* 17 juillet – Mon âme pour un baril !

Tournée moyen-orientale sans chaleur, déplacement controversé en Arabie saoudite, influence américaine en reflux, pas de gain immédiat en fourniture d’hydrocarbures. Joe Biden est rentré de Riyad un peu bredouille, honteux de ses courbettes devant ce mauvais garçon de Prince-Héritier, et surtout sans avoir obtenu qu’il augmente sensiblement sa production pétrolière. Bilan très mitigé.

Il a participé à un forum du Conseil de Coopération des Etats du Golfe, un exercice  »Sécurité et défense » du niveau de son secrétaire d’Etat. Il a poliment applaudi le rapprochement israélo-émirien, qui ne doit plus grand-chose à l’activisme initial de l’époque Trump. Quelques paroles graves prononcées sur l’irresponsabilité nucléaire de l’Iran. Pas grand-chose à vrai dire, ni sur le  »Tu ne tueras point » commun à toutes les sagesses. On retiendra la signature de dix-huit accords bilatéraux entre le Royaume saoudien et les Etats Unis, notamment sur le développement des énergies nouvelles. Mais il apparaît bien que les marges de manœuvre occidentales au Moyen-Orient ne sont plus ce qu’elles étaient. Elles ont fondu. Ceci est patent face au mur d’indifférence dressé par les membres de l’OPEP refusant de prendre parti dans l’affaire ukrainienne. Les souvenirs des pataquès d’Irak et d’Afghanistan, la revendication d’un pivotement stratégique plus à l’Est, pour endiguer la Chine, les faiblesses internes de la démocratie américaine, tous ces facteurs restent en mémoire et ils ont fortement relativisé l’aura du leadership US d’antan. Et puis les dirigeants du Moyen-Orient ressentent, de façon générale, une  »fatigue à l’égard de l’Occident ».

Avec la guerre en Ukraine, les cours du brut ont augmenté de plus de 100 dollars le baril, avec un pic à 139 dollars concernant le Brent. En conséquence, depuis l’arrivée aux affaires de Joe Biden, le gallon américain se monnaie à la pompe à cinq dollars ou plus. L’inflation pèse sur les foyers et plus encore sur l’humeur des citoyens-électeurs, à l’approche des ‘’mid-term elections’’ de novembre prochain. Et le plan climat qui est en panne au Congrès. Déprimant, pour Papy Joe…

Livrer sur le marché une quantité supplémentaire significative de naphte supposerait que Riyad rompe son entente avec la Russie au sein de l’OPEP +, qui date de deux ans. Le cartel des fournisseurs a opté en mai pour une stratégie d’augmentation graduelle de sa production, dans l’idée de l’ajuster à la reprise économique post-Covid. Un effort supplémentaire important, juste pour les beaux yeux de la princesse America, semble très peu probable. Un geste limité reste néanmoins concevable pour sauver la face au visiteur américain : rien qui puisse faire réellement baisser le prix du gallon et compenser les millions de barils russes qui manqueront dans les réserves européennes. Car l’Europe figure en tête en proue de la barque folle des énergies carbonées. C’est elle l’otage d’une rupture totale des livraisons de gaz russe et toujours elle qui s’expose à la pire spirale des prix d’Occident. Sans oublier la galère du monde émergent, dont l’archétype de Sri Lanka traduit une vulnérabilité extrême à cette conjoncture mondiale foutraque.

Après avoir décrété, d’eux-mêmes, un embargo par étapes sur le pétrole russe, les pays européens se retrouvent aux abois, contraints à diversifier leur approvisionnement en or noir et surtout en gaz. Pour la France, par exemple, le Qatar est censé apporter une réponse miraculeuse aux maux présents. Le réalisme ambiant a forcé l’oncle Joe à saluer en camarade le hautement criminel et proscrit prince Mohammed Ben Salmane … et, pour le même prix, à avaler sa péroraison sur l’incompréhension Yankee des valeurs morales dont s’honore son royaume. Celles-ci s’affirment identitaires et absolument spécifiques : faire assassiner un gêneur y est perçu comme le signe d’une grâce, par exemple. Oublions les droits humains et retenons plutôt le commentaire flegmatique d’un dirigeant allemand : ‘’Nous préférons désormais être dépendants de plusieurs dictateurs du Golfe, que d’un seul en Russie’’. Bien vu, mais parions que cela ne nous mènera pas très loin. Le contexte pétro-gazier restera déséquilibré et fluctuant : du court terme succédant à du court terme et encore : la routine en somme.

Une gigantesque énergie diplomatique est déployée dans le but d’accroître la dépendance européenne en hydrocarbures du Golfe, quitte à devenir au passage moins honnêtes et moins souverains. En comparaison, très peu est fait pour réduire la surconsommation des citoyens européens ou américains. Il est vrai que leur mécontentement (anticipé) effraie terriblement ceux qui les gouvernent. Cet effroi électoral ou d’ordre public écrase à leurs yeux la perspective de perdre la transition énergétique et, même, de perdre leur âme. La messe est dite, rentrons chez nous..

* 2 février – Yémen: guerre éternelle mais lucrative

Ukraine, Afrique de l’Ouest, Covid … : aucune démocratie n’a la tête à sauver le Yémen ces temps-ci. Cette guerre de sept ans n’est pas oubliée, elle est ignorée, niée. Comme constaté la semaine dernière, la capacité des rebelles houtistes à frapper désormais avec leurs missiles jusqu’au cœur des Émirats arabes unis et en Arabie a relancé les bombardements des villes. A l’origine un conflit civil, la confrontation entre un gouvernement sunnite sous tutelle saoudienne et la rébellion chiite du Nord s’intensifie. Riyad se venge de ce qu’elle voit comme une implication offensive de l’Iran contre la dynastie des Saoud. Tout à sa volonté de ne pas froisser l’Arabie saoudite, l’Occident détourne le regard mais prend en sous-main le parti de ses ‘’clients’’ sunnites. Riyad et ses alliés peuvent donc continuer à détruire les villes du Yémen, sans risquer les sanctions, pourtant dans l’air du temps sous d’autres cieux.

En fait, les enjeux politiques et commerciaux ont pris l’ascendant sur les malheurs indicibles de la population. L’eau manque, paralysant la lutte contre le choléra. La nourriture est hors de prix. Les soins, inabordables. Les salaires, le plus souvent impayés. La société se délite : 380 000 victimes au bas mot, des millions de déplacés, des viols, des enlèvements, des tortures, une famine méthodiquement organisée, un embargo qui empêche les organisations humanitaires d’intervenir et, par-dessus tout cela, des épidémies à répétition (choléra, Covid-19, rougeole…). Les jeunes s’enrôlent pour seulement pouvoir nourrir leurs familles, alimentant en boucle la machine de guerre. Selon l’ONU, le Yémen a produit la pire tragédie humanitaire de notre siècle. En termes de classement, le pays devancerait même la Syrie sur l’échelle des désastres humanitaires … Ce calvaire va entrer, en mars, dans sa septième année et il ne semble pas devoir connaître de fin.

Au crédit de la ‘’communauté internationale’’  (mais, existe-t-elle ?), les bombardements se seraient faits un peu moins intenses par moment et le port d’Hodeida n’a pas été complètement détruit. Mais, quelques soient les efforts des ONG sur le terrain, on ne parviendra pas à protéger et à nourrir 28 millions de Yéménites abandonnés. D’ailleurs, une forte augmentation de l’aide humanitaire ne pourrait pas faire advenir la paix. La communauté internationale répugne à faire pression sur les belligérants  et ne parvient pas même à les réunir autour d‘une table. Joe Biden a bien – du moins officiellement – mis fin au soutien inconditionnel que l’administration Trump accordait à la dynastie des Saoud. Mais le changement n’est pas vraiment perceptible…

Pour sa part, la France s’honorerait à cesser de vendre ses armes à l’Arabie-Saoudite, laquelle les utilise à l’occasion pour massacrer des civils. Ces transgressions des droits international et européen alimentent un désagréable soupçon de complicité de crime de guerre. Cela flétrit la réputation d’une puissance mondiale qui se voudrait, d’après son président, ‘’puissance d’équilibre et de paix du XXIe siècle’’.

Mais il faudrait aller plus loin : respecter le droit humanitaire, mettre fin au blocus imposé par la coalition et qui étrangle un peuple, arrêter les combats par une interposition armée, reconstruire la paix. La population est en deuil : 95 000 personnes ont été tuées et l’on estime que 85 000 enfants sont morts des conséquences de la guerre. En fait, au-delà du risque majeur d’extension régionale de la confrontation à d’autres régimes sunnites et chiites, ce déni un peu honteux d’un désastre humanitaire infligé devant nos yeux reste particulièrement choquant.  Le Parlement français a tenté, en 2020, de se pencher sur le problème mais l’Exécutif a vite étouffé sa voix, n’étant pas prêt à renoncer aux débouchés du Golfe pour son industrie de l’armement. Point barre : la question est réglée.