* 2 mai – Le gaz ou la fourrure.

Les Européens ne sont pas unanimes quant à la réaction qu’impose l’interruption des livraisons de gaz russe à la Pologne et à la Bulgarie, à compter de ce mois. Après cette mesure de rétorsion signée Poutine, les Vingt-Sept se demandent si et quand d’autres membres de l’UE subiront, à leur tour, la fermeture des gazoducs. Faut-il anticiper le pire, au risque de le provoquer par auto-réalisation ?

Moscou explique que Varsovie et Sofia sont punies pour avoir refusé de régler en roubles. Chacun a compris que derrière la méthode bizarre de paiement invoquée (destinée à soutenir le rouble), ces représailles économiques sont d’ordre tout politique. La démonstration de force de l’Autocrate est masochiste mais elle vise surtout à susciter la peur ET la division. Pour tout figer, la Commission européenne rappelle, de son côté, que régler le gaz russe en roubles exposerait l’acheteur européen à des poursuites judiciaires, pour violation des sanctions contre la Russie.  De fait,  »le Kremlin utilise les énergies fossiles comme instrument de chantage », constate Ursula von der Leyen. On s’en doutait depuis très longtemps. Donc, désormais, plus question de tomber dans le panneau.

Et voilà que l’on fronce fortement des sourcils, à Berlin, en entendant cette vaillante dirigeante allemande de l’UE. Entre, d’un côté, un chancelier qui, certes, voudrait bien se dégager de la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie (et ainsi faire un peu oublier son prédécesseur, Gerhard Schröder), mais qui répugne à sacrifier la croissance et l’outil industriel et, de l’autre, des Verts qui privilégient la défense de la Démocratie et la résistance militaire à l’agression, le bateau allemand tangue fortement et les polémiques fusent. Certains veulent espérer que la privation de gaz à deux pays ne sera qu’une mesure de mauvaise humeur, ponctuelle et passagère, mais que cela n’ira pas plus loin. Varsovie et Sofia étaient d’ailleurs en fin de contrat avec Gazprom. Après tout, la Pologne s’est mise au cœur du dispositif de livraison d’armes – de plus en plus lourdes – à l’Ukraine et la Bulgarie, culturellement proche de la Russie et économiquement fragile, constitue en plus un ventre mou face à la progression de l’armée russe autour de la Mer Noire.

La méthode Coué, idéale pour ne rien faire, est la pire posture qui soit face à une menace géostratégique. Berlin commence d’ailleurs à livrer certains systèmes d’armes sophistiquées à l’Ukraine. C’est dire qu’au fond, le gouvernement allemand ne doute pas devenir bientôt une cible. Le plus tard, le mieux et, surtout, que Moscou prenne elle-même l’initiative de couper les ponts. Ainsi, les entreprises allemandes ne s’en prendront pas directement à la responsabilité politique de M. Scholtz. CQFD.

Dans l’immédiat, Ursula l’assure, on va partager les ressources avec la Pologne (prête au sacrifice) et la Bulgarie (très petite consommatrice). Nous nous sommes préparés à ce scénario, dixit Ursula. Elle nous expliquera plus tard comment on va faire. Dans un beau symbole de solidarité, l’Allemagne a fait parvenir un peu de gaz à la Pologne à la Grèce et à la Bulgarie.

Mais pourquoi ne voit-on pas dans ces méchantes manœuvres russes l’occasion où jamais d’accélérer,  »à fond la caisse » la décarbonisation espérée ? Le gaz n’est pas vraiment moins toxique pour le climat que ne le sont les autres énergies carbonées. Réputé ‘’moins salissant’’, il est ‘’politiquement très, très sale’’ et dévastateur pour la biosphère, lorsqu’il est extrait des schistes ou d’autres bitumes gluants. Comme l’eau, il connaît des taux élevés de perte dans les réseaux, puis au niveau des brûleurs. Que ne lui dit-on pas : ‘’adieu, mauvais génie, reste donc chez Poutine ! Nous, on te remplace fissa’’. Le débat sur les énergies nouvelles ou de substitution avancera bien mieux, si on n’a pas le choix ni de prétexte à tergiverser.

(L’Ours me regarde, narquois : ‘’moi, ma fourrure me suffit !’’ Quel égoïste !)