Lendemain de massacre à Nice : deuil et recueillement, compassion, resserrage de rangs, étendard brandi de la Démocratie, travail de réparation des failles de sécurité, analyse des causes du fléau pour mieux élaborer des parades, Liberté, Egalité, Fraterni… STOP !
Peu de tout cela, hélas, en ce mois de juillet délétère. Il est loin le temps de Charlie, où les Français défilaient en famille, drapeaux au vent, la main dans la main, »même pas peur », applaudissant même des pandores émus jusqu’aux larmes…
Sur la Baie des Anges, Daech marque des points. L’ahurissement collectif est devenu rage et les cris de douleurs se sont teintés de racisme. L’homme de la rue – commentateur attitré des médias – éructe son mépris de la Démocratie, de »tous les politiciens » et en appelle parfois à l’auto-défense collective. Demain : bonjour la milice ! Après-demain : la torture comme mode d’instruction des affaires terroristes et la peine de mort rétablie, au terme de parodies de procès. On y va. Il faut dire que l’incapacité des édiles à assumer leur responsabilité sécuritaire (qu’on se gardera bien d’ailleurs de mettre en cause) et que la lâcheté à se renvoyer la patate chaude, entre la Ville et l’Etat, ont donné le ton et le mauvais exemple. On est entré dans la polémique pure, hautement partisane et très peu citoyenne. Les morts sont devenus des pions dans un grand jeu de voleurs pré-électoral. Les médias amplifient plus ou moins, selon leur dépendance des réseaux sociaux et leur parti-pris »vendeur » (Libé : »des failles, un mensonge »). La police et la gendarmerie sont prises en otage dans ces vilains règlements de compte, comme si c’était l’occasion et le moment !
Avant d’arriver à diviser aussi bien la France et à faire resurgir les plus bas instincts, l’assassin au camion blanc pensait sans doute se gagner une place VIP au paradis d’Allah. Car, faut-il le répéter, le problème principal c’est cette folle aspiration jihadiste à mourir en »justicier » (dans la mythologie »cheap » dont on lui a farci la tête), pour remettre à zéro le compteur de ses méfaits et médiocrités passés. C’est bien dans cette chimère imbécile qu’il trouve, en quelque sorte, une invincibilité, puisqu’aucun dispositif policier ne peut prévenir le passage à l’acte suicidaire. A moins que, par sa communication, l’entourage éveille l’attention des services spécialisés. Pour les manipulateurs à distance, la recette du »martyr, heureux de l’être » fait mouche à tous les coups. Personne, en effet, ne pourra jamais prouver matériellement que ces morts dévoyées ne mènent vers aucune rétribution, quel que soit le système de croyance d’où l’on se place. Les assassins-martyrs sont eux-mêmes trompés, exploités, pervertis. Face à une telle mythologie de bazar, des parallèles se font avec les excès des croisés du Moyen-Age. Eux-aussi avaient des pêchés à se faire pardonner et l’infaillible certitude que, bataillant sous la croix du Christ et sous l’étendard du Pape, la mort les conduirait directement Paradis des Saints. C’était avant que Luther n’affirme que la grâce était donnée à tous et qu’elle n’impliquait aucun »ticket de passage ». Quel décalage de temporalité dans cette errance commune aux jihadistes et aux croisés !
Le détour par le Moyen-Age illustre comment la modernisation et la rationalisation de la pensée religieuse contribue à faire évoluer les comportements dans le sens de l’humanisme (humanisme que certains propos fascisants vengeurs veulent condamner aux poubelles de l’Histoire, au lendemain du 14 juillet). La réforme a beaucoup emprunté aux progrès de la raison, eux même déterminés par ceux de l’esprit scientifique. On voit bien que les mêmes ingrédients ont imprégnés la pratique raisonnée de l’Islam sous nos tropiques. Il y a une quasi-réforme de la croyance musulmane par osmose avec la culture républicaine. Mais, elle ne peut se revendiquer haut et fort pour ce qu’elle est, tant l’islam caricatural issu de la guerre se montre intransigeant par rapport à tout ce qui s’écarte de ses credo guerriers. De plus, la lecture contextualisée et actuelle des textes saints implique un vrai investissement intellectuel, une capacité à conceptualiser la société actuelle dont les laissés pour compte de la petite délinquance et autres faibles d’esprit ne sont sans doute pas capables. Le fait est que les filles d’Islam, plus courageuses et réalistes, tombent moins souvent dans ce travers. C’est dans des têtes insuffisamment formatées, ignorantes des valeurs et vides de sens de la vie qu’entrent à grand flot les âneries moyenâgeuses colportées par les sites internet de guerre psychologique.
Que faire, dans les 20 à 50 ans qu’il nous faudra pour dépasser le phénomène ? D’abord, ne pas nous mentir à nous-mêmes et recentrer, avec ténacité, l’expression publique sur les valeurs de la démocratie et de l’humanisme. Veiller au grain des droits de l’Homme. Cadrer les jeunes au sein des familles (qui sont l’échelon d’éducation et aussi celui d’alerte, qu’elles le veuillent ou non), de l’école bien sûr, de l’entreprise (la Loi travail va-t-elle y aider ?), du service civique, etc. Mobiliser les imams (ceux qui incarnent l’islam français) et les psychologues, les deux travaillant de façon complémentaire pour démystifier la fausse pensée, simpliste et enfermante du jihadisme. Appliquer le code pénal sans le dénaturer, à la première alerte, et gérer plus intelligemment les incarcérations; Recréer du collectif et du brassage social dans nos quartiers (trouver les incitations pour cela); combattre plus sans concession l’économie de la drogue et proposer une alternative légale aux intéressés; travailler sur les syndromes de déclassement et de discrimination (police de proximité, renforcement des dispositifs sociaux, transports et politique de la Ville); inciter les jeunes à faire carrière en politique (un »Parti des Banlieues ?); créer des médias – notamment sur internet – qui parlent à ce public; traiter médicalement les cas psychotiques; soumettre aux mêmes remèdes les gens simples qui, au nom de leur identité »française » et en réaction au jihadisme, tombent dans des travers comparables qu’ils croient opposés.
Excusez cette litanie, tout a été dit en la matière.
Reconduire pour six mois l’état d’urgence, lâcher quelques bombes de plus sur Rakka ou envoyer nos militaires servir de cibles sur la voie publique ? Non merci.