* 8 septembre – Adieu l’Afrique ?

Il y a cinq mois, ce blog écrivait, à propos de l’intervention française au Sahel :

(Après la déconiture de l’Occident à Kaboul, en août 2021),  »l’autre  »retrait » annoncé par avance est celui du Sahel. Barkhane, Takuba et peut être le G 5 sont virés du Mali, une situation   »perdant-perdant », qui a de quoi réjouir et relancer Al Qaïda et Daech. Certes, les soldats de l’Occident vont « se redéployer » au Niger, un plan alternatif énigmatique, sans conviction. L’urgence est à l’évacuation des bases militaires du Nord-Mali, pas au choix d’une stratégie. Au train ou vont les choses, cela pourrait signifier trois ou quatre coups d’état à Bamako , un nombre indéterminé de changement de politiques et une progression irrémédiable du Jihad terroriste. Qu’importe ! Ne regrettons pas ces opérations militaires uniquement efficaces à décimer des états majors terroristes, lesquelles se recomposent aussitôt, avec l’assentiment assez large de la base. On tournait en boucle dans une seringue dont le nom est  »impasse ».

On sait que la menace se déporte désormais sur les pays riverains du Golfe de Guinée. L’exercice d’endiguement s’annonce complexe : il va falloir rassurer sur l’engagement de la France au Sahel et dans la bande côtière, sans compromettre la décision de s’extraire de la nasse, tout en se dégageant du maquis des contradictions politiques africaines et en convainquant les populations. Le volet politique et social du combat contre le djihadisme importé du Moyen-Orient ne mérite même pas le qualificatif d’échec : ce fantôme n’a même pas existé. Une victoire sur le terrain humain était impossible; elle le reste ».

L’Ours Géo se répète un peu, en septembre :

 »Le 15 août, sous le signe de l’ascencion de la Vierge, Barkhane a discrètement fait monter son dernier détachement de Gao sur Niamey. Ainsi est scellé l’échec d’une opération d’inspiration juste mais qui a trop duré et mal tourné. Les hauts faits des militaires français ont caché la réalité d’un échec politico-militaire (la progression éclair du jihadisme). C’est bien quand même l’Afghanistan de la France. D’une opération ponctuelle de refoulement sur la frontière saharienne algéro-malienne, on est passé au contrôle progressif du jihadisme sur cinq pays et au-delà, tant au Sahel qu’en Afrique occidentale.

Le coût se monte à de dizaines (centaines ?) de milliers de morts civils. Dans un cocktail de populisme local et de polémique à la sauce moscovite, Bamako s’est empressé de dénoncer au Conseil de sécurité des actes présumés d’indiscipline aérienne et d’appui aux rebelles jihadistes, que la junte impute à Barkhane. L’invasion jihadiste se double désormais d’une percée de la dictature russe.

L’approche à dominante militaire, depuis longtemps caractéristique des interventions françaises en Afrique, ne pouvait pas traiter les problèmes à la racine. D’ailleurs, lesmilitaires le savent bien. L’absence de vision, de plan et de cohérence de la politique court-termiste du gouvernement français, sa prétention malgré tout à décider seul, son inertie à s’ajuster aux réalités des sociétés africaines constituent les causes profondes de ce désastre partagé en coresponsabilité avec les Africains. Beaucoup voudront l’oublier. Au contraire, il faudra en tirer les leçons le jour où l’on réapprendra à gérer le monde collectivement et sur le long terme.

* 31 mars – Au Sud, rien de neuf

Loin des préoccupations de l’Occident, englué dans le drame ukrainien, le reste de la planète suit sa pente, souvent descendante. Il est loin le ‘’printemps de jasmin’’ de la Tunisie, qui avait embaumé 2011. Hier, le président tunisien Kais Saied a procédé à la dissolution du parlement de Tunis, huit mois après l’avoir suspendu pour s’arroger les pleins pouvoirs (25 juillet 2021). Ceux-ci lui permettent désormais de légiférer par décret, de présider le Conseil des ministres et d’amender directement les lois. Mais c’était encore insuffisant … M. Kaïs Saied a donc tranché en « Conseil de sécurité nationale », quelques heures après que 120 députés l’ont défié. A l’initiative du Bureau de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), regroupant la présidence du Parlement et des représentants des partis, les représentants du peuple ont tenu sur internet une séance virtuelle de leur assemblée, au cours de laquelle ils ont voté (par 116 voix contre 4) l’abrogation des mesures d’exception instaurées sur l’autorité du président. Les élus, dont des représentants d’Ennahdha et des indépendants, ont en outre réclamé l’organisation d’élections législatives et présidentielle anticipées pour sortir de la crise.

L’Histoire accumule les hoquets. Les acteurs tunisiens se font peur les uns aux autres et la provocation leur sert de fuite en avant sans retour. Après une longue période de blocage politique, M. Saied, élu fin 2019, s’était arrogé les pleins pouvoirs en limogeant le Premier ministre et en suspendant le Parlement dominée par le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, sa bête noire. Ce parlement et la nouvelle constitution qu’il avait ratifiée représentaient pourtant les deux principaux acquis démocratiques qui avaient fait – un temps – de la Tunisie un modèle quasi-unique au sein du monde arabe. D’une triste façon, c’est un retour à la ‘’norme’’ de l’homme fort exerçant tous les pouvoirs.

En Algérie voisine, le Hirak des jeunes démocrates semble avoir cessé de s’exprimer et le régime militaro-affairiste retrouve ses traditionnelles effluves de formol. Au Maroc, le premier ministre islamiste modéré, Abdelilah Benkirane a été renvoyé à ses chères études coraniques et l’appareil du Makhzen (les poulains politiques et technocrates du Palais royal) récupère l’essentiel des manettes, tout en ménageant la face du PJD. Plus au sud, dans le Sahel, les franchisés de Daech et de AL Qaïda marquent point sur point, massacre après massacre, tandis que Barkhane, virée du Mali, s’emploie à ramener ses enfants au bercail sans trop de casse. La famine, ce sera pour l’automne prochain.

OK, mieux vaut ne pas développer : à chaque jour suffit sa peine.

*17 février – Complainte du ‘’remercié’’

Congédiés par la junte au pouvoir à Bamako ! On le savait mais le fait est désormais acté. A la veille d’un sommet bicontinental, à Bruxelles, la France et ses partenaires européens officialisent aujourd’hui leur échec au Mali. Neuf années de combat antidjihadiste ont mal tourné, malgré le remarquable succès initial qu’avait connu, en 2013, l’opération Serval et l’arrêt mis à la descente des katibas islamistes sur la capitale. La perspective est celle d’un désengagement logistique complexe et politiquement assez risqué, sous les huées de la base et les provocations de l’ennemi. Un Afghanistan à la française, mais concernant un dispositif beaucoup plus éclaté et clairsemé dans l’espace géographique.

Le président français a dressé ce matin, devant la presse, le bilan suivant :

-« Les États africains comprennent le retrait de la France et de ses partenaires ». On les devine inquiets mais courtois, évitant surtout (pour le moment) de rajouter de l’huile sur le feu. C’est au bien fidèle Macky Sall du Sénégal, présidant actuellement l’Union africaine, qu’a incombé le message attestant la compréhension de la décision des autorités européennes et françaises de retirer leurs troupes du Mali. On n’accable pas l’hôte qui vous a invité.

– La présence française au Sahel va devoir se réduire comme cela a été fait dans le Nord-Mali, a déclaré Emmanuel Macron. Cette évolution, permettra, comme demandé par les partenaires locaux, de la recentrer « là où notre contribution est attendue ». En un mot, si on voit moins les militaires français, ‘’passés sous le radar’’, ils constitueront moins un problème pour les populations africaines.

– Ce ‘’retrait bien ordonné’’ se traduira par la fermeture des emprises de Gossi de Ménaka et de Gao. Les forces armées maliennes et la Mission des Nations unies au Mali (Minusma) y seront techniquement  associées. ‘’Durant l’opération de repli, les missions de soutien au profit de la Minusma seront maintenues. Une partie des effectifs européens stationnés au Mali seront redéployés au Niger’’.

– « Al-Qaïda et Daech ont choisi de faire de l’Afrique – du Sahel en particulier – et, de manière croissante, du Golfe de Guinée, une priorité de leur stratégie d’expansion ». De ce fait, « il est important pour Paris d’adresser un message de continuité de son engagement au Sahel ». Les pays du Golfe de Guinée seront davantage « appuyés ».

– Les populations civiles seront mises au cœur de la lutte antidjihadiste : il faut « déployer d’abord des programmes civils et sociaux. Ce n’est qu’en complément de ces programmes qu’une action militaire peut être efficace ».

C’est exactement ce qu’on a espéré depuis neuf ans mais qui n’a jamais fonctionné. La conversion aux dures réalités va prendre quelque temps …

* 16 février : retraits taiseux

Il est temps de ne pas trop en dire. Le plus bref, le moins faux. En plein guerre psychologique, des organes mal identifiés clament deux retraits militaires en cours. Non, la paix n’a pas sonné, pas encore. Le plus bruyant est celui de la machine de guerre russe qui encercle l’Ukraine : trois camions de soldats et deux rampes de fusées ont franchit le grand pont Poutine qui relie le dispositif à la Crimée. Fin des man oeuvres ? Des 150.000 hommes mobilisés pour encercler le voisin maudit, il ne reste que 149.800. Le tableau géopolitique a donc radicalement changé. Le tableau diplomatique reste désespérément glacial. Après toute l’adrénaline qu’elle s’est faite, l’Alliance atlantique va sans doute prendre tout son temps pour promouvoir la candidature de l’Ukraine. On pourrait espérer parler un peu de la sécurité en Europe, sans larguer pour autant l’allié américain. Sans lui, on ne pèse pas le poids. Avec lui, il faudrait un contre-poids collectif des Européens, qui leur assurerait la maîtrise de la ligne politique quand la crise est circonscrite à l’Europe. Ce blog parle trop, là, puisqu’au fond rien n’a changé depuis hier.

L’autre  »retrait » était presqu’annoncé. Barkhane, Takuba et peut être le G 5 sont virés du Mali. Une situation  »perdant-perdant », qui a de quoi réjouir et relancer Al Qaïda. Certes, les soldats de l’Occident vont  »se redéployer », un terme distingué et énigmatique, s’il en est. Il va quand même falloir près d’un an pour évacuer les bases militaires du Nord-Mali. Au train ou vont les choses, cela pourrait signifier trois ou quatre coups d’état à Bamako et un nombre indéterminé de changement de politiques. Qu’importe ! Ne regrettons pas ces opérations militaires uniquement efficaces à décimer des états majors terroristes, lesquelles se recomposent aussitôt, avec l’assentiment assez large de la base. On tournait en boucle autour d’une impasse.

Le président français reçoit à l’Elysée les autres dirigeants de la région. On sait que la menace se déporte sur les pays riverains du Golfe de Guinée. Voilà un exercice complexe : il va falloir les rassurer sur l’engagement de la France au Sahel et dans la bande côtière, sans compromettre la décision courageuse de s’extraire de la nasse, tout en se dégageant du maquis des contradictions politiques africaines. Le volet politique et social du combat contre le djihadisme importé du Moyen-Orient ne mérite même pas le qualificatif d’échec : ce fantôme n’a même pas existé. La contamination idéologique va donc se poursuivre et avec de bones raisons. Les officiers français qui apprennent avec zèle, dans leurs écoles, la dimension politico-militaire des conflits ont été confinés au purement  »militaire » et se sont retrouvés en situation d’occupants. Et ce, bien trop longtemps. Un Afghanistan français, hélas ! Il faudrait se souvenir de ce jour ambigu comme un anniversaire : la lucidité aura fait un premier pas.

* 31 janvier – Vive le Colonel-Président !

Le Burkina Faso, a connu, il y a une semaine, un coup d’État militaire contre le président élu (deux fois), Roch Marc Christian Kaboré. Sur toile de fond d’épidémie de putsch militaires en Afrique subsaharienne, ce pays de tradition sage a été suspendu, le 28 janvier, de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Le ‘’club’’ des chefs d’État ouest-africains se réunira le 3 février, à Accra, pour évaluer la situation et les sacro-saintes perspectives de transition politique. Les coups d’état sont bien tolérés, à condition de faire les promesses qui sauvent la face. Classiquement, la Cedeao exige aussi  la libération du président renversé, placé en résidence surveillée. Le Burkinabé semble ne pas avoir été brutalisé. Alors, faut-il en faire un drame ?

Sans doute, non. D’abord parce que cette série de coups (Mali, Guinée, Burkina Faso) ou quasi-putschs (Tchad) risque de clairsemer les rangs de la CEDEAO. Ils instaurent, en quelque sorte, une nouvelle norme à la marge : s’il y a péril pour l’intégrité de la Nation ou la sécurité de la vie quotidienne, c’est forcément la faute des présidents en place. Les forces armées nationales vivent leur propre reculade face au djihadisme comme une humiliation et leur fierté se trouve sauvegardée par l’accession au pouvoir. Ce, avec la double garantie d’un exercice long du gouvernement confisqué aux civils et de produire, ‘’en interne’’ comme ‘’en externe’’, les boucs émissaires indispensables quand les choses tourneront mal. Si les formes sont respectées – promesse d’un retour hypothétique à l’état de droit – absence de violence – maintien des engagements internationaux – respect des pairs africains – ces derniers peuvent considérer les Etats fautifs avec mansuétude et les absoudre avant même la tenue d’élections.

Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, nouveau maître du jeu à Ouagadougou, affirme que son pays a ‘’plus que jamais besoin de ses partenaires’’, qu’il comprend les doutes légitimes suscités par son coup d’État, que le Burkina continuera à respecter ses engagements internationaux, notamment en ce qui concerne le respect des droits de l’Homme. Il est parfait. Damiba s’est en outre engagé au retour à une vie constitutionnelle normale, ‘’lorsque les conditions seront réunies’’, on ne peut être plus précis quant à l’échéancier. Ce lieutenant-colonel est, on le voit, un putschiste sage et vertueux. Parions qu’il sera vite pardonné et que le Burkina échappera aux lourdes sanctions qui frappent le Mali. Un bref passage par le purgatoire suffira, du point de vue de la France aussi, surtout si le ‘’Pays des Hommes intègres’’ devait rester fidèle à la coopération militaire française et occidentale.

Il faut dire qu’à Bamako, les errances maliennes et la dérive pro-mercenaires russes du colonel  Goïta glacent le sang des ‘’sages’’ de l’Afrique de l’Ouest. Seul dans sa course folle vers le mur, le Mali fait figure d’enfant perdu de l’unité africaine. En revanche, si d’autres juntes anti-occidentales se formaient dans la région, cela provoquerait une cassure politique du sous-continent en deux blocs. Une belle aubaine pour les ‘’fous de Dieu’’ !

Il va falloir veiller sur l’épidémie de coups d’Etat comme le lait sur le feu. Le plus troublant, dans les reportages qu’en donnent les médias, est l’acrimonie passionnelle de beaucoup d’Africains, qui célèbrent avec tapage la déposition manu militari de dirigeants civils qu’ils ont élus et même réélus. Ils crient à la France : ‘’dégage !’’.

Les Français ont, eux aussi, ont accumulé au long de leur histoire les coups de passion pour l’uniforme. Pensons aux soldats de la Révolution française investissant la Convention, à l’hystérie populaire autour du général Boulanger, au ralliement peureux des masses françaises au ‘’Vainqueur de Verdun’’, au rêve des gilets jaunes de porter au pouvoir le général de Villiers, voire à la prise de pouvoir de Charles de Gaulle, cautionnée par les Français il est vrai. La France a toujours réussi à se dégager, non sans mal, du risque de tyrannie. Face à ‘’l’ordre’’ régnant en Afghanistan, dans les réduits syriens de Daech et dans les vastes zones ‘’libérées’’ de Boko Haram, les Africains réussiront ils à en faire de même ? Pour la France, la réponse s’écrit en filigrane dans le découragement et une forte tentation de se retirer du bourbier. Basta !

* 28 novembre – Barrages de la colère

Partout, des routes sont bloquées, des gens qui se révoltent… Ici, on ne parle pas des ‘’anti-vaccins’’ ni du cloisonnement des Etats face à un nouveau variant, mais d’honnêtes villageois qui souffrent du djihadisme et de toutes les violences qui le suivent en cortège.

Les moments de folie qui ont jalonné la progression d’une soixantaine de véhicules militaires français, parti de Côte d’Ivoire pour assurer la logistique de la base malienne de Gao marquent un délitement complet dans l’image de la France ‘’salvatrice’’ auprès des populations urbaines ou villageoises du Sahel. La peur d’un présent au niveau de violence insupportable, le ressentiment accumulé à l’égard d’autorités locales réputées abandonner les population, l’exaspération à l’égard de militaires français suréquipés et dominateurs, mais bien incapables de rétablir la paix civile : tout s’en mêle. Ces colères ne sont pas des fantasmes, même si certains perçoivent l’intérêt de jouer sur le registre anticolonial. Les peuples du Sahel souffrent et ne voient pas d’issue. La France n’a pas comme objectif premier de les protéger mais de passer pour cette tâche le relais aux armées locales. Elle se retrouve en ligne de mire, exutoire à la détresse générale et n’a pas vraiment de réponse à cela.


Au Centre-nord du Burkina Faso, le 20 novembre, à Kaya, le barrage villageois a généré un haut fait de résistance, après qu’un petit ‘’David’’ burkinabé ait abattu un petit drone (supposé français).  »Armée française dégage »,  »Libérez le Sahel »,  »Plus de convoi militaire d’invasion et de recolonisation français »,  »France Etat terroriste » : les pancartes des manifestants ne laissaient aucun doute sur leur hostilité. Des attroupements avaient eu lieu précédemment, lors de la traversée d’autres villes. La riposte des forces de l’ordre a fait, malheureusement, deux blessés et la fureur populaire s’est retournée contre le président Roch Marc Christian Kaboré, qui tentait de disculper les Français.


A Téra, dans l’ouest du Niger, le trajet du convoi a été, à nouveau, perturbé par des manifestants, le 27 novembre. Certains protestataires accusaient les soldats français de transporter des armes pour les groupes jihadistes, Au cours d’une tentative pour dégager les véhicules, des heurts ont fait deux morts et 18 blessés. La gendarmerie nigérienne en porte la responsabilité avec les militaires français. Des tirs de sommation ont déclenché l’affrontement et il devient alors très délicat de maitriser ce type d’incident. L’image des hommes de Barkhane s’en trouve quelque peu ternie.
Selon l’état-major de l’armée française, « aucun soldat français n’a été blessé », mais « deux conducteurs civils du convoi ont été blessés par des pierres et des camions endommagés’’. Voilà qui marque bien symboliquement la montée du dégagisme à travers le Sahel face à l’impasse militaire où se trouve la France… l’impasse dans laquelle ces populations se sentent aussi aculées. Les théâtres d’opération se sont éloignés des zones habitées que Paris voudrait voir transférées à ses alliés africains. Ceux-ci sont à la peine et ne savent pas se concilier leurs citoyens civils. Barkhane puis Tacuba sont dépassés par l’immensité des théâtres de guerre.


La contagion djihadiste gagne inexorablement l’Afrique de l’Ouest et tend vers les côtes atlantiques. Elle refluera sans doute un jour, car elle ne peut apporter aucune réponse au développement, encore moins à l’émancipation du Continent. Mais, militairement, on ne gagne jamais face à des guérillas, seraient-elles matinées de terrorisme. Dans cette situation, en tout cas, où les guerriers trouvent un ancrage dans la culture des gens. Cela tient aussi aux rumeurs malignes colportées par les réseaux sociaux (comme en France, d’ailleurs). Les annonces du ministère des Armées sur l’élimination de chefs djihadistes ne suffisent pas. Les Africains du Sahel ont d’abord surestimé la capacité des Français à rétablir la paix et l’ordre civil. Une part croissante de la base perçoit désormais l’intervention de Barkhane comme inefficace, inutile. Pour certains, il s’agirait désormais d’une armée d’occupation au service d’intérêts stratégiques post-coloniaux, qui ne sont pas les leurs.

Il ne sera pas facile de rétablir des liens de confiance et de partenariat en de telles circonstances. Si l’on aime l’Afrique pour elle-même, il va falloir mieux l’écouter… et trouver plus d’alliés.

* 27 septembre – Abandonné en plein vol !

Devant l’assemblée générale de l’ONU, le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, a accusé la France d’un ‘’abandon en plein vol’’. Il se référait à la décision française de resserrer le dispositif Barkhane sur la principale zone de pénétration jihadiste, dite des ‘’trois frontières’’, ce qui laissera ‘’à découvert’’ la moitié nord de son pays. On parle là d’une zone de tensions ethniques et de sous-administration chronique, mais aussi l’ère initiale d’intervention des troupes françaises en janvier 2013 lorsqu’il avait fallu empêcher la chute de Bamako (à l’appel pressant d’un président malien affolé).
Le choix des mots peut paraître ingrat – surtout dans une stratégie de chantage entre France et Russie – mais il est aussi touchant, pour la faiblesse qu’il reconnait. La France serait cette mère omniprésente et directive qui exige de son enfant malien qu’il vole au moins un peu de ses propres ailes. Elle portera à tout jamais le visage de l’ancienne puissance coloniale, coupable d’avoir tout régenté et coupable aussi de ne plus vouloir tout régenter, qu’on adore blâmer pour tout mais qu’on stigmatise aussi parce qu’elle vous lâche. Une mère castratrice, qui vous laisse sans volonté, sans feuille de route assumée. Même ‘’en plein vol’’, cela tenait du rase-motte. Pourtant : ‘’la nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires’’.

S’il y a une faille dans le dispositif de coopération français, c’est bien au niveau de la coopération militaire et de défense avec les forces armées africaines : 60 ans ininterrompus d’assistance, d’instruction, de formation dans les écoles militaires françaises n’ont pas permis de créer un outil de défense digne de ce nom. Sur le plan opérationnel, les cadre et leurs troupes se débandent devant l’ennemi. Leur capacité à remplir un rôle défensif est quasi-nulle. Après huit ans de protection par le dispositif français, rien n‘a changé et, comme l’a amèrement regretté en son temps le général Lecointre (ex-Chef d’état-major de Armées), le comportement tribaliste et prédateur des militaires maliens n’a fait qu’aggraver la situation des droits humains et les tensions civiles dans cette zone que Barkhane leur abandonne, effectivement. Le Gouvernement et le Parlement devraient remettre à plat ce secteur de la coopération, tant son échec est devenu patent au fil des coups d’état et des crises politiques. Les séjours de formation en France n’apportent plus aux stagiaires africains le moindre vernis démocratique en matière d’état de droit et de respect de la démocratie. A leur décharge, les écoles et collèges de défense français ne peuvent pas grand-chose face aux réalités sociologiques africaines : la carrière militaire est le principal mode d’ascension vers le pouvoir ; le pouvoir se protège d’un bouclier ethnique contre les frustrations des populations ; la présence aux affaires est un risque physique et la sortie du jeu politique, un vol direct vers la ruine ou la mort : il faut donc prélever le maximum sur l’économie et la société en prévision d’un futur problématique.


L’absentéisme des dirigeants administratifs et leur autisme face aux maux de la société complètent le tableau d’un ‘’abandon’’ général de la population. Quelle que soit leur volonté de réforme, le système collectif pousse au repli, à l’enfermement. Aurait-on dû dissoudre l’armée (et la laisser passer au banditisme à plein temps) et l’administration (un réseau éphémère de partisans), ou mettre la moitié nord du pays sous tutelle ? Les Nations Unies n’ont plus l’autorité pour établir ce mode de transition, d’ailleurs condamné par l’Histoire. New York ne pourrait d’ailleurs agir qu’en mobilisant les organisations régionales africaines, fortement complices des dirigeants autoritaires des capitales. Après huit ans de combats difficiles, qui ont permis d’éviter la disparition du Mali, la France ne doit pas s’enferrer dans l’inconsistance des politiques africaines. Bamako menace de s’adresser au groupe de mercenaires Wagner. Paris doit refuser le chantage et persévérer à mobiliser des relais plus acceptables. Mais on tourne un peu en rond.

* 17 septembre – un Sahel à tue et à toise

Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, alias Awas, a été  tué par les forces françaises. Ceci a été confirmé par Emmanuel Macron en personne, sur Twitter, dans la nuit du 15 au 16 septembre : ‘’il s’agit d’un nouveau succès majeur dans le combat que nous menons contre les groupes terroristes au Sahel’’. L’action de Barkhane remonterait, en fait, à plusieurs semaines. Adnan Abou Walid Al-Sahraoui – Lahbib Abdi Said, de son vrai nom – était un ancien combattant sahraoui, passé par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), avant de s’affilier à Daech. Devenu Emir de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) depuis 2015, il est tenu pour responsable de la plupart des attaques contre les étrangers et les populations villageoises dans la zone des ‘’trois frontières’’, aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Son groupe avait revendiqué, en août 2020,  l’assassinat au Niger de six travailleurs humanitaires français et de leurs guide et chauffeur nigériens. Ses jihadistes agissent de façon plus sanguinaire encore que ceux du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), l’organisation rivale ralliée à Al-Qaida. Awas ciblait la France comme ennemi prioritaire… la réciproque était tout aussi vraie.

Ce succès de Barkhane va-t-il aider à justifier le retrait  de la force française au cours de 2022 ou, au contraire, accentuer le flottement des armées africaines,  peu susceptibles qu’elles paraissent de prendre le relais ? L’organisation djihadiste est-elle en voie d’attrition du fait de la neutralisation de plusieurs de ses cadres dirigeants ? La prochaine frappe serait, dit-on, destinée à Iyad Ag Ghali, le chef du GSIM. L’intéressé s’y attend. Ce groupe lié à Al-Qaida a développé une pratique d’administration des  territoires qu’il domine. Aux yeux de certains civils, notamment des Touaregs, sa gouvernance est plus supportable que celle de l’Etat malien, que celui-ci soit absent ou en posture de prédateur. Le plus gros problème se pose bien à Bamako et dans les autres capitales politiquement indéfendables.

Au Ministère de la Défense, on table sur une perte de cohésion des jihadistes liée à la disparition de leurs chefs historiques et à la montée d’une nouvelle génération moins unie et moins expérimentée. Dans tous les cas, les recrutements à la base ne se tariront pas. Lorsqu’elles s’allient entre elles, ces guerillas constituent des armées pléthoriques, coordonnées et habiles. Elles dépassent alors les capacités offensive ou défensive du petit (mais vaillant) dispositif français. La parade pourrait venir d’une stimulation des conflits intestins entre ces katibas sectaires, en jouant sur la rivalité Al Qaïda – Daech et sur les dissensions tribales. C’est une tâche très pointue et pas exclusivement militaire, mais également un jeu risqué, car la dynamique de la vengeance pourrait inciter certains chefs jihadistes à fomenter des attentats sur le sol européen.

* 7 juin – Le théâtre et ses sorciers

A la suite du second coup d’Etat dans le putsch des militaires au Mali, la diplomatie française avait annoncé, au début de juin, suspendre sa coopération bilatérale avec l’armée locale. Pas en soi, un renoncement à combattre le jihadisme au Sahel, ni même un retrait de l’opération Barkhane, mais un effacement au sein d’un collectif euro-africain centré sur le dispositif de forces spéciales Takuba, complété par les formations dispensées au G 5 panafricain. La colère – et le dépit – d’E. Macron semblaient sérieux et destinés au Tchad, où s’opérait une succession ‘’dynastique’’ au défunt président Idris Debby. Le fils du chef de guerre a néanmoins été reçu à l’Elysée, un premier signal pour le moins ambigu. La colère jupitérienne n’aura-t-elle été que théâtrale et forcée ?


Le ministère français des Armées vient d’annoncer, le 2 juillet, la reprise de ses opérations conjointes avec les Forces armées maliennes (FAMa). ‘’A l’issue de consultations avec les autorités maliennes de transition et les pays de la région, la France prend acte des engagements des autorités maliennes de transition endossés par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Elle a décidé la reprise des opérations militaires conjointes ainsi que des missions nationales de conseil, qui étaient suspendues depuis le 3 juin’’. Rient d’exprimé, cependant, au niveau du sommet, qui n’a pas mangé son chapeau mais a clos l’épisode du dépit. On se contente de varier les humeurs. Il faudra vérifier si les Maliens, les Africains et les Américains (qui veillent au grain) avaient pris l’alerte au sérieux. Ce n’est pas certain.


Le colonel Assimi Goïta, dictateur de son état à Bamako, sait trop bien que son pays constitue un théâtre crucial pour la stabilité euro-sahélienne et qu’il n’a donc pas trop à s’inquiéter, puisque – la chose a été dite sans fard – Barkhane y opère pour protéger le flanc Sud de l’Europe contre les nébuleuses jihadistes, pas vraiment pour sécuriser l’avenir des Maliens et de leurs voisins : le dispositif armé va donc rester sur théâtre. Il sait aussi qu’il sera bientôt reçu – discrètement – à l’Elysée et que ses hôtes, tout en empruntant opportunément à la culture de la ‘’FrançAfrique’’, sauront convaincre les Français qu’il y va de leur sécurité (une cause qui a bon dos). Ainsi, chacun y trouvera son compte : les putschistes se verront légitimés et les Français, rassurés. Quant aux militaires, au sein d’un Barkhane ‘’resserré’’, ils resteront branchés sur la logistique et le renseignement américain – il y là comme une mesure de sous-traitance – et hautement contributeurs à la cause européenne : ‘’La France reste pleinement engagée, avec ses alliés européens et américains, aux côtés des pays sahéliens et des missions internationales’’.

Au même moment, vingt ans d’intervention militaire massive et couteuse en Afghanistan des forces occidentales tournent au désastre absolu. Avant même le retrait des derniers échelons américains, les Talibans conduisent une offensive générale. Les institutions civiles mises en place pour les tenir à l’écart s’effondrent rapidement, l’armée de Kaboul se débande et certains de ses éléments s’enfuient même au Tadjikistan voisin ! L’Occident n’a toujours pas compris qu’une guerre idéologique n’est gagnable que par adhésion massive des populations et déploiement de moyens de développement humain. Occuper lourdement le terrain ne contribue qu’à rendre les armées étrangères insupportables. D’un autre côté, saturer le terrain d’investissements en ‘’soft power’’, en principe destinés à la population, peut aboutir au contraire à exacerber les inégalités, la corruption et les tensions idéologiques et sociales, si la gouvernance politique locale se révèle trop médiocre. Il peut y avoir de subtiles combinaisons de moyens et de pressions mais il n’existe aucune recette universelle. Ou elle reste à trouver. En revanche les sondages peuvent servir à pointer l’échec sûr et certain : ne pas insister alors. Sur cette base, nos hauts stratèges ont-ils tiré les leçons de Kaboul et préparé des plans B, C, D pour défendre le flanc sud de l’Europe contre le jihadisme ?

* 11 juin 2021 – Honni soit qui Mali panse !

Avec l’annonce du démembrement de Barkhane, Emmanuel Macron lâche une tempête dans un ciel géostratégique chargé de déceptions et de menaces. Les 5100 combattants de l’opération française lancée en 2014, à la suite de Serval, quitteront bientôt leurs bases dans le nord du Mali. Ce n’est pas un abandon, puisque les populations locales ne veulent plus d’eux et que le gouvernement de Bamako a renoncé à ses fonctions d’Etat dans cette vaste zone. La succession des coups d’Etat ou des  »transitions » militaires, dans au moins deux des cinq Etats considérés, a rendu irréversible la coupure, ancienne, entre les capitales et les régions investies par les jihadistes. Sauf à revenir aux méthodes coloniales… et encore… le volet politique de la guerre en cours – celui qui touche à l’incarnation et à la mission des Etats auprès des Africains – est failli. C’est une première défaite face aux franchisés de Daech et d’Al Qaïda. Elle était annoncée, mais la politique locale ayant pris un tour destructeur, cela a précipité les choses. En creux, le président français reconnaît l’échec tout en dégageant sa responsabilité. Reste l’autre responsabilité, celle d’un engagement militaire asymétrique dans lequel s’enlise une armée occidentale. Il est évocateur du conflit afghan, où, face à la puissance américaine, les Talibans sont en passe de gagner la guerre. La France veut éviter de porter, seule, le poids d’une opération militaire certes vaillante mais qui s’éternise sans issue possible. Ce blog a souvent relevé qu’une fois perdues l’adhésion et la mobilisation des Africains eux-mêmes, l’intervention armée française perdait son sens et prenait l’aspect d’une occupation croisée. On y est.

Paris rebondit sur ce qui était la principale ambiguïté de l’opération Barkhane : combattre pour le Sahel ou pour protéger le flanc Sud de l’Europe ? C’est la seconde option qui est retenue, même si l’on voit mal comment on pourrait délier les deux espaces stratégiques, dont l’un est le rempart de l’autre. Un nombre limité de soldats français va donc poursuivre les opérations anti-jihadistes, mais sur la zone des trois frontières, d’où des infiltrations se multiplient vers l’Afrique occidentale. C’est un pari et il n’est pas gagné d’avance. D’abord, parce que la propension des classes politiques locales à négocier voire à frayer avec les mouvements jihadistes pourrait rendre ce déploiement de forces spéciales tout aussi inopérant qu’au Mali. Un basculement des opinion nationales est possible. Le ressentiment pourrait s’aiguiser à l’égard d’une  »France qui vous lâche ». C’est un paradoxe : trop présente ou trop absente, la France s’exposera de toute façon à leurs yeux, puisqu’elle met en exergue la faiblesse des Etats africains. Cette amertume ne peut qu’être attisée par le choix assumé du président français de servir l’Europe plutôt que les Africains. Le faire savoir n’était pas très habile et montrer du dépit, non plus.

Ensuite, c’est un défi lancé, soudainement, à nos alliés occidentaux, au moment où le président américain vient, en visite inaugurale,  »choyer les Européens ». Biden, les partenaires européens de la France et l’OTAN se voient placés devant un dilemme : prendre le relais de Barkhane – sous conduite français des opérations – ou partager les fautes et les conséquences, dans une perspective de défaite. Ne pas réagir rendrait vaines les opérations de grande ampleur menées au Moyen-Orient depuis 2014, contre les centrales jihadistes. Mais qui souhaite vraiment tirer les conséquences de ce que le terrorisme moyen-oriental s’est transféré en Afrique ? Ce coup de semonce va rester en travers de la gorge de nos alliés. Ils font tous face à des électeurs qui ne veulent, pour rien au monde, voir leur pays s’engager dans une croisade militaire aussi incertaine. La politique intérieure se cache dans tous les interstices de la politique extérieure. En ce sens, E. Macron fait aussi un pari sur son propre avenir.

* 31 mai – Retenez-moi ou Je m’en vais !

Voilà le message adressé aux dirigeants de la Cédéao. Ils étaient réunis au Ghana pour tirer les conséquences du deuxième coup d’État perpétré au Mali en moins d’un an. Plutôt que la relative sévérité manifestée, par ses pairs, au colonel Goïta, on retiendra ce ‘’Je’’ très monarchique d’Emmanuel Macron, prononcé à distance, par le truchement du Journal du dimanche. Tout va mal au Mali, c’est certain. Depuis la dernière réunion du G 5 consacrée à la ‘’résurrection’’ des Etats du Sahel dans le rôle qu’ils ont déserté au service de la paix civile, trois coups d’Etat et une régression des institutions étatiques quasi-générale laissent ‘’Je’’ (Jupiter) désarmé et furieux. ‘’Je’’ va-t-il rappeler la force Barkhane ? La colère de ‘’Je’’ constitue-t-elle le nouveau cap de la politique étrangère de la France en Afrique ?


Ce qui frappe au premier chef, c’est le pessimisme du maître des horloges diplomatiques. Le coup d’Etat dans le coup d’Etat à Bamako est ‘’inadmissible’’, cela va de soi. ‘’Il y a aujourd’hui cette  »tentation » au Mali ‘’ : il aura fallu huit ans pour constater la propension des populations à pencher plutôt du côté de leurs traditions culturelles et religieuses que du côté du sauveur blanc, qui débarque avec son arsenal et son mode de pensée exogène. Combien de temps faudra-t-il encore pour arriver à un constat ‘’à l’afghane’’ ? Alors qu’une défaite annoncée à Kaboul resterait dans les confins septentrionaux de l’Asie du Sud, ce qui est déjà grave, ‘’perdre le Sahel’’ serait par comparaison synonyme d’un basculement géopolitique bien plus dramatique : celui de l’ensemble sub-saharien, d’une cinquantaine d’Etats fragiles, d’un pôle démographique de l’ampleur du monde chinois. Le Maghreb, déjà affecté, n‘y résisterait sans doute pas. La rive nord de la Méditerranée deviendrait alors la ligne de front de l’Europe. Qui n’éprouverait pas un certain vertige devant une telle perspective ?

E. Macron ne s’y réfère qu’indirectement, à peine implicitement. Pourtant le déferlement jihadiste, favorisé par une préférence (illusoire) des populations pour la soumission pacifique à l’Islam politique, ne peut qu’alimenter sa crainte de voir la France partager une défaite majeure devant l’Histoire (et aussi devant l’électorat de la prochaine présidentielle). A l’évidence, le président français bluffe, quand il menace de retirer les 5100 militaires de Barkhane, quand bien même ce retrait est hautement recherché, mais dans des circonstances plus favorables. Comme toujours l’Histoire est traîtresse, même à l’égard de ‘’Je’’ Il n’existe pas de plan B honorable, pour l’heure. Pousser les feux de l’aide au développement et « investir massivement » dans un plan Marshall pour l’Afrique subsahélienne, l’idée n’est pas nouvelle ni très efficace sans gouvernance digne de ce nom. Elle sert surtout à mettre la trop fameuse (et inconsistante) ‘’communauté internationale’’ devant sa part de responsabilité… et de culpabilité. Souvenons-nous comme elle avait fui le Rwanda a l’heure du génocide ! Mettre la pression sur les prétoriens qui se déchirent à Bamako : tout le monde le fait, ça ne coûte rien et ça ne changera pas grand-chose non plus. Mettre au défi le G 5 d’opérer militairement sans ses appuis français : autant renoncer à tout plan B. Secouer les dirigeants de la CEDEAO : il faudra du temps pour qu’ils intègrent une vision géopolitique de la menace pesant sur leur région. Ils ne raisonnent pas en ces termes-là. Finalement, la cible imparable des critiques macroniennes ce sont les populations du Sahel elles-mêmes, lorsqu’il dénonce leur ‘’tentation’’ de céder aux islamistes radicaux et d’accepter une contagion à l’échelle continentale. C’est à la fois cyniquement réaliste et très inquiétant pour la suite du conflit. En clair : si les Africains tiennent à ‘’se suicider’’, qui sont les Français pour les en empêcher ? Ce type de propos, plutôt malheureux, fait écho à une autre ‘’tentation’’, du côté français, celle-là : désengager sa responsabilité en invoquant celle des autres, pour le cas où la situation sur le terrain passerait de ‘’mauvaise’’ à ‘’irrémédiable’’.

* 26 mai – De putsch en putsch

N’avez-vous pas l’impression que l’Afrique est en passe de s’abandonner à une ruée jihado-bandito-tribaliste, qui emporte tout sur son passage y compris la soumission des peuples ? En termes strictement synonymes, le continent noir n’est-il pas  »gouverné » ou seulement pillé par des professionnels du pouvoir presqu’aussi toxiques que la vague qui déferle sur eux ? A bien considérer la suite de putschs au Mali – mais aussi au Niger et au Tchad, voisins – on devine des armées française et européennes bientôt vaincues dans la grande région du Sahel, moins par les armes adverses que par l’absence d’alliés politiques locaux qui puissent faire la liaison avec les peuples en suscitant chez ceux-ci un sursaut citoyen. L’Afrique subsaharienne n’aurait-elle aucun réflexe de défense, seulement des querelles picrocholines de pouvoir ?
Un coup d’Etat au sein d’un coup d’Etat (formule d’E. Macron, au Conseil européen), qui succède à l’autocratie d’un putschiste, qui, tout comme ses pairs, truquait régulièrement les élections avec la complicité de tous les organes de l’Etat. Et vous pouvez remonter de même jusqu’à l’indépendance. Les putschistes auto-installés pour une transition à laquelle personne ne croit vont nuitamment éliminer leurs camarades co-putschistes pour se hisser à nouveau aux affaires et à l’argent. Voici une description à peine forcée des évènements récents au Mali et au sein du G 5, qui est censé prendre le relai de l’opération Barkhane. Ces parodies tristes de vie politique, se résumant à une prédation pure, sont entretenues au sein d’un mouchoir de poche social, par les mêmes prétoriens et hauts fonctionnaires issus des mêmes familles et des mêmes circuits clientélistes ou tribaux. Trop peu de citoyens africains voient clair et cherchent à agir face à cette stratégie de mort lente (pas si lente) et leur absence de discernement vaut une forme de collaboration avec l’ennemi. Franchement, cet état des lieux est du gâteau pour toutes les franchises d’Al Qaïda ou de Daech qui travaillent à faire de ce grand continent une forteresse mondiale de l’islamo-banditisme. Les militaires français se sentent seuls et surtout sans cause porteuse à défendre auprès des populations qu’ils sont censés protéger mais qui restent étanches à toute considération géopolitique, voulant seulement qu’on cesse de tourner autour d’elles.


Au lendemain du plus récent coup de force des militaires maliens, le colonel Assimi Goïta affirme avoir dû ‘’placer hors de leurs prérogatives’’ le président intérimaire non-élu, Bah Ndaw, et le Premier ministre aux ordres, Moctar Ouane. Et alors, hormis ce langage bureaucratico-fleuri, ça va changer quelque chose ? Non. D’ailleurs, les appels ‘’citoyens’’ à se rassembler à Bamako pour protester n’ont trouvé aucun écho. Les militaires, qu’une foule un peu simplette avait accueillis avec enthousiasme, se voient, ces jours derniers, exposés au soupçon d’avoir trop pris goût au pouvoir. Rien ne change, décidemment ! On nous parle d’’’intenses activités diplomatiques’’ autour d’un Mali, plongé dans son inextricable crise et de la venue prochaine du médiateur des États ouest-africains, Goodluck Jonathan. Certes ! Un jour prochain, la crise du Mali s’éteindra d’elle-même, car il ‘y aura plus de Mali (déjà aux deux tiers dissous hors du contrôle de sa capitale) mais juste un ‘’grand Sahel islamique’’ et une ligne de défense européenne repliée sur la Méditerranée. Déprimant !