* 20 avril – Le déni nous lobotomise

Ecume des jours tirée des médias : la COVID a fait officiellement trois millions de morts et ce n’est qu’un début. Des centaines de millions de survivants (on ne peut pas les compter) en gardent des séquelles. Dans le  »Sud » de la planète, certains pays, surtout en Afrique, n’ont mis en place aucune parade sanitaire. Deux géants, le Brésil et l’Inde, ont perdu tout contrôle sur la circulation du virus. Ces pays produisent, de ce fait, des variants particulièrement virulents qui se recombinent entre eux en rendant inopérantes les stratégies vaccinales laborieusement mises en place dans le Nord. Des enfants de moins d’un an et une proportion affolante de jeunes sont atteints par la maladie, en Inde. Les frontières se ferment comme des sas étanches. En Europe, la troisième vague tombe sur des populations mentalement épuisées : la peur de la perte d’emploi, le sentiment d’enfermement, la solitude et la séparation des familles, les soupçons à l’égard du sérum AstraZeneca, l’angoisse des lendemains qui feront mal… STOP ! N’en jetez plus, on connaît tout ça ! Vraiment ?

Et bien, pas tout le monde, car le fait est là, ahurissant : le complotisme sanitaire se porte bien, envers et contre tout. Si vous tendez bien l’oreille (surtout sur les réseaux sociaux) vous entendrez, médusé, que  »la COVID n’existe pas », voire même que la maladie a été sournoisement  »inventée » pour donner à je ne sais qui le contrôle de nos âmes et de nos biais politiques… ou tout bêtement pour nous détruire (ce qu’il fait très bien, mais naturellement). Il n’a pas fallu attendre le virus pour qu’une minorité grandissante  »psychote », prisonnière de son incapacité à suivre et surtout à comprendre la marche du monde, au sens le plus large du terme. Ces esprits égarés aux marges de la civilisation humaine sont, à la base, des personnes respectables, bien qu’incomplètement structurées. L’angoisse, l’incompréhension et la paresse intellectuelle aidant, ils se muent – souvent inconsciemment – en puissants vecteurs de simplification des causes et de leurs effets. Leur soulagement (relatif) viendra de la valorisation sociale qu’ils tireront de leur expression dissidente de la science et de la géopolitique, des disciplines forcément biaisées au profit  »d’ennemis des gens ». Mais leur succès doit d’abord à la simplicité extrême des thèses complotistes, par rapport aux réalités, trop complexes. La vérité, le réel ne fournissent aucun confort intellectuel : il y a beaucoup à gagner à les nier et cette dérive n’est donc pas désintéressée.

Le problème est que pour atteindre ce relatif confort, ils vont devoir injurier les victimes et leurs proches et troubler le deuil de familles éprouvées. Ils leur expliqueront que leurs parents sont morts  »de leur faute », d’une maladie bénigne ou inexistante, et qu’ils sont en quelque sorte  »coupables » de confirmer le détestable état des lieux officiel. Interdire le chagrin est une forme d’oppression sans nom. La pente de la déshumanisation par le déni et par la peur conduira ensuite à catégoriser ceux dont la mort  »ne compte pas » : personnes âgée, étrangers de passage ou exilés, patients affectés de handicaps ou de morbidités, pauvres, prisonniers,  »races » telles ou telles, humanistes toxiques, etc. On voit bien vers quel enfer le basculement mental des complotistes pourrait nous mener.

Kant disait :  »l’intelligence humaine se mesure à la quantité d’incertitude qu’un esprit saura confronter ». A méditer…

* 08 février – Cabale mondiale

Le monde que nous voyons ne serait qu’une vaste conspiration universelle, opérée par les illuminés. Une étude du « New York Times » établit que presque la moitié des consommateurs d’information penche, par déduction instinctive, vers l’explication de l’actualité par le complot. Plus s’accroît le flottement des individus face à notre monde si imprévisible et hyper-complexe, plus s’impose l’idée d’une main diabolique et cachée, opérant en coulisse. Dénoncer cette main qui n’est pas de Dieu permet de se rassurer un peu et de simplifier l’équation jusqu’à un seuil de compréhension enfantin et universel. C’est aussi réconcilier son malaise personnel (le ‘vécu’’, le ‘’perçu’’) avec les dysfonctionnements et les injustices qui nous sont jetés aux yeux, sur la scène globale. Faute de mieux, l’explication par la cabale valorise l’opinion de celui qui l’émet et lui gagne des adeptes, là où la réalité décortiquée causerait plutôt migraine intellectuelle et désocialisation. Le ‘’cinquième pouvoir’’, celui des réseaux sociaux et des blogs – tel celui de l’Ours – invite ensuite à tourner en boucle de concert avec des ‘’compères de pensée’’ tout à son image.


Selon une enquête conduite auprès de 26 000 personnes dans 25 pays,78 % des Nigerians, 55 % des Espagnols, 45 % des Italiens et 37 % des Américains accréditent l’existence d’un  »groupe de personnes contrôlant secrètement les événements et dirigeant ensemble le monde ». Il n‘y a donc pas que QAnon, Trump et ses Evangéliques, nos gilets jaunes, tous les prophètes autoproclamés à trompeter l’alerte à tout propos : l’épidémie complotiste est bien à l’œuvre partout sur cette terre, sauf en Corée du Nord (où s’exprimer serait bien trop dangereux). Il ne faut pas en sourire car on parle d’une maladie millénaire. Pourrait -on mettre des médiévalistes sur la question ? Ce serait pour tester les effets de l’exorcisme, des procès en sorcellerie, du vaudou, de la magie noire ou de l’incrimination de Satan, et – pourquoi pas – d’une bonne vieille inquisition à l’ancienne. Cela rétablirait-il la balance de nos humeurs ? Bien sûr que non et je vous demande instamment de ne pas lire les trois phrases précédentes, totalement complotistes, qui ne sont pas de moi mais qui sont là quand même. Elles mériteraient une sévère réécriture critique.

Pas besoin on plus de rappeler que le nazisme était une théorie complotiste revancharde, poussée à des paroxysmes d’inhumanité effarants. La ritournelle pernicieuse du ‘’complot juif’’, entonnée, des siècles durant par la mouvance féodalo-populiste, a préparé le terrain à l’immense gâchis du 20 ème siècle. Le mythe trotskiste de la révolution universelle a, lui aussi, fait rêver des milliards de gogos, avant que sa violence n’apparaisse comme une tare. Au tour du jihadisme de prendre aujourd’hui le relais du suprémacisme blanc colonial et de l’anarchisme nihiliste (qui assassinait volontiers les présidents au tournant des 19 ème et 20 ème siècles), etc. Il doit y avoir dans la haine que le complotiste exhale, comme une constante de la nature humaine. Beaucoup de colère exprimée, un fond de peur caché mais tenace, le besoin de se raccrocher à une vision simplette et rêvée du monde, la dynamique du groupe qui interdit de rechercher toute vérité ailleurs que dans les sentences du Chef… Avec l’empilement actuel de crises un peu apocalyptiques, l’enfermement solitaire des personnes, l’abrutissement des réseaux sociaux, l’angoisse de l’avenir, comment éviter que le cocktail mortifère se recompose encore et toujours, plus acide, plus détonnant ?
(* article sponsorisé par l’Association universelle des praticiens de la psychiatrie clinique S.A)