* 15 septembre – Rejetons de la guerre

Les guerres d’agression font des petits. L’Azerbaïdjan et l’Arménie recommencent leur confrontation armée depuis trois jours. La situation autour du Haut-Karabakh, en grande partie récupéré par Bakou, est de plus en plus tendue alors que le premier des deux républiques ex-soviétiques a lancé une offensive d’artillerie sur son voisin. Une dictature brutale s’en prend, là encore, à une démocratie. Comme toujours, les deux pays s’accusent mutuellement d’avoir lancé les hostilités. En 2020, conformément à un accord de cessez-le-feu, Moscou avait déployé des soldats de maintien de la paix au Nagorny Karabakh, l’enclave de culture arménienne revendiquée par l’Azerbaïdjan comme un de ses territoires éternels. Le conflit ayant fait près de 7000 mort et son armement n’étant pas au niveau de celui adverse, Erevan s’était plus ou moins résignée à cette  humiliation. Le cessez-le-feu de 2020 n’ayant pas débouché sur un accord de paix, les parties restaient dans une situation de conflit larvé… qui s’est donc rallumé.

 En haut de la pyramide belliciste, l’exemple de la ‘’loi des loups’’ est donné par la Russie de Vladimir Poutine. Aux franges du Caucase et de l’Asie centrale, l’impunité tend à s’imposer comme ailleurs, en termes d’invasion, d’annexion de territoires et de frappes militaires sur des populations civiles. L’Azerbaïdjan en 2020 , comme la Russie en Ukraine, s’est d’abord attaqué aux territoires voisins qui lui étaient les plus liés par l’Histoire, la contiguïté géographique ou la culture. Aujourd’hui, Bakou, à l’image de Moscou, est passé à l’expansionnisme  dur, avec malheureusement dans son cas, l’appui du grand allié turc. L’OTAN voit dès lors l’un de ses principaux membres et fournisseur d’armes en Ukraine se compromettre sur ce théâtre traditionnel du grand-turquisme. Ankara agit alors en adversaire de l’Europe et des démocraties.

L’attrition militaire et la désorganisation que connaît le protecteur traditionnel russe de l’Arménie (en vertu d’une alliance de défense) ont ouvert une fenêtre d’opportunité pour régler des comptes avec Erevan. Moscou appelle au calme mais ne bouge pas ou n’a d’autre choix que de laisser faire. Pour le dictateur azéri, une nouvelle victoire militaire constituerait le plus beau cadeau il puisse offrir à son peuple, pour se maintenir éternellement  à sa tête. Il n’est pas le seul à faire ce calcul.

La présumée ‘’communauté internationale’’ appelle à la « retenue » et à un ‘’règlement pacifique du différend’’, formule consacrée, la plus plate et la plus impuissante qui soit, à laquelle on a recours quand on ne va rien faire. La France préside néanmoins actuellement le Conseil de Sécurité. Lors d’entretiens avec plusieurs dirigeants mondiaux, dont Vladimir Poutine et Emmanuel Macron, Nikol Pachinian, le premier ministre arménien, a appelé la communauté internationale à ‘’réagir’’. Cela n’a galvanisé personne. Emmanuel Macron se serait adressé au président Aliev d’Azerbaïdjan, le priant urgemment de mettre fin aux hostilités, et de revenir au respect du cessez-le-feu. Cela ne va pas effrayer ni convaincre ce dernier, qui sait bien que tout le monde a la tête ailleurs, grâce à la guerre d’Ukraine. Ce nouvel épisode de conflit post-soviétique est donc appelé à se développer.

* 13 octobre – To end a war

Brèves des jours précédents

Territoire contesté ou occupé par la force, population minoritaire dans un Etat qui la discrimine s’arrimant à un voisin qui lui est culturellement homogène ; principe d’intégrité territoriale brandi contre celui d’autodétermination des peuples (encore faut-il reconnaître chez soi l’existence de peuples autochtones), le droit international est à court de solutions évidentes aux conflits de nationalités. Or, ceux-ci  sont nombreux et durent des décennies, entrecoupés de périodes de combat et de répits fragiles. Le Cachemire (depuis 1947 !), la Palestine, l’Irlande du Nord, la Bosnie, le Kosovo, la cause kurde en fournissent quelques illustrations.

L’affrontement actuel entre séparatistes du Haut Karabakh soutenus – et même dirigés – par l’Arménie et l’armée d’Azerbaïdjan, plus puissante et sans doute à l’initiative, n’est pas seulement dramatique et militairement sans issue, il est en effet insoluble par le seul recours au droit. Confronter la volonté d’une population à la souveraineté territoriale d’un Etat (on parle bien d’un territoire occupé, appartenant à Bakou) conduit en effet à l’impasse. De plus la géographie de cette partie du Caucase montre des territoires sans continuité, parsemés d’enclaves. C’est l’héritage monstrueux de Staline qui dicte la géographie de la région.

Resterait en théorie l’échange de concessions et une résignation, de part et d’autre, à un compromis mal taillé, en tout cas frustrant. Ceci exigerait un niveau d’accommodement élevé, très déstabilisant pour les pouvoirs belligérants en place.  Otages de la flambée nationaliste qu’ils ont insufflée à leurs bases, ils risqueraient de ruiner, à ce jeu, leur soutien populaire. Ceci vaut pour l’Arménie démocratique comme pour l’Azerbaïdjan autocratique, qu’une ‘’paix des braves’’ exposerait à des retours de flammes. Un autre écueil tient à la fragilité, dans le temps, de tout compromis focalisé sur le seul arrêt des hostilités, perspective qui ne traite pas le problème de fond.

Fatalité supplémentaire, les puissances régionales se mêlent des affrontements, les amplifiant et nourrissant par le truchement de leurs armes, de leurs mercenaires et d’autres apports en renseignement, en propagande, etc. Elles y surajoutent  leurs propres objectifs ‘’impériaux’’. La Turquie s’est mise dans ce rôle inflammatoire. Israël apparaît dans le même camp, en ‘’fournisseur’’. La Russie, en légataire assumé de l’ancien glacis soviétique, fournit, elle, une caisse de résonnance régionale et mondiale qui rigidifie la posture arménienne (son grand ‘’allié’’ rendant inutile une vraie coexistence de voisinage avec l’Azerbaïdjan). Moscou impose une gestion féodale des tensions – de suzerain à vassaux – qui marginalise le droit et sert ses intérêts de Maître du jeu. Poutine n’a d’ailleurs pas vraiment brillé pas ses talents de stratège et de ‘’faiseur de paix’’. Le cessez-le-feu arraché par la diplomatie russe aux belligérants ne s’est pas concrétisé.

Les structures créées sous la détente pour régler les conflits dans la grande Europe – OSCE, Groupe de Minsk s’agissant spécifiquement du Karabakh) – font de la figuration, sans opérer vraiment. Il faudrait faire appel, à nouveau, Richard Holbrooke et aux autres négociateurs de la paix en Bosnie durant la décennie 1990. Certes, ils n’ont que partiellement converti les esprits, mais, 25 ans après, cette paix tient encore !