»Hypersonique » est l’avenir de la géostratégie. Bientôt finira l’ère de l’équilibre de la terreur par la parité balistique. Les pions nucléaires seront redistribué entre grandes puissances, sans omettre la part revenant aux Etats voyous perturbateurs du TNP. On passe des courbes stratosphériques au rase-motte en zigzag à une vitesse de fou : cinq, six, sept fois le vitesse du son. La règle pour recréer l’équilibre restera la parité qualitative des systèmes d’arme et quantitative des arsenaux entre des acteurs considérés un par un, sans coalition. Encore faut-il qu’existe aussi une »envie de dialogue », sans laquelle la course aux armements et le risque d’un passage à l’acte échapperaient à tout contrôle. Or, on le voit partout, il y a peu d’amour et de compréhension entre les géants nucléaires, ces temps derniers. Alors, le missile hypersonique sera-t-il l’arme offensive de déstabilisation de toute la société internationale ? Il faudra quelques années pour le savoir, mais, dans l’intervalle, le risque d’une première frappe décisive, sans capacité de riposte peut devenir plus tentant. C’est, toutes choses égales par ailleurs, la posture d’Israël face au programme nucléaire iranien.
En décembre 2019, la Russie a annoncé, la première, la »mise en service » d’engins »Avangard », équipables d’ogives nucléaires. Elle a fièrement avancé qu’ils étaient capables de franchissement intercontinentaux au ras des pâquerettes, à des vitesses rendant tout repérage radar et toute interception impossibles. Mieux ou pire encore, ces missiles de croisières hyper-boostés seraient re-dirigeables en vol sur d’autres cibles et pourraient aborder leur but en surgissant depuis n’importe quelle direction. Les missiles anti-missiles (déjà déstabilisants pour la dissuasion) et les radars pointus du Norad et des frégates Aegis s’en trouveraient totalement dépassés et impuissants. Exit la guerre stellaire, retour au plancher des vaches. Une vraie cause d’alarme pour l’Hyper-puissance américaine, dans un scénario où des milliers d’engins hypersoniques réussiraient contre elle une première frappe paralysante (sans riposte possible). On en est pas là, bien sûr, et l’Amérique a largement le potentiel disponible pour »combler le gap ». Mais quand même….
Et encore, si l’adversaire était unique et politiquement bien »balisé », comme l’est la Russie. En championne absolue de la dialectique nucléaire au bord du gouffre, la Corée du Nord, elle aussi, a revendiqué, le 28 septembre, son accession à la technologie hypersonique. Sa maîtrise ne semble pas encore convaincante, mais un essai a eu lieu, parmi une série de tirs balistiques. La Corée du Sud en garde pour elle les paramètres. On peut néanmoins compter sur les Nord-Coréens pour aller jusqu’au bout de leur mise au point, avec l’acharnement qu’ils ont déjà eu à faire la bombe. Pyongyang, dans son délire, affirme »multiplier par mille (sa) capacité défensive ». Ses cibles favorites se trouvent évidemment aux Etats Unis. Les Nations Unies aussi, dont le Conseil de sécurité suit la crise et tente de restreindre tant se peut la fuite en avant nord-coréenne ont de quoi se faire du souci. Mais d’où Pyongyang s’est-il procuré les secrets de fabrication de son »arme absolue » ?
Dès août 2018, Pékin a fait connaître l’existence de son projet »Ciel étoilé 2 » théoriquement capable de croisière à une vitesse de plus de 7300 km/h. Il répond à des normes plus performantes encore que son alter ego russe. Le Financial Times a surtout révélé (sans démenti chinois) qu’il avait réussi, en août dernier, un trajet complexe autour du globe. Lancé sous une fusée Longue Marche, il aurait terminé sa boucle terrestre à 32 km de son point d’impact prévu. C’est peu pour un potentiel vecteur nucléaire. Les progrès spectaculaires du programme chinois ont pris de court l’Occident. Jamais la Chine n’avait étalé un tel avantage stratégique, qui plus est à un moment où ses relations se tendent rapidement autour de la question de Taiwan (l’Amérique est le seul obstacle à une invasion armée) et d’une multitude d’enjeux économiques, technologiques et diplomatiques. Ce n’est pas le contexte idéal pour rétablir l’équilibre autour d’un nouveau système d’arme optionnellement nucléaire. La transition s’annonce délicate.
La conception bien française de la dissuasion – au niveau d’arsenal le plus bas possible – était déjà sérieusement entamée par la »Guerre des étoiles » et par le recours aux missiles de croisière de longue portée. Des étapes intermédiaires ont été aménagées entre les scénarios extrêmes d’entrée en conflit. La France pourra-t-elle rester longtemps dans la course ? Le doit-elle, d’ailleurs ? Elle a une campagne présidentielle devant elle pour y réfléchir.