* 31 janvier – Vive le Colonel-Président !

Le Burkina Faso, a connu, il y a une semaine, un coup d’État militaire contre le président élu (deux fois), Roch Marc Christian Kaboré. Sur toile de fond d’épidémie de putsch militaires en Afrique subsaharienne, ce pays de tradition sage a été suspendu, le 28 janvier, de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Le ‘’club’’ des chefs d’État ouest-africains se réunira le 3 février, à Accra, pour évaluer la situation et les sacro-saintes perspectives de transition politique. Les coups d’état sont bien tolérés, à condition de faire les promesses qui sauvent la face. Classiquement, la Cedeao exige aussi  la libération du président renversé, placé en résidence surveillée. Le Burkinabé semble ne pas avoir été brutalisé. Alors, faut-il en faire un drame ?

Sans doute, non. D’abord parce que cette série de coups (Mali, Guinée, Burkina Faso) ou quasi-putschs (Tchad) risque de clairsemer les rangs de la CEDEAO. Ils instaurent, en quelque sorte, une nouvelle norme à la marge : s’il y a péril pour l’intégrité de la Nation ou la sécurité de la vie quotidienne, c’est forcément la faute des présidents en place. Les forces armées nationales vivent leur propre reculade face au djihadisme comme une humiliation et leur fierté se trouve sauvegardée par l’accession au pouvoir. Ce, avec la double garantie d’un exercice long du gouvernement confisqué aux civils et de produire, ‘’en interne’’ comme ‘’en externe’’, les boucs émissaires indispensables quand les choses tourneront mal. Si les formes sont respectées – promesse d’un retour hypothétique à l’état de droit – absence de violence – maintien des engagements internationaux – respect des pairs africains – ces derniers peuvent considérer les Etats fautifs avec mansuétude et les absoudre avant même la tenue d’élections.

Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, nouveau maître du jeu à Ouagadougou, affirme que son pays a ‘’plus que jamais besoin de ses partenaires’’, qu’il comprend les doutes légitimes suscités par son coup d’État, que le Burkina continuera à respecter ses engagements internationaux, notamment en ce qui concerne le respect des droits de l’Homme. Il est parfait. Damiba s’est en outre engagé au retour à une vie constitutionnelle normale, ‘’lorsque les conditions seront réunies’’, on ne peut être plus précis quant à l’échéancier. Ce lieutenant-colonel est, on le voit, un putschiste sage et vertueux. Parions qu’il sera vite pardonné et que le Burkina échappera aux lourdes sanctions qui frappent le Mali. Un bref passage par le purgatoire suffira, du point de vue de la France aussi, surtout si le ‘’Pays des Hommes intègres’’ devait rester fidèle à la coopération militaire française et occidentale.

Il faut dire qu’à Bamako, les errances maliennes et la dérive pro-mercenaires russes du colonel  Goïta glacent le sang des ‘’sages’’ de l’Afrique de l’Ouest. Seul dans sa course folle vers le mur, le Mali fait figure d’enfant perdu de l’unité africaine. En revanche, si d’autres juntes anti-occidentales se formaient dans la région, cela provoquerait une cassure politique du sous-continent en deux blocs. Une belle aubaine pour les ‘’fous de Dieu’’ !

Il va falloir veiller sur l’épidémie de coups d’Etat comme le lait sur le feu. Le plus troublant, dans les reportages qu’en donnent les médias, est l’acrimonie passionnelle de beaucoup d’Africains, qui célèbrent avec tapage la déposition manu militari de dirigeants civils qu’ils ont élus et même réélus. Ils crient à la France : ‘’dégage !’’.

Les Français ont, eux aussi, ont accumulé au long de leur histoire les coups de passion pour l’uniforme. Pensons aux soldats de la Révolution française investissant la Convention, à l’hystérie populaire autour du général Boulanger, au ralliement peureux des masses françaises au ‘’Vainqueur de Verdun’’, au rêve des gilets jaunes de porter au pouvoir le général de Villiers, voire à la prise de pouvoir de Charles de Gaulle, cautionnée par les Français il est vrai. La France a toujours réussi à se dégager, non sans mal, du risque de tyrannie. Face à ‘’l’ordre’’ régnant en Afghanistan, dans les réduits syriens de Daech et dans les vastes zones ‘’libérées’’ de Boko Haram, les Africains réussiront ils à en faire de même ? Pour la France, la réponse s’écrit en filigrane dans le découragement et une forte tentation de se retirer du bourbier. Basta !

* 24 janvier – Vertiges et bords de gouffre

Drôles d’interactions entre trois continents… ou quatre ! L’Europe entrevoit la possibilité d’une guerre dévastatrice sur son territoire, si Vladimir Poutine poursuit jusqu’au bout sa volonté affichée d’ ‘’avaler’’ l’Ukraine. On en est au point où les diplomates américains quittent à la hâte l’ex-satellite soviétique devenu une cible pour une destruction massive. Les missiles nucléaires russes regagnent leurs bases en Biélorussie, avec l’armée du ‘’Grand frère’’. Pourtant, Moscou avait présidé, elle-même, au début des années 1990, à la décision de regrouper sur la terre de Russie toutes ses armes d’apocalypse dispersées dans l’empire soviétique. De beaux esprits nous rassurent : ‘’Poutine est un homme intelligent et tout à fait rationnel’’. Outre qu’on ne voit pas bien la rationalité consistant à jouer cette partie mortifère, au bord du gouffre, pour simplement prouver qu’on a du muscle et qu’on peut imposer le respect (une psychologie de racketteur de quartier HLM ou de petit maître-chanteur), on sait bien qu’Alexandre, Néron, Charles VI, Napoléon 1er ou Adolf ont été très rationnels dans la conception de leurs plans de grandeurs. C’est après avoir atteint le niveau incurable de la paranoïa que le Prince dévoile sa perversité profonde. Ladite perversité a de la gueule, de l’efficacité et du prestige : elle sera applaudie, mais saignera l’humanité.

Un point de basculement dans la tourmente est également perceptible en Afrique subsaharienne. Le continent noir est devenu un ‘’ventre mou du monde’’ comme les Balkans l’avaient été pour l’Europe. Les casernes se soulèvent, ça et là, contre des dirigeants mal élus. Tout récemment, c’est le cas au Burkina Fasso, qui s’ajoute aux putschs opérés en Guinée, au Mali, aux menaces qui apparaissent au Niger, au chaos de la Centrafrique. Les situations locales varient, mais le contexte continental est bien celui de la colère de populations mal ou non-gouvernées et celui d’une perception montante de la déferlante djihadiste, laquelle emporte tout sur son passage. Les classes politiques et les citoyens perçoivent que les armées locales, construites pour accumuler des privilèges et non pour combattre des guerriers, sont impuissantes et les militaires eux-mêmes, très nerveux.

En Syrie (peut-être un peu aussi, en Irak), Daech se refait une santé en prenant d’assaut les prisons où sont enfermés ses guerriers sanguinaires. On pourrait bientôt voir certains d’entre eux gagner l’Afrique, avec des moyens et des armes encore renforcés. Qui les arrêtera ?

La France n’a jamais été aussi désavouée en Afrique. Sa consternante impopularité doit, en partie et toujours, aux ambigüités de la France-Afrique, le cercle complaisant qu’elle a créé autour des classes dirigeantes dont elle espère obtenir la stabilité. Une chimère à l’heure ou tout bouge ! Mais, d’une certaine façon, elle paye aussi une conception africaine de la géopolitique ancrée dans le passé et qui se limite au binôme ‘’colonisation / décolonisation’’. Les Africains inquiets d’affirmer leurs droits par rapport à l’histoire ancienne, ont peu conscience des bouleversements stratégiques en cours et n’en tiennent pas compte. Ils sont en revanche sensibles aux  offensives idéologiques russe, chinoise ou turque, prônant des modèles de gouvernance présumés mieux adaptés et anticoloniaux. Il y a une grande part d’intoxication dans ces propagandes, qui néanmoins impriment les esprits. Le Mali est l’exemple le plus triste d’une course intellectuelle vers le vide. L’Occident comme les pays voisins sont voués aux gémonies. Les sanctions adoptées frappent, il est vrai, les Maliens eux-mêmes, plus que le colonel Goïta et consorts, ce qui est maladroit. Il est clair que bientôt, ni Barkhane, ni l’Europe, ni la CEDAO, ni l’ONU ne pourront protéger ce pays contre les affiliés de Daech et de Al Qaeda.

Alors, Poutine et ses mercenaires sans insignes, cadrent-ils avec l’image du sauveur ? Comme en Ukraine, on peut penser que l’autocrate russe manigance surtout un grand désordre en Afrique. Il cherche à en faire son fromage pour deux raisons essentielles : mettre la main sur les ressources minières avec lesquelles les guerriers de Wagner se paient ‘’sur la bête’’ et tenter de déstabiliser l’Europe occidentale, son besoin de stabilité stratégique, son image coloniale, ses inquiétudes sur le flanc Sud comme sur les flancs Est et Nord. La Russie de Poutine (qui n‘est pas la Russie éternelle et n’a plus de culture) peut-elle mettre en œuvre un plan d’encerclement aussi colossal, qui plus est sans lâcher contre elle-même les vannes du djihadisme ? On peut sérieusement en douter mais, comme on l’a dit et comme l’histoire de nos grands paranoïaques le montre, quand on a pris goût au jeu de la vengeance et de la force, on ne sait plus s’arrêter.