Doit-on railler celui qui a si constamment »déraillé » ? La géopolitique n’est pas matière à défoulement. Mais, quand même, l’envie ne manque pas de ricaner un peu sur la piteuse (prochaine) fin du Berlusconi britannique. Ses incessants mensonges, son irresponsabilité congénitale, ses désastreux choix politiques ont (presque) eu raison de lui. A deux importantes nuances près :
-Boris Johnson n’a pas démissionné de son parti. Il a été forcé par les députés de son groupe à renoncer à la présidence Tory. Sa nature profonde veut qu’il s’accroche – pour un temps – à la direction du Cabinet, un exécutif en lambeaux que les démissions en rafales privent de légitimité. La fonction de Premier ministre procédant de la précédente (patron des Tories), le gouvernement conservateur s’en trouve boiteux, en l’attente de la nomination d’un nouveau leader. En période de crises multiples, les destinées du Royaume Uni sont abandonnées, pour quelque temps, à un politicien »électron libre » que personne n’accompagne ni ne contrôle. Il va s’appliquer à faire n’importe quoi pour se maintenir sur le job et faire parler de lui le plus longtemps possible. C’est inquiétant.
-La seconde nuance tient à l’humeur durablement anti-européenne du Parti Conservateur. Tant que cette formation restera majoritaire dans l’opinion, sa doxa demeurera de pousser toujours plus loin sa conception du Brexit. De nombreuses études montrent que la Grande Bretagne est globalement perdante, mais cela n’aura aucune incidence sur un choix avant tout idéologique et identitaire. S’ils revenaient au pouvoir, même les Travaillistes ne changeraient sans doute pas cette course vers le grand large, entamée depuis dix-huit mois.
Il reste que »Bojo » a introduit la confusion des esprits et la corruption des valeurs morales dans le jeu politique britannique. Faire cesser toute la débauche de ces derniers mois constitue une urgence qui fait consensus. Comme l’Italie en son temps s’était réveillée effarée par les dérives de Sylvio Berlusconi, le Royaume commence à se vacciner lui-même des méthodes populistes inhérentes au phénomène Boris. Son style avait séduit les partisans d’une rupture avec le conformisme politique classique, au profit d’un comportement émotionnel et volontiers transgressif. Les mêmes commencent à s’en lasser. Un regain de rigueur et de cohérence est à espérer de l’après-Boris. Attendons la tenue d’élections législatives anticipées. Les relations avec l’Europe pourraient en bénéficier, au moins sur la forme.
Boris Johnson laissera un lourd passif derrière lui. Loin des promesses mirobolantes qu’il avait brandies à la veille du Brexit, l’état de la société britannique est marqué par des inégalités extrêmes, une forte inflation et des pénuries de main d’œuvre. Ce triste bilan demeurera une bombe à retardement. Hormis en Ukraine, où l’aide militaire britannique a été fort appréciée, l’image de sérieux du Royaume Uni s’est fortement dégradée à l’international. Une »épine » douloureuse entre toutes reste plantée dans la relation post-Brexit avec l’Europe : le projet de loi relative à l’Irlande du Nord élaboré à Westminster, qui vise à renier les engagements pris à l’égard de Bruxelles. Le nationalisme anglais (par contraste avec les autres composantes du Royaume) ne supporte pas le fait que la frontière douanière UK – UE passe en mer d’Irlande, entre l’Angleterre et son appendice nord-irlandais. Londres préfère à cela le risque de ranimer les ferments de guerre civile en Ulster, dès lors que les contrôles seront transférés sur la démarcation terrestre entre les deux Irlande.
Il reste donc un fort potentiel de dégâts sous la main populiste de »Bojo ». Bojo les dégâts !