Où souffle donc le vent de l’Histoire? Le modèle autoritaire ouvre-t-il la voie de l’avenir? Deux puissances permanentes du Conseil de Sécurité en sont intimement persuadées : le déclin et la décadence supposés des sociétés démocratiques occidentales leur ouvrirait la maîtrise du système mondial. Bigre! Après l’attaque du Capitole de Washington et la déconfiture occidentale en Afghanistan, l’an dernier, l’amorphie des anciens dominateurs arrogants et donneurs de leçons ne faisait plus l’ombre d’un doute à Moscou ni à Pékin. L’absence de réaction sérieuse à l’annexion de la Crimée et le désamour montant des peuples du ‘’Sud’’ achèveraient de mettre le ‘’Nord’’ hors-jeu.
Pas si vite, SVP : la virginité coloniale ou impériale de ces deux gros-joueurs s’effrite à vitesse grand V, même si quelques populations africaines se plaisent à brandir leurs drapeaux dans des défoulements de rue. On perçoit depuis le 24 février, que le vent ne souffle pas sur commande des dictateurs. La Russie s’effrite de l’intérieur sous les effets des sanctions occidentales et des déboires de sa troupe occupante en Ukraine. Ses conscrits abandonnent le bateau ivre de la mobilisation militaire. Les chefs militaires se retrouvent sur le sellette et Poutine est perçu, au minimum, comme ‘’mal informé’’. La Corée du Nord et l’Iran sont devenus ses seuls fournisseurs d’armement. L’atmosphère politique se fait plus oppressive et délétère. Serait-il protégé par son privilège de veto, l’isolement du Pays au Conseil de Sécurité des Nations Unies dément l’idée d’une puissance qui a le ‘’vent en poupe’’.
Dans un premier temps, sous une neutralité prudente, Pékin ne cachait guère sa faveur pour Moscou. Poutine, espérait-on à la tête du Parti communiste chinois, allait prouver la supériorité des autocraties militarisées, ridiculiser l.Occident, gagner en prestige auprès du monde émergent. La Chine pourrait surfer sur ce ‘’vent d’Est’’ puissant, porteur pour ses ambitions. Le cas échéant, la reconquête de Taïwan pourrait survenir en apothéose.
Sept mois plus tard, XI Jinping reste muet, mais la diplomatie chinoise marque ses distances. La Russie ne lui paraît plus capable de faire triompher le modèle, en particulier sur le plan militaire. Le régime moscovite auquel il se proclamait lié par une ‘’amitié éternelle’’ commence à branler du manche. Il pourrait même devenir un risque pour le modèle commun. Lors du sommet à Samarcande de l’Organisation de Coopération de Shanghai – premières retrouvailles depuis le lancement du conflit – la partie chinoise a appelé à un ‘’respect scrupuleux du droit international en Ukraine’’. Un coup de griffe, presqu’un désaveu… Si le dispositif russe devait s’écrouler, Pékin ne veut pas se retrouver dans le camp des perdants.
L’Inde, de son côté, se garderait bien d’aller à sa rescousse porter secours et saisirait plutôt de telles déconvenues comme une occasion de renforcer son influence en Asie. La guerre en Europe va encore beaucoup de temps et de victimes avant de se solder sur un bilan tranché. Pourtant, il apparaît que les démocraties savent s’engager pour faire obstacle à la vague expansionniste brune. Le vent de l’Histoire ignore l’idéologie. Il ne suit qu’une seule direction : celle qu’indique la girouette folle de la géopolitique.