*10 juin – Hello, Old Joe !

Bush était allé au Mexique, Trump en Arabie saoudite, Joe Biden choisit l’Europe pour la visite inaugurale de sa présidence. Il débarque au Royaume Uni avec son Irlande ancestrale à l’esprit, principale ‘’victime du Brexit’’ ; il arrive sur le vieux continent avec des annonces vaccinales pour le monde émergent; il parlera au cœur de l’OTAN avec le souci de ‘’souder’’ (sic) la solidarité occidentale face aux puissances totalitaires ; il tournera dans le grand musée européen de la révolution industrielle avec une détermination inébranlable à refouler l’ambition hégémonique de la Chine. Ce dernier thème, le seul qui fasse l’objet d’un consensus au Congrès, pourrait marquer plus que tout autre cette première tournée à l’étranger, celle du ‘’retour » de l’Amérique. ‘’Mon voyage en Europe est l’occasion pour l’Amérique de mobiliser les démocraties du monde entier‘’. Après la période de grâce ouverte par son arrivée aux affaires, les Européens réajustent leur perception de ‘’Papy Joe’’ : la nouvelle administration ne va-t-elle pas ressortir le mantra du leadership mondial ? L’Union Européenne ne se retrouvera-t-elle pas, comme toujours, à jouer la partition du ‘’fidèle allié’’, alors que sa vocation devrait être celle d’un partenaire égal ?

L’appétence de Joe pour les dossiers internationaux ne date pas d’hier. Il arrive avec des habitudes datant de sa vice-présidence sous Obama et, avant cela, de trois décennies de diplomatie au sein de la Commission des AE du Sénat. Au seuil de ‘’l’orgie de sommets’’ de huit jours qu’il entame, il connaît tout le monde, a une idée sur chacun et peut désormais exprimer ses préférences personnelles. Le programme est dense : G7 de vendredi à dimanche, Otan lundi, Etats-Unis /Union européenne, mardi. Il culminera sur un tête-à-tête avec Vladimir Poutine, mercredi à Genève, où il va devoir démontrer tout son punch sous peine de se retrouver en difficulté face à son congrès.L’autocrate russe est-il, de son côté, désireux d’une relation plus stable et plus prévisible avec Washington ?

Premier arrêt : Londres, pour un sommet bilatéral avec Boris Johnson, jeudi ; dimanche, la protocolaire et prestigieuse visite à la reine Elizabeth II. Peut-être sera-t-il plus facile de parler d’ouverture et de paix avec celle-ci qu’avec son inconséquent et peu scrupuleux premier ministre. De toute façon, Londres s’affichera comme la principale tête de pont des Etats Unis en matière de vitalité de l’Alliance atlantique. Après la rupture recherchée par Trump, les autres capitales sont rassurées de ce retour, mais aussi un rien appréhensives quant aux évolutions internes à plus long terme de la première puissance du monde, alors que les forces populistes ou suprémacistes y restent puissantes.

A Bruxelles Biden multipliera les rencontres bilatérales. Il aura des paroles d’hommage pour l’Union Européenne mais ira-t-il plus loin que ces douceurs oratoires pour encourager la parité entre Venus-UE et Mars-USA ? On va scruter ses intentions de près. Quant à son message au G7 pour la ‘’périphérie’’ (‘’the rest of the world’’), Biden, qui se sait critiqué pour avoir tardé à partager ses vaccins contre le Covid-19, a annoncé une livraison massive de doses de vaccins, d’ici fin juin, au dispositif de partage Covax. Rendez-vous bientôt pour examiner ce qu’en pense Xi Jinping.

* 3 mai – Les cent premiers jours rétablissent la confiance

Il fait ce qu’il a dit sérieusement et rapidement. Au terme de cent jours de ‘’réparation de l’Amérique’’ depuis la Maison Blanche, Joe Biden, politicien démocrate sans aspérité, apparaît presque comme un ange par rapport à son toxique prédécesseur. Mais surtout il agit en sage pressé de remettre son pays en selle, avant que son temps ne s’achève. Sa période de grâce aura été un chantier besogneux mené au pas cadencé. Les changements tous-azimuts font ressurgir une Amérique bien plus rassurante et partenariale (pour l’Europe) mais aussi ferme et impériale vis-à-vis de ses adversaires systémiques. On en oublierait presque la persistance des maux intérieurs qui ont eu raison du ‘’rêve américain’’ : inégalités extrêmes, failles des systèmes social et éducatif, violence armée, racisme et suprématisme, mode de vie gaspilleur, etc. Comme Roosevelt avant lui, Biden ambitionne de s’y attaquer. Mais il faudra bien sûr plus qu’un mandat présidentiel pour consolider la société américaine de l’intérieur… si toutefois la tâche s’avère possible.

Le cap est tracé, en tout cas. Par son comportement, son souci – en bon Papy – de la société, sa volonté de rallier à lui les gouverneurs des états et leurs particularismes, mais surtout par la conception de ses programmes, il s’efforce de projeter l’image d’un gouvernement fédéral qui protège et qui soigne. Préparé depuis son purgatoire dans l’opposition, sa campagne magistrale de vaccination contre le COVID donne à l’Exécutif washingtonien une image autrement plus avenante et efficace que les habituels préjugés ruminés dans l’arrière-pays. Biden compte rebondir à partir de là pour combler les déficits accumulés en matière de santé, d’éducation, d’infrastructures, de revenu des foyers avec enfants et même pour s’atteler à la question – symbole de souveraineté locale s’il en est – de la libre circulation des armes, laquelle, induit, elle aussi, un coût absurde pour la société.

Du côté des recettes (fiscales), il annonce cibler la minorité des infiniment riches, qui n’a cessé de creuser son écart de patrimoine abyssal avec les classes moyennes. Avec une cagnotte (empruntée) de plus de 2000 milliards de $, il s’emploie à doper l’économie en s’appuyant sur la consommation des classes moyennes. La pandémie dictant un cours d’urgence, les Républicains se sont, de leur côté, départis du favoritisme fiscal pro-riches et de la non-implication de l’administration dans l’économie, qui constituaient leur doxa sous Trump. Une sorte de retour à la loi de la jungle et en même temps à celle du casino constitue le seul horizon politique qu’ils promeuvent pour revenir aux affaires. Tant que le balancier de la politique glisse à gauche, l’administration Biden continuera à engranger des résultats. Mais il ne faut pas la sanctifier : les temps des contradictions va revenir, les erreurs et les inerties gripperont puis bloqueront peut-être les mécanismes de la gouvernance. Il n’empêche que ces succès obtenus à recréer de la confiance, du respect et de l’optimisme dans la population resteront des atouts forts pour affronter la suite. A bon entendeur européen, salut !

* 11 mars – Match Potus – Confucius

Si Donald Trump se montrait surtout agressif et protectionniste à l’égard de la Chine, jouant avec délectation sur le registre des taxes commerciales, son successeur ne s’annonce guère plus indulgent. Depuis l’époque Clinton, Pékin est perçu comme un rival stratégique menaçant, par la classe politique américaine, Démocrates et Républicains confondus. Une méfiance ‘’systémique’’ a guidé les administrations précédentes. Nulle surprise que le dossier ‘’Chine’’ soit la priorité déclarée de la politique étrangère actuelle . Joe Biden a clairement marqué qu’il optait pour l’endiguement (‘’containment’’, en anglais), un mode combinant le bras de fer avec une dose de partenariat raisonné, afin d’éviter l’emballement vers un affrontement frontal dont personne ne veut. L’Amérique ne peut pas faire non plus abstraction de l’imbrication de son économie et des ses finances avec son adversaire principal. La Chine non plus.

Néanmoins, le président démocrate entend bâtir un rapport de force qui lui soit plus favorable, face aux ambitions hégémoniques de la Chine. L’idée est de multiplier les alliances avec les contrepoids disponibles. En prémices au premier dialogue direct sino-américain, prévu la semaine prochaine en Alaska, il mobilise le ‘’Quad’’, un forum de puissances de la zone indo-pacifique (États-Unis, Australie, Inde et Japon) toutes également inquiètes des ambitions stratégiques chinoises. Parallèlement, les Secrétaires d’état et de la défense se rendront en Corée du Sud et au Japon, pour s’entretenir du même sujet. Créé en 2007, le Quad avait très peu fonctionné sous les prédécesseurs de Biden, mais devrait devenir une composante de la politique d’endiguement. Loin d’être innocent, cet outil présente une capacité – limitée mais préoccupante – à accentuer la division de l’Asie en blocs concurrents. Ces concertations à quatre préparent une échéance : celle du premier contact officiel entre les États-Unis et la Chine, à en Alaska, réunissant Anthony Blinken (Secrétaire d’Etat) et Jake Sulliban (Conseiller à la Sécurité nationale), pour les Etats Unis et, côté chinois, Wang Yi (ministre des Affaires étrangères) et Yang Jiechi (son prédécesseur et mentor au sein du Bureau politique), les deux plus hauts responsables des relations internationales du PCC. Cette rencontre ne remettra pas en cause le maintien d’un fil de dialogue entre les deux capitales. En revanche, elle permettra aux deux parties de mieux cerner ce qui ressort de la part – insoluble – de rivalité (le leadership stratégique, les droits humains…) et ce qui peut rééquilibrer la relation dans le sens de progrès (la priorité climatique, la santé, les complémentarités économiques…). La précédente guerre froide américano-soviétique avait accouché d’un âge de raison : la détente. Elle fut temporaire mais constructive. Joe Biden ni Xi Jinping (qui se sont rencontrés quand le premier était vice-président) ne l’ont sûrement pas oublié.

* 28 février – Majesté, votre fils, cet assassin…

Le coup de fil de Joe Biden au roi d’Arabie Saoudite a quelque chose de réconfortant. Nul ne doutait un seul instant que Mohammed Ben Salmane avait bien commandité la mise à mort horrible du journaliste (proche de la famille régnante) Khashoggi, dans les locaux du consulat d’Arabie à Istamboul. Mais publier le rapport très explicite de la CIA, qui ne laisse aucun doute là-dessus, en l’accompagnant d’un aimable boniment au père, voilà qui a de la classe… et du fond ! Washington avait déjà, dans les jours précédents, ‘’coupé le robinet’’ des armements utilisés dans le conflit yéménite, autre caprice sanglant du fougueux MBS, cette réincarnation en pire du jeune Abdallah des aventures de Tintin (il débarque à Moulinsart et se met immédiatement à torturer l’impavide maître d’hôtel, Nestor, en mentant effrontément). Le wahhâbisme et les féodaux qui font subir leur délire à la planète n’ont plus la cote à l’international, même si, pour limiter la crise bilatérale, le secrétaire d’Etat, A. Blinken, concède mollement qu’un partenariat arabo-américain se maintient en mode mineur. Le pétrole n’en est quasiment plus la dominante et le renseignement, même s’il était prolixe, serait d’une fiabilité douteuse. Les bases militaires sont d’utilisation moins libérale que celles de Bahreïn et du Qatar. Reste la précaution consistant à ne pas (trop) déstabiliser la dynastie antipathique des Saoud, pour ne pas provoquer une révolution de type ‘’république Islamique’’, à Riyad, en version sunnite. Biden a agi très fort, mais il ne peut se permettre d’aller jusqu’à sonner le branle-bas au profit des nombreux ennemis musulmans de ce régime, à commencer par l’Iran, qui ne rêve que d’abattre les gardiens de La Mecque. Le Moyen Orient est déjà assez incandescent tel que. Les droits humains peuvent y gagner si la ‘’khashoggisation’’ (inventer un terme stigmatisant coûtant moins cher que d’envoyer la troupe) des régimes voyous s’établit, crise après crise, comme une norme. Les Etats-Unis ont franchit un pas dans la bonne direction, mais ils ne sont malheureusement pas près de passer la main à la Cour Pénale Internationale, qu’ils ne reconnaissent pas (ni les états du Moyen-Orient, d’ailleurs). Ce serait peut-être à l’Europe d’assurer la suite, bien qu’elle ait manifestement la tête ailleurs.