Sous la contrainte de la guerre, Bruxelles se fait ‘’bras armé de l’Europe’’. Pour autant, la machinerie européenne ne puise que partiellement dans son expérience, reprise de l’UEO, en matière de mise en place d’états-majors et de ‘’génération de forces’’(généralement pour des opérations extérieures).
Ce qui booste l’esprit de défense de la Commission résulte du dynamisme de sa présidente, une ancienne ministre de la Défense d’Allemagne, médecin et mère d’une floppée d’enfants. Ursula von der Leyen paraît bien épaulée par son commissaire au marché intérieur et à l’industrie de défense, le Français Thierry Breton, qui, ayant un passé de patron d’armement, s’applique à relayer les initiatives de sa patronne, en direction des grandes entreprises. La coopération entre les »Vingt-sept » pour le développement d’armements communs et interopérables vise à fonder une base industrielle technologique de défense échappant, autant que ce peut, à l’emprise américaine (tout en gardant les normes OTAN). Aujourd’hui, l’industrie européenne n’obtient guère que 40 % des commandes de matériel de guerre passées dans l’U.E. On se bat pour préserver des différences techniques et commerciales plutôt que de les dépasser.
Ce à quoi Donald Trump n’était pas arrivé, Vladimir y est parvenu en mode accéléré. La survenance, le 24 février, du ‘’scénario impensable’’ – une guerre aux frontières extérieures de l’Union, impliquant un déploiement d‘armement lourd sans précédent – a sorti de torpeur les dirigeants européens. Auparavant hors-champ pour la Commission européenne, l’investissement dans la défense s’est imposé comme priorité stratégique : ‘’ L’Europe est en danger. La guerre est à nos portes. L’OTAN a créé une fausse sensation de confort’’, a ainsi diagnostiqué, Josep Borrell, le haut représentant pour la politique extérieure. Le projet en cours de lancement évite les termes trop anxiogènes : on parlera de ‘’fin du désarmement silencieux’’, pas de ‘’réarmement’’ tout court. Telle est la couche de vernis psy, qui ne change rien au fond de l’affaire. La pondération du ton vise aussi à ne pas alarmer les Etats Unis, dont on a trop besoin face à Poutine. On travaillera à l’Europe de la défense pour que l’Union devienne plus forte »dans l’intérêt, bien sûr, de l’Alliance atlantique’’. On ‘en est pas encore à songer d’y prendre le pouvoir.
Parlons ‘’technique’’ et »gros sous ». ‘’Le choc de l’Ukraine’’ a conduit les Vingt-Sept à programmer 200 milliards d’euros de dépenses pour les prochaines années. A elle seule, l’Allemagne se dit prête à porter la moitié de cet effort budgétaire. A l’heure actuelle, 11 % seulement des investissements des »Vingt-sept » sont mutualisés. Pour remettre les arsenaux nationaux à niveau, constituer les stocks – tombés au plus bas selon le bilan qu’en dresse l’Agence européenne de défense (AED) -, les objectifs de standardisation et de non-redondance valent postulats. Ceci, au niveau du développement des systèmes comme à ceux de leurs production et de leur acquisition. Le non-gaspillage sera de mise. Ainsi, concernant les forces terrestres, l’urgence à court terme va à la production de blindés et du ‘’char du futur’’. Ce sera sans doute le tank franco-allemand (MGCS) à produire, si possible, en nombre de versions limité (il y en a douze actuellement), alors qu’aux Etats-Unis, le char M 1 Abrams constitue le seul modèle en dotation. On veillera aussi à la constitution des stocks de munitions suffisants. Le remplacement des avions de combat multi-rôles européens (Rafale et Tornado) devrait se faire – si Airbus et Dassault voulaient bien coopérer – par un seul type de système de combat aérien, le ‘SCAF’’ franco-allemand. De même s’agissant des systèmes de défense antiaérienne et antimissiles. La production de drones de moyenne altitude, programmée avant la guerre d’Ukraine, devra être amplifiée et accélérée. La nécessité de s’équiper vite ouvrira néanmoins des fenêtres d’opportunité à la production américaine. A la fin de 2022, la Commission tentera d’ébaucher un consortium d’acquisition avec, à la clé, une exemption de TVA. Il en faudra vraisemblablement plus pour convaincre les états-majors de renoncer à leurs spécifications techniques nationales.
Entre 1999 et 2021, les dépenses militaires ont augmenté de 20 %, dans l’U.E, de 66 % aux Etats-Unis, de 292 % en Russie et de 592 % en Chine ! Il est horrible de réaliser jusqu’ à quel point la guerre a fait son retour dans les préceptes géostratégiques en cours. Hormis en France, dont les armées sont dispersées sur le terrain, la question de l’efficacité des dispositifs de défense est posée. Plutôt être moderne et réactif que nécessairement surarmé. L’aptitude est avant tout affaire d’êtres humains.
C’est un peu ce que vient de rappeler le groupe ‘’Renew’’ (Renaissance) au Parlement européen, en menaçant Ursula d’une motion de censure … sur la Pologne. En se soumettant (en apparence ?) à l’injonction bruxelloise de dissoudre sa Cour de discipline judiciaire, Varsovie aurait n’aurait fait que replâtrer grossièrement l’état de droit en vielles dentelles caractérisant ce pays politiquement archaïque. Mais c’est aussi le principal Etat du front, exposé aux menaces les plus immédiates et les plus fortes.
Ne devrions-nous pas, alors, ménager la Générale en Cheffe ?