* 14 avril – Diplomatie du charter

Il y aurait une campagne, en France, et – tiens donc ! – on y parlerait, pour une fois, de politique étrangère. Pour commencer, de  »l’Etranger », en oubliant un peu que tout un chacun est l’étranger de presque tous les autres. Mais,  »l’Etranger » constitue le socle solide des vieilles allergies gauloises. S’il n’est pas blond aux yeux bleus et bien doté de fortune, on en profitera pour se défouler largement sur les loosers misérables, qui ont été assez stupides pour se laisser chasser de chez eux par la faim, la guerre ou la dictature. Notons l’accord significatif des deux candidats en lice pour le top office pour embarquer les déboutés de l’asile ou du marché du travail à bord de bétaillères volantes :livraison en vrac aux autorités de là-bas, au Sud.

J’ai eu l’expérience de gérer les droits de survol et d’escale des charters affrétés, sous Jean-Louis Debré, par le ministère de l’Intérieur. Les vols partaient vers des pays pour la plupart sub-sahariens. La place Beauvau dressait, certes les listes de malheureux, et enfournait en carlingue ces perdants du jeu de l’oie, avec deux policiers d’escorte chacun pour  »retour à la case (départ) ». Le coût de ces voyages était astronomique. Mais, ces Messieurs les préfets ne négociaient point avec les gouvernements concernés. C’était au petit rigolo de service du Quai d’Orsay de téléphoner aux excellences de ces pays pour solliciter le droit de poser les avions-paniers à salade français dans leurs aéroports exotiques.  »De quelle nature est la cargaison de l’aéronef ? » . Réponse :  »Ben, heu, c’est du coke en stock, comme dirait Tintin… ce serait à vous, on vous le rend avec toutes nos excuses ».

Vous devinez bien la suite. Contrairement aux vols commerciaux civils régulés par des conventions d’application permanente et générale, les charters d’Etat doivent se soumettre, au cas par cas, au régime d’autorisation par l’Etat de destination. Souverain, celui-ci me répondait le plus souvent :  »Pour l’avion c’est oui, mais pour sa cargaison (humaine), demandez à votre ministre de l’Intérieur qu’il appelle notre président ». Le charter se posait, était aussitôt entouré d’un cordon armé. Le contrôle aérien local lui commandait de repartir une fois le plein fait, sans laisser descendre ses passagers. Les policiers français balançaient alors leur cargaison vivante, avec ou sans passerelle, mais pas sans brutalité. Ensuite, je savais que la France-Afrique se déclencherait tardivement et j’imaginais que le viol de souveraineté et les mauvais traitement trouvaient réparation sous une forme de passe-droit ou une autre. La mode actuelle est au codéveloppement : la moindre aide publique à ces pays doit être proposée selon les exigences de la police française, autorité suprême de notre politique extérieure.

Quand l’affaire était menée sur les lignes commerciales d’Air France, des révoltes de passagers outrés par le spectacle et des refus d’embarquement de la part des équipages mettaient le vol en suspens. S’il avait quand même lieu, l’ensemble des passagers pouvaient se trouver empêché de sortir de l’appareil, une fois à destination. Finalement, on les bloquait au Nord, ils nous empêchaient de quitter la carlingue, au Sud, la réciprocité était assurée, qui reste le principe de base des relations extérieures.

A quelques nuances, près qui moderniseraient les détails du récit, ce sont ces scènes qu’il va falloir revivre. Quelqu’un au Nord s’est-il jamais mis dans la tête des opinions publiques africaines ? Ce comportement méprisant a de quoi faire détester la France, même s’il ne dissuadera jamais d’en faire sa destination, au prix d’une incroyable galère et d’y tenter une vie nouvelle. Il est malsain de laisser diffuser l’image d’une France, terre de miel et de lait, néanmoins habitée par des racistes et des policiers violents. Marianne n’est plus du tout populaire au Sahel. L’accueil des Ukrainiens dans l’Hexagone n’est contesté par personne, mais c’est le contraste de traitement réservé aux uns et aux autres qui interpelle. Il n’est pas conforme à la constitution française, ni à la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui toutes deux requièrent l’égalité en droit et en dignité entre les nationaux, les résidents et les fugitifs. De nombreuses personnalités africaines l’ont rappelé récemment, que l’on n’a pas voulu écouter.

Etonnez-vous que les voix de 41 Etats, parfaitement respectables, du monde émergent aient manqué à l’Assemblée générale des Nations Unies pour condamner l’agression et les atrocités en Ukraine !