat de Samuel Paty, à l’occasion du procès des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes.
Le risque sécuritaire reste élevé, alors qu’on entame le procès des assassins du 13 novembre 2015. Ce ‘’djihadisme d’atmosphère’’ a juste besoin d’être alimenté en ’’faits glorieux ‘’ qui attirent les adeptes et galvanisent les exécutants. Une telle matrice est particulièrement complexe à démonter pour les services spécialisés. En France, ils y parviennent néanmoins dans une dizaine de cas par an. La reprise de Kaboul par les talibans, le 15 août 2021, représente, pour la mouvance, une grande victoire, moins d’un mois avant la 2O ème commémoration du 11 septembre 2001 et tandis que s’ouvre à Paris le long procès précité des attentats de novembre 2015.
Le retour des talibans à Kaboul intervient au terme de deux décennies d’histoire intense du djihadisme international. L’islamisme est-il désormais étroitement associé au jihadisme voire au terrorisme tout court ? On semble revenu à la case départ, qui sanctionnerait l’inanité de la stratégie des Etats-Unis et le suivisme imbécile des Européens. Aujourd’hui, le jihadisme s’est hélas fortement étoffé : il rassemblerait deux à trois fois plus de combattants qu’en 2001. Dans cette vaste nébuleuse, un flou couvre la proportion de ceux qui rejettent l’Occident chez eux (localement terroristes, mais pas des agresseurs face à l’Occident) et de ceux qui s’en prennent à la terre entière, au nom d’une sorte de messianisme sanguinaire, en fait névrotique. Al-Qaida n’a pas gagné mais paraît à même de ressurgir un peu n’importe où, notamment en Afrique, en profitant de désordres locaux et de la mauvaise gouvernance. La France s’est placée aux premières loges.
Les Etats-Unis et à leurs alliés n’ont pas réussi à éradiquer le djihadisme, seulement l’Etat que celui-ci avait constitué. On est passé, de 2001 à aujourd’hui, d’une volonté d’éradication globale du mal à une stratégie d’endiguement de la menace, pondérées de concessions faites aux talibans, alliés des jihadistes et des hésitations sur la méthode. On arrive à nouveau à un carrefour stratégique entre la poursuite de la voie militaire, malgré ses échecs répétés, ou la reprise de la lutte contre le terrorisme, par d’autres moyens ‘’civils’’, sociaux et, éducatifs : le renseignement, les opérations secrètes, la coopération des polices, la diplomatie, les politique de développement, etc. Les Européens découvrent, à leur tour, que les ‘’socialités’’ (interactions directes entre sociétés) générées entre nations et strates sociales ne pèsent pas moins lourd que l’exportation d’un activisme militaire ou diplomatique désordonné.
Le monde a fortement changé depuis la guerre d’Afghanistan. La fin du contre-terrorisme comme priorité extérieure des Etats-Unis, signifiée par à leur retrait de Kaboul, laisse planer au-dessus l’Europe et de son voisinage africain une ombre, un vide assez sinistre. Comment classer les groupes djihadistes au Sahel : menace mondiale, guérillas régionales, terrorisme interne, dérive des comportements sous une mauvaise gouvernance ? Ce n’est manifestement pas par la seule force du glaive qu’on règlera les problèmes sans en créer d’autres. La lutte antiterroriste devra rester plus vigilante en Europe qu’aux Etats Unis, ce qui pose encore et toujours la question lancinante de l’autonomie stratégique.
* 13 septembre – Le jihad n’est pas le fruit du hasard mais d’erreurs géopolitiques. Le 11 septembre est passé, faisant remonter dans nos esprits le sinistre souvenir de l’épopée du jihadisme. L’actualité géopolitique et judiciaire pointe un fléau bien présent et même ‘’endémique’’. Par respect des vies innocentes qui ont été perdues le blog ne cherchera pas à exploiter un angle inédit là tout a été dit. Il passe simplement en revue l’émergence et l’emprise envahissante de cette forme du terrorisme international, qui est aussi un ressort majeur des malheurs du monde. L’Occident (essentiellement les Etats Unis) a joué l’apprenti sorcier principal, réinventant et sur-développant la vieille version guerrière de l’Islam. Les guerres post- 11 septembre ont renforcé le phénomène, en faisant prospérer la haine des ‘’croisés’’. Une prochaine brève traitera du jihad actuel.
1 – Le djihad afghan se développe de 1979 à 1989 (sous le démocrate Jimmy Carter), dans le but qu’entretient Washington d’infliger un ‘’Vietnam’’à l’URSS. Une vengeance sur 1975 (débâcle en Indochine) est dans les esprits. Il faut punir l’armée rouge d’avoir envahi l’Afghanistan, pensant pouvoir sauver un régime communiste local chancelant. A Washington, Zbigniew Brzezinski, son conseiller pour la sécurité nationale, fait soutenir par la CIA un ‘’djihad’’ financé par les pétromonarchies de la péninsule Arabique et porté par les tribus pachtounes de tradition guerrière et banditesque. A l’initiative du Pakistan, allié très ambigu, les services de renseignement ajoutent à ces combattants locaux une strate d’étudiants en religion (talibans) que Washington soutient en faisant feu de tout bois. C’est le point de départ du djihadisme transnational. A la veille du 15 février 1989, la défaite de l’Armée rouge (une victoire américano-islamiste) se trouve éclipsée par la fatwa de l’ayatollah Khomeiny/ Il y condamne à mort, pour blasphème l’écrivain Salman Rushdie, auteur des Versets sataniques. Victorieux contre les Russes, le jihadistes sont dépossédés par leur échec médiatique et abandonnés par l’Occident.Pour ses chefs, les ‘’masses musulmanes’’ n’auraient pas rejoint‘’l’avant-garde islamiste » par crainte de la puissance occidentale. L’Egyptien Ayman Al-Zawahiri, bras droit du saoudien Ben Laden, appelle alors à l’expansion du jihad à travers le monde musulman : Egypte, Algérie, Bosnie… l’offensive doit être mondiale. Al-Qaida naît bientôt de cette guerre sectaire intra-islamique. Ben Laden appelle à la guerre sectaire contre tous les ‘’impies’’, pour damer le pion à ses rivaux chiites et faire pénétrer la violence sacrée au cœur même de l’Occident (qu’il attaque déjà au grand Moyen-Orient). Ce sera plus spectaculaire encore que la fatwa iranienne. Une longue série d’attentats terroristes contre des civils s’ensuit, appuyée par d’importants financements privés ‘’religieux’’, venus du Golfe. Le passage de la résistance anti-soviétique au jihad global doit beaucoup à des intérêts fanatiques saoudiens et pakistanais.
Les attentats du 11 septembre 2001 contre l’Amérique en constituent l’apogée. Ils font de l’orgueilleuse Amérique un colosse aux pieds d’argile, dès lors que la vidéo des avions percutant les tours du World Trade Center sera répercutée par les chaînes satellitaires du monde entier. Lorsque l’architecte des attaques coordonnées, le Pakistanais Khalid Cheikh Mohammed (KCM), un intellectuel formé aux Etats Unis, sera arrêté, on découvrira que dans son projet démentiel, en sus des villes de la côte Est, pas moins de dix avions devaient frapper les villes américaines, dont les métropoles de Californie, l’Etat de Washington (côte ouest. Ben Laden aurait exigé une attaque plus concentrée.
Les Etats Unis, désarçonnés, entament ‘’à l’instinct’’ une ‘’guerre globale contre le terrorisme’’ américaine, aux cibles floues mais sur fond d’un consensus international en béton qu’on ne reverra plus ensuite. L’humiliation infligée à l’Occident par la propagande jihadiste n‘est pas parvenu à affaiblir durablement l’adversaire. Le ressaisissement patriotique de l’Amérique – en mobilisant sa puissance armée mais en se trompant de cible – va aboutir à une opération de représailles en Afghanistan, depuis 1996 aux mains des Talibans, qui ont accueilli les bases d’attaque des chefs d’Al Qaïda. Avaient-ils pour autant quelque levier sur leurs plans jihadistes ? Le refus des Afghans de livrer Ben Laden à l’Amérique déclenche l’opération de la coalition internationale aux côtés des forces tribales afghanes, qui feront le gros du travail. Dès février 2002, les jihadistes ont dû fuir. Des grottes de Tora Bora, ils sont passés au Pakistan, abrités par les talibans locaux (leur ‘’maison-mère’’) et l’ambiguïté d’Islamabad. L’Amérique et les coalisés restent en Afghanistan contre toute logique, ils s’en prennent aux forces talibanes en posture de résistance face aux étrangers et en confrontation avec le gouvernement de seigneurs de la guerre formé sous le giron de l’Amérique. Dès 2002 l’ingérence multiforme des forces de l’OTAN dans la vie intérieure de l’Afghanistan – qu’il s’agit, comme l’Irak de ‘’reconstruire’’ – offre une légitimité populaire aux talibans. Ils peuvent compter sur le temps, sachant trop bien que les étrangers devront quitter le bourbier, comme les Britanniques et les Russes avant eux.
Les conséquences du 11-Septembre ont, par ailleurs, été amplifiées par l’immixtion occidentale dans les conflits intra-musulmans. Face aux forcenés du wahhabisme sunnite, Washington se retrouve, au stade initial de sa riposte, pratiquement dans le même camp que Téhéran. Ainsi monte le sentiment d’une collusion avec l’ennemi suprême du Sunnisme incarné par la révolution khomeyniste. Cette alliance de pures circonstances, curieuse et inconfortable exacerbe le ressentiment des Sunnites. L’invasion de l’Irak en mars 2002 porte donc leur rancœur au paroxysme. A Bagdad l’Américain Paul Bremer lance la purge de l’élite bassiste (associée à Saddam Hussein) et offre aux milices chiites leur revanche : un accès sans partage au gouvernement et à l’appareil militaire irakiens. Il s’y engouffrent de façon vengeresse. Beaucoup de cadres bien formés et rompus à l’art de la guerre passent alors à Al Qaïda puis à la nouvelle mouvance jihadiste. Douloureux retour de manivelle : l’organisation pyramidale d’Al Qaïda succombe autant sous les coups portés par les milices chiites irakiennes et iraniennes (coordonnées par le général des pasdarans, Ghassem Soleimani) qu’à la ‘’guerre contre la terreur’’ de George W. Bush. Laissant l’Afghanistan à son sort – donc négligé – les troupes US déferlent sur Bagdad et en Mésopotamie ‘’finir le travail’’ commencé par Bush senior en 1990-91.
Conséquence directe du 11 septembre 2001 les attentats contre les tours jumelles et le Pentagone ont galvanisé une nouvelle génération islamiste. L’insuccès opérationnel final d’Al-Qaida n’empêchent pas une forme de succès d’estime en Europe auprès de la jeunesse en rupture de toute intégration et convaincue de trouver une revanche dans la soumission d’un Occident en plein déclin. Beaucoup sont prêts à en découdre pour le hâter. Au printemps 2012, les frères Merah, lancent un jihad de tueries de Toulouse et Montauban du, prélude à celles de Charlie Hebdo en janvier 2015 et de Paris et Saint-Denis en novembre suivant, est lancée. On est à l’époque des printemps arabes réprimés par les dictatures. L’Occident y voit un miroir de son modèle démocratique. Pourtant, les démocrates arabes ont partout été écrasés. Les jihadistes recueillent les fruits du combat mené par d’autres contre les dictatures puis les éliminent sans pitié. Comme conséquence imprévue, une génération jihadiste plus impitoyable encore sort des prisons et des tréfonds de la société, avec un double projet étatique et universel. C’est le sinistre Etat Islamique, ‘’Daech’’, avec qui les jihadistes européens font la liaison en Irak et en Syrie. Cette seconde vague terroriste va s’avérer plus dangereuse encore que la première (à suivre).
*** 10 septembre – Législatives au Maroc : une éviction en douceur. Au milieu du tourbillon islamiste qui agite le monde arabo-musulman, le Royaume du Maroc se distingue des autres Etats par sa gestion singulière du phénomène: il les fidélise ses intégristes (modérés) à la monarchie, les introduit dans la vie publique, les laisse accéder à la tête du gouvernement (tout en les contrôlant de bout en bout) et, une fois sûr de leur inefficacité gestionnaire, il soumet ces notables bien usés au suffrage universel. Avec le résultat qu’on devine. De fait, les quelque 18 millions d’électeurs marocains appelés à voter le 8 septembre pour renouveler leurs 395 sièges de députés ont, en quelque sorte, ‘’répondu à l’appel’’. Bien qu’associé aux affaires dès 2007 et placé à la tête du gouvernement de Rabat depuis 2011 (deux mandatures), le Parti de la justice et du développement (PJD) s’est littéralement effondré. Sa déroute le voit chuter de 125 sièges de représentants dans l’Assemblée sortante à seulement 12, un peu aidée aussi par un changement de comptabilisation des sièges par suffrages (retenant les inscrits plutôt que les votants). Elle profite, sans surprise, aux partis tous dévoués au Palais royal, mais il n‘empêche qu’elle est signée de façon légitime, par le peuple et pas par un coup de force comme en Tunisie.
Sans les réprimer (sauf ceux qui s’attaquent à sa personne), le Souverain marocain a su patiemment mettre en scène ses sujets islamistes et les exposer publiquement à des responsabilités (non-régaliennes) ainsi qu’à un certain confort. Etre intégriste au Royaume du Commandeur des croyants est sans doute plus compliqué que de combattre l’autoritarisme d’un président à Tunis. La perte d’autorité des islamistes marocains modérés suit une longue litanie d’hésitations et de passivité dans les affaires économiques et sociales, auxquelles les exégètes du Coran préfèrent de loin les questions concernant la moralité publique et la piété. Fin 2007, j’avais moi-même été honoré, dans leurs journaux, d’une campagne de presse courroucée, trois mois durant, après avoir associé les vignerons et résidents français de Meknès à une fête de la Vigne célébrant la principale activité économique de cette ville berbère, une activité qui prospérait et créait de l’emploi plus que toute autre (de fait, il faut des raisins secs pour faire un bon tajine).
Leur manque de discernement dans la gestion a paru difficilement excusable, lorsque le pays s’est enfoncé dans une crise économique (une récession de – 7%, l’an dernier) et sociale inextricable, en conséquence de la crise sanitaire et de l’effondrement du tourisme (- 65 %). Leur lecture rigoriste de la politique, censée inscrite dans le Coran, n‘a pas résisté aux réalités. L’exposition médiatique de ces personnages archaïques mais parfois sympathiques, jointe à leur absence de contrôle et d’intérêt sur la pitance quotidienne des Marocains, ont cassé net une ascension qui paraissait irrésistible, à l’époque du « Mouvement du 20 février » – version marocaine du Printemps arabe de 2011. Ils réclamaient alors la fin de la corruption et du despotisme avec un fort écho populaire. Le pouvoir réel s’exercera, comme toujours, dans les arcanes du Palais, dont les habitués ressemblent fort aux habiles (?) énarques français, avec un peu plus d’implication dans les affaires (au sens de ‘’business’’, s’entend). La classe politique parachève la vitrine du système de pouvoir, dans un cadre d’ensemble relativement démocratique où elle peut s’exprimer et maugréer à sa guise, sauf sur les deux tabous de la monarchie/Commandeur des croyants ou contre la marocanité du Sahara occidental. La presse reste plurielle mais très surveillée.
Il faut reconnaître que la Monarchie se débrouille plutôt bien sur le front religieux et en matière de cohésion autour du Roi. Cela ne résout pas, au fond, les problèmes sociétaux et de développement mais cela crée une habilité à éviter les écueils, mieux que dans les pays voisins. En France aussi, la monarchie est à la manœuvre. Ah oui, pardon, c’est un autre sujet…
* 9 septembre – Les Américains partent, les Français restent. Qu’a donc été faire le président Macron à Bagdad, le 28 août, dans le sillage du fiasco occidental en Afghanistan ? Même si l’Irak déterminait l’agenda principal, l’irruption des Talibans dans Kaboul justifiait le déplacement.
C’est en tout cas ce qui explique un long entretien sur place avec l’Emir du Qatar. Le petit royaume gazier peuplé d’à peine 300.000 sujets revient en grâce et même en gloire. Son blason a été terni et son audience affaiblie par le procès en complaisance pro-iranienne qu’avait instruit contre lui ses voisins du Conseil de Coopération du Golfe, qui l’ont suspendu et même soumis à blocus. Son emprise sur le mouvement des Frères musulmans (aux côtés de la Turquie) et son habilité à accueillir les négociations talibano-américaines sur le désengagement militaire US l’ont remis en selle. Comme l’Occident n’a aucune autre porte où frapper pour tenter d’influencer l’après 15 août à Kaboul, le Qatar de la dynastie Al Thani est soudain porté au pinacle. Même s’il a éventuellement consenti à passer un message aux mollahs afghans, son intervention resterait très éloignée d’une médiation diplomatique. Le Qatar a rapatrié 20% des fugitifs sortis de Kaboul et sa compagnie civile devrait contribuer à la reprise des vols intérieurs afghans. Attendre de lui une extraction ordonnée des personnes menacée par le nouveau régime relève presque de la mise en scène médiatique. Se rapprocher de Doha peut, en sens inverse, apaiser un peu l’inquiétude que suscite le retrait militaire américain de la Région.
Le président français a participé à une conférence des voisins de l’Irak,un forum de dialogue organisé par Bagdad en partenariat avec Paris pour tenter de resserrer les liens entre pays de la région – y compris l’Arabie saoudite et l’Iran- face à la menace terroriste. Le fait que ces deux rivaux patentés aient fait le déplacement est un signe plutôt positif. De là à ce qu’ils amorcent une réconciliation … il ne faut pas rêver. La logique de réassurance répond à une attente de l’Irak, que les troupes américaines quitteront avant 2023. Ne restent actuellement que 2500 soldats. Comme l’Afghanistan et ses voisins, Bagdad, déjà éprouvée par des années de guerre, se voit ré-exposé aux attentats terroristes, du fait de la recomposition de Daech (Etat islamique). Avec le premier ministre irakien, Mustafa Al-Kadhimi et chacun de ses interlocuteurs, Emmanuel Macron a mis en avant un engagement français à rester fermement engagé dans la sécurité du Pays : ‘’ Quels que soient les choix du gouvernement américain, nous maintiendrons notre présence’’. Voilà une pique bien aiguisée contre les revirements stratégiques de Washington. Mais combien d’experts, d’assistants techniques et d’instructeurs militaires français sont et resteront en Irak ? Aux quelques centaines qui sont officialisées s’ajouterait un contingent de forces spéciales plus important en nombre dont on ne doit révéler ni l’effectif ni les théâtres d’opération (il semblerait que ceux-ci débordent sur la Syrie). Soit ! Ce doit être pour la bonne cause, n’en disons pas plus. Espérons seulement qu’en dehors de l’Elysée et de la Défense, la haute direction de l’Exécutif ne barbotte pas dans un flou total sur cette guerre française. Disons-le aussi, : sous une présentation édulcorée des données sensibles, les citoyens et les média devraient être un peu au parfum, au moment où s’ouvre à Paris le procès des terroristes des terrasses et du Bataclan. On aimerait savoir aussi ce qui s’est dit à propos de la centaine de jihadistes français et de leurs familles laissées à la garde (éternelle ?) des Kurdes et que les autorités françaises cherchent à maintenir éloignées de l’Hexagone, traitant quelques cas individuels de la façon la plus restrictive. Et que fait-on pour nos alliés kurdes ? Fin des questions : le blog ne dispose pas de réponses.
* 8 septembre – Dérèglement climatique, des problèmes multiples et imbriqués. Va-t-on tenir la COP26 de Glasgow en novembre, alors que la planète est dans les tourments du Covid, surtout le Sud ? On a vu les fortes hypothèques que le virus a fait peser sur les jeux olympiques et para-olympiques au Japon et on est en droit de se demander s’il ne faudrait pas mettre l’ensemble du système multilatéral sur zoom ou autre mode de visioconférence. Au beau milieu d’images d’inondations et d’incendies géants, les experts de l’ONU ont actualisé le 9 août leurs perspectives climatiques, très sombres. Sept ans après leur dernier rapport et au cœur des vacances d’été, le Giec se fait plus alarmant et précis que jamais sur l’état du dérèglement climatique et ses causes. Le processus de réchauffement court plus vite (d’au moins une décennie) qu’on l’avait calculé ; Les progrès des politiques de prévention ont été contrés par la relance économique ; Il faut s’attendre avant la fin du siècle à 3, 5 ° de plus qu’au début du 20e (déjà 1,4° avéré) et, à ce rythme, une bonne partie de la planète ne sera plus viable pour l’Homme. Arrêtez le ban : sueur d’angoisse !
Il serait suicidaire de négliger ce rapport. Cela crève les yeux, l’urgence climatique doit mobiliser de façon prioritaire l’énergie et les ressources des gouvernements comme des populations du monde. Surtout, cela doit se faire partout à travers le Globe, vraiment partout ! La résorption de la pandémie constitue une sorte de test-amont de nos capacités d’acteurs à nous organiser collectivement, autour d’une quête de salut collectif. Elle exige un changement radical de nos comportements à court-moyen terme (et au-delà ?). La prévention et l’adaptation aux catastrophes climatiques, fonctionne de la même façon que le combat contre le virus COVID, mais du court au plus long terme. Il serait absurde n’en voir qu’une des deux.
Mais il y a aussi un vrai danger de ‘’fausse route’’, à perdre, dans une sorte de simplification affolée, toute notion des problématiques connexes qui constituent des obstacles préalables : la perte de la Paix et de la stabilité (les guerres font barrage à toute action régulatrice), les populismes, chauvinismes et démocratures (incluant la xénophobie et aussi une partie des réseaux sociaux qui visent à nous rendre, en grand nombre, aveugles aux réalités) ; la préférence des marchés pour l’hyper-consumérisme et le ‘’toujours plus’’ ; les tensions induites par l’exacerbation des inégalités sociales (elles sont des germes de conflit), l’échec des politiques de développement (même cause et mêmes effets), l’illettrisme et les faiblesses des systèmes éducatifs (sans citoyens formés, aucune mobilisation effective). Mieux qu’un plan, il faudrait un monde bien préparé et ouvert pour combattre efficacement les plus grosses calamités : si l’on règlait 80 % de ces questions »connexes », il deviendrait possible d’avancer sur le terrain du climat comme sur celui de l’immunité planétaire. A 20% de succès seulement, la cause serait perdue et notre attention se disperserait vite vers toutes sortes de fantasmes, de peurs et de haines… jusqu’à ce que 80% d’entre nous tombent finalement dans une forme de psychose (elle progresse déjà) ou de guerre.
Un deuxième volet du rapport du GIEC, concernant cette fois les impacts du dérèglement et l’adaptation, est prévu pour février 2022. Il montrera plus en détail comment la vie sur Terre risque d’être inéluctablement transformée d’ici trente ans. Il faut garder le moral, c’est la seule façon d’être efficace. Charles Trenet chantait ‘’y’a d’la joie !’’
* 7 septembre – ‘’Tschüss Mutti ‘’. Angela Merkel, sans doute la dirigeante la plus respectée d’Europe, a détenu deux décennies durant la quote de la dirigeante politique la plus rassurante, en Allemagne comme largement en Europe. Elle quittera le pouvoir, très auréaulée, à l’issue des élections législatives du 26 septembre, lesquelles décideront de sa succession. On peut faire confiance aux électeurs d’outre-Rhin pour qu’ils effectuent un choix raisonné, mais en France, on n’aime guère l’incertitude. Aucun des candidats actuels au poste de chancelier ne nous est familier et le mode local de scrutin indirect nous laisse dans une grande expectative. Ce n’est pas tant une question d’ancrage partisan ni idéologique. On voudrait que le futur gagnant veuille maintenir le tandem Berlin-Paris. Qu’il développe une alchimie personnelle francophile. Dans une Europe qui n’en finit plus de se chercher et de s’interroger sur son futur dans le monde, les Français regardant au-delà de l’Hexagone ont besoin d’un partenaire principal solide et prévisible, avec lequel on puisse avancer. Du chancelier Adenauer aux dirigeants de l’Allemagne réunifiée – devenue plus prépondérante au sein de Europe – une sorte de mariage a perduré, avec ses hauts et ses bas comme dans tous les vieux couples. Que ce soit M. Laschet (CDU), M Scholz (SPD), Mme Baerbock ou une autre personnalité, quelque chose en restera mais pas forcément assez pour donner le change et impressionner la galerie.
Les sondages publiés le 2 septembre créditent les sociaux-démocrates du SPD de 25 % des voix. Ils creusent l’écart avec leurs rivaux (et alliés actuels) conservateurs de la CDU-CSU, qui en un mois ont perdu 7 points et plongent à 20%, leur plus bas niveau historique. Concernant les autres partis, avec 16 %, les Verts restent la troisième force politique mais perdent néanmoins 3 points. Ils sont désormais talonnés par le Parti libéral-démocrate (FDP, 13 %) et par l’Alternative pour l’Allemagne (AfD, 12 %), qui profitent sans doute du fléchissement de la CDU-CSU. M. Laschet est Rhénan et plutôt bien disposé envers la France, mais son image s’est dégradée auprès de l’électorat allemand, tant en termes de sympathie que de compétence. Il a été filmé en train de rire dans des circonstances tragiques.
A l’inverse, Olaf Scholz, né en Basse Saxe et éduqué à Hambourg, donc loin du regard de Marianne, est perçu comme plus sympathique (42 % contre 13 %), plus crédible (43 % contre 15 %) et plus compétent (53 % contre 15 %). Rien n’est figé, bien sûr, mais les instituts de sondage allemands spéculent qu’au suffrage universel direct (une pure hypothèse), l’actuel ministre des Finances l’emporterait haut la main avec 43 % des suffrages, alors que le ministre-président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie n’en recueillerait que 16 %. Pour sa part, l’écologiste, Annalena Baerbock rassemblerait 12 %. Dotée d’un vrai caractère de dirigeante, elle a établi sa crédibilité en tant que partenaire secondaire d’un gouvernement de coalition mais ce sera plus difficile pour la Chancellerie. Car rien n’est jamais joué avant que l’arithmétique électorale et les tractations de la classe politique accouchent d’une coalition.
Coalition ? Ce mot n’est guère aimé par les états-majors politiques, en France, à qui il rappelle trop les années frustrantes de la cohabitation. Pourtant la répartition des suffrages des électeurs hexagonaux irait clairement dans cette direction si le pouvoir présidentiel ne l’emportait pas sur tous les autres. Les Allemands auraient quelques raisons de s’inquiéter des pulsions de notre monarchie républicaine et absolue. A eux le retour d’incertitude, jusqu’aux élections françaises du printemps 2022. Quel sera le potentiel effectif de cette autre coalition – un peu baroque – va devoir former avec la France et pour servir l’Europe dans un monde dangereux.
* 6 septembre – Le volet américain de la disgrâce afghane. Comment réagis l’Amérique face au gâchis afghan : pas une défaite ? Certains éditoriaux l’affirment. On pourra effectivement pointer du doigt le fait que l’armée américaine n’a pas été taillée en pièces. Certes. Elle est partie parce qu’elle ne savait plus à quoi elle servait, ne réalisait plus aucune mission et avait mieux à faire en pivotant vers l’Extrême-Orient et vers la stratégie indopacifique, plus prioritaire. Cette guerre négligée n’a pas fait beaucoup de morts parmi les envahisseurs : 2300 ‘’seulement’’ (26.000 pour l’expédition russe de 1979) et son coût purement militaire aura été supportable pour l’économie étasunienne, mais elle a détruit sa propre légitimité morale.Tout est question d’angle de vue : plus on s’écarte de l’optique des capacités militaires et des choix tactiques – en fait contestables – que les états-majors vont devoir décortiquer, plus on entre dans une dimension d’absurdité et de disgrâce sur un plan d’ensemble.
L’armée américaine n’a pas été défaite (dans le sens physique), en Afghanistan, mais l’exécutif américain a failli à tous les niveaux civils et militaires et le peuple afghan va souffrir. Les choix politico-militaires ont été contradictoires, non-coordonnés et mal assumés. Ils s’avèrent désastreux, à commencer celui de s’enferrer sur le terrain social où l’ennemi n‘opérait plus. Il aurait fallu s’abstenir ou investir aussi, une bonne portion pachtoune du Pakistan, un pays nettement plus impliqué dans la menace terroriste. De même l’association aux opérations militaires de seigneurs de la guerre obscurantistes et de trafiquants-guerriers ethniques a compromis, dès le départ, l’émancipation citoyenne des Afghans. Comment prétendre promouvoir une accoutumance à la démocratie, dont ces alliés si peu recommandables incarnaient l’antithèse ? Pourquoi être resté, ensuite, sans mission claire, une fois Al Qaeda chassé du pays ?
Il semble que l’administration Bush ne savait pas quoi faire. Elle restait en l’Afghanistan… parce que son attention sur ce pays était faible par rapport à son obsession concernant l’Irak. Au point qu’il a fallu lancer un renfort offensif (‘’surge’’), alors que la situation d’ensemble se délitait, sans revue des plans ni réponse. En confrontation avec un monde rural profondément islamiste mais très majoritaire, les Américains ont négligé d’assurer la représentation et le rôle politique de la nouvelle classe citadine afghane, amarrée à la modernité. C’est pourtant elle qui a fait quintupler la population de Kaboul depuis l’invasion. L’accord passé avec les Talibans à Doha, en février 2020, a fait l’impasse sur cette question centrale et scellé un désastre politique : seul le retrait des troupes en bon ordre importait encore. Pendant un temps long, l’économie du pavot a prospéré de façon exponentielle, alimentant la domination des bandits éthiques et des talibans. Ce faisant, l’opium s’est considérablement diffusé dans les sociétés occidentales. En Afghanistan, il a fini de corrompre une société locale submergée de dollars. Ces citadins ont finalement été abandonnés dans une posture de traitres face aux nouveaux dirigeants talibans, lesquels avaient réussi à incarner à leur avantage le nationalisme et la justice. Le retrait était voulu et planifié de longue date, mais rien ne s’est passé comme prévu. Les derniers jours, mal gérés, ont tourné à la débâcle politico-humanitaire, devant des caméras qui ont fixé la tragédie dans tous les esprits. On oubliera les circonstances précises du fiasco mais les images tragiques saisies à l’aéroport de Kaboul resteront gravées longtemps.
A l’intérieur, la majorité des Américains ne voyait plus de sens à cette guerre, mais elle avait cessé de s’en préoccuper après l’exécution d’Oussama Ben Laden en 2011. Cette majorité ne croit plus qu’il soit raisonnable de vouloir changer la mentalité ou l’organisation d’autres peuples, une composante majeure de l’incompréhension entre le monde extérieur et l’Amérique ressentie depuis longtemps déjà. Mais on n’en fait pas un drame – hormis quelques ténors Républicains -, au plus un dépit. L’essentiel reste la primauté du leadership et l’avantage de prospérité face aux challengers. En fait, les Américains se focalisent bien plus sur l’état inquiétant de leur propre société clivée. C’est pourquoi Joe Biden s’oblige, avant tout, à ne pas compromettre son programme de réformes sociales.
S’exprimant au lendemain du repli précipité de Kaboul des derniers soldats américains, le président américain n’a pas admis l’énorme flop politique mais salué‘’l’extraordinaire succès’’ de la mission d’évacuation des Américains. Auparavant, le général Kenneth McKenzie avait annoncé la fin de la plus longue guerre des Etats-Unis, dans l’humiliation et le chaos. Certes, 90 % des Américains en Afghanistan, qui voulaient quitter le pays, ont pu le faire. ‘’Je n’allais pas rallonger une guerre éternelle et je n’allais pas prolonger le retrait éternel ‘’ se justifie Biden. Son rôle était d’’’achever le sale boulot’’ commencé il y a 20 ans et de tourner la page. ‘’L’obligation d’un président est de protéger et de défendre son pays […], pas contre des menaces de 2001, mais contre celles de 2021 et de demain », a-t-il encore martelé. Un cache-misère tout simplet.
Est-ce que tout cela suffit pour dresser un bilan ? En choisissant bien son angle on arrive toujours à positiver dans une perception américaine autocentrée. L’illusion impériale pourra rebondir un jour, mais s’agissant de théâtres stratégiques plus importants et ‘’mieux choisis’’ : ceux de l’Extrême Orient. L’affaire Afghane, bien qu’antérieure à l’expédition en Irak, s’effacera comme mineure et négligeable. Les Alliés resteront avec leurs doutes quant à la fiabilité des engagements américains. Il y a de quoi ! Pour ce qui est des ‘’petits’’ pays troublés, il est probable que, dorénavant, on y repensera deux fois avant de prétendre les transformer à grands renforts de ‘’nation building’’. Ca ne marche jamais et on le sait.
Après 1975, on avait parlé d’un syndrome vietnamien, à l’origine d’une crise de confiance générale. Le pays rencontrait alors de sérieuses difficultés économiques pour la première fois depuis 1945. Rien de tel aujourd’hui et, qui plus est, la conscription des jeunes par tirage au sort a disparu. Les guerres lointaines sont devenues l’affaire des politiciens et des militaires professionnels ‘’payés pour ce faire’’. Le repli afghan n’annonce pas, cette fois-ci, un déclin massif de la puissance américaine dans le monde mais il pose la question de son emploi futur. Sortira-t-on de la confrontation primaire des mâles dominants entre les grands gorilles de la forêt globale ?
* 3 septembre – Afghanistan : un abandon à la française. En Afghanistan, quelque 70 000 militaires français ont été déployés en opération, de 2001 à 2014, lorsque la France participait à la Force internationale d’Assistance à la Sécurité (ISAF) de l’OTAN. En treize années d’intervention, les armées ont passé quelque 1067 contrats pour le recrutement de ‘’Personnels Civils de Recrutement Local’’ (PCRL), en grande majorité des agents logistiques et des interprètes, dénommés ‘’tarjuman’’ en langue dari. Deux cent vingt d’entre ont été, à leur demande, admis en France sous statut de protection mais seulement une vingtaine, dans les deux semaines qui ont suivi la chute de Kaboul. C’est très peu. Depuis la prise de pouvoir par les talibans, le 15 août, la France officielle a semblé réticente à ouvrir les bras à ses anciens collaborateurs, confrontés avec leurs familles à la menace d’une mortelle vengeance entre les mains des islamistes. Ainsi, le visa a été refusé à plusieurs dizaines d’entre eux. Au total, environ 1300 visas ont été émis pour les quelque 400 familles à protéger. 150 autres familles ont été laissées sur le carreau et non-invitées à embarquer, lorsque le pont aérien s’est achevé le 27 août.
Apparemment, aucune autre puissance occidentale engluée dans la débâcle afghane n’a fait aussi peu de cas de ses ‘’harkis’’ (le terme vise à établir un parallèle avec les troupes indigènes partiellement extraites d’Algérie en 1962). L’Italie, par exemple, a embarqué tous ses supplétifs et les contingents anglo-saxons ont rempli leur mission, tout au moins s’agissant de ceux ayant pu accéder à l’aéroport. Le ministère français de la Défense n’a assuré qu’un service ‘’décent’’ d’évacuation, partiel mais sans excès, malgré l’engagement solennel au plus haut niveau de la République de ‘’protéger ceux qui ont travaillé pour la France’’. Et encore, le langage, même déconnecté des réalités n’a pas toujours été noble. Le premier réflexe, au beau milieu des congés d’été, a été d’annoncer très officiellement aux Français – un peu éberlués – qu’on anticiperait et on les ‘’protègerait des flux migratoires irréguliers’’. Le personnel local de la République sur le terrain des combats assimilé à des ‘’migrants’’ ? Pour en externaliser la gestion, on envisageait de les diriger vers trois Etats de transit qui leur sont fondamentalement hostiles : le Pakistan (la patrie première des talibans menaçant ces personnes), l’Iran (un pays hostile aux sunnites, farouchement anti-démocratique et anti-occidental) ou la Turquie (fort lointaine, sans frontière commune et n’étant plus en mesure d’accueillir). Cette façon d’expédier ses collaborateurs comme les victimes en enfer est accablante de cynisme ! La bataille électorale, qui justifie tout, devra-t-elle être un concours d’inhumanité ? Les Américains, un peu moins brutaux, ont jeté leur dévolu sur l’Albanie et le Tadjikistan.
Les dirigeants français ont tiré, avant d’autres, les enseignements de l’occupation absurde et impossible d’un pays essentiellement absorbé dans ses guerres civiles obscures et interminables et, par ailleurs, jusqu’à récemment déserté par les centrales terroristes. C’était un fait positif. Mais les autorités ont été prises de court par la soudaineté de la chute de Kaboul, une issue qu’elles savaient inévitable depuis fort longtemps mais qu’elles n‘avaient pas préparée. Ont-elles pensé être exonérées de leurs devoirs de puissance combattante du fait du départ des troupes françaises dès 2014 ? Sept années de distanciation d’avec une cause perdue d’avance expliqueraient cette coupable indifférence. Voyant venir le fiasco, on s’est persuadé que le conflit était exclusivement américain, nullement européen, à fortiori à l’heure de la défaite. Pourquoi donc en payer la note ? Pour autant, il n’y a pas d’excuse à l’absence de plan d’évacuation fonctionnel de leurs tarjumans jusqu’au moment où une improvisation désordonnée s’est imposée à tous. Paris s’expose en fait au soupçon de désengager sa responsabilité au sein de la coalition offensive déployée avec son aval actif, autour du grand allié américain, sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Cela aura affecté la perception du devoir de protéger son propre camp dont ceux qui ont agi sous l’étendard tricolore.
Mais, d’après plusieurs media, cette mollesse à s’engager protéger les tarjuman relèverait d’un principe gestionnaire : le ministère français de la Défense compterait quelque trois mille six cents auxiliaires, sous d’autres latitudes, dont il entend pouvoir se défaire à sa guise. Donc il ne serait pas question de créer un précédent à Kaboul ! Pour afficher une bonne conscience face aux questions de la société civile, ses avions ont extrait 2600 malheureux civils du guêpier afghan, mais pas forcément ceux à qui les Armées devaient le plus. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas non plus de l’excès de zèle : c’est en tout cas deux fois moins de malheureux que sauvés par l’opération italienne.
La règle du ‘’toujours et volontairement trop tard’’ est devenue la norme. Malin mais sans âme. Il convient ensuite de parler sur la scène internationale pour se mettre en scène avantageusement devant les concitoyens-électeurs. Comme si la défaite de l’Occident n’était pas scellée, la France et le Royaume Uni ont joué au Conseil de sécurité des nations Unies la simagrée d’une création de zone de refuge internationale afin d’abriter et d’exfiltrer les nationaux afghans et étrangers laissés pour compte à Kaboul et ailleurs. On a atteint un sommet dans l’art de ne pas entendre le ‘’non’’ – logique – des talibans, maîtres du terrain et n’ayant aucune raison de le céder aux ‘’envahisseurs défaits’’. Sourds aux réalités, les pays de l’OTAN ont égrené leurs conditions pour reconnaître les vainqueurs : laisser tous les Afghans qui le veulent partir sur des vols civils en acceptant les documents de voyage étrangers (mais où obtenir un visa ?), neutraliser la présence des centrales jihadistes pour qu’elles ne bénéficient pas de base d’action terroriste, garantir l’éducation des filles, l’intégrité physique de ceux qui passent pour des traîtres, les droits humains, etc. Peu importe le ‘’Non’’ des talibans en la parole desquels personne ne croit une seconde. La débâcle se terminant en tragédie. Il faut oublier. On jouera donc la comédie, pour la galerie (nous).
* 2 septembre – Fiasco à Kaboul : vers un monde »desoccidentalisé » ? Les guerres se perdent socialement et politiquement, même pour une force militaire dominante. La légitimité en droit n’est pas, à elle seule, une légitimité populaire. Lorsqu’on se saisit d’un pays étranger qui ne vous a pas invité ou ne veut plus de vous, on ne peut pas changer pas sa population contre son gré. La guerre d’Irak l’avait enseigné. Le fiasco de l’intervention de 2001-2021 en Afghanistan devrait clore le délire ‘’transformiste’’ ( »nation building ») de l’Occident sur les réalités du Sud et, en particulier, du monde musulman. Vingt ans de folie ! Ceci ressemble trop au rêve obsessionnel de l’alchimiste qui s’évertue à changer toute matière en or (pensant ensuite empocher la monnaie) mais court sans cesse après les échecs.
Le général Donahue, dernier soldat de l’Occident a ré-embarqué le 30 août depuis l’aéroport de Kaboul, presqu’un fuyard. Quatre présidents américains successifs auront voulu ‘’faire revenir les boys’’ d’Afghanistan, le consensus intérieur paraissant en béton sur cet objectif peu glorieux mais très réaliste. Joe Biden est passé à l’action, dans une sorte de compromis dicté par ‘’ceux d’en face’’. La moitié non-américaine des forces de la coalition (hormis les Français, partis dès 2014) a été entrainée dans une spirale de défaite totale et cuisante. L’armée afghane – en fait un réseau de supplétifs mal encadrés aux effectifs surévalués – s’est effondrée en moins de dix jours, alors qu’elle était sensée ‘’tenir au minimum un an’’. Elle ne croyait plus être un acteur autonome et avoir une mission. Le régime allié de l’Occident a implosé d’un seul coup d’un seul : pchsssiht !
Sans grande opposition, les talibans ont su investir Kaboul de façon spectaculaire et coordonnée, tel le Viêt-Cong s’emparant de Saïgon, en avril 1975. Du coup, les plans d’évacuation qu’on laissait dormants ’’pour ne pas envoyer le mauvais signal à l’ennemi’’ ont dû être improvisés dans la pire des précipitations. La pagaille a fini d’enflammer les blessures de la défaite politique et de l’abandon militaire et d’e faire une véritable débâcle politico-humanitaire d’ensemble. On peut, sans exagérer, parler d’erreur historique (il fallait quitter l’Afghanistan dès Al Qaeda délogée vers le Pakistan, en 2002-2003), mais aussi de tragédie ponctuée de pertes humaines révoltantes autant qu’inutiles. L’avenir, pour l’Occident, sera-t-il à l’introspection de ses fautes stratégiques et de ses illusions naïves ou seulement à la recherche de boucs-émissaires ? Joe Biden est le premier visé en ligne de mire, bien que la dérive mentale en revienne à toute une école de pensée stratégique fondée sur l’intervention en force et que l’opinion d’outre-atlantique a bien trop tardé à remettre en cause.
Des centaines de milliers d’Afghans affolés sont restés prisonniers dans la nasse, après s’être désignés comme fuyant les talibans. On ne peut plus faire grand-chose pour eux. L’Amérique n’avait qu’une obsession : déguerpir au plus vite en limitant sa propre casse. Tous les contingents de la coalition ont tenté de sauver ce qui pouvait l’être (un tout limité aux personnes encerclées dans l’aéroport), mais le pont aérien tardif et forcené n’a permis d’accomplir que la moitié de leur devoir humanitaire. 120.000 personnes ont été acceptées à bord, dans le plus grand désordre et laissant derrière elles leur famille ou parents. Elles n’ont pu que s’accrocher aux ailes étrangères. Les conséquences des séparations comme des abandons se feront sentir longtemps encore.
Comme si cela ne suffisait pas, la tragédie a pris une allure de massacre – une centaine de morts – du fait de la résurgence de Daech, filière afghane (Etat islamique au Khorasan) dont les attaques terroristes contre l’aéroport ont rajouté au drame qui s’y jouait une dimension d’horreur et de panique. On était venu en Afghanistan chasser les terroristes : c’est eux qui harcèlent nos partants. Les services de renseignement occidentaux en sont arrivés – toute honte bue – à solliciter l’aide des talibans pour aider à protéger cette foule, non sans éviter d’ultimes maladresses (les représailles américaines ont décimé une famille). On ne sait rien des activités projetées par Al Qaeda depuis ses bases afghanes, sauf que ses tueurs sont là, de nouveau. C’est pourtant l’organisation contre laquelle toute l’expédition avait été déclenchée en décembre 2001 par l’ex-président Bush. De toute façon, l’histoire ne pourra plus se rejouer en boucle, l’échec ne se rejoue pas.
Sur le plan diplomatique – mais les experts seraient-ils les seuls concernés ? – la descente aux enfers avait été entamée sous Donald Trump, avec la conclusion à Doha en février 2020, de l’accord entre Américains et Talibans sur les modalités du retrait des troupes de l’Oncle Sam (scénario auquel la réalité ne s’est pas conformée … vanité de la diplomatie !). L’Amérique s’était privée de toute marge de manœuvre politique en échange de la protection de ses troupes.Le pouvoir politique à Washington a délibérément omis de se préoccuper de l’avenir politique de l’Afghanistan après son retrait projeté. Le peuple afghan et sa culture sont restés des phénomènes incompréhensibles pour les têtes d’œuf du Pentagone et du Département d’Etat. Rien n’a suivi le principe de réalité dans leurs présomptueux efforts de »nation building ». La perte de confiance en soi-même subie par leurs alliés afghans a dû commencer là : ils se savaient factices. Le calendrier a ensuite été dicté par la partie talibane. Privés de renseignement comme d’emprise sur le terrain (hormis le tarmac de l’aéroport), les représentants américains s’en sont remis, contre les menaces de Daech et Al Qaeda, à la ‘’coopération opérationnelle’’ de l’ennemi-taliban, celui-même qu’ils étaient venus abattre, une invraisemblance et une humiliation. Dès le désastre accompli, ils se sont empressés de continuer les pourparlers avec celui-ci, par le truchement du Qatar, le grand protecteur des frères musulmans. Le concept de ‘’gouvernement de transition’’ que les Occidentaux et, à leur façon islamiste, les Talibans mettent en avant pour sauver la face ou pour ne pas trop effrayé tient, lui, de l’hypocrisie pure. On dotera probablement le Califat d’une façade décorative mais le pouvoir restera solidement ancré chez les mollahs et les chefs militaires.
Au même titre, la zone de refuge ( »safe zone ») dont les diplomates français et britanniques font grand cas à l’ONU restera à l’état de mirage. Le ‘’Non’’ du pouvoir taliban, vainqueur militaires et maître des lieux, tranche la question. Mais l’Occident s’enfonce dans le déni de cette fin de non-recevoir. Il s’accroche aux solutions devenues trop tardives et donc impossibles à mettre en œuvre. Il exorcise, ce faisant, sa mauvaise conscience envers les Afghans abandonnés. Se déporte du terrain afghan vers le forum new-yorkais, est bien moins dangereux et donne le change. On mime une activité diplomatique ‘‘soutenue’’ à l’intention des opinions publics. Les chancelleries sont surtout anxieuses de voir la Chine, la Russie, la Turquie et les pays du golf redoubler de réalisme et de complaisance pour s’assurer les bonnes grâces des Talibans : tranquillité chez eux contre coopération économique et relations diplomatiques avec Kaboul, voilà les termes du marché. A l’opposé, les pays de l’ex-coalition posent, eux, des préalables juridiques (libre sortie des Afghans de leur pays, scolarisation des filles, droits humains…) et, du coup, ils intéressent moins le nouveau califat, quels que soit l’état délabré de son économie et de ses finances. Les talibans trouveront chez des voisins plus massivement hostile à l’Occident l’expertise économique et l’argent qui leur font défaut.
Un nouveau monde émerge sur lequel les Etats Unis et l’Europe perdent prise.
* 1er septembre 2021 – Fallait-il vraiment rentrer de vacances ? Son blog sous la patte, l’Ours rentre d’estivage… en faisant la gueule. Quitter le miel sauvage et les vols de papillons pour retrouver le monde en si lamentable état, cela vaut-il le coup ? On ne parviendra qu’à épouvanter les lecteurs en leur récapitulant les récents chaos de l’actualité mondiale. C’est un vrai problème quand on voudrait les motiver à s’immerger dans l’international comme on l’est dans les affaires du pays ou dans les histoires du café du coin. Tout est sociétal sous le ciel et rien ne devrait échapper au discernement du villageois-citoyen.
D’instinct, on sélectionnera trois fronts majeurs dans le maelström de tracas qui perturbent Gaïa, notre Terre : la (ou les) pandémie(s) ; l’accélération du chaos climatique et la géopolitique ‘’guerre ou paix’’ en pleine désagrégation. On aura aussi recensé une vingtaine d’autres problèmes très embêtants, mais, que voulez-vous, il nous faut faire un tri, sinon les brèves seront plus fournies que la bible (sans allusion aux dix plaies de l’Egypte). Les relations inter-sociétales représentant le fonds de commerce de ce blog, on va s’y consacrer et voir dans les prochains jours, par exemple, à quoi pourrait ressembler un monde où l’Occident, chassé d’Afghanistan et frustré dans ses illusions de puissance et de sa capacité à gérer la donne globale se voit supplanté par des potentats régionaux.
Le désordre mondial et la montée des confrontations – une question primordiale en soi – constituent aussi l’amont des luttes planétaires contre le virus de la Covid et contre le dérèglement climatique. En gros, on n‘arrivera pas à stopper, avant le gouffre, la mécanique des effondrements en chaîne (partiellement surmontés) si on ne commence pas par rétablir la paix dans une trentaine de conflits et dans cette nouvelle guerre froide qui menace la stabilité du monde. On pourrait ajouter que sans un minimum d’entente entre les peuples et leurs gouvernants (oserait-on encore parler de ‘’démocratie’’ ?), sans un minimum de vivre-ensemble entre groupes humains majoritaires et les minorités (peut-on reconstruire des nations plurielles ?), sans un minimum de référence librement consentie au droit et à la justice (combien d’états de droit sur la planète ?), sans un minimum d’équité entre les groupes sociaux (comment ignorer cette source première des tensions ?),… et bien, on ne s’attèlera même pas à la question de la paix, très mal au combat contre la pandémie et pas du tout à prévenir la catastrophe climatique qui se profile, de plus en plus visible et de plus en plus proche. Il faudra donc raisonner en enchainements vertueux successifs et interdépendants et ne pas s’obséder d’une grande cause, unique et solitaire. C’est le chemin inverse de celui exploré par certains (pas tous) ‘’collapsologues’’ qui voudraient prouver, par raisonnement simplet, que tout est déjà foutu, même l’Homme.
La foi dans le potentiel d’humanité de l’Homme et dans son désir d’ouverture aux autres, une fois libéré de ses peurs fantasmatiques, finira par déplacer (en douceur) des montagnes. Ces montagnes comprennent, notamment, de nouveaux modes de socialisation à la base et l’élargissement de nos sphères citoyennes, du hameau jusqu’au système multilatéral. Finalement, en vacances, on cogite un peu.
* Août : estivage de l’Ours
* 30 juillet – Dépassement dangereux (sans visibilité). Hier marquait le « jour du dépassement ». Boum, accident ! Nous revoilà vivant à crédit de la planète, qui elle-même a les poches vides et tire une bouille de malade. A partir d’aujourd’hui toute ressource naturelle biologique ou minérale que l’on arrache à Gaïa menace son futur – et le nôtre – car elle ne pourra pas la régénérer dans l’année suivante. Elle va donc s’étioler, maigrir, tousser, se rabougrir, peut être déposer son bilan. Il faudrait 1,7 Terre pour subvenir aux besoins de la population mondiale de façon durable : chaque année, 70% de dette irremboursable sur la nature. Après avoir exceptionnellement reculé en 2020, à cause ou grâce à l’effondrement économique provoqué par la pandémie de coronavirus, notre hyperconsommation insensée rejoint les sommets de 2019 et reprend son cours sidéral. En 1970, on ne s’en inquiétait pas : le jour fatidique tombait le 29 décembre. Puis ce fut le 4 novembre, en 1980 ; le 11 octobre, en 1990 ; le 23 septembre en 2000 ; le 7 août, en 2010. Bientôt la faillite, dès janvier ?
Deux principaux facteurs jouent dans cette marche vers l’abîme : l’augmentation de 6,6 % de notre empreinte carbone par rapport à 2020 et la diminution de 0,5 % de la biocapacité forestière mondiale. Pour WWF, cette baisse de nos défenses écologiques doit pour beaucoup à la déforestation galopante de l’Amazonie, dont Jaïr Bolsonaro se montre si fier. Elle tient largement aussi à nos niveaux irresponsables de consommation de produits neufs, là où la durabilité de nos achats ou l’autoconsommation nous apporterait un confort équivalent, sans gâcher les ressources terrestres. La principale certitude est dans à notre incapacité à bien gérer les écosystèmes (séquestration du CO2, régénérescence des forêts et des bosquets, recyclage des déchets, rétablissement des modes naturels de culture sans intrants chimiques, arrêt de la bétonisation des sols, urbanisme plus respectueux de la nature, etc.). Tout cela est formidablement simple à expliquer et atrocement difficile à mettre en œuvre. Beaucoup d’experts pensent qu’on n’y arrivera jamais, du fait du facteur politique et humain. Surtout au niveau global, où elle prend tout son sens, l’écologie bute sur les nationalismes égoïstes, sur les idéologies agressives, sur l’apathie des masses, sur le soupçon (avéré) que, comme toute activité politique, celle-ci est pipée par des dirigeants sans scrupules ou sans inspiration et que certains citoyens vont devoir y sacrifier plus que d’autres. Alors, là, plutôt la mort par la sécheresse (ou les inondations) que de céder à autrui un soupçon de ses acquis sacrés ! L’inégalité des contraintes entre les groupes sociaux se retrouve au niveau des pays (je ne parle pas des Etats) : certains sont déjà dans la pire des panades, d’autres hésitent encore à ouvrir les yeux. Les intersocialités du monde n’ont pas même été capables de produire un texte de convention sur les millions de réfugiés climatiques (bientôt des centaines de millions) en quête d’un refuge où la vie soit possible.
Essayons de conclure simplement quant à la nécessité de progresser sut trois axes : d’abord sur le plan local, où il nous faut adopter un meilleur respect de la nature et une plus grande sobriété des comportements consommateurs. Puis l’international, où il est essentiel de revenir au multilatéralisme, à la coopération, à la coordination des politiques, à la paix (plus de quarante conflits ouverts actuellement) dont la paix civile et l’état de droit international : pas de progrès en vue à moins de ‘’poussées’’ populaires dans ces différents domaines, trop souvent considérés comme l’apanage des gouvernements. Enfin, bien sûr, s’interroger sur les responsabilités systémiques des agents économiques, à commencer par les stratégies prédatrices des très grandes entreprises, appuyées par la finance, par le marketing (abrutissant), le formatage de l’humanité et de la nature au moyen des réseaux et des outils numériques. Les gouvernements possèdent une capacité de régulation qui est nécessaire pour guérir la planète de façon rationnelle. Leur capacité à exprimer l’intérêt général perçu et validé par leurs citoyens, est tout aussi essentielle. Tout est relationnel, rien n’est idéologique. Il faudra méditer tout ça à la plage.
* 29 juillet- Pas vu, pas pris. Parlons un peu du Burundi, où il ne fait pas bon avoir l’esprit critique. Le Forum pour la conscience et le développement (FOCODE), association burundaise des droits humains, a enquêté sur les disparitions forcées dans ce pays. L’ONG a documenté plus de 200 cas de disparition d’opposants ou de personnes s’exprimant depuis 2016, dont une trentaine depuis l’arrivée au pouvoir du président Évariste Ndayishimiye. Parmi les centaines de personnes présumées arrêtées par les agents de l’Etat, dont on est sans nouvelles, figurent la défenseure des droits humains Marie-Claudette Kwizera, la trésorière de la Ligue Iteka, et le journaliste Jean Bigirimana du média, Iwacu, respectivement enlevés le 10 décembre 2015 et le 22 juillet 2016 par des agents du Service national de renseignement (SNR). Ils ont été pris pour cibles en raison de leur travail et vraisemblablement assassinés.
Dans une interview récente sur RFI, le président burundais, Evariste Ndayishimiye, a affirmé crânement qu’il n’y avait pas de disparition forcée dans son pays. ‘’À ce que je sache, il n’y a pas de disparitions au Burundi. Sinon, vous me diriez : telle personne est disparue’’. Par déférence, le journaliste avait omis de citer des noms. En fait, Ndayishimiye joue avec les mots. Ses subordonnés ont l’interdiction de l’ennuyer avec ce sujet : il ne veut surtout pas en connaître, point. La justice burundaise est débranchée des cas de disparitions forcées et elle ne répond pas à l’appel des familles.
Celles-ci sont ignorées dans leurs recours auprès des autorités et soumises à des actes d’intimidation, de la part des forces de l’ordre. Pour elles, l’incertitude durable sur le sort de leurs victimes et le spectacle de l’indifférence de la justice sont particulièrement douloureux. Elles ne peuvent ni faire le deuil de leurs proches ni espérer, de façon réaliste, leur réapparition. Les auteurs des enlèvements et des exécutions ne sont jamais identifiés, à fortiori soumis à une enquête. Ce type d’exactions n’est pas du tout exceptionnel en Afrique, où le passage par une enquête, un tribunal, un procès dans les formes, éventuellement, par la détention est souvent écarté au profit d’exécutions ciblées, discrètes et anonymes. Il faut le savoir car cette plaie représente l’un des aspects les plus choquants de la mauvaise gouvernance étatique. (d’après une information de l’ACAT-France)
*28 juillet – Good bye, Bagdad ! Joe Biden vient de conclure avec le Premier ministre irakien, Moustafa al Kadhimi, un accord mettant fin au cours du prochain trimestre à la mission de combat des troupes américaines en Irak. En fait, depuis plusieurs mois, les soldats de l’Oncle Sam ne participaient déjà plus aux opérations sur le terrain. 2500 d’entre eux resteront sur place en qualité de ‘’conseillers’’, c’est-à-dire d’instructeurs ou d’agents de renseignement. 19 ans après l’invasion insensée de ce pays, décidée par George W Bush au printemps 2002, arrive l’heure du départ sans gloire, encore une fois… ‘’Notre coopération contre le terrorisme continuera même dans cette nouvelle phase, dont nous discutons », a déclaré Joe Biden, ce qui ressemble bien à une volonté polie de désengagement, formulée dans des termes, certes convenus, mais pas forcément au goût de Bagdad.
Qu’importe, puisque la lutte contre les mouvements jihadistes passe plutôt désormais par la Syrie et par l’Afrique subsaharienne. L’Irak n’est plus non plus un bouclier contre les menées invasives des gardiens de la révolution et autres paramilitaires téléguidés par l’Iran. Lors de l’exécution ciblée par drone, sur le territoire irakien, du général Qassem Soleimani, le grand patron des opérations extérieures iraniennes, Washington a bien dû constater l’impopularité extrême de son engagement, du point de vue de Bagdad. Et d’ailleurs, l’heure n’est plus à la confrontation militaire des Etats Unis avec Téhéran, alors que l’administration Biden multiplie les signes de son désir de reprendre langue avec les mollahs sur l’accord nucléaire de 2015 auquel elle n’est plus partie et que les Iraniens ne respectent plus, mais de façon subtile.
»Good bye Bagdad ! », donc, et ce sera certainement sans regret. Ce n’est pas, comme en Afghanistan, une défaite à plate couture mais cela conclut quand même un gâchis gigantesque. Des milliards de dollars, des pertes humaines irréparables, des remontrances vexantes de la part du reste du monde, pour en arriver là, sans pouvoir espérer de remerciements ou d’indulgence en retour. C’est aussi perdre la fidélité d’un allié qu’on a mis au pouvoir mais qui préfère une autre vassalité. Finalement, la volonté de désengagement du Moyen-Orient est pratiquement la même sous Biden que sous Trump. On va tout oublier de la Mésopotamie pour basculer les moyens sur l’Asie orientale, sur le »défi chinois ».
Prospectivement, adopter une posture militaire plus vigoureuse vis-à-vis du géant de l’Asie ne sera pas nécessairement plus judicieux que ne le fut le déferlement du début du siècle sur l’Afghanistan puis sur l’Irak . Mais c’est un autre sujet.
* 27 juin – La Tunisie va-t-elle rester une démocratie ? Ce pays a accompli, en 2011, une révolution démocratique qui en a fait un modèle, quasi-unique, dans le monde arabe. Au plan culturel c’est une proche voisine de la France, à laquelle sa classe moyenne est très liée. Elle représente un exemple en termes de développement et de libertés fondamentales (l’indépendance et la hardiesse de sa presse sont montrées en exemple). La condition de la Femme y est avancée, l’état de droit en progrès. Pourtant, elle n’a pas eu de chance. Son éveil à la démocratie s’est fait sur fond de crises multiples : la montée des ‘’caïdismes’’ ; celle de la dictature en Egypte et généralement dans la région ; le jihadisme – endogène et exogène – qui menace son économie et clive sa société entre Tunisiens ‘’aisés’’ et pauvres traditionnalistes ; la guerre civile et le banditisme pur chez son voisin oriental libyen, qui déborde sur son territoire ; l’agitation politique et l’impéritie du pouvoir algérien sur son flanc occidental ; l’effondrement du tourisme, celui de ses finances publiques ; l’accentuation rapide des inégalités sociales et la radicalisation d’une partie de sa jeunesse (des traits communs aux pays arabes) ; la vieille culture intrusive et répressive de sa police, héritière de Ben Ali (l’armée restant neutre et légitimiste).
Puis survient la pandémie à laquelle le Pays ne s’était pas préparé et dont les ravages révèlent une pathétique impuissance. Ennahda, le parti islamiste, participe au pouvoir et tient même le Parlement et, avec cette institution, une part du pouvoir exécutif, aux termes de la constitution mixte (parlementaire et présidentielle). Ce n’est pas le Liban et ce parti légitimiste se comporte aux antipodes du Hezbollah. Mais, dans un monde trop moderne pour lui, son approche de la gouvernance demeure archaïque et confuse. En six ans, il n’a presque rien accompli d’autre que de ‘’tenir son rang’’ et cultiver sa clientèle.
L’accumulation des tensions, sur tous les fronts, a mécaniquement abouti à les exacerber dans la dimension politique. Six mois d’opposition frontale entre le président Kaïs et le parlement, tenu par l’islamiste Rached Ghannouchi, ont sérieusement dégradé le consensus initial et divisé les Tunisiens en deux camps antagonistes. Pouvait-il en être autrement quand rien n’avance en dehors de multiples périls et catastrophes ?
Le président Kaïs Saïed a finalement pris les devants en limogeant son premier ministre (complaisant à l’égard d’Ennehda) et en suspendant l’activité du parlement. On peut parler d’un coup de force, même si, sur un plan strictement constitutionnel, ce type de recours est prévu lorsque l’intégrité et la souveraineté du pays sont en jeu. Chacun en jugera. Mais, faire encercler le Parlement par l’Armée et en interdire l’accès ajoute une touche de brutalité à cette décision. Les Islamistes dénoncent un coup d’Etat. Si s’en est un, il ressemble un peu à celui accompli en 1958 par le général de Gaulle, à la limite extrême (et même un peu plus) du respect des institutions. Du coup, les Tunisiens sont sortis dans la rue pour s’affronter, camp du Président contre camp d’Ennahda.
Tout cela s’agrège dans un spectacle de délitement général de la démocratie tunisienne, peut-être même, si l’on dramatise les choses, dans des prémices de guerre civile. On n’en est pas là, mais la perspective d’un retour à l’Etat de droit démocratique paraît s’éloigner sur la ligne d’horizon politique. Il est infiniment plus facile de suspendre que de restaurer l’Etat de droit.
Kaïs Saïed se révèlera-t-il un de Gaulle tunisien ou dérivera-t-il vers une émule du général égyptien al Sissi ? Comment réagira Ennahda, divisée entre légitimistes et complotistes ? Quelle chance reste-t-il à la Tunisie de sortir, malgré tout, de ces ornières ? On ne peut que souhaiter à la Tunisie de s’en tirer, malgré tout, ce qui nous aidera, nous aussi, un peu.
*26 juillet – On fait tout pour être espionné. Il y a l’espionnage à sensation et la petite routine moucharde des entreprises et des réseaux. Seule, la première fait le buzz… et encore. Amnesty International, l’ONG de défense des droits humains, qui a participé au consortium de médias sur le logiciel espion Pegasus, appelle à un renforcement des règles et des contrôles de la cyber-criminalité et, dans l’immédiat, à l’instauration d’un moratoire sur la vente et l’utilisation des technologies de surveillance. Il en va de la survie de la démocratie et de nos libertés fondamentales. La société israélienne NSO, qui a conçu le logiciel, ‘’est une entreprise parmi d’autres. Il s’agit d’un secteur dangereux qui opère depuis trop longtemps à la limite de la légalité (litote)’’ déplore l’ONG. Le consortium Forbidden Stories et Amnesty se sont procuré une liste de 50 000 numéros de téléphone, ciblés par les clients de NSO depuis 2016 en vue d’une possible surveillances. Introduit dans un smartphone, le logiciel Pegasus récupère les messages, photos, contacts, vous géolocalise, décrypte vos messages chiffrés et active à distance les micros et caméra : 180 journalistes, 600 personnalités politiques (dont treize chefs d’Etat ou de gouvernement) , 85 militants des droits humains de même que 65 chefs d’entreprise ont été ciblés au Maroc, en Arabie saoudite, dans les Emirats, au Mexique, en Hongrie et même au plus haut niveau de l’Etat et du gouvernement, en France…ceci, à l’initiative de gouvernements courtisés par celui d’Israël..
L’avertissement est grave et solennel. Mais il y en a d’autres, plus ou moins inconnus, mais du même tabac. Allez donc voir les sites Amnesty Report, Refugee International, Euro News ou encore CNN 24-7. Une seule visite sur leur page d’accueil provoque l’installation du virus Candiru sur votre système d’exploitation. Si vous vous voyez plutôt Big Brother, achetez- le plutôt sur internet, à une autre entreprise israélienne, vous ne serez pas déçu : il a toutes les fonctionnalités de Pegasus et il vous permettra de terroriser la planète et d’abattre des démocraties … si vraiment tel est votre plus grand désir (et votre inquiétante psychose). Il y a toute une forêt de la cybersurveillance derrière l’arbre Pegasus , des milliers d’outils qui permettent d’espionner ce qui se passe sur un téléphone portable ». En plus, l’usage en est simplissime (mais pas donné). Ces espions à la pointe de la technique utilisent des vulnérabilités technologiques des smartphones iPhone et Android – encore inconnues des fabricants. Ils achètent à des hackers la découverte de ces failles sur un ‘’marché des vulérabilités informatiques’’ pour le moins louche. Le crime organisé y croise les entreprises les plus cyniques, par l’entremise de pirates sans scrupule et de gouvernements utilisateurs. Ainsi, tout le monde est réuni sous l’étendard de l’argent sale et des coups louches.
Mais à bien y penser et au niveau du quotidien, nos multiples cartes de fidélité dans les magasins, les coockies qu’on nous impose sur internet, les fonctionnalités discrètes de nos cartes bancaires, la caméra-globe fixée sur le lampadaire de rue, le GPS de notre téléphone ou de notre véhicule, les formulaires de satisfaction, les publicités invasives, nos multiples passages dans les réseaux sociaux (et je ne citerai pas l’innocent ‘’Linky’’) font le même travail, à notre petite échelle de consommateur lambda. Ils espionnent = individuellement = des milliards de braves gens. Sommes-nous des pommes ? On devrait exiger d’être informés de tout ce ‘’big data’’ extrait de nos vies. Si on ne le fait pas, c’est parce que l’on ne sait pas faire face au ‘’big business’’, car on sent bien que le ‘’système’’ vit d’argent, de marketing et de domination numérique et se fiche bien de nous. Il est plus fort que nous, en tout cas, à court terme.
*** 23 juillet – Lubies répétitives. Revoilà l’inéfable Boris Johnson ! A l’automne 2019, après avoir fait lanterner Bruxelles deux ans et demi durant, il a validé de sa main le protocole irlandais », qui constituait une clause centrale et hyper-sensible du projet d’accord post-Brexit définissant l’avenir des relations UE – Royaume Uni. Londres s’était officiellement félicitée de cet accomplissement. Le but était d’éviter le retour d’une frontière terrestre de l’Ulsteravec la République d’Irlande comportant un risque de rupture du Traité du Vendredi saint de 1998, outil d’une paix retrouvée mais qui reste fragile. Entré en vigueur début 2021, ce protocole régit désormais le statut dual de l’Irlande du Nord : politiquement, ,la province de l’Ulster reste une partie constituante inaliéable du Royaume-Uni, dont la souveraineté n’est pas limitée. En matière de commerce extérieur, elle consent cependant à s’aligner sur les normes du marché intérieur de l’UE. C’était la seule façon de maintenir la frontière ouverte entre les deux Irlande, tout en évitant une entrée massive, par voie de de fraude et contrebande, de biens interdits ou tout au moins d’origine non-contrôlée dans l’aire de consommation des »27 ». Ingénieux, ce compromis a permis de surmonter le plus haut obstacle de la négociation et de maintenir la paix civile.
Mais, depuis le début de cette année, Le gouverement de Sa Majesté rechigne à mettre en oeuvre ses engagements et à procéder aux contrôles douaniers prévus. Sur le départ en vacances, comme son Parlement entrant en récession, Boris Johnson, signifie tout de go à Bruxelles, vouloir renégocier – dans son ensemble – le protocole nord-irlandais : énorme frappe de boulet de canon dans un jeu de quilles bien rangé. Sans entrer dans la polémique, Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne, a sobrement répliqué : »Nous n’accepterons pas une renégociation du protocole ». On doit s’attendre à une guerre d’usure, tant que Johnson restera en mesure de pilotier en girouette la diplomatie de son pays. Le dispositif de contrôle des marchandises dans les ports de Mer d’Irlande ne constitue pourtant aucunement une frontière. Il n’a pas d’incidence sur la libre-circulation des personnes. Mais, Westminster veut considérer que si. La formule qui permet de sauver le commerce dans les règles établirait, selon le Premier ministre »une frontière », à l’intérieur du Royaume. A partir de là, la souveraineté britannique serait entravée de façon (acceptée mais) inacceptable. Quant aux Irlandais, qu’ils s’affrontent donc entre eux, les Conservateurs de Londres n’en ont cure !
Où est passé le respect du droit et de la parole donnée ? Où se situe aussi l’intérêt de l’Ulster et celui des Britanniques amenés à s’ajuster en zigzag au Brexit ? L’essence de la souveraineté veut que l’application souveraine et librement consentie du droit et des engagements contractés s’intègre à la souveraineté de l’Etat contractant. Un peu de réflexion s’imposerait sur la conception johnsonienne, pleine de cinisme, du »grand large ». Chacun peut voir qu’elle déssert l’image du Royaume Uni partout dans le monde. Quel dommage !
* 22 juillet – Eau dans le gaz. Les États-Unis considéraient depuis une bonne décennie que le projet de gazoduc géant Nord Stream 2, reliant la Russie à l’Allemagne, créerait une dangereuse vulnérabilité pour l’Europe et donc pour l’Alliance atlantique. C’était le fruit d’une époque relativement insouciante, où l’intégration de la Russie dans l’architecture européenne paraissait possible et même souhaitable. Ce projet – achevé à 90 % – est aussi la conséquence d’excès d’indulgence de certains dirigeants allemands à l’égard de Moscou. Il devait assurer un approvisionnement supplémentaire aisé à l’industrie allemande, déjà tributaire de l’énergie russe par de multiples canaux. Pourtant, à la même époque, V. Poutine s’est aventuré dans des opérations militaires hasardeuses contre l’Occident. De plus, crise climatique aidant, alors que les énergies fossiles devront être déprogrammées à relativement court terme, la ‘’main de Moscou’’ fat de moins en moins sens. Elle garde accessoirement l’effet de contourner l’Ukraine et de priver potentiellement Kiev de sa principale source d’approvisionnement et des ressources financières résultant du transit. Très hostile à Nord Stream 2 et méfiante à l’égard de Mme Merkel, l’administration Trump n’avait rien fait, ou plutôt s’était seulement gavée de mots.
Hier, un compromis a été annoncé entre l’administration Biden et le gouvernement allemand pour dépasser leur différend géostratégique autour de Nord Stream 2. Il inclut des scénarii de sanctions pour le cas où Moscou, usant de son gaz comme d’une arme, tenterait un chantage à la livraison d’énergie pour infléchir la politique de l’Allemagne ou pour exercer des pressions agressives contre l’Ukraine ou d’autres Etats européens considérés à Moscou comme faisant partie d’un ‘’glacis stratégique’’ russe. En termes clairs, le gaz russe serait alors boycotté et Berlin s’alignerait sur les sanctions et autres choix de l’Alliance atlantique dans une crise éventuelle. Kiev n’est pas oubliée. En faveur de laquelle les deux capitales occidentales s’engagent à œuvrer ensemble à la reconduction pour dix ans, en 2024, des clauses de transit du gaz russe par l’Ukraine.
Est-ce que cette usine à gaz sera réellement efficace en cas de clash ? Il est présomptueux de s’affirmer ‘’paré’’ pour l’avenir lorsqu’on en ignore encore les paramètres et, de plus, que l’adversaire est parfaitement au fait de vos intentions. Les crises suivent une infinité de cheminements imprévus. L’essentiel reste le front d’unité et de consensus rétabli avec l’Allemagne. Quoi qu’en disent les membres républicains du Congrès, c’est le mieux que pouvait espérer Joe Biden.
*21 juillet – Gardez moi de mes amis,… Il y a peu encore, le Royaume du Maroc dispensait à la classe politique française vacances à Marrakech ou palais aux frais de Sa Majesté. C’est un pays où la chaine verticale du Pouvoir est très fragile : la légitimité et les symboles du pouvoir reposent sur un personnage unique et difficilement remplaçable, les islamistes participent au pouvoir ; le féodalisme s’accommode d’inégalités sociales criantes ; un conflit persiste à ses frontières, entretenu par un voisin qui ne lui veut aucun bien. La diplomatie française lui constitue un bouclier protecteur, lorsque ressurgit aux Nations Unies la question du référendum d’autodétermination au Sahara occidental (intégré aux trois-quart à son territoire) ou qu’une condamnation internationale le frappe pour sa pratique de la torture ou l’inanité de sa justice.
Paris est sa nounou bienveillante et protectrice.
Premier bénéficiaire de son aide publique au développement ; choyé par ses investissements ; privilégié par la multiplicité des écoles privées de langue française (qui assurent à ceux qui peuvent y accéder une vraie ascension sociale) ; adoré des touristes de l’Hexagone, le Royaume doit énormément à la France, à ses préférences, à son indulgence, à sa diplomatie. Pourquoi, alors, aller chercher auprès d’Israël les moyens de se tourner contre elle ? L’erreur paraît énorme, presque caricaturale. Quoi qu’on en dise, depuis qu’elle a été révélée par un consortium de médias, personne n’avait osé imaginer la présence de numéros du président Emmanuel Macron et de membres du gouvernement français sur une liste de cibles potentielles du logiciel d’espionnage Pegasus.
Cette cyber-arme – car s’en est une – a été offerte dans la corbeille de mariée des fiançailles de Rabat avec Jérusalem orchestrées par l’administration de Donald Trump. Quand on la possède, on en vient à l’utiliser, forcément, non pas comme une arme de l’antiterrorisme mais comme un outil de domination dans sa sphère. Et la France, si largement ouverte et complaisante envers son voisin du Sud, s’est placée elle-même dans la sphère du Maroc, d’une certaine façon en sujette reconnaissante du Roi. Que les patrons du contrespionnage ou de la gendarmerie marocaine raisonnent en ces termes, avec un brin de fascination pour la technologie toute-puissante de la firme NSO (assujettie au gouvernement d’Israël) n’est pas une grande surprise. Chez nous, les informaticiens de la sécurité auraient-ils résisté à ce genre d’aubaine ? Que le roi MVI lui-même figure sur la liste signifie soit qu’on lui ait trouvé un alibi d’innocence (victime, il ne pourrait donc pas être impliqué) ou – et c’est plus préoccupant – qu’il a été dépassé et contourné par un échelon subordonné, ce qui, dans une monarchie absolue n’est pas un signe de bonne santé. On modèrera ce constat par le fait que les listes ‘’Pegasus’’ elles-mêmes ne sont qu’un état préalable potentiel au travail d’espionnage par les smartphones, une intention d’intrusion, pas nécessairement la preuve d’un passage à l’acte.
L’enquête ne fait que commencer. On imagine que des échanges diplomatiques assez frais s’ensuivront, sous les lambris et les tapisseries des ambassades. On a l’habitude des ‘’feux amis’’ (faux amis ?), depuis la révélation, par Edgar Snowden, de l’espionnage pratiqué sur une gigantesque échelle, par la NSA américaine, notamment en Europe. On trouvera des accommodements (provisoires). Se retourner contre NSO, la ‘’racine du mal’’, avec des moyens de neutralisation discrets, serait sans doute une bonne idée. Mais elle ne peut décemment pas être exprimée publiquement, surtout dans un blog sans prétention.
* 20 juillet – La caméra dans le burger et le chop-suey. Les États-Unis et leurs alliés – l’Union européenne, le Canada, l’Australie, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande – accusent la Chine d’avoir mené et de poursuivre des cyberattaques de grande ampleur, qui menaceraient leur sécurité nationale et celle de leurs entreprises. En fait, tout l’Occident fait chorus – ce qui crée un précédent – concernant les activités informatiques malveillantes menées depuis le territoire chinois, en fait un phénomène ancien. A la différence du contentieux de cyber-guerre ouvert avec la Russie (dans lequel le Kremlin est seulement appelée à contrôler ses hackers), c’est la responsabilité étatique directe de la RPC qui est mise en cause. Washington dénonce des agissements ‘’irresponsables, perturbateurs et déstabilisants’’ sponsorisé par le ministère chinois de la Sécurité d’Etat (le cœur de l’appareil répressif chinois), qualifiant ‘’d’écosystème’’ les pratiques de piraterie encouragées et ancrées dans les comportements. Pratiquement, des officines privées de type ’’corsaire’’ seraient commanditées et rétribuées pour mener ces attaques et opérations d’espionnage à grande échelle. Dans le seul secteur des entreprises américaines, le coût du préjudice se compterait en milliards de dollars, chaque année. Pour ne citer que le cas de Microsoft, les attaques lancées en mars dernier auraient touché un millier d’établissements clients ou liés au géant de la microinformatique.
L’enquête n’étant pas terminée, les Occidentaux en sont encore à organiser leur protection de façon autant que possible coordonnée. La riposte pourrait suivre. On doit bien reconnaître que cette affaire tombe à pic, alors que l’administration Biden déploie de grands efforts pour rassembler sous son aile un front de résistance voire de ‘’roll back’’ face à l’hégémonisme de plus en plus agressif de l’équipe dirigeante pékinoise. Les faits sont peu contestables mais le choix du moment et de la manière de les annoncer suscitent une atmosphère d’alerte. Les alliés vont se réveiller. Accessoirement, faire étalage des misères subies par les entreprises du GAFAM participe aussi à une gestion d’image, alors que ces grands prédateurs viennent d’échapper à l’impôt européen (en attendant un régime fiscal à venir ou pas au sein de l’OCDE). Sans doute, par un effet fortuit, l’attention se détourne aussi un peu du scandale de cyber-espionnage du siècle ouvert par les révélations concernant Pegasus, le logiciel espion absolu généreusement distribué par la diplomatie israélienne à ses nouveaux alliés.
Ce qu’il nous reste à faire ? Ecraser nos téléphones et ordinateurs au pilon, couper tout contact avec la finance et l’économie, manger les légumes bio de nos potagers, négocier un armistice entre le restaurant chinois et le MacDo du coin, qui tous deux s’évertuent à nous épier et à nous compromettre. C’est une conception élargie, très nécessaire, de la distanciation sociale.
* 20 juillet – L’hydre aux cent têtes vit encore. Par rapport à ce qu’elle était lors des attentats de 2012-2015, la coopération entre services de renseignement des Etats-membres de l’UE s’est considérablement améliorée. Pour autant, le bilan des activités en Europe des mouvements terroristes non-étatiques (les Etats, peuvent s’y adonner eux aussi) reste mitigé.
Depuis le démantèlement (incomplet) du ‘’califat’’ de Daech en 2018, l’on constate chaque année un net recul du nombre d’attentats et de morts : 16 000 victimes mortelles cette année-là, traduisant une baisse de 15 % par rapport à 2017 et de 52 % par rapport à 2014, date de la fondation de la centrale jihadiste. Ce fut l’année la plus meurtrière du siècle. Mais Daech et Al Qaïda, dont les ressorts de pensée et d’action empruntent beaucoup aux formes barbares du nazisme, ne sont pas l’unique source de l’action terroriste (un mode de combat asymétrique, pas une idéologie). La mouvance néo-nazie participe aussi à ce ‘’modèle’’, avec une grande variété de dogmes et de modes d’action. Propulsée par l’anonymat d’Internet et la théorie du grand remplacement, elle organise, elle aussi, à partir de la ‘’toile’’ du web, la destruction à l’aveuglette des personnes et des institutions. Certains pays européens comme l’Allemagne s’en inquiètent et considèrent que cet activisme assassin n’est pas moins menaçant, voire plus (il trouve des relais populaires plus larges) que le djihadisme.
L’Europe a réduit sa vulnérabilité aux offensives islamistes, comme résultat de l’action militaire de la coalition internationale. Cela n’a pas apaisé le bouillonnement des esprits, ni réduit les vocations au jihad anti-occidental. Mais, même sur ses gardes, le Vieux continent campe dans l’attentisme, sans vision claire de l’évolution de la menace à court ou moyen terme. La coopération entre les services de renseignement s’est, certes, fortement développée à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo. Un groupe antiterroriste européen doublé d’un coordinateur bruxellois (actuellement, Gilles de Kerchove) anime une bourse d’échanges entre services de renseignement. Un mécanisme de coopération entre juridictions nationales fonctionne en parallèle, avec la ressource du mandat d’arrêt européen comme principal outil de sa palette. Cependant, la compétence collective de l’UE elle-même n’est pas juridiquement établie, même si la Cour de justice de Luxembourg (CJUE) s’est prononcée contre la rétention des données dans l’anti-terrorisme, de la part des entreprises notamment. A ce jour, il n’existe pas de projet d’une CIA européenne et il n‘est pas sûr que ce soit d’ailleurs nécessaire.
Au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie du Sud et du Sud-Est, le jihadisme n’a pas du tout disparu. Ses combattants demeurent actifs en Syrie et en Irak, dispersés dans la nature ou capturés par les autodéfenses kurdes (des alliés que nous avons abandonnés à leur sort, mais que nous exploitons toujours comme garde-chiourmes). En Iran, des milliers de Bangladais s’emploient à rejoindre l’Europe, via la Turquie. A Idlib, en Syrie, d’anciens combattants de Daech, piégés par l’offensive de Bachar, cherchent à faire de même. Actuellement, l’organisation terroriste ne semble plus à même de projeter directement ses commandos sur le théâtre européen. Elle n’en dispose pas moins d’une vaste réserve d’éléments ‘’dormants’’ dispersés et le plus souvent auto-affiliés. Une myriade de nouveaux groupes combattants franchisés s’est constituée au Sahel, dans la corne de l’Afrique puis en Afrique de l’Ouest et enfin de l’Est, au Mozambique, etc. L’apparition sur le Continent noir d’un nouveau califat revêt donc une certaine probabilité. Ce serait une catastrophe géostratégique, vu de Paris. Cela ouvrirait la perspective inquiétante d’un tremplin d’offensive vers l’Europe, alors même que les têtes de pont sont déjà en place.
Encore faut-il préciser l’étendue de cette menace : l’objectif est une perturbation durable et criminelle de l’ordre public, doublée d’une campagne d’agitation des esprits pour susciter une forme de guerre civile. En réaction et comme par anticipation, se produit une régression, pas à pas, des libertés fondamentales et de la démocratie, dans les pays-ciblés. Naïvement accrochés à l’idéologie du ‘’tout sécuritaire’’, ceux-ci amorcent d’eux-mêmes la dérive-même que les terroristes cherchent à imposer à leurs sociétés. Ce sont elles, pas les Etats, qui sont ciblées. Il ne s’agit aucunement pour l’Ennemi d’opérer une prise de pouvoir par une minorité politico-religieuse, encore moins de parvenir à l’effondrement de nos vieilles nations chrétiennes, comme certains les fantasment. Simplement de nous neutraliser par la haine et de nous avilir.
Comme pour le virus du Covid 19, on peut, certes, ‘’vivre avec’’ cette nuisance, mais, reconnaissons-le, de plus en plus mal… sauf à repenser complètement la chose.
Les experts se préoccupent surtout de l’utilisation massive des liaisons internet chiffrées par les réseaux jihadistes ou néo-nazis, les sectes et les organisations criminelles planétaires. De nombreuses complicités se développent au sein de cette nébuleuse mondiale, qui prospère matériellement sur les trafics d’armes, de drogues et d’êtres humains. Les hébergeurs et opérateurs numériques géants de l’Internet n‘imposent aucune restriction forte à l’accès aux données et aux transactions illégales. Ce faisant, ils offrent aux multinationales du terrorisme des ressources et des sanctuaires imprenables. Celles-ci ne pourraient pas s’étendre comme elles le font sans la complicité involontaire du GAFAM, des hackers et autres fournisseurs naïfs ou corrompus.
L’accès de ‘’l’Hydre’’ à des technologies ‘’disruptives’’ – l’intelligence artificielle au service de la cybercriminalité, l’ordinateur quantique, la biotechnologie de synthèse, l’imprimante 3D, les nouveaux matériaux – impose aussi de sérieuses limites au contreterrorisme purement militaire ou policier. Grace à internet, des attaques se préparent en secret et les esprits des futurs ‘’loups solitaires’’ sont formatés à distance. C’est ainsi que Daech et Al Qaïda et tous leurs affiliés peuvent encore ressurgir et frapper en Europe.
* 16 juillet – Liban, un Etat totalement failli. « Il est évident que nous ne serons pas capables de nous entendre avec Son Excellence le président, c’est pourquoi je me retire de la formation d’un gouvernement. » Saad Hariri, l’ex-premier ministre congédié par la population et formateur désigné d’un gouvernement impossible, vient de jeter l’éponge. Depuis neuf mois, le Pays du Cèdre sombre sur tous les plans, sans gouvernement établi à sa tête. Le clash a été bref mais dur entre le général chrétien (pro-Hezbollah), Michel Aoun, Chef de l’Etat retranché dans une vision communautariste des institutions, et le politicien affairiste, rompu à tous les marchandages. Hariri reproche au vieux général d’avoir tenté d’intégrer des fidèles à sa personne pour constituer une minorité de blocage au sein de l’équipe ministérielle qui lui était présentée. Aoun dément et ne propose rien. La classe politique et ses traditions de répartition clanique du pouvoir ont failli depuis belle lurette et la population, très durement éprouvée, ne fait plus confiance à personne. Elle manifeste son hostilité et son désemparement mais agit peu, politiquement. Le plus stupéfiant est, en effet, que cette situation de blocage perdure depuis si longtemps sans qu’une alternative de rupture radicale n’ait fini par émerger, au sein ou en dehors de l’arène politique.
En août 2020, on s’en souvient, une gigantesque déflagration sur le port de Beyrouth, provoquée par le stockage imprudent de centaines des tonnes de nitrate d’ammonium, avait tué 200 personnes et fait plus de 6 500 blessés. Des quartiers entiers avaient été détruits par cette explosion, la plus puissante que le monde ait enregistrée hors du domaine nucléaire. L’enquête sur les responsabilités (assez évidentes) n’a pas été menée à son terme, pour ne pas mettre en cause les mafias régnantes. Le gouvernement d’alors s’est courageusement caché et a disparu. En octobre, Adib puis Hariri ont été chargés de le remplacer, toujours (implicitement) en tenant compte de la ‘’formule magique’’ de partage confessionnel du pouvoir. E. Macron et, à vrai dire, un peu tout le monde s’est avisé de stigmatiser les politiciens libanais en les rappelant à leur devoir de gouverner, alors que le Liban sombrait dans les tréfonds : écroulement de l’économie et de la monnaie, ruine des Libanais, grave crise humanitaire et sanitaire, effondrement des services publics, début d’anarchie, etc. La banque centrale et toutes les baronnies n’en poursuivent pas moins la mise en coupe réglée des dernières ressources du Pays. La faillite est aussi criminelle.
Ne va-t-il bientôt rester du Liban qu’un repère de mendiants et de bandits, où tous les prédateurs du monde pourront faire leur nid ? Nombre de descendants des Phéniciens le redoutent. Faute d’une initiative citoyenne proprement ‘’révolutionnaire’’, le sauvetage semble ne pouvoir venir que de l’extérieur, mais pour qu’il ne prenne pas la forme d’un dépeçage en règle, il conviendrait qu’une opération de reconstruction de l’Etat se fasse sous l’autorité et avec les moyens des Nations Unies. Ne rêvons pas, l’époque est aux replis nationalistes, plus aux solutions multilatérales !
* 15 juillet – GAFAM, va en paix ! Pour les beaux yeux de Joe Biden, l’Europe met en pause son projet d’instituer une taxe numérique. On va se reporter plutôt sur l’accord de taxation des multinationales, récemment conclu par le G 20 de Venise, sous l’égide de l’OCDE. Bruxelles se rabat donc sur cet ‘’accord historique répondant aux défis de la numérisation économique’’. Mais sans joie. Bien qu’il reste encore au G20 à s’entendre, d’ici à octobre, sur les modalités concrètes de ce dispositif nettement moins ambitieux, afin d’en assurer la mise en œuvre à l’horizon de 2023, la Commission annonce concentrer ses efforts sur cet objectif et oublier son propre projet.
L’Amérique ‘’tout sourire’’ de Papy Joe ne s’est pas départie de ses lobbies d’intérêt et de la susceptibilité inquisitoire de son Congrès. N’oublions pas que le seul vrai pouvoir de la Maison Blanche est celui consistant à convaincre les pouvoirs en place. Le GAFAM, très remonté contre D. Trump, pourrait-il être négligé par son successeur ? A la tête du Trésor, Janet Yellen a su jouer sur les bons sentiments des Européens pour leur faire avaler que non. L’accord à demi-dose de l’OCDE sur la fiscalisation des multinationales invite à démanteler les taxes numériques en vigueur. Washington les rejette comme discriminatoires et n’acceptera plus les mesures de ce type adoptées à titre national. L’heure est à jouer collectif. Mais en considérant bien qui mène la danse au sein de l’OCDE.
Malgré la bonne grâce et les sourires, la souveraineté collective de l’Union européenne n’en sort pas renforcée. Il paraît que ce consensus humble convient à tous les bords. Il y a peu, Bruno Lemaire maugréait sur le taux ridiculement bas de 15 % reconnu comme seuil de taxation et surtout sur l’impasse faite sur les paradis fiscaux et autres procédures subtiles d’optimisation. Oubliés, les états d’âme. L’accord que finalisera (ou pas) l’OCDE scelle un beau consensus occidental. Géopolitiquement, ce n’est pas rien et la belle fraternité de l’OTAN n’est pas loin.
Janet Yellen a aussi assisté à la réunion des ministres de l’économie de la zone €uro, dans une ambiance de travail chaleureuse. Elle n’en marque pas moins son souci que tous les Etats membres de l’UE participent à l’accord sur la fiscalité mondiale. Comme toujours, la famille européenne compte quelques rebelles à bord, à commencer par l’Irlande, le principal paradis des multinationales. Au total, huit pays sur vingt-sept font dissidence, mais les ‘’grands’’ sont bien là.
En avocate zélée de l’unité des alliés, Mme Yellen encourage les partenaires européens à ‘’aller plus loin dans la construction d’une union monétaire et économique’’ (dans cet ordre-là). Ce serait ‘’bon pour l’Europe, bon pour les Etats-Unis et bon pour le monde’’. Tant de bonnes intentions politiques contre si peu d’argent à récolter : la coupe de la gratitude déborde. La Silicon Valley, dont les finances se voient épargnées se joint au consensus. Zuckerberg, en gentil garçon hypocrite, exulte et sourirait presque.
Il reste que des pressions ‘’tout sourire’’ sont quand même des pressions. Ne jetons pas la pierre à l’administration démocrate, qui rencontre les plus grandes difficultés à orienter les votes du Congrès. L’Exécutif français ne serait, lui, guère crédible à évoquer les humeurs rétives de son Sénat comme un motif de blocage. Sauf à faire rire à la ronde, bien sûr. Quand même, il est toujours assez pratique de faire porter au congrès américain le chapeau des indécisions ou des revers de l’administration américaine : il est fort méchant mais il a bon dos, aussi. Si l’objectif reste de développer une souveraineté collective des Européens, donnons donc des dents et un regard féroce à notre brave Parlement européen. Cela aidera à faire rentrer des recettes et à alléger nos dépenses (sans oublier le gain de démocratie, indeed !)
* 14 juillet – Haïti, feuilleton triste éternel. Une semaine après l’assassinat sauvage du président d’Haïti, Jovenel Moïse, et alors que l’anarchie paraît guetter l’île, la police haïtienne est sur la piste d’un coupable ou tout au moins d’un cerveau et bénéficiaire présumé de cette invraisemblable exécution. Le commando de tueurs aurait été recruté par une entreprise de ‘’service’’ vénézuélienne aux Etats Unis. Le directeur de la police nationale haïtienne, Léon Charles, vient d’annoncer l’arrestation d’un personnage passablement trouble : aventurier, affairiste ruiné, politicien sans partisan, faux médecin et prétendu pasteur. Il n’y a que dans le Pays du Vaudou que l’on puisse tenter un coup d’état sur cette base pour, qui plus est, échouer lamentablement, au prix d’une dérive assassine.
L’individu, un dénommé Christian E. Sanon, établi à Tampa en Floride, était de retour au pays pour prendre le pouvoir. Sans exclure totalement qu’une organisation plus puissante puisse se cacher derrière lui, on ne connait pour l’heure pas d’autre commanditaire de cette opération invraisemblable, réminiscente de celles pratiquées par Bob Denard dans l’Océan Indien. Pourtant, le siècle a changé, mais pas vraiment Haïti, enlisée depuis des décennies dans les ornières de la misère, du banditisme généralisé, de la corruption et d’une pratique théâtrale, trouble et violente de la politique partisane. Les ONG y opèrent à leurs risques et périls, pour épauler des administrations durablement incompétentes. Le développement y est en panne et l’écosystème se dégrade, faute de capacité à utiliser les aides extérieures et à les concrétiser en projets. L’économie n’a jamais vraiment décollé et le mantra du capitalisme privé éloigne la grande masse de tout accès aux soins et à l’éducation. Les plus riches ou plus éduqués émigrent. Face à un Etat failli, tous les fantasmes peuvent s’exprimer et tout paraît possible… même, pour un inconnu assez terne, de se faire couronner Roi, d’incarner un Ubu local.
C
hristian Emmanuel Sanon s’est présenté sur son compte Twitter comme docteur en médecine, pasteur (de quelle église ?) et homme d’affaires, qui apportera “un leadership pour Haïti à travers une vie d’action positive et d’intégrité absolue”. Il aurait monté une opération d’aide humanitaire lors du tremblement de terre de 2010, qui fit 300.000 morts. Comme tout un chacun, ce charlatan de 63 ans fustige la corruption des élites haïtiennes, l’emprise de la communauté internationale sur le pays et affirme sa volonté d’incarner ‘’l’alternative politique dont le peuple a besoin’’. 70 % de la population a moins de 30 ans d’âge et est supposé attendre un sauveur, qui créerait de l’emploi. Il n’aura produit au bout du compte qu’un très mauvais polar criminel autour de l’assassinat du président Jovenel Moïse, dont il assurerait ne pas avoir voulu l’exécution dans son sommeil mais seulement ‘’prendre sa place’’. Affligeant.
Moïse était loin d’être un modèle de probité et de démocratie et son impopularité était grande. Sa garde présidentielle ne l’a pas protégé, ce qui pose aussi des questions sur les complicités dont bénéficiaient les assassins. Le premier ministre en place déclare l’état de siège et demande l’intervention des troupes américaines (que Joe Biden n’enverra pas, pour éviter d’enliser l’Amérique dans ce marigot). Un successeur avait été nommé par l’ex-président quelques heures avant sa fin tragique. Port au Prince est livré aux gangs. Au final, faute d’avoir su donner naissance à une réelle force citoyenne, l’île se livrera à un autre politicien sans scrupule, de préférence avant la fin de cette année . L’anti-modèle de ce que mériterait la plus ancienne république des Amériques (1804).
* 13 juillet – Modèle moldave. La victoire aux législatives moldaves du parti de la présidente Maia Sandu (Parti Action et Solidarité – PAS, du centre droit) confère un visage pro-européen, avenant et honnête, à cette ancienne république soviétique assez obscure. Celle-ci n’échappe pas à sa géographie, à la charnière de l’OTAN et de la CEI (elle est en partenariat avec l’une et participante à l’autre). Ce pays paraît sans cesse écartelé entre un courant pro-russe anti-démocratique et une majorité étroite tournée vers l’Europe et l’ouverture à l’Ouest. Avec 48 % des suffrages, la formation de la présidente pro-européenne devance largement le Bloc des socialistes et communistes (BESC) de l’ex-président prorusse Igor Dodon (2016-2020), crédité de 31 % des suffrages. Nouveau mouvement de balancier vers l’Ouest ! Ce pays pauvre de 2,6 millions d’habitants, pourrait beaucoup bénéficier d’une évolution économique et sociale ‘’à la roumaine’’, même si l’idée d’une fusion avec Bucarest n’est plus de mise, après trente années d’indépendance ‘’encadrée’’. Par ailleurs, les Moldaves sont las des scandales de corruption à répétition. Le plus retentissant avait vu, en 2015, la volatilisation de 15% du PIB des banques du pays.
Maia Sandu, une économiste de 49 ans, professionnellement formée aux institutions de l’ONU et de la Banque mondiale, a promis, le 11 juillet, la ‘’fin du règne des voleurs’’. Ce succès électoral renforce son pouvoir sur deux fronts, face à aux mafias qui se partagent l’économie du pays et face à ses ennemis prorusses, relayés par la présence aux frontières d’une armée russe occupant la province ‘’séparatiste’’ de Transdniestrie, un formidable levier de soumission au Kremlin !
Mais, on l’imagine, le revanchisme des partisans de Moscou se manifeste sur bien d’autres plans que par le seul suffrage universel. Trente ans après les ex-‘’démocraties populaires’’, depuis longtemps ‘’passées à l’Europe’’, ce petit pays européen coincé entre la Roumanie (de même culture qu’elle) et l’Ukraine connait des tourments géostratégiques qui nous semblent archaïques et caricaturaux. Mais cela nous concerne. Le combat du gouvernement de Chisinau pour choisir sa voie et ses alliés est loin d’être gagné. La Géorgie, la Crimée et le Donbass ukrainien ont montré ce qu’il en coûte de chercher à diverger de l’orbite de la Russie de Poutine. La capitale est à portée des canons des chars russes.
Figée dans la sphère stratégique russe lors de l’implosion de l’URSS, l’ancienne République soviétique de Moldavie bouge, mais depuis avril 2009 seulement. Des milliers de manifestants ont alors dénoncé l’irrégularité du scrutin législatif remporté par le Parti des communistes (PCRM). Le Parlement et la Présidence ont été pris d’assaut. Le pouvoir communiste, qui a accusait Bucarest d’avoir manigancé les troubles, a brutalement réprimé l’agitation, mais le Président communiste, Voronine, au pouvoir depuis 2001, a dû se résoudre à dissoudre l’Assemblée, faute de majorité suffisante pour élire son successeur. Le PCRM ne pouvait plus gouverner seul. En août 2009, est né une « Alliance pour l’intégration européenne’’ (AIE), formée par les partis d’opposition libéraux et démocrates. Celle-ci a formé un gouvernement en septembre, sous la direction de Vlad Filat. Voronine a démissionné et les communistes sont passé dans l’opposition, tout en bloquant l’activité législative. Ainsi, le parlement de Chişinau a échoué, à trois reprises, à élire un président.
Septembre 2010 : le gouvernement de coalition pro-européen tient un référendum constitutionnel pour débloquer l’impasse, par l’organisation de la présidentielle au suffrage universel direct. Les communistes boycottent le scrutin et font encore échouer la réforme. Des législatives suivantes (novembre 2010) émerge, à nouveau, un gouvernement de coalition non-communiste, pro-occidental. Nicolae Timofti, élu président en mars, pour la plus grande frustration du Parti des Communistes, plaide pour l’intégration de son pays à l’Union européenne et entend nouer un rapprochement avec la Roumanie. Il cherche un retrait des troupes russes de Transnistrie et décline toute intégration politique de la Moldavie dans l’Union économique eurasiatique que tente de lui imposer Moscou. En réaction, le Kremlin nomme l’ultranationaliste russe Dmitri Rogozine, comme représentant spécial du président russe (gouverneur de facto) pour la Transnistrie. De 2016 à 2020, la présence au pouvoir d’un ‘’collaborateur’’ (Igor Dodon) satisfait les visées du Kremlin.
Mais, en novembre 2020, Maia accède confortablement à la présidence et évoque l’intervention des médiateurs de l’OSCE pour dégager en douceur les soldats russes de la Trandniestrie : branle-bas de combat chez Poutine ! De fait, le moment choisi est plus que délicat : les Biélorusses se sont soulevés contre leur dictateur, Alexander Loukachenko. Il n’est plus question de laisser se déliter la façade occidentale du glacis stratégique russe. Voilà pour l’arrière-plan historique.
‘’Les défis sont grands, les gens ont besoin de résultats et doivent ressentir les bénéfices d’un Parlement propre et d’un gouvernement honnête et compétent’’. C’est un bon point de départ. A nous de travailler à la libre souveraineté des Moldaves comme des Biélorusses et des habitants du Donbass, sans, bien sûr, clamer la victoire d’un camp sur l’autre ni déshabiller trop ostensiblement l’autocrate du Kremlin.
* 12 juillet – Mon aveu sur les inter-socialités. L’Ours Géo sollicite une mise au point sur la méthode. Il paraît qu’à lire les brèves, on adhérerait inconsciemment à la conception westphalienne du monde (celle du Traité européen de 1649) : des territoires nationaux bordés de frontières; des princes dotés de têtes politiques, qui règnent et décident de tout; des peuples qui expriment leur nationalisme en mourant à la guerre pour leur prince ou –option alternative – en lui coupant le cou… pour aussitôt le remplacer par un autre tout pareil. Si vous avez l’impression que la guerre d’Afghanistan, la lutte contre le dérèglement climatique, les révoltes de bonnets ou de gilets de couleurs ou encore l’assommoir des réseaux sociaux répondent à ce schéma classique, ou, pire encore, que tous ces phénomènes n’ont aucune incidence sur l’humanité globale, alors l’Ours géopolitique s’est planté (d’ailleurs, normal, s’agissant d’un plantigrade).
De fait, nos ancêtres gallo-romains ne s’embarrassaient pas de ces attributs géopolitiques. Leur descendance médiévale, non plus, qui a vécu localement le féodalisme, pour ne sortir de ses fiefs qu’à l’appel de l’Eglise et aller s’éclater aux croisades. Les grandes découvertes de la Renaissance pouvaient, certes, être subventionnées par telle ou telle couronne, mais, une fois parvenus aux Amériques ou aux Indes, marchands et guerriers agissaient à leur guise. Voyez aussi la compagnie des Indes de Colbert reprise et gérée par les marchands-corsaires de Saint Malo. Depuis la Révolution française et Valmy, les gens ont fait irruption dans la »grande image » et les Etats doivent s’y adapter ou ils sont défaits (le cas des dictatures modernes).
Depuis 1945, les principes du bien-être social, de l’égalité des chances, du droit humanitaire dans les conflits, de la protection du travail, celui des droits humains sont consacrés par des lois et des principes universels (la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948). Les princes d’aujourd’hui ne l’ont pas fait, les tout-puissants marchés, qui nous gouvernent, non plus. Ils doivent ‘’faire avec’’, mais s’emploient à grapiller ce viatique arraché par les peuples et à maintenir ici et là l’ordre et la stabilité. Surtout, lorsque lesdits peuples s’agitent en spasmes planétaires, rythmés (entre autres) par les réseaux d’internet. On reconnait là l’état pré-Covid de la société mondiale. Cette tendance n’est pas éteinte.
– Bertrand Badie, un politologue influent, qui enseigne à Sciences Po, pense le vaste monde en termes d’inter-socialités. Le terme décrit la vie internationale des sociétés humaines, quand on a mis de côté le rôle des Princes, des Etats, des frontières et des Nations. Il catégorise les sociétés humaines en fonction de deux propensions fondamentales à l’international : d’un côté, celles qui voient ‘’le monde source d’opportunités et de conquêtes’’, de l’autre, celles dont ‘‘la préférence va à leurs particularismes’’. Il en extrapole six modes d’inter-socialités.
Parmi les sociétés positivement impliquées dans l’international, il range les sociétés ‘’messianiques’’ (Christianisme médiéval des croisades, Islam du jihad, néo-conservateurs américains et une majorité d’églises évangéliques, l’écologie universelle) (1) ; les sociétés conquérantes pragmatiques (adeptes de la colonisation ‘’spontanée’’, les pilgrim fathers américains du May Flower, les cultures marchandes telles celles des Pays Bas ou du Royaume Uni, les individus agglomérés et conditionnés par les marchés mondiaux et le marketing, les firmes multinationales, les communautés de pensée des réseaux sociaux, les migrants) (2) ; enfin, ‘’les sociétés à ambitions géopolitiques’’ (Etats westphaliens ‘’classiques’’, empire romain, sociétés en quête de grandeur comme une bonne partie des Français et des Britanniques, les Américains et les Chinois, peuples qui se conçoivent en acteurs stratégiques) (3).
La catégorie des sociétés ‘’communautaristes’’ ou identitaires se divise, elle aussi, en trois sous-catégories : les ‘’peuples élus non-messianiques’’ (Judaïsme, Hindouisme, croyances animistes, adeptes du survivalisme ou de laïcité radicale) (4) ; les ‘’réseaux utilitaires’’ (sociétés traditionnelles en autarcie, syndicalistes et militants sociaux, diasporas ethniques, séparatismes locaux, populations déplacées) (5) ; enfin le type ’’instrumentalisation politique du social’’, dans laquelle toute aspiration économique est transposée par un pouvoir fort en fait politique (la Chine, très westphalienne, en politique intérieure) (6).
En soi, aucune de ces six catégories n’est plus vertueuse ou plus efficace qu’une autre. La question n’est pas là, même si ces énormes disparités sociétales créent les plus puissantes dynamiques et les principales frictions (voyez les Etats Unis face à l’Afghanistan). La première est de fortement relativiser la part que jouent les dirigeants étatiques dans l’agencement du monde. On cherche à nous faire croire qu’elle est déterminante. Le choix d’un prince serait celui de notre avenir sur terre. Totale illusion !
Dans un pays comme la France, les habitants, dans leur grande majorité, appartiennent au modèle n° 5, avide de protection sociale, tandis que les entreprises relèvent du type n° 2, radicalement opposé, qui ignore et contrarie la catégorie précitée. Le gouvernement s’accroche – pour se maintenir au pouvoir – à la tradition ° 3 et fait croire qu’il est ordonnateur du business, de la paix et du progrès (ce qui fait bien rire les marchés). La jeunesse, très soucieuse de l’évolution climatique, emprunte au paradigme n° 1, tout comme les islamistes poursuivant leur califat mythique, tandis que les minorités identitaires frustrées optent, sans le savoir, pour l’entre-soi du n° 4 … et trouvent d’autres furieux tout pareils par-delà les frontières.
L’affaire dite des caricatures aura été très représentative de la façon dont fonctionne le monde : les journalistes qui ont re-publié ces brûlots n’avaient pas eu conscience un instant que des centaines de millions de gens, très éloignés d’eux sous tous apports, vivraient ces blagues de potache comme une blessure inguérissable, encore moins que la vie de Français à travers le monde s’en trouverait mise en danger. Mais les réseaux inter-sociaux ont fonctionné, sans qu’aucun Etat ne s’en mêle. En effet, les six modes d’inter-socialités ne savent pas spontanément se trouver des longueurs d’ondes communes. Un énorme effort d’ouverture, d’information et de tolérance est nécessaire pour passer des corrélations sociales mondialisées (conflictuelles) aux passerelles médiatrices, qui relèvent de l’‘’inter-culturel’’. On devrait enseigner cela à l’école.
A partir d’un tel sac de nœuds de tensions, pourrait-on synthétiser une vision française populaire des enjeux mondiaux ? Evidemment, ce serait une gageure et les bras en tombent à l’Ours. En revanche, l’on pourra cerner des réseaux internationaux d’intérêt ou d’idéologie sur des causes en réseaux : réparer le monde ; en soutirer un paquet de profits ; réélire les princes (qui nous conduisent si bien dans le maquis international) ; comploter et inonder l’humanité de fausses vérités pour la perdre ; faire converger les révoltes ; propager une cause unique (ethnique, religieuse, politique) et tout recentrer sur elle ; déstabiliser une autre société par le piratage numérique ou la propagande ; faire du tourisme, du sport et aller à la pêche comme tant d’autres le font ailleurs. Vous le voyez : presque tout est transversal ; peu de sujets restent purement nationaux… et même le ‘’vivre local ‘’ suit des arcanes intercontinentaux, sans le savoir. N’insistons pas sur l’inter-socialité du Covid, la danse mondiale des virus et des bactéries en général : elle est si comparable aux virus informatiques et aux épidémies de fake news. Voilà ce qui fait les relations internationales !
Chers citoyens-habitants du monde, chers lecteurs éclairés : ne vous trompez pas de réseau, car vous êtes les vrais diplomates et médecins de la Paix !
* 9 juin – Tirez sur l’ambulance ! Après une décennie de guerres et de massacres en Syrie, l’accès des organisations humanitaires aux victimes est en passe d’être totalement fermé. MSF sonne l’alerte, alors que se pose au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies la question du dernier point de passage ouvert pour alimenter et soigner la population d’Idlib. Il s’agit du seul gouvernorat syrien à ne pas être (encore) tombé sous la férule violente de Bachar et de ses alliés russes et iraniens. Le sas de Bab al-Hawa est actuellement l’unique ligne de vie praticable pour quatre millions de civils, pour la plupart des déplacés. Si l’approvisionnement s’arrête, faute d’un accord à New York, les médecins qui les soignent, dans le cadre des agences mandatées par l’ONU – et qui ne disposent que d’un stock éphémère de médicaments – ne pourront plus rien pour eux. Les maladies et les épidémies, notamment le virus COVID 19, toucheront cette population cernée de toutes parts par les belligérants. Beaucoup ont déjà été déplacés une dizaine de fois et ils n’ont plus ‘’d’ailleurs’’ où se réfugier.
C’est donc, ni plus ni moins, la survie de ces malheureux que dictera la décision de laisser ou non à Damas un accès exclusif à ces populations, qui sont précisément ses victimes. En 2020, le mécanisme d’aide transfrontalière des Nations Unies avait été interrompu à la demande du régime de Bachar, au point d’entrée frontalier d’Al-Yarubiya ouvrant l’accès au nord-est de la Syrie, via l’Irak. Aucune campagne contre le virus du COVID n’a pu y être conduite. S’y ajoutent les ports d’entrée de Bab al-Salama et d’Al-Yarubiyah, au Nord. Au total, trois des quatre couloirs ont été fermés. Selon les agences de l’ONU, dans le reste de la Syrie, le prix du panier alimentaire a augmenté de plus de 220% alors que 80% de la population reste sous le seuil de pauvreté et que 90% des enfants dépendent désormais de l’aide humanitaire.
Etrange mélange que la situation syrienne actuelle, patchwork de crimes de guerre poursuivis à bas bruit , de confiscations du patrimoine immobilier et de l’économie par des courtisans et des chefs de guerre, de fuite éperdue des populations ‘’ciblées’’ dans les derniers réduits encore disponibles, de stationnement militaire »d’alliés » étrangers, de sanctions économiques qui s’ajoutent à la misère des Syriens et empêchent toute reconstruction. On n’y distingue que la projection factice du ‘’triomphe’’ d’un régime baasiste qui se permet même la tenue d’ élections tronquées, mais ne tient debout que par les armes et la diplomatie des Russes.
L’absence d’humanité tient, à Moscou, à Téhéran comme à Bachar, de marqueur géopolitique congénital. Le ‘’grand frère russe’’ veut faire valider, par la communauté internationale, la souveraineté de son protégé sur l’ensemble du territoire syrien, sous contrôle de l’armée de Bachar et aussi bien, sous celui des rebelles. A partir de là, il fermera totalement le pays aux yeux et aux mains tendues de l’extérieur. Bachar, lui, aura les mains libres. Qu’importe le nombre de morts innocents ! En échange de cette victoire contre son peuple, le maître de Damas rétribue Poutine en lui offrant une base navale en mer libre, à Tartous, en Méditerranée orientale (un site bien plus stratégique que ses ports militaires en Mer Noire). De là, ne doutons pas que l’Europe constituera une de ses cibles.
Il y eut un temps où le stratégique (brutal) et l’humanitaire (réparateur) cheminaient séparément. Les acteurs des deux secteurs s’ignoraient. Avec la montée des totalitarismes guerriers et leurs alliances contre la civilisation humaine, l’Humanitaire devient, au mieux, une victime de chantages ou, dans le pire des cas, il est éliminé (comme, d’ailleurs, le droit international humanitaire) du champ des opérations. Indignons-nous !
* 8 juin – Jeu de moustiques. »Se préparer à la guerre des drones : un enjeu stratégique ». Sous cet intitulé, un rapport de la commission de la Défense du Sénat français modifie radicalement la perception des enjeux militaires. Selon ses recommandations, la France devrait étoffer massivement son parc de drones. Les drones adverses ou privés, sans maîtres connus, deviennent une menace pour la population et pour le territoire national : multiplication des intrusions, tentatives d’incursion au sein de sites stratégiques, espionnage… Sur le territoire français, quelque deux millions et demi de ces avions sans pilotes sont couramment en opération, comportant une grande majorité d’engins privés de tous gabarits. Vont s’y ajouter, dans moins de cinq ans, des nuées de taxis volants robotisés. A cette échelle, une police des survols est essentielle comme aussi des parades contre les activités illégales de plus en plus fréquentes que cette ruche va générer.
Le ministère des Armées déploie une protection anti-drones sur les sites militaires et autour de certaines infrastructures stratégiques. Le ministère de l’Intérieur n’est pas en reste et il s’équipe pour une très large gamme de missions. Le grand banditisme comme les grosses entreprises de service ne manqueront pas de suivre le mouvement, si ce n’est déjà fait.
D’après le rapport cité en introduction, l’utilisation du drone s’impose absolument sur les théâtres militaires : ‘’ Plusieurs conflits récents – la guerre de l’an dernier au Haut-Karabagh, mais aussi les combats de septembre 2019 en Libye et la campagne turque dans le nord de la Syrie (mars 2020) – sont caractérisé par une utilisation massive de drones tactiques et de petits drones’’. Ceci, avec d’impressionnants succès ! Leur mode opérationnel suit des méthodes innovantes, remplir de nouvelles tâches : guidage de tirs d’artillerie, dispersion de leurres, vols d’attaque en essaims, attaques suicides pour pénétrer les défenses adverses. On pourrait ajouter la fonction ‘’épandage d’armes de destruction massive chimiques ou biologiques et les assassinats ciblés », mais ce sont là des missions plus anciennes.
Sympathique ou cauchemardesque, le drone tactique armé ‘’préfigure les ‘‘ conflits civils comme internationaux de demain’’. Il faudra à l’autorité nationale prendre le train en marche ou se faire déborder. ‘’Depuis 2019, un rattrapage capacitaire est en cours : les forces armées disposeront de plusieurs milliers de drones d’ici 2025, contre quelques dizaines seulement il y a quatre ans’’. De fait, l’an dernier, 58% des frappes effectuées par le dispositif Barkhane au Sahel l’ont été par des drones armés américains Reaper et une bonne part du reste par d’autres, israéliens. Les armées sont également friandes de petits drones dits ‘’de contact’’ : nanodrones ‘’Drop’’, microdrones NX 70 ou encore microdrones Anafi (au total, plus de 350 ont été commandés, livrables en 2025). A moyen terme, un partenariat triangulaire France, Allemagne, Italie prendra le relai dans le cadre du programme Eurodrone. On sera alors dans l’ère des lasers aéroportés.
Le document-cadre du Sénat n’aborde pas une question éthiquement sensible : celle de l’attribution à ces méchants moustiques d’une capacité d’intelligence artificielle. Elle les rendrait à même d’agir de façon totalement autonome, en particulier dans le choix et le ‘’traitement’’ des cibles. Il y a cinq ans, le chef d’état-major des Armées s’était solennellement engagé à ne jamais laisser un drone voler sans un pilote humain pour le téléguider et contrôler sa mission. La doctrine restera-t-elle inchangée ? Elle se fait discrète, en tout cas. En sus des Occidentaux, Israël, la Chine, la Turquie et l’Iran comptent s’équiper et exporter largement ces oiseaux de mauvaise augure et, surtout, aller jusqu’au bout de leur potentiel technologique. Ils sont à la fois bon marché, sacrifiables, et utilisables en myriades de tous les formats (de l’insecte à l’avion de ligne). Il est clair qu’on ne pourra leur affecter des myriades de pilotes humains rassemblés dans des salles des opérations vastes comme des stades. L’intelligence artificielle seule, pourra accomplir la tâche tout en exonérant toute responsabilité humaine. Elle deviendra de facto un choix obligé. Malgré le danger induit pour les institutions, la paix et pour les libertés, il est assez probable que, si la hiérarchie militaire française estime inévitable l’option de l’A.I., l’opinion et la classe politique la valideront aussi, surtout s’agissant de technologies françaises. Des gens mourront sans qu’on sache, combien, qui, où et pourquoi, faute de pouvoir maitriser les algorithmes livrés à eux-mêmes.
* 7 juin – Le théâtre et ses sorciers. A la suite du second coup d’Etat dans le putsch des militaires au Mali, la diplomatie française avait annoncé, au début de juin, suspendre sa coopération bilatérale avec l’armée locale. Pas en soi, un renoncement à combattre le jihadisme au Sahel, ni même un retrait de l’opération Barkhane, mais un effacement au sein d’un collectif euro-africain centré sur le dispositif de forces spéciales Takuba, complété par les formations dispensées au G 5 panafricain. La colère – et le dépit – d’E. Macron semblaient sérieux et destinés au Tchad, où s’opérait une succession ‘’dynastique’’ au défunt président Idris Debby. Le fils du chef de guerre a néanmoins été reçu à l’Elysée, un premier signal pour le moins ambigu. La colère jupitérienne n’aura-t-elle été que théâtrale et forcée ?
Le ministère français des Armées vient d’annoncer, le 2 juillet, la reprise de ses opérations conjointes avec les Forces armées maliennes (FAMa). ‘’A l’issue de consultations avec les autorités maliennes de transition et les pays de la région, la France prend acte des engagements des autorités maliennes de transition endossés par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Elle a décidé la reprise des opérations militaires conjointes ainsi que des missions nationales de conseil, qui étaient suspendues depuis le 3 juin’’. Rient d’exprimé, cependant, au niveau du sommet, qui n’a pas mangé son chapeau mais a clos l’épisode du dépit. On se contente de varier les humeurs. Il faudra vérifier si les Maliens, les Africains et les Américains (qui veillent au grain) avaient pris l’alerte au sérieux. Ce n’est pas certain.
Le colonel Assimi Goïta, dictateur de son état à Bamako, sait trop bien que son pays constitue un théâtre crucial pour la stabilité euro-sahélienne et qu’il n’a donc pas trop à s’inquiéter, puisque – la chose a été dite sans fard – Barkhane y opère pour protéger le flanc Sud de l’Europe contre les nébuleuses jihadistes, pas vraiment pour sécuriser l’avenir des Maliens et de leurs voisins : le dispositif armé va donc rester sur théâtre. Il sait aussi qu’il sera bientôt reçu – discrètement – à l’Elysée et que ses hôtes, tout en empruntant opportunément à la culture de la ‘’FrançAfrique’’, sauront convaincre les Français qu’il y va de leur sécurité (une cause qui a bon dos). Ainsi, chacun y trouvera son compte : les putschistes se verront légitimés et les Français, rassurés. Quant aux militaires, au sein d’un Barkhane ‘’resserré’’, ils resteront branchés sur la logistique et le renseignement américain – il y là comme une mesure de sous-traitance – et hautement contributeurs à la cause européenne : ‘’La France reste pleinement engagée, avec ses alliés européens et américains, aux côtés des pays sahéliens et des missions internationales’’.
Au même moment, vingt ans d’intervention militaire massive et couteuse en Afghanistan des forces occidentales tournent au désastre absolu. Avant même le retrait des derniers échelons américains, les Talibans conduisent une offensive générale. Les institutions civiles mises en place pour les tenir à l’écart s’effondrent rapidement, l’armée de Kaboul se débande et certains de ses éléments s’enfuient même au Tadjikistan voisin ! L’Occident n’a toujours pas compris qu’une guerre idéologique n’est gagnable que par adhésion massive des populations et déploiement de moyens de développement humain. Occuper lourdement le terrain ne contribue qu’à rendre les armées étrangères insupportables. D’un autre côté, saturer le terrain d’investissements en ‘’soft power’’, en principe destinés à la population, peut aboutir au contraire à exacerber les inégalités, la corruption et les tensions idéologiques et sociales, si la gouvernance politique locale se révèle trop médiocre. Il peut y avoir de subtiles combinaisons de moyens et de pressions mais il n’existe aucune recette universelle. Ou elle reste à trouver. En revanche les sondages peuvent servir à pointer l’échec sûr et certain : ne pas insister alors. Sur cette base, nos hauts stratèges ont-ils tiré les leçons de Kaboul et préparé des plans B, C, D pour défendre le flanc sud de l’Europe contre le jihadisme ?
* 6 juillet – Macho et cambrioleur. Après les sorties de Donald Trump et de Benjamin Netanyahou, c’est lui qui incarne le pire populisme macho en Occident. Avant lui, Luiz Inácio Lula da Silva s’était fait pincer pour s’être fait offrir un toit, qu’il n’avait pas les moyens d’acquérir par lui-même. Puis, sa dauphine, Dilma Rousseff, s’était empêtrée dans une mauvaise présentation statistique. On s’étonnait presque de la sévérité des magistrats brésiliens et de la rigueur du jugement populaire. Et voilà qu’un militaire enrichi, brutal et raciste est porté au pinacle de la présidence en janvier 2019, par une marée de citoyens enthousiastes.
Avez-vous cru un instant que Jaïr Bolsonaro, l’ennemi des femmes, des autochtones, des pauvres et de l’écologie en Amazonie serait un ‘’grand président’’ ? Dans l’affirmative, cessez immédiatement de lire ce blog et branchez-vous sur des jeux en ligne ! L’histoire a continué exactement comme on pouvait s’y attendait : catastrophe sanitaire sans nom, la Covid niée puis favorisée par une non-gestion abjecte ; inquiétude de la planète entière quant à la déforestation accélérée du ‘’poumon du monde’’ ; pauvreté galopante, discrimination tous azimuts des populations fragiles, etc. Aujourd’hui, il est seulement soupçonné d’avoir couvert une tentative de corruption au sein de son gouvernement, dont il était précisément informé. Le délit porte sur un achat massif de vaccins indiens anti- Covid-19, Covaxin, qui ne sont pas homologués au Brésil. Le ministère de la Santé, dont il a changé le titulaire à quatre reprises en pleine pandémie, fonctionne comme un énorme cluster de corruption. Concussion, prévarication, mensonge, tromperie … D’autres fautes pénales plus graves émergeront sûrement par la suite.
Le vent tourne soudain et le héros macho, souvent crâneur et grossier, prête le flanc à des manifestations de mécontentement populaire et à de multiples accusateurs : la Cour suprême devra bientôt statuer sur ‘’l’Affaire’’ et permettre au non au Parquet d’entamer des poursuites contre lui. En théorie, une procédure de destitution provisoire (pour six mois, le temps d’un procès) pourrait intervenir. Mais la Cour suprême devrait alors trouver le relai des deux tiers des voix de la Chambre des députés, ce qui paraît très improbable : le ‘’Président-Voleur’’ y dispose en effet d’une solide majorité parlementaire. On a vu comment Trump, aux Etats Unis avait facilement déjoué le piège.
Alors, pour quand l’éviction de ce ‘’champion aux mains propres’’, porté au pouvoir par les foules pour éradiquer sans pitié la magouille ? Il semble en tout cas très mal parti pour se faire réélire, en octobre 2022, face à Lula. Osera-t-on encore parler de ‘’mains propres’’ pendant la campagne électorale ? Elle paraît un peu décevante, la démocratie au Brésil ! Est-ce que le populisme crée, même dans les sociétés les plus sympathiques, cette forme d’infantilisme aveugle que certains confondraient (à tort) avec de la bêtise ? La délinquance des hommes providentiels s’oublie trop vite même si on omet aussi de la leur pardonner : on n’y pense plus … et le cycle recommence.
* 5 juillet – Le Parti-vieillard retourne en grandiose enfance. Faut-il être fier d’avoir 100 ans, quand on est un système ? Est-ce un signe de confiance en soi d’avoir pour marque identitaire la volonté de renouer avec son enfance maoïste, particulièrement cruelle en sacrifices humains ? Ces questions que l’Occident se pose à propos du Parti Communiste Chinois, n’effleurent apparemment la psychè que de rares Chinois continentaux, en tout cas sur la scène publique. Le congrès fondateur du PCC, s’est tenu à Shanghai et à Jiaxing, entre le 23 juillet et le 2 août. En cent ans, c’est vrai, il est sorti d‘une dictature basique et soldatesque, confrontée au féodalisme et à l’impérialisme nippon. Il a accédé à la puissance absolue : économique, commerciale, technologique, militaire. Tout est l’œuvre du Parti, comme si la population n’en recevait aucun mérite : en Chine, l’Histoire est un attribut exclusivement réservé aux dirigeants politiques.
Le Parti a été créé par une poignée d’intellectuels citadins. Hormis Mao, qui n’était pas invité au congrès fondateur, dans la concession française de Shanghai, ni connu des autres délégués, tous sont finalement tombés, tel Chen Duxiu, dans la trahison ou le bannissement. Le PC ne devrait pas se confondre avec l’Etat, fondé en octobre 1949, qu’il a précédé et qui ne sert que de devanture figée au Régime. Avec ces 90 millions de membres, mi- aristocratie d’initiés – du genre Illuminati – mi- patronat des entreprises, façon Medef, il incarne assez peu la Nation chinoise réelle. Pourtant, on est prié de le croire que l’Etat, le Peuple, le Gouvernement, l’Economie, l’Armée, l’Idéologie, c’est LUI. Ses tribulations depuis 1921, jalonnée d’erreurs magistrales et de zigzags stratégiques aventureux, de purges obscures et d’innombrables complots, ne dessinent aucune cohérence d’ensemble. Mais cela a permis à certains dirigeants plus lucides d’émerger et de faire accomplir de grands pas à la société. Mao Zedong a d’emblée fait dissidence de ses condisciples du Komintern, dont certains se sont vendus à l’occupant japonais. Lui a résisté, au fond des campagnes. Puis il a transformé sa révolution paysanne en anarchie totale. Liu Shaoqi s’est efforcé de maintenir le Pays en vie en empruntant pragmatiquement au modèle soviétique, tandis que Mao tentait de le ‘’purifier’’ par la guerre des classes, des générations et des clans. Deng Xiaoping a pu tardivement redresser la barre et lancer les réformes, mais, vieillissant, il a fini par réprimer les étudiants à Tiananmen et il a ‘’puni’’ le Vietnam militairement pour son incursion au Cambodge.
Xi entend retourner au bréviaire maoïste, dans lequel il ne croit pas nécessairement, mais qui le hisse seul au sommet, en dictateur absolu. Tout cela ne construit pas une histoire glorieuse, ni une légitimité en airain, sauf à ériger en culte religieux cette trop longue et trop rigide présence au pouvoir. Le principal tour de force du PC chinois est d’avoir vécu bien plus longtemps que les 70 ans du PC soviétique, son anti-modèle. Une fois arrivé à la tête du Parti, en 2012, Xi Jinping a vite déçu les espoirs d’ouverture que certains entretenaient à son propos. Il a montré qu’il n’entendait laisser à personne le soin d’écrire avec lui la feuille de route du Pays et qu’une 5ème modernisation (celle de la vie politique) serait tabou. En infiniment plus puissant, l’avenir devra ressembler, politiquement, non pas à la Chine d’hier mais à celle de 1949. L’immense empire, libéralisé timidement il y a trente ans (le ‘’printemps de Pékin’’) puis réprimé sans pitié après Tiananmen, possède désormais, grâce à lui, le système social le plus sévèrement contrôlé qui soit au monde : surveillance numérique de l’espace et de la population; pensée unique et culte des chefs, deux impératifs incontournables pour qui prétendra survivre dans la société; goulag énorme mais camouflé et peine de mort (la plus pratiquée au monde); internet fliqué; échanges avec l’extérieur limités au tourisme en groupes et au commerce; oppression systémique des minorités, etc. La boucle régressive est bouclée, et la fierté du Chef en est immense.
Une importante différence, cependant : sous le règne à vie du nouvel empereur Xi, l’Empire se pare d’une belle panoplie high-tech dont les hautes performances flattent, quelque part, l’ego de sa base populaire. Le nationalisme chauvin, ancré dans un concept de ‘’Chine suzeraine, dans un monde globalisé’’ (merci Milton Friedman !), s’est introduit partout. Cette forme de populisme a remplacé l’idéologie marxiste pour électriser les foules. On ne doit pas accabler celles-ci d’avoir perdu tout esprit critique. Par essence, le système formate ainsi les mentalités, car il se méfie à l’extrême de la société. Ainsi, les citoyens ont été persuadés que le COVID 19 avait été vaincu par leurs dirigeants, ce, pour le bien du monde ! Ils croient aussi, dur comme fer, que l’Occident leur veut du mal (ce qui ne les empêche pas d’y envoyer leurs étudiants ni d’y faire du tourisme). L’Armée populaire de Libération, au cœur de la grandiose célébration du Centenaire, leur est un objet d’adoration »spontanée » et obligatoire. Au point qu’il va falloir à celle-ci accumuler des victoires à l’avenir. Le jour venu, dans des circonstances porteuses ou juste cacher des échecs, elle va attaquer et soumettre à sa botte 27 millions de Taiwanais, anéantir un peuple et une démocratie : c’est là sa mission la plus sacrée.
Les Chinois se réjouiront ils alors que l’on massacre d’autres Chinois, qui de plus ont hautement contribué à la modernisation de l’économie du Continent ? Les succès spectaculaires de la Chine doivent initialement aux investissements et à l’habilité managériale des Chinois d’outre-mer, de Taiwan en particulier. Ils ont été relayés par une myriade de co-investissements et de formations techniques apportés par des entreprises étrangères, grandes ou petites, venues se frotter aux pesanteurs du Pays et à son grand marché. L’ouverture a magnifiquement réussi à la société chinoise et le Parti, en bon prédateur, a su en tirer profit. Quand on détient le pouvoir, on devient riche comme par automatisme. Sans doute, le jour de l’invasion, aucune objection citoyenne ne se fera jour, quand bien même certaines consciences en seront chagrinées. Regardez le peu de compassion destiné aux ‘’frères hongkongais’’, dont l’espace public se voit transformé en vaste pénitencier. On aurait envie de parler aux jeunes pour leur dire que leur Nation est admirée, mais que ses grands, vieux et habiles dirigeants sont de fieffés tricheurs, qui les méprisent et les manipulent. Le faire serait le plus sûr moyen de se faire foudroyer et le message ne passerait pas.
Il reste que de renverser la roue de l’Histoire dans le sens de la confrontation idéologique et de l’expansionnisme, sous prétexte qu’on parvenu au zénith; continuer à traiter cette population si ingénieuse en enfant écervelé; mépriser l’apport de la paix, de la coopération et de l’ouverture à sa propre émergence, tout ceci réunira à terme les ingrédients de la recette du délitement.
* 2 juillet – Couper le courant, cesser les barbituriques. Il n’y a pas à philosopher sur ce point : l’action s’imposait : l’administration Biden vient d’imposer un moratoire sur les exécutions fédérales, le temps de réexaminer les politiques et procédures en matière de peine capitale. Elle s’inquiète de l’aspect « arbitraire » de cette forme de punition barbare, assimilable à la torture et aussi de son « impact disproportionné sur les personnes de couleur ». Elle se soucie également des exonérations dont bénéficient les condamnés qui en seraient passibles mais se voient protégés par leur argent et leurs »super-avocats ». Elle aurait pu aussi bien mettre en avant l’ inefficacité prouvée de la peine capitale en matière de dissuasion pénale et la fréquence choquante des erreurs judiciaires irréparables qui l’accompagnent. Espérons qu’après ce moratoire intervienne une abolition en bonne et due forme, en conformité avec le protocole additif à la convention des Nations Unies sur les droits politiques et civils.
Donald Trump avait rétabli cette pratique abjecte mais assez populaire et même populiste, à laquelle la justice fédérale n’avait plus eu recours durant sept décennies. Ce niveau de juridiction n’intervient, en règle générale, que dans les affaires de trafic de drogue, de terrorisme ou d’espionnage. Trump avait fait procéder en peu de temps à une série de 13 exécutions au sein du pénitencier fédéral de l’Indiana. Tuer sans provoquer un temps interminable de souffrance et d’agonie n’est même plus à la portée du bourreau et les hésitations entre l’électricité et les barbituriques ont multiplié les exemples d’horreur dans les états non-abolitionnistes. Pour ne pas rabaisser la juridiction d’Etat à la Loi du Talion, il fallait couper court sans délai. Malheureusement, aux Etats Unis, la justice de droit local reste prédominante en nombre de cas judiciaires traités et rétrograde dans la moitié des Etats fédérés : elle assassine, à l’occasion, parce que simplement cela plait bien à l’électorat et donc aux élus.
Encore merci à Papy Joe de rétablir de la décence, du moins au niveau fédéral. Le recul de la peine de mort est bien engagé dans le reste de son pays. L’espoir est là que les Etats Unis parviennent à effacer un jour une facette rebutante de leur identité intérieure comme internationale.
* 1er juillet – Vers un monde yin-yang ? Comme la politique du climat, celle de la parité Femmes-Hommes passe par des politiques économiques et sociales. Elle nécessite donc des moyens financiers. Les concepts ont évolué depuis la conférence onusienne de l’automne 1995, à Pékin. Les leitmotiv de l’émancipation puis de la promotion (l’‘’empowerment’’, selon le concept anglo-saxon de l’époque) ont cédé la place à un objectif d’équité dans la parité. Mais, comme le monde procède en zigzag, le ‘’vent mauvais’’ de la régression patriarcale souffle aujourd’hui sur une vaste partie de l’échiquier géopolitique. Recentrer les économies sur un fonctionnement plus juste, plus égalitaire ne se limite plus à des impératifs de prise de conscience, d’éducation et de comportement. La question est d’essence structurelle. Mais les arcanes pour y parvenir – tout comme pour le climat – ne sont pas encore figées dans le concret. ‘’On progresse’’, tel est le message du Forum Génération Egalité, qui a ouvert ses travaux au Carrousel du Louvre à Paris (et aussi en ligne), sous l’égide des Nations Unies. Les organisateurs revendiquent une ‘’collecte’’ de 40 milliards de dollars d’investissement. Bien évidemment, il ne s’agit pour l’heure que de simples intentions, peut-être de rêves pieux.
Les 40 milliards d’investissement ‘’miraculeux’’ en comprennent 17 milliards annoncés par les États participants, 10 engageables par la Banque mondiale et 2,1 promis par la fondation de Bill et Melinda Gates (consacrés notamment à réduire la violence ‘’fondée sur le genre », c’est-à-dire celle des maris et compagnons ‘’cogneurs’’. En France, la fondation de François-Henri Pinault projette d’investir la somme modeste de 5 millions dans le cofinancement de 15 centres d’accueil pour les femmes victimes de violences.
Succès ou pas, l’Evènement se veut annonciateur d’un « Plan mondial d’accélération » vers l’égalité, autour de plusieurs thématiques comme les violences envers les femmes, le droit à disposer de son corps, l’éducation des filles ou encore l’égalité économique. Chaque sujet est abordé par le biais de « coalitions d’action » regroupant États, organisations internationales, société civile et secteur privé. L’objectif est d’élaborer une feuille de route, dont la mise en œuvre sera évaluée dans cinq ans.
« Pour défendre la démocratie, nous devons lutter pour l’égalité hommes-femmes », a déclaré par visioconférence Kamala Harris, très applaudie par l’auditoire , où se trouvait incidemment l’ancienne secrétaire d’Etat, Hillary Clinton. Il a été aussi question d’une « bataille idéologique à engager contre les forces conservatrices’’, qui oppriment les femmes… et, par d’autre biais, beaucoup d’hommes et d’enfants aussi. On n‘en est pas encore à affirmer que les droits humains sont en fait indivisibles, même si leur transgression s’exerce différemment sur les genres et sur les âges, ni que les oppresseurs peuvent se recruter dans les deux genres. C’est bien comme ça, car il faut braquer les projecteurs sur celles des injustices courantes les moins fortement dénoncées. « Des femmes qui voulaient simplement être libres de conduire, qui revendiquent simplement de ne pas porter un voile ou d’avorter, sont menacées », a déploré le président français, sans regretter que leurs époux se procurent peut être des armes en France pour bombarder les femmes du Yémen. La géopolitique se cloisonne volontiers, alors qu’elle devrait être un tout multidisciplinaire. Les participants ont également souligné combien la pandémie de Covid-19 avait affecté les femmes et contribué à un recul de leurs droits, qu’il s’agisse de la déscolarisation des filles, d’une dérive dans la pauvreté ou des violences conjugales redoublées pendant les confinements.
Delphine O, la secrétaire générale du forum d’ONU-Femmes, avait exigé que chacun apporte au pot commun un engagement concret et financé. On verra à l’usage. Dans l’immédiat, il n’est pas aisé de cerner ce que les 40 milliards promis vont changer au fonctionnement économique et social global. Le rapport de forces est surtout favorable aux grandes entreprises et aux autocraties politiques, éthiques, religieuses. Il faut espérer que les agences des nations Unies et les ONG saurant mailler leurs efforts pour nous faire accéder à ‘’la grande image’’, celle de notre époque.