* 18 avril –  Traite des exilés et jugement de Dieu

Vraiment pas drôle ! Alors qu’à l’Est de l’Europe la démocratie se bat pour survivre, sur la Manche et sur sa rive Nord, la plus ancienne des démocraties s’échine à déporter en masse des malheureux, comme au 19 ème siècle puis sous Staline. A Londres, quelques-uns marchent sur la tête ! Le fait est là : le gouvernement de Boris Johnson a annoncé, le 14 avril, un accord avec celui de Kigali (Rwanda) visant à transférer manu militari, dans ce pays distant de 6500 kms, les demandeurs d’asile parvenus ‘’illégalement’’ au Royaume-Uni : un non-sens puisque fugitifs, ceux-ci n’ont pas à justifier d’un visa mais seulement des persécutions avérées ou justement craintes qu’ils ont subies.

L’accord de déportation a été négocié en secret, depuis neuf mois, entre Londres et Kigali. Contre une généreuse rétribution, il vise à dissuader les passages par la Manche – entre 500 et mille par jour, en bateaux pneumatiques ou dans des camions – et à donner consistance aux promesses xénophobes du Brexit : moins de résidents étrangers, plus de contrôle des frontières. Hypocritement, Boris Johnson maquille ses motivations en une lutte contre les passeurs ‘’lesquels engendrent trop de misère humaine et de morts’’ (petite larme émue). Il admet, un peu moins fuyant, ‘’vouloir en finir avec l’immigration illégale… le seul moyen d’accueillir ceux qui ont vraiment besoin de protection’’.

Mais les accueillir où ? Apparemment, si certains de ces exilés devaient décrocher le statut de réfugié, ce serait de la part du Rwanda et pour y rester. Contre toutes les dispositions de la Convention de Genève sur les réfugiés, il s’agit, donc d’un projet de refoulement pur et simple britannique doublé d’un examen des cas par les autorités rwandaises. Aucune garantie de protection ne serait alors donnée aux intéressés, au bout du compte. Pour ceux qui seraient déboutés, libre aux autorités rwandaises d’en faire ce qu’elles veulent. L’on sait qu’elles ne sont pas réputées pour leur comportement humanitaire ni démocratique, que la torture y a toujours cours … qu’importe !

Le Royaume Uni vit, avec cette pénible affaire, un nouvel épisode de son Brexit. Il est clair que la plupart des Brexiters idéologiques s’accommoderaient parfaitement de de dévoiement du droit. Des précédents existent, notamment de la part du très xénophobe premier ministre libéral australien, Scott Morrison, mais Canberra n’a jamais délégué à Nauru ou au gouvernement papou – ses garde-chiourmes stipendiés – le soin de statuer sur le sort administratif des retenus à jamais parqués dans leurs camps. Pour le monde comme pour l’Europe, Johnson et sa ministre de l’Intérieur, Priti Patel, ont conçu une monstrueuse première, qui pourrait bien leur revenir en pleine face, par effet boomerang. Il y a trop d’ambiguïté à jouer ainsi avec les fêtes de Pâques, l’actualité ukrainienne très prégnante et, qui sait, peut-être aussi l’effet repoussoir du second tour de la présidentielle, en France.

Dès l’annonce du dispositif, les associations humanitaires britanniques ont bien sûr crié au loup. Johnson lui-même s’attend à des recours en justice. Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR) fait écho aux ONG. L’opposition parlementaire travailliste a appelé le Gouvernement tory à démissionner pour cette nouvelle forfaiture venant après le scandale des fêtes pendant les confinements. La presse insulaire évoque le risque d’une mutinerie au sein de la fonction publique, certains bureaucrates menaçant même de démissionner. Plus percutant, en pleine semaine sainte, la hiérarchie de l’Église anglicane pointe du doigt de ‘’graves questions éthiques’’.  La faute ‘’ne pourra pas survivre au jugement de Dieu’’. Que dire de plus ?  Que Boris, le populiste sans vergogne, n’est pas encore sorti de l’auberge, ni très stable au 10 Downing Street.

* 31 octobre – Wait and see if we sink !

Brèves des jours précédents

Le Royaume Uni fait silence. Toutes sortes de tuiles lui tombent sur la tête mais aucun message n’en émane pour caractériser la crise, à fortiori pour s’en extraire. L’échéance du 15 octobre, fixée par B. Johnson comme butoir de la négociation du partenariat post-Brexit avec l’UE, est passée sans commentaire aucun. A elle seule, elle constituait pourtant la totalité du programme du nouveau premier ministre britannique. Plus pragmatiques, ses interlocuteurs à Bruxelles ont fixé le couperet en fonction des délais de ratification d’un futur traité par les Etats-membres. Il semble que ceci permettrait d’étirer l’échéancier sur une semaine supplémentaire ou deux, en novembre. Londres ne pipe pas, ne voulant pas assumer elle-même la fin de partie  (il conviendra d’en accuser la partie européenne, le moment venu).

Mais elle souhaite surtout  garder deux fers au feu. Si D. Trump est réélu, les Conservateurs rêvent qu’il leur lancera alors une bouée de sauvetage, leur ouvrant tout grand la voie d’un libre-échange renforcé et privilégié avec les Etats-Unis. Un pari teinté d’illusions, à en croire les conditions très impopulaires imposées par Washington en matières d’échanges agro-alimentaires et de services médicaux. Si c’est J Biden qui remporte le scrutin, il se montrera assez sévère à leur égard. Peut-être faudra-t-il alors, pour le gouvernement britannique, se ménager un accord substantiel avec les 27, en accordant donc une importance particulière à la question de la frontière intra-irlandaise. Bref, l’heure n‘est pas à dévoiler des intentions mais à gagner du temps pour décrypter celles des autres joueurs.

In peto, Johnson privilégiera toujours la bonne vieille ‘’relation spéciale avec Washington’’. Sa détestation de l’UE et son soutien indéfectible à l’Alliance atlantique en attestent. L’an dernier, D. Trump s’était ouvertement réjoui de l’arrivée au n° 10 d’un dirigeant anglais populiste, avec lequel il entretient des atomes crochus (ce qui n’était pas le cas avec Theresa May). Grand partisan du Brexit, il a un peu rapidement promis, dès la sortie de l’UE, la conclusion de l’accord commercial bilatéral dont la concrétisation ne paraît plus du tout évidente. J. Biden, lui, se montre foncièrement hostile au divorce britannique de l’UE. Lorsque Westminster a adopté la loi permettant de renier les engagements internationaux du Royaume concernant l’Irlande, le candidat démocrate a prévenu Johnson que le partenariat avec les Etats Unis s’en trouvait affecté. On redoute, outre-Manche, que lui-même et Kamala Harris – née en Martinique – soient plus proches de Paris que de Londres. Frightening !

* 29 octobre – reconfinons-nous !

Face à la dureté des temps, le repli sur l’humain s’impose. Certes, l’analyse politique fait appel aux données sanitaires, telles la pandémie de Covid. Mais la seconde vague, dont nos autorités prédisent qu’elle sera ‘’dure et plus meurtrière que la première’’, nous ramène à nos fragilités et incertitudes familiales et personnelles.

Les Européens sont au seuil d’une épreuve sans précédent pour les générations actuelles, peut-être comparable à la grippe espagnole de 1918-19, avec au-dessus de leurs têtes, le spectre de plusieurs centaines de milliers de morts supplémentaires. Heureusement, les ressources bien plus considérables dont on dispose pour l’affronter permettront d’éviter l’hécatombe humaine. Mais pas la détresse, l’appauvrissement, le ‘’chacun pour soi’’. Ursula van der Leyen prône courageusement une mutualisation, par les 27, des régimes de circulation et de gestion des frontières, de dépistage, de production des tests et des futurs vaccins. Même si la Commission ne s’est pas vu confier de compétences en la matière, le Parlement et le Conseil européens seraient bien inspirés de la soutenir.

Au-delà de l’urgence sanitaire, le politique s’efface. Le désastre que va constituer la rupture ‘’sèche’’ du Royaume Uni d’avec son voisinage européen se diluera dans le Covid. B. Johnson, le capitaine ivre, pourra imputer à la tempête océane- et non à son irresponsabilité politique – la cause du naufrage de son navire. Son comparse, D. Trump, ne pourra sans doute pas le sauver si, par malheur, il était réélu. Gestionnaire des Etats Unis en commerçant mafieux, il continuera à ‘’rouler pour lui-même’’ et n’aura d’empathie pour personne. La crise sociale finira de toute façon par l’abattre. J. Biden, d’origine irlandaise, digère mal l’abandon par Johnson du dispositif de paix et de libre échange liant l’île de ces ancêtres à l’Ulster britannique… et sans doute aussi la complicité Boris-Donald contre lui. Le 3 novembre sera un épisode Covid parmi d’autres et moins un moment fort de la démocratie. D’ailleurs, tout est préparé pour que celle-ci tombe malade de contentieux en cascade.

Au-delà de l’Occident, les autocrates du monde continueront à être jugés sur leur inaptitude à gérer la pandémie et les peuples revendiquant leurs droits – ils sont nombreux de la Biélorussie au monde arabo-musulman – à être étouffés, réprimés, abandonnés. La première vague en avait déjà apporté de tristes illustrations. N‘y pensons plus et reconfinons-nous !

*16 octobre – Boris breaks it

Brèves des jours précédents

Le 15 octobre est passé, comme la marque d’un déni. C’était l’échéance ultime fixée par Boris Johnson pour conclure avec l’UE un accord post-Brexit à dominante économique et commerciale, mais pas que. Une façon aussi de narguer les 27 dont l’objectif reste de conclure à temps, pour que le nouveau partenariat puisse être adopté par les parlements et rentrer en vigueur avant la fin de l’année. Comme la phase de  ratification nécessite deux mois, le décalage des deux calendriers est en fait minime : deux semaines environ, mais l’état d’esprit est très différent.

C’est sur un constat d’impasse que le Conseil européen se réunit ce week-end. L’échec se rapproche et Londres paraît l’anticiper avec une sorte de jubilation masochiste. Le Royaume Uni est plus que jamais vent debout contre l’adoption d’un code de concurrence loyale et d’arbitrage des différends organisant son maintien dans la libre circulation des biens au sein du marché unique. Londres tente, sans plus, de sauver l’activité internationale de la City, sans faire de concession substantielle sur l’accès à sa zone de pêche, au nom d’intérêts électoraux minuscules. Par fierté nationale et inclination vers un modèle ultra-libéral ‘’à la singapourienne’’, il n’est plus question d’accepter quel mécanisme de régulation bruxellois que ce soit. Le grand large, encore le grand large ! Mais on chercherait en vain ces partenaires lointains, à même de compenser les déficits qu’enregistreront ses comptes avec le continent européen voisin. Attendre, en particulier, que le salut vienne des Etats-Unis, dans la situation pitoyable où se trouve la première puissance mondiale, tient de la pure folie. De plus, l’économie britannique apparaît bien malade du Covid pour pouvoir encore naviguer en solitaire.

Dans ces circonstances, le grand large verra probablement se lever la tempête. Le tempérament à frasques de Boris Johnson, de plus en plus impopulaire dans son pays, n’explique pas tout. Westminster a adopté  une loi sur la frontière commerciale en Irlande du Nord qui attente à l’accord de paix de 1998 et viole l’accord politique général conclu avec l’Europe en 2019. La crédit accordé à la parole de Londres en prend un coup. Les Gallois et les Ecossais ont, de même, compris, à l’occasion des mesures géographiquement déséquilibrées adoptées contre la circulation du Covid, que le gouvernement britannique ‘’roulait’’ pour sa base électorale anglaise (la partie populiste de celle-ci) et n’hésitait pas à piétiner leurs intérêts. Le Royaume reste un, mais assez désuni. Surtout, l’esprit de 2016, quand des millions de sujets de la Reine défilaient dans les rues en exigeant un second referendum sur le Brexit, s’est complètement évaporé. La capacité de résilience de l’opposition s’est usée avec le temps et avec des élections générales qui lui ont été très défavorables. Le sentiment – réaliste – qu’un ‘’hard Brexit’’ ne sera pas évité s’est propagé dans les esprits. Seul prévaut un brouillard de fatalisme et de désillusion, face à l’inexorable. Une vraie stratégie pour une défaite.