* 9 novembre – L’Ethiopie loin des regards

Le 2 novembre, le gouvernement éthiopien et le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) ont signé un accord de cessation des hostilités. Faut-il croire la paix à portée ? Le Tigré, est une région montagneuse au nord de l’Éthiopie. En deux ans, le conflit entre cette province sécessionniste et le régime d’Addis Abeba est devenu l’un des plus meurtriers de la planète. Pourtant, personne ou presque n’en parle. Aujourd’hui, une lueur d’espoir, faible, apparaît. Ce premier pas vers un retour à la normale est encore loin de régler les problèmes de fond qui tiennent à un partage historique du pouvoir qui était favorable aux Tigréens mais qui a été rompu. On est aussi encore loin de songer à rendre justice aux nombreuses victimes et survivants du conflit.

Depuis 1991, le  »fédéralisme ethnique » structure l’organisation interne du pays. L’Erythrée s’est toutefois séparée de l’Ethiopie en 1993. Les régions administratives prennent leur nom à partir de déterminants ethniques présumés caractériser la majorité des habitants. Lors du recensement de 1994, les Oromos et les Amharas représentaient respectivement 32,1 % et 30,2 % de la population, en tant qu’ethnies les plus nombreuses. On dénombrait aussi les 7 %d’Afars et seulement 4,2 % de Tigréens, enfin, autant de Somalis.

Pourtant, les Tigréens ont dominé la vie politique en Éthiopie pendant près de trente ans, jusqu’à l’arrivée au pouvoir, en 2018, d’Abiy Ahmed, un Oromo, comme premier ministre. Les autorités tigréennes sont retirées alors dans leur région, en reprochant une marginalisation de la minorité tigréenne  »plus noble », par le pouvoir. Quelques mois plus tard, le 4 novembre 2020, l’armée gouvernementale a envahi le Tigré pour en reprendre le contrôle par la force. Les forces armées gouvernementales sont notamment soutenues par les forces de la région Amhara, voisine du Tigré, et par l’Érythrée, frontalière au nord. Face à cette attaque, le FLPT, dans un premier temps, a mal résisté, avant de contre-attaquer très efficacement. Les forces amharas se sont rendues coupables de crime contre l’humanité en menant une campagne la terre brûlée contre les Tigréens. Le front s’est brutalement déplacé. 

Cette guerre pour la fierté ethnique et le pouvoir politique a produit des dizaines de milliers de morts civils, d’innombrables victimes de viols et d’esclavage sexuel et, dans sa phase la plus récente, un nettoyage ethnique par la faim et le blocus. Depuis le début des combats, en 2020, des dizaines de milliers de civils ont été sacrifiés, des millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays et 61 000 ont fui au Soudan.

Quand on use le terme ‘’guerre’’ aujourd’hui, on pense à l’Ukraine ou au Yémen, pas à l’Éthiopie. Le conflit au Tigré se déroule à huis clos et les massacres ont eu lieu à l’abri des regards. Sans doute, ils continueront encore. Le gouvernement fédéral interdit tout accès à la zone de conflit. Qu’ils soient journalistes, humanitaires, chercheurs, aucun observateur n’est autorisé à assister à la confrontation. Malgré ce black-out imposé, quelques rares enquêteurs discrets sont parvenus sur le terrain. Ils sont en mesure de  dénoncer ce qu’il s’y passe, même si la documentation des crimes est non-existante. On ne saura sans doute jamais jusqu’où la barbarie a été poussée dans cette fédération-mosaïque de plus de 111 millions d’habitants (12ème rang mondial). C’est dans le Sud : c’est loin…

* 24 janvier – Vertiges et bords de gouffre

Drôles d’interactions entre trois continents… ou quatre ! L’Europe entrevoit la possibilité d’une guerre dévastatrice sur son territoire, si Vladimir Poutine poursuit jusqu’au bout sa volonté affichée d’ ‘’avaler’’ l’Ukraine. On en est au point où les diplomates américains quittent à la hâte l’ex-satellite soviétique devenu une cible pour une destruction massive. Les missiles nucléaires russes regagnent leurs bases en Biélorussie, avec l’armée du ‘’Grand frère’’. Pourtant, Moscou avait présidé, elle-même, au début des années 1990, à la décision de regrouper sur la terre de Russie toutes ses armes d’apocalypse dispersées dans l’empire soviétique. De beaux esprits nous rassurent : ‘’Poutine est un homme intelligent et tout à fait rationnel’’. Outre qu’on ne voit pas bien la rationalité consistant à jouer cette partie mortifère, au bord du gouffre, pour simplement prouver qu’on a du muscle et qu’on peut imposer le respect (une psychologie de racketteur de quartier HLM ou de petit maître-chanteur), on sait bien qu’Alexandre, Néron, Charles VI, Napoléon 1er ou Adolf ont été très rationnels dans la conception de leurs plans de grandeurs. C’est après avoir atteint le niveau incurable de la paranoïa que le Prince dévoile sa perversité profonde. Ladite perversité a de la gueule, de l’efficacité et du prestige : elle sera applaudie, mais saignera l’humanité.

Un point de basculement dans la tourmente est également perceptible en Afrique subsaharienne. Le continent noir est devenu un ‘’ventre mou du monde’’ comme les Balkans l’avaient été pour l’Europe. Les casernes se soulèvent, ça et là, contre des dirigeants mal élus. Tout récemment, c’est le cas au Burkina Fasso, qui s’ajoute aux putschs opérés en Guinée, au Mali, aux menaces qui apparaissent au Niger, au chaos de la Centrafrique. Les situations locales varient, mais le contexte continental est bien celui de la colère de populations mal ou non-gouvernées et celui d’une perception montante de la déferlante djihadiste, laquelle emporte tout sur son passage. Les classes politiques et les citoyens perçoivent que les armées locales, construites pour accumuler des privilèges et non pour combattre des guerriers, sont impuissantes et les militaires eux-mêmes, très nerveux.

En Syrie (peut-être un peu aussi, en Irak), Daech se refait une santé en prenant d’assaut les prisons où sont enfermés ses guerriers sanguinaires. On pourrait bientôt voir certains d’entre eux gagner l’Afrique, avec des moyens et des armes encore renforcés. Qui les arrêtera ?

La France n’a jamais été aussi désavouée en Afrique. Sa consternante impopularité doit, en partie et toujours, aux ambigüités de la France-Afrique, le cercle complaisant qu’elle a créé autour des classes dirigeantes dont elle espère obtenir la stabilité. Une chimère à l’heure ou tout bouge ! Mais, d’une certaine façon, elle paye aussi une conception africaine de la géopolitique ancrée dans le passé et qui se limite au binôme ‘’colonisation / décolonisation’’. Les Africains inquiets d’affirmer leurs droits par rapport à l’histoire ancienne, ont peu conscience des bouleversements stratégiques en cours et n’en tiennent pas compte. Ils sont en revanche sensibles aux  offensives idéologiques russe, chinoise ou turque, prônant des modèles de gouvernance présumés mieux adaptés et anticoloniaux. Il y a une grande part d’intoxication dans ces propagandes, qui néanmoins impriment les esprits. Le Mali est l’exemple le plus triste d’une course intellectuelle vers le vide. L’Occident comme les pays voisins sont voués aux gémonies. Les sanctions adoptées frappent, il est vrai, les Maliens eux-mêmes, plus que le colonel Goïta et consorts, ce qui est maladroit. Il est clair que bientôt, ni Barkhane, ni l’Europe, ni la CEDAO, ni l’ONU ne pourront protéger ce pays contre les affiliés de Daech et de Al Qaeda.

Alors, Poutine et ses mercenaires sans insignes, cadrent-ils avec l’image du sauveur ? Comme en Ukraine, on peut penser que l’autocrate russe manigance surtout un grand désordre en Afrique. Il cherche à en faire son fromage pour deux raisons essentielles : mettre la main sur les ressources minières avec lesquelles les guerriers de Wagner se paient ‘’sur la bête’’ et tenter de déstabiliser l’Europe occidentale, son besoin de stabilité stratégique, son image coloniale, ses inquiétudes sur le flanc Sud comme sur les flancs Est et Nord. La Russie de Poutine (qui n‘est pas la Russie éternelle et n’a plus de culture) peut-elle mettre en œuvre un plan d’encerclement aussi colossal, qui plus est sans lâcher contre elle-même les vannes du djihadisme ? On peut sérieusement en douter mais, comme on l’a dit et comme l’histoire de nos grands paranoïaques le montre, quand on a pris goût au jeu de la vengeance et de la force, on ne sait plus s’arrêter.

* 28 novembre – Barrages de la colère

Partout, des routes sont bloquées, des gens qui se révoltent… Ici, on ne parle pas des ‘’anti-vaccins’’ ni du cloisonnement des Etats face à un nouveau variant, mais d’honnêtes villageois qui souffrent du djihadisme et de toutes les violences qui le suivent en cortège.

Les moments de folie qui ont jalonné la progression d’une soixantaine de véhicules militaires français, parti de Côte d’Ivoire pour assurer la logistique de la base malienne de Gao marquent un délitement complet dans l’image de la France ‘’salvatrice’’ auprès des populations urbaines ou villageoises du Sahel. La peur d’un présent au niveau de violence insupportable, le ressentiment accumulé à l’égard d’autorités locales réputées abandonner les population, l’exaspération à l’égard de militaires français suréquipés et dominateurs, mais bien incapables de rétablir la paix civile : tout s’en mêle. Ces colères ne sont pas des fantasmes, même si certains perçoivent l’intérêt de jouer sur le registre anticolonial. Les peuples du Sahel souffrent et ne voient pas d’issue. La France n’a pas comme objectif premier de les protéger mais de passer pour cette tâche le relais aux armées locales. Elle se retrouve en ligne de mire, exutoire à la détresse générale et n’a pas vraiment de réponse à cela.


Au Centre-nord du Burkina Faso, le 20 novembre, à Kaya, le barrage villageois a généré un haut fait de résistance, après qu’un petit ‘’David’’ burkinabé ait abattu un petit drone (supposé français).  »Armée française dégage »,  »Libérez le Sahel »,  »Plus de convoi militaire d’invasion et de recolonisation français »,  »France Etat terroriste » : les pancartes des manifestants ne laissaient aucun doute sur leur hostilité. Des attroupements avaient eu lieu précédemment, lors de la traversée d’autres villes. La riposte des forces de l’ordre a fait, malheureusement, deux blessés et la fureur populaire s’est retournée contre le président Roch Marc Christian Kaboré, qui tentait de disculper les Français.


A Téra, dans l’ouest du Niger, le trajet du convoi a été, à nouveau, perturbé par des manifestants, le 27 novembre. Certains protestataires accusaient les soldats français de transporter des armes pour les groupes jihadistes, Au cours d’une tentative pour dégager les véhicules, des heurts ont fait deux morts et 18 blessés. La gendarmerie nigérienne en porte la responsabilité avec les militaires français. Des tirs de sommation ont déclenché l’affrontement et il devient alors très délicat de maitriser ce type d’incident. L’image des hommes de Barkhane s’en trouve quelque peu ternie.
Selon l’état-major de l’armée française, « aucun soldat français n’a été blessé », mais « deux conducteurs civils du convoi ont été blessés par des pierres et des camions endommagés’’. Voilà qui marque bien symboliquement la montée du dégagisme à travers le Sahel face à l’impasse militaire où se trouve la France… l’impasse dans laquelle ces populations se sentent aussi aculées. Les théâtres d’opération se sont éloignés des zones habitées que Paris voudrait voir transférées à ses alliés africains. Ceux-ci sont à la peine et ne savent pas se concilier leurs citoyens civils. Barkhane puis Tacuba sont dépassés par l’immensité des théâtres de guerre.


La contagion djihadiste gagne inexorablement l’Afrique de l’Ouest et tend vers les côtes atlantiques. Elle refluera sans doute un jour, car elle ne peut apporter aucune réponse au développement, encore moins à l’émancipation du Continent. Mais, militairement, on ne gagne jamais face à des guérillas, seraient-elles matinées de terrorisme. Dans cette situation, en tout cas, où les guerriers trouvent un ancrage dans la culture des gens. Cela tient aussi aux rumeurs malignes colportées par les réseaux sociaux (comme en France, d’ailleurs). Les annonces du ministère des Armées sur l’élimination de chefs djihadistes ne suffisent pas. Les Africains du Sahel ont d’abord surestimé la capacité des Français à rétablir la paix et l’ordre civil. Une part croissante de la base perçoit désormais l’intervention de Barkhane comme inefficace, inutile. Pour certains, il s’agirait désormais d’une armée d’occupation au service d’intérêts stratégiques post-coloniaux, qui ne sont pas les leurs.

Il ne sera pas facile de rétablir des liens de confiance et de partenariat en de telles circonstances. Si l’on aime l’Afrique pour elle-même, il va falloir mieux l’écouter… et trouver plus d’alliés.

* 20 novembre – Nos concurrents n’ont ni tabous ni limites

Notre ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait été ministre de la Défense – c’est-à-dire principalement de l’industrie de défense – dans le gouvernement de François Hollande. Il a une vision du monde, certes politique, mais exprimée dans le lexique du business : au milieu du globe et au vu de tous, l’entreprise France évolue dans les clous du droit et du libéralisme (avec quelques chasses gardées traditionnelles, toutefois). Autour d’elle, une horde de ‘’concurrents’’, sans moralité aucune, pratique une compétition déloyale et même prédatrice. Le principal marché disputé est l’Afrique, dont les liens s’avèrent, il est vrai, de moins en moins exclusifs avec ‘’Maman la France’’. La trahison du Mali, celle auparavant de la République centrafricaine, passée aux mercenaires russes de Wagner (pauvre grand musicien allemand !), ne sont pas faciles à digérer. La baisse inexorable du commerce avec le Continent noir, non plus.

Et que dire du manque d’appétence des nouvelles classes moyennes et intellectuelles pour la ‘’Patrie des droits de l’Homme,’’ celle qui professe des belles leçons sur l’Etat de droit mais se rallie systématiquement aux pouvoirs en place, pourvu qu’ils veuillent bien de sa protection stratégique ? Cette mère coloniale n’émancipe plus personne, dès lors que la ‘’FrançAfique’’ survit dans les liens entre palais présidentiels. En termes géostratégiques, l’Afrique constitue désormais le bouclier au Sud de l’Europe pour boucler l’accès à la Méditerranée, mais ses habitants ne sont pas protégés pour eux-mêmes. Faute de pouvoir se désengager de son passé, Paris multiplie, par la voix indignée de M . Le Drian, les fortes allusions aux coups bas chinois et russes sur SA ‘’terre promise’’ africaine : ‘’ils nous cassent la boutique !’’ Certes.

Bien sûr, si l’on fait abstraction des choix des Africains eux-mêmes, tout n’est pas faux dans cette saga de dumping et d’appropriation néocoloniale. La l’arrogance belliqueuse des Russes, l’incitation à l’endettement et à la dépendance économique recherchée par la coopération chinoise, tout cela n’aide pas à régler les problèmes structurels entretenant l’instabilité africaine. Le délitement de la gouvernance affecte l’assise et la durabilité des exécutifs, déstabilise les composantes ethniques et les institutions de ces nations inachevées. La natalité débridée et les effets pervers des guerres comme du climat signent l’échec du développement humain, lui-même générateur d’exil et d’errance e Europe. Le chaos extérieur s’y rajoute, sous la forme de la déferlante djihadiste et du banditisme associé. Ainsi tournent en boucle les cercles vicieux qui nous inquiètent, mais que nous ne maitrisons pas. La France ne serait plus qu’une puissance moyenne, dit-on. Mais peut-elle encore proposer un modèle ?

Pour le ministre breton : ‘’ c’est le monde d’avant en pire. Nous constatons non seulement la brutalisation des rapports, mais aussi une véritable course à la puissance, aggravées par une compétition des modèles. Nos concurrents n’ont ni tabous ni limites : ils projettent des milices privées partout, détournent des avions, font exploser des satellites, ils subordonnent des peuples, siphonnent des ressources sur certains continents, je pense à l’Afrique, en obligeant les pays concernés à crouler sous l’endettement’’

Certes, mais, brillants politologues que nous sommes à Paris, maîtrisons-nous les parades, de notre seul mérite national ou même européen ?  »Il faudrait agir maintenant, sinon l’histoire ne nous attendra pas ». A ce point, on s’attendrait à voir enfin exposé un ‘’grand plan Marshall » (ou Le Drian) pourvu d’une ressource au moins comparable au plan de relance européen (750 + 500 milliards €). A marche forcée, on s’attellerait à créer une grande industrie, un artisanat moderne, une agriculture vivrière saine et autosuffisante, un réseau épidémiologique ainsi que des infrastructures de service public irriguant jusqu’aux campagnes les plus reculées. On vous l’accorde, ni la France ni l’EU n’ont la taille financière ou même la légitimité pour mettre en œuvre ce qui existe déjà, comme horizon utopique, aux Nations Unies. Il n’y a rien de neuf à inventer, il faudrait se mettre ensemble, ce qui veut dire, notamment, avec les Russes et les Chinois. Ou essayer, tout au moins, pour interpeler les Africains. De leur côté, plutôt que de jouer opportunément les faveurs des uns contre celles des autres, les nations africaines seraient bien inspirées d’exiger l’unité d’action de la communauté internationale (unité à réinventer).  Un effort, donc, de conception d’une géopolitique collective africaine alimentée par des intérêts et des valeurs.

De fait, leurs dirigeants ont leur part de responsabilité dans l’anarchie continentale. Et nous avons aussi notre part d’hypocrisie en fulminant contre la brutalité et l’égoïsme de nos ‘’concurrents’’. Nos investisseurs en Afrique jouent-ils sagement le jeu du développement et de l’émancipation ? Les exilés africains, qui atterrissent dans l’Hexagone, ne sont-ils pas maltraités par la police et privés de leurs maigres biens (saccagés), ignorés des préfectures – où ils n’ont plus même droit à un contact humain – Ne sont-ils pas privés de ressource et de soins par la ‘’machine à produire des clandestins’’ laquelle, dans son ambiguïté chronique, ne sait ni les intégrer, ni les expulser. Enfin, ne sont-ils pas conscients d’être stigmatisés en redoutables ‘’envahisseurs’’ par la vulgate populaire ? Alors, la France ‘’solidaire des Africains et attentive à leur sort’’ ?

Le patron de la diplomatie n’entre pas dans des considérations aussi larges et lointaines. Sa conclusion est plus court-termiste : le président français assumera la présidence de l’Europe dès janvier. Face aux malheurs de l’Afrique, sa contribution sera exceptionnelle et décisive. Comptons sur Paris pour accélérer la capacité de l’UE à compter en ’’puissance affirmée dans les affaires du monde’’, à  »défendre son modèle et à  promouvoir un multilatéralisme efficace ». Soit. Mais qu’attendent vraiment les jeunes Africains de leur vieille Maman ? Qu’en penseraient les Baltes, le Polonais et le malheureux peuple biélorusse, s’ils devaient être jamais au courant ? Et que restera-t-il du bel activisme présidentiel qu’on nous promet, une fois passées les élections françaises ? Trop de flou, sans doute quelque loup…

* 29 juin – L’écho … vide de la solidarité des peuples

Le virus nous laisse un répit en France, tant mieux, mais il continue néanmoins à muter. Certains de nos voisins subissent déjà durement l’expansion rapide du variant Delta. Dans le monde émergent et en particulier en Afrique, un nouveau pic pandémique affecte les populations bien plus sévèrement que les vagues précédentes. Avons-nous motif à nous attarder dans l’insouciance, comme si le monde était cloisonné entre des régions (relativement) épargnées et d’autres, abandonnées à leur sort. Tant que le hiatus de santé Nord-Sud perdurera, que le virus du Covid mutera là où la pandémie est improprement combattue, personne ne sera à l’abri d’un effet boomerang peut-être sans fin. Bien sûr on le sait, mais cela ne veut pas dire qu’on est prêt à venir au secours de l’Afrique, du Mexique, du Bangladesh, etc.

Première question : Covax, le dispositif que les Nations Unies ont mis en place pour vacciner les populations du Sud a-t-il failli ? Covax, en tant que réseau d’institutions et d’établissements proposant une solution vaccinale universelle, a livré 87 millions de doses à 131 pays. Pour presque cinq milliards de Terriens démunis, on reste loin du compte. Il s’agit pourtant de la distribution de vaccins la plus importante jamais réalisée dans l’Histoire. Ainsi, par rapport à la pandémie H1N1 de 2009, Covax a fourni sept fois plus de doses et répondu 2,5 fois plus vite aux besoins de quatre fois plus de pays. En avril 2020, le dispositif a été lancé et ses coleaders – l’OMS, le Cepi et le Gavi – ont été immédiatement opérationnels. Dès juin 2020, la garantie de Gavi-Covax-AMC a d’emblée financé l’accès gratuit aux vaccins, dans 92 pays à faible revenu. Comme  »bureaucratie », on a vu pire. De plus, Covax n’est pas le seul mécanisme d’acheminement des serums vers le monde émergent, puisque le G 7, la Chine et l’Inde ( jusqu’à récemment), ont engagé des distributions gratuites, non sans escompter quelques bénéfices politiques en retour, ce qui est de bonne guerre.


On constate pourtant une distribution particulièrement inégale du vaccin : 1 % seulement des populations des pays les plus pauvres est à ce jour protégé, contre un ratio de 50 % dans les pays développés. La question se pose donc de devoir vacciner les populations à risque partout dans le monde, plutôt que tout le monde dans une minorité de pays. Ce serait aussi une façon de limiter les mutations du virus liées aux pathologies mal soignées. Mais, d’évidence, ne pas vacciner les jeunes Européens pour mieux protéger les personnes vulnérables en Afrique aboutirait à braquer l’humeur populaire, au Nord, contre le Continent noir. Les peurs et les préjugés existent partout et on ne peut en faire totalement abstraction.


Au milieu de ce mois, 60 millions de doses seulement ont été acheminées dans 80 pays. Une goutte d’anticorps dans un océan de virus. On n‘a pas encore vu la couleur du milliard de doses annoncé par le Club des nations les plus industrialisées (le G 7) et par des grandes fondations privées. En fait, en additionnant les engagements pris au cours des dernières semaines, on pourrait financer la vaccination de 1,8 milliard d’êtres humains, soit un tiers en moyenne des nationaux concernés. Mais les doses ‘’prépayées’’ que les pays bénéficiaires sont appelés à commander directement auprès des laboratoires n’ont pas encore été fabriquées et ne le seront pas avant quelques mois, alors qu’il y a urgence. ’’Big pharma’’ peine à augmenter sa production, destinée, au départ, aux seuls pays solvables (du Nord) comme le stipulaient les contrats de l’an dernier. Trop tard ! De plus, la décision du gouvernement indien de conserver pour sa population toute sa production nationale a fortement amputé le stock vaccinal physiquement disponible pour le Sud. Ne taisons pas non plus certains doutes de l’OMS sur les vaccins chinois. Il ne reste alors, pour booster le flux des doses, que la solution d’un prélèvement sur les stocks nationaux déjà constitués au Nord. Une ponction politiquement délicate, même si la France, par exemple, propose de mobiliser à cette fin 8% de son stock. L’a-t-elle fait, d’ailleurs ?


Alors que la pandémie progresse rapidement dans le Sud, laissant entrevoir des millions de morts – dont une proportion plus grande de jeunes – et qu’elle fragilise la vie de milliards de pauvres, on se retrouve sans solution pratique. L’idée de traiter comme un bien public à la disposition de tous les formules des vaccins pourrait aider à combattre une pandémie future, si l’industrie pharmaceutique devait s’y plier. Mais, en l’absence d’un environnement industriel solide et développé, sans professionnels bien formés (ce qui prend des années), elle a peu de chance de provoquer une décentralisation planétaire de la production. Pour l’instant, ce n’est qu’un vœu pieux. Aussi, chaque jour où on laisse la contagion progresser sans réponse industrielle adaptée, la mortalité globale s’emballe et cause des pertes énormes pour des économies locales dont dépend la survie de milliards d’individus… et bien sûr, cela va entretenir l’effet boomerang sur les pays riches. Tous sauvés ou personne…


D’où une série d’interrogations : les promesses mirobolantes des pays du Nord n’ont-elles pas été faites trop tard pour se concrétiser à temps (sans doute, les vaccins arriveront en masse à partir de septembre) ? Les laboratoires portent-ils une part de responsabilité, en étant incapables de produire suffisamment pour l’humanité entière, même lorsqu’ils sont payés pour cela ? Peut-on attendre de populations riches traumatisées par la maladie COVID qu’elles partagent équitablement leurs stocks avec des inconnus lointains ? Les pays récipiendaires sont-ils tous en mesure d’assurer la logistique et l’administration du vaccin sur leurs territoires ? Sur ce dernier point, on peut s’émouvoir de plusieurs situations où l’on a vu des doses à deux semaines de leur péremption ne pas même être déballées… un grand gâchis.
Tirer les leçons de nos difficultés à assumer une solidarité mondiale impliquerait de concentrer, au plus haut niveau, la détermination politique comme les moyens de prévoir et d’agir au sein d’une autorité également mondiale. Celle-ci devrait s’imposer aux Etats et aux marchés. On pense à ce projet-fantôme de ‘’Conseil de sécurité économique, social (dont la dimension sanitaire) et écologique’’, dont on a rêvé dans les années 1990. On en aurait besoin maintenant.

* 18 mai – Le virus et la charité.

La dette publique de l’Afrique explose en conséquence de la crise économique et sanitaire. Après avoir proposé un moratoire immédiat sur les dettes extérieures des pays africains, jusqu’à la fin de la pandémie, E. Macron convie à Paris les représentants du Continent noir pour trouver une solution à cette asphyxie financière. Les grands organes financiers internationaux participent à ce sommet, aux côtés d’une trentaine de dirigeants africains et européens.

Le bilan du COVID en Afrique se caractérise par une relative mansuétude de la pandémie – avec, quand même 130 000 morts sur un total de 3,4 millions à l’échelle mondiale – mais les finances publiques, déjà faibles, ont été saignées par la chute des échanges commerciaux, de l’activité de l’économie formelle et par les dépenses sanitaires effectuées dans l’urgence. De plus, à moins d’une sortie franche et totale d’épidémie des populations africaines (plus d’un milliard d’âmes), la pandémie ne pourra jamais s’éteindre à l’échelle du Globe. Surtout, le continent a subi sa première récession en un demi-siècle. La croissance pourrait rebondir de 3,4 % en 2021 et de 4 % en 2022, mais ceci resterait insuffisant pour autoriser un rattrapage et éviter une crise de la dette. Le FMI considère que l’Afrique risque de voir son déficit global se creuser de 290 milliards de dollars sur les 18 prochains mois. Le moratoire institué en avril 2020 a apporté un certain soulagement aux pays les plus endettés. Pourtant, cela ne suffira pas : selon la Banque africaine de développement (BAD), 39 millions d’Africains sont en voie de tomber dans l’extrême pauvreté,


Selon le schéma classique en la matière, les problèmes de remboursement de la dette publique seront traités séparément, à Paris, de la solvabilité des emprunteurs privés. Lors d’une conférence de presse conjointe, le chef d’Etat français et son homologue de RDC (Félix Tshisekedi, également président de l’Union africaine) tireront les enseignements de la réunion. Le FMI confirmera l’attribution aux pays concernés de 650 milliards de dollars, sous forme de droits de tirage spéciaux, en vue d’acquérir « les liquidités indispensables à l’achat de produits de base et de matériel médical essentiel ». Modeste contributrice au FMI, l’Afrique ne peut compter que sur un retour minime lorsqu’elle appelle à l’aide, sauf à rehausser ses quotas d’émission par rapport aux autres acteurs économiques. Une telle révolution n’est pas à l’ordre du jour. La principale demande des Africains porte en fait sur l’instauration d’un moratoire immédiat sur le service de toutes les dettes extérieures, ce, jusqu’à la fin de la pandémie. Pour montrer l’exemple, la France décide de faire grâce au Soudan de cinq milliards de dollars d’encours bilatéral. La Chine, qui est de très loin le premier créditeur de l’Afrique mais ne renonce pas, par principe, à ses créances (quitte à les transformer en prise de possession), se retrouve sur la sellette. On peut donc s’attendre à une contre-offensive politique musclée de sa part et à quelques contremesures choisies, pour gêner l’Occident.


Parlera-t-on, enfin, de l’aide publique au développement ? Son déclin constant depuis plusieurs décennies a été, d’une certaine façon, compensé par les transferts d’argent des communautés immigrées à destination de leurs proches,  »au Pays ». Les migrants sont à leur tour étranglés par la crise et leurs efforts s’en trouvent réduits de moitié. Comment rétablir ce flux, si ce n’est par l’accueil de nouveaux migrants, qui puissent s’intégrer dans les économies européennes ? Une telle formule ‘’gagnant-gagnant’’ suscite, on le sait, révulsion et haine parmi beaucoup de citoyens-électeurs occidentaux. Tout s’imbrique : la crise humanitaire du Sud n’est plus séparable de la déshumanisation du Nord.

* 30 mars – L’Afrique sur le point de bascule

Un raid-surprise de combattants jihadistes a été lancé dans le nord du Mozambique, contre la ville de Palma (75.000 habitants), nœud logistique en zone d’extraction gazière, proche de la frontière tanzanienne. Le signal de l’attaque a été l’arrivée d’un bateau chargé d’épicerie, dont l’attaque a immédiatement suivi l’accostage dans ce petit port. Des scènes de pillage et de meurtre aveugles s’en sont suivies. Le groupe djihadiste Al-Sunnah Wa Jamo (ASWJ) ou « Al-Shebab » (les Jeunes), affilié à Daech et fort d’une centaine de combattants, hante la zone depuis 2017. Il revendique cette opération et affirme contrôler la ville. Celle-ci – ce n’est pas un hasard – n’est éloignée que d’une dizaine de kilomètres du mégaprojet gazier de 60 milliards de dollars piloté par Total. Censé devenir opérationnel en 2024, le projet mené en consortium avec l’italien ENI et l’américain Exxon Mobil est à l’arrêt depuis plusieurs mois. Le calendrier ne sera pas tenu et l’ambition de doper l’économie mozambicaine pour en faire une puissance gazière s’en trouve contrariée. L’assaut a visé aussi les casernes et les administrations du gouvernement mozambicain.


Maputo (à 2300 km au Sud de Palma) évoque un bilan de plusieurs dizaines de morts dont, au moins, un ressortissant sud- africain et un sujet britannique, des sous-traitants de Total. Il y aurait entre 6 000 et 10 000 personnes réfugiées ou cherchant un abri à l’intérieur du chantier de construction du complexe gazier. La firme française indique fournir une aide humanitaire et logistique à ces populations civiles. Après le transfert de 1.400 travailleurs et civils à Pemba, port situé à quelque 200 km au sud, pirogues et voiliers traditionnels chargés de réfugiés continuent à affluer. Les agences de l’ONU présentes sur place s’efforcent de coordonner l’organisation du retour vers des zones sécurisées de milliers de civils réfugiés dans les forêts ou sur les plages environnantes. Ces victimes s’ajoutent aux 670 000 personnes ayant dû fuir les attaques au cours des dernières années. Car ce drame a des racines plus anciennes : la province du Cabo Delgado, à majorité musulmane, est l’une des plus pauvres du Pays. Le chômage généralisé des jeunes y favorise le recrutement des djihadistes, de même que les enlèvements d’enfants-soldats dans les villages. Ce jihad ‘’à bas bruit’’ n’avait pas été décelé, le cône Sud de l’Afrique étant supposé plus ou moins immune de la gangrène terroriste. Le réveil est très dur : du Nord au Sud, les gouvernants et les programmes d’aide au développement se montrent dépassés face à l’évolution de populations laissées à elles-mêmes et à leur misère, offertes aux pires prédateurs. Le Continent noir est-il en voie de basculer – avec les conséquences qu’on imagine – de Tamanrasset au Cap de Bonne Espérance ?

* 04 mars – Aide-toi, le ciel t’aidera !

On ne peut pas encore dire que la France va accoucher d’un nouveau mode d’aide au développement en Afrique, mais la question est à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale. Les choses bougent. Le besoin de redorer son image sur le Continent noir, la recherche de parades face à l’influence montante de la Chine, le retour à des pratiques financières plus saines et moins ‘’saupoudrées’’ mais aussi la recherche d’un effet d’annonce un peu opportuniste y concourent. En 1970, Paris s’était engagé à suivre la directive des Nations Unies d’y consacrer 0,7 % de son PIB. Depuis un demi-siècle, son aide publique au développement n’a cessé de contredire la parole donnée, tombant à la moitié à peine de ce seuil…
Un sursaut ? L’Assemblée nationale vient de voter un projet de loi dit de “programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales’’. Il vise à porter l’APD à 0,55 % du PIB national en 2022 et même, selon une clause peu contraignante, ‘’si possible à 0,7%, à l’horizon de 2025’’. L’effet ‘’com’’ est assuré, même si ceux qui auront à exécuter ces promesses ne seront pas nécessairement ceux qui les ont faites. Ainsi va le court-termisme dans les démocraties. Dans tous les cas, la performance n’aurait rien d’exceptionnel, alors que l’investissement des pays scandinaves ou du Luxembourg dans le développement humain à travers le monde est déjà deux fois plus élevé. Paris se montre assez généreux sur les remises de dettes, plus faciles à gérer mais moins ciblées sur les populations. Néanmoins, selon les exercices, la proportion de prêts parmi ses dons reste élevée, fluctuant autour de 50%. Peut-on alors se présenter en pourfendeur du modèle chinois, bien plus dispensateur de ressources financières, mais qui conduit aussi les Etats africains au surendettement ? En tout cas, J-Y Le Drian en fait son Cheval de Troie.


Hors aide budgétaire, la part consacrée par l’Agence Française de Développement (AFD) se monte à 10,9 milliards d’euros, en 2019 et 12,8 milliards en 2020. Elle croîtra encore un peu cette année. Une attention particulière est apportée au recentrage des crédits : géographiquement, on les concentrera sur les pays d’Afrique subsaharienne et Haïti. Fonctionnellement, sur la lutte contre la pauvreté, la santé, le climat, l’éducation et l’égalité femmes/hommes. Expertise France (EF), l’agence de coopération technique co-dirigée par le Quai d’Orsay et Bercy et dont 60 % de l’activité se concentre en Afrique, intégrera l’AFD (sa banque de développement) pour mieux coordonner finances et projets. Créée en 2014, EF se définit ainsi : ‘’En tant qu’agence française de coopération technique internationale, Expertise France s’engage dans la mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD) et de l’Accord de Paris. Complémentaire de l’apport de ressources financières pour le développement, la coopération technique est au cœur de la réponse que la France apporte face aux défis environnementaux, sanitaires, sociaux, économiques et sécuritaires auxquels les Etats sont confrontés’’. Tiens, toujours bien visible, cette priorité sécuritaire ! On sait qu’elle est en fait dictée par des intérêts français et européens, ce qui ne la disqualifie nullement mais n’avance guère les Africains.

Plus souciant, aucune analyse n’apparait des causes fondamentales de l’exode des Africains. Le sous-développement y a sans doute sa part, mais elle est limitée. Car ce sont les ‘’relativement plus riches’’ parmi les humbles qui s’en vont. Plus ces toutes petites classes moyennes se développeront, plus elle ressentiront l’abandon, l’incurie et l’injustice chez leurs gouvernants et l’anarchie sociale. Plus le phénomène s’accentuera alors. Ces départs en masse de malheureux – non pas le franchissement par eux des frontières européennes -constituent la racine du problème, que l’outil de Coopération ne sait pas voir ni traiter.

* 25 février – Piqure de rappel au devoir de solidarité

Après avoir tant décrié l’égoïsme des pays riches face à la pandémie, réjouissons nous : la coopération internationale refait surface dans la lutte contre le Covid-19. Le sommet du G7, le 19 février, a dit vouloir faire de 2021 un  »tournant pour le multilatéralisme » et dépasser le nationalisme vaccinal de ces derniers mois. America’s coming back ! Les Etats Unis vont contribuer, à hauteur de 4,3 milliards de dollars à l’accélérateur ACT, un mécanisme de financement qui fait partie du dispositif Covax, mis en place par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans le même mouvement, l’administration Biden réintègre l’OMS. Deux pas importants sont donc franchi, ouvrant un accès solidaire = effectif = pour les populations du Sud à l’immunisation collective. Sur une échelle planétaire, deux milliards de doses y seront affectés cette année. Des premiers lots sont livrés, ce jour-même, au Ghana; demain, à la Côte d’Ivoire, etc


Les membres du G 7 affirment aussi leur engagement sur le programme Covax et sur la distribution équitable du vaccin. Les ‘’surachats’’ de doses vaccinales par les pays capables d’y procéder s’expliquent largement par le pari qui a été fait, très en amont, sur la mise au point des vaccins, leur production, leur commercialisation. Combien de ces tentatives déboucheraient réellement, combien finiraient en impasse, quelle proportion des commandes faites au ‘’Big Pharma’’ pourrait être honorée ? Les commandes ont été opérées à l’aveuglette en intégrant une forte marge de précaution. Les laboratoires s’étant révélés bien plus performants que l’on s’y attendait, le monde industriel se retrouve – pas à présent, mais à terme d’une année ou deux – détenteur d’un milliard de doses en excès de ses besoins. Pour les Nations Unies, Antonio Guterres, s’inquiète que, seuls, dix pays aient pu administrer 75 % des vaccins, tandis que plus de 130 n’avaient reçu aucune dose. Il a raison, mais il ne faudrait pas résumer ce décalage inquiétant au seul facteur financier. La mauvaise qualité des chaines logistiques (souvent incompatibles avec la conservation des produits), le manque d’infrastructures médicales, de personnels et de transports, enfin l’organisation déficiente des services publics – largement inexistants en Afrique – comme, parfois, le désintérêt du politique pour les populations restent autant de pierres d’achoppement. Ceci crée des tensions à l’heure où, sur ce continent, le nombre de contaminations a bondi de 40 % par rapport au mois précédent. Par décence, n’évoquons pas trop l’expansion galopante des zones de guerre au Sahel, en Afrique centrale, depuis peu, en Afrique de l’Ouest et la montée concomitante du flux des déplacés et réfugiés. Cela tiendrait du miracle que, dans de telles conditions, l’Afrique toute entière puisse un jour être vaccinée.

La question de l’extinction de la pandémie rejoint en fait celle du développement humain, de la paix et de la gouvernance. Le Nord comme le Sud doivent s’y atteler solidairement. Ce n’est pas une affaire de  »tout ou rien », de  »maintenant ou jamais », mais une dynamique de petits progrès déterminés et constants, qui peut changer la donne pour l’Humanité (avec un H majuscule) interdépendante et pour la planète.