* 24 mai – A quand la bataille de l’Arctique?

Ce blog a précédemment traité des deux dérives qui compromettent les  fragiles équilibres naturels de l’Arctique : d’une part, l’exploitation économique, rendue possible par le réchauffement climatique, laquelle menace  l’écosystème fragile de la Région; D’autre part, la militarisation de ce continent et de ses eaux adjacentes (désormais libres l’été), qui dessine une aire de rivalités géopolitiques. Il est donc logique que le Conseil de l’Arctique, qui s’est tenu le 20 mai à Reykjavik, en Islande, a débouché sur une déclaration prônant la préservation de la paix et la lutte contre le réchauffement climatique. Dalida chanterait ‘’Paroles, paroles, paroles …’’ tant cette rhétorique pieuse n’a pour but que d’occulter les tensions et désaccords persistants entre membres de ce  Forum de coopération économique. Le Conseil a été désarmé, au fil des décennies par les convoitises et les rivalités d’Etats qui le traversent.

Ce forum intergouvernemental regroupe, depuis 1996, les pays riverains, nordiques, nord-américains et la Russie ainsi que des observateurs intéressés. Il n’avait pas été créé pour régler des questions géostratégiques. Pourtant, des relents de Guerre froide s’y manifestent. Faute de mieux, on y forge des ententes de façade qui ne sont qu’un tribut creux rendu aux grands principes sans lendemain. Antony Blinken, avec une franchise bien américaine, a dénoncé ‘’l’augmentation de certaines activités militaires dans l’Arctique ». Chacun aura reconnu l’empreinte lourde de la Russie, qui, de son côté, martèle que l’Arctique constitue pour elle ’’une zone d’influence légitime’’ et dénonce dans la foulée « l’offensive » occidentale dans la région’’.

A partir des 14 bases militaires qu’elle a construites ou modernisées, l’armée russe multiplie les gesticulations militaires, allant jusqu’à simuler des attaques aériennes contre les réseaux radar de l’OTAN et à effectuer des opérations aéroportées massives au-delà du cercle polaire. Il s’agit de démontrer sa capacité de projection stratégique dans des conditions climatiques extrêmes. En face, l’Alliance atlantique montre aussi les dents en augmentant la fréquence de ses manœuvres défensives. L’exercice « Trident Juncture » conduit en 2018, avait bénéficié d’une génération de forces d’ampleur inégalée, mobilisant 29 Etats membres rejoints par la Suède et par la Finlande. Moscou l’avait très mal pris. L’objectif à atteindre, de part et d’autre, serait désormais une invasion réalisable sous 48 heures.

Moscou contrôle de facto le passage du Nord-est, tant pour l’utilisation des brise-glace que sur le plan militaire. Les russes y ont introduit la flotte commerciale chinoise qui s’impose comme la plus grosse ‘’utilisatrice’’ et acquitte d’importantes redevances. L’expansionnisme russo-chinois se tourne désormais vers le passage du Nord-ouest, moins accessible du fait des milliers d’archipels qui barrent la navigation, mais néanmoins praticable l’été depuis, quelques années. Ces eaux et territoires canadiens restent isolés et très peu peuplés. Ceci constitue le maillon faible du dispositif de l’Alliance. Même avec l’appui des Etats Unis, ces territoires sont quasiment indéfendables. Ottawa en a pris conscience depuis une quinzaine d’années et s’efforce d’établir des ports défensifs en eaux profondes, au moins en certains points du passage, et d’y maintenir quelques effectifs humains, sous des latitudes invivables.

En fait, le dérèglement du climat – quatre fois plus rapide et plus important au pôle Nord qu’ailleurs sur le globe – crée un bouleversement géostratégique majeur doublé d’une aubaine économique. Avec la hausse des températures, la banquise d’été aura totalement disparu d’ici 2030, ouvrant des parcours maritimes bien plus court entre l’Europe à l’Asie : moins d’un mois au lieu d’un mois et demi par la route habituelle via le canal de Suez. De plus, le sous-sol de l’Arctique regorge de minerais exploitables : nickel, plomb, zinc, uranium, platine, terres rares, et il contiendrait 22 % des réserves mondiales d’hydrocarbures non encore découvertes. Voilà qui aiguise les appétits et pourrait justifier des différends sur la délimitation des zones économiques exclusives, voire des opérations d’appropriation comme le Chine en fait au-delà de sa mer adjacente !

La Russie compte bien faire quadrupler sur les quatre prochaines années son eldorado gazier du Pôle. Et accroître d’autant, également, le volume marchand en transit, pour une bonne part, en partenariat avec la Chine. Celle-ci lui fournira les capitaux et sera comme chez elle en matière de navigation. Le groupe français Total s’est associé à ce montage, non sans prendre des risques politiques à terme. En effet, depuis plusieurs années, Pékin s’impose progressivement en partenaire économique et scientifique dominant et affirme un intérêt jaloux pour l’eldorado situé à 1 400 km de ses côtes les plus proches . La Russie pourrait s’en inquiéter un jour. Une station scientifique chinoise a été construite au débouché du passage Nord-Est, sur l’archipel norvégien du Svalbard. Tous les pions sont en place pour un grand jeu de géopolitique polaire.

* 8 mars – Bruit de bottes de glace

Une agitation mystérieuse trouble l’univers glacé de l’Arctique. Entre Mourmansk et l’Alaska, la Russie est à la manœuvre depuis 2016 et sa flotte du Nord se cuirasse sous un réseau d’installations navales et aériennes endurcies et plus ou moins secrètes. Certaines infrastructures ont été réactivées de la période soviétique, d’autres sont nouvelles et censées abriter de redoutables système d’armes ‘’imparables’’, tels des drones ‘’nucléaires’’. CNN a diffusé quelques images du dispositif russe renforcé, qui devient bien visible et, au moins en partie, opérationnel. C’est une façon, pour le Pentagone, de faire partager aux Occidentaux son souci face à la militarisation de l’Océan (encore un peu) glacial, au-delà du détroit de Béring, à proximité des côtes américaines. Washington dresse un parallèle avec l’accaparement, par Pékin, des eaux de la Mer de Chine orientale et méridionale. Un clash est possible.


-L’activisme russe est-il destiné à grignoter de l’espace stratégique ? Dans ce cas, est-ce pour disposer d’un cluster rapproché d’armes nucléaires à même de menacer, à très court préavis, des objectifs stratégiques sur le territoire américain ? Un couperet au-dessus de l’Alaska et des territoires canadiens du Nord-Ouest.
-Hypothèse alternative : la marine russe serait persuadée que sa flotte du Nord, qui embarque la principale composante de l’arsenal nucléaire russe, serait ciblée de façon critique par les contre-systèmes américains et donc trop vulnérable. Son ‘’blindage’’ par toute une série d’abris et de caches viserait alors à renforcer ses chances de survivre à une frappe ‘’préemptive’’ des Etats Unis. Les nouveaux drones ‘’invincibles’’ déployés ces derniers mois pourraient n’être nucléaires qu’au niveau de leur seule propulsion. Ils constitueraient surtout un dispositif d’observation et de brouillage pour protéger les sous-marins russes.
-Troisième hypothèse, cumulable avec les précédente : l’Ours russe voudrait s’imposer, au plan économique aussi, en maître de la navigation commerciale et de l’exploitation des ressources, le long de la route arctique du Nord-Est. Ce scénario est très plausible mais il ne requiert pas particulièrement des armes extraordinaires et des sites de lancement secrets pour sa mise en oeuvre. Donc, une tentative ‘’à la chinoise’’ d’accaparer le contrôle d’un espace maritime plus large (ou ‘’à la turque’’, pour reprendre le contrôle du Bosphore) n’expliquerait pas tout.


Paranoïa russe classique, expansionnisme économique ou bluff affuté, la recherche par Moscou d’une capacité de menace renforcée sur l’espace nord-ouest américain pourrait aussi bien constituer les prémices d’un grand marchandage sur la militarisation de l’Arctique. L’administration Biden vient de valider la prolongation de l’accord New Start sur les ogives et leurs lanceurs. Poutine sait sans doute que son pays n’a plus les moyens économiques d’une course aux armements débridée avec son grand rival stratégique. Il pourrait dès lors tenter de geler, à un niveau avantageux pour lui, les dispositifs militaires dans le Grand Nord, quitte à en rabattre un peu à propos de ses nouvelles ‘’armes imparables’’.