Dans le contexte de la guerre hybride contre l’Occident et de l’invasion de l’Ukraine, la dissuasion française est prise à contre par les préceptes russes d’emploi de l’arme comme un instrument offensif sur un champ de bataille extérieur. Le président Macron a jugé bon de revenir, le 9 novembre, à Toulon, sur sa perception de la menace telle que la conceptualise l’analyse française.
Ce réajustement des ‘’lignes rouges’’ franchies par l’adversaire qui déclencheraient ou non une réaction des armes tactiques nucléaires nationales intervient après ses propos du 12 octobre. Ce jour-là, son exposé avait laissé à penser que le recours russe à une frappe, en Ukraine ou dans les confins occidentaux de ce pays, n’appellerait pas de réplique nucléaire de la part de la France. Venant après sa phrase sur la nécessité de ‘’ne pas humilier la Russie’’, cela avait quelque peu ‘’défrisé’’ certains proches alliés de Paris, à l’Est de l’Europe et aussi en Allemagne, qui se sont, bien sûr, gardés de tout commentaire public. Sur le fond, la question est singulièrement complexe à trancher. Est-ce vraiment réaliste de la part d’un ‘’petite’’ puissance nucléaire de prétendre sanctuariser tout son continent ?
Quand bien même cette limite posée à la dissuasion française correspond à ce que beaucoup d’experts occidentaux pensent sans le dire, M. Macron a effectué un retour très visible à sa position initiale d’avant-guerre. Exposée en février 2020, lors de son seul discours de référence sur la dissuasion, celle-ci postule : ‘’aujourd’hui plus encore qu’hier, les intérêts vitaux de la France ont une dimension européenne’’. Plus question donc d’en limiter précisément les contours et, surtout, de paraître se raviser sous l’effet des menaces de Vladimir Poutine. Ce retour aux sources n’est pas qu’une question de subtilités : c’est le rétablissement d’une posture paradoxalement plus solide construite sur l’ambiguïté dissuasive. Elle répond mieux à la menace de la guerre hybride et au flou que ce type d’offensive sur des front multiples (cognitif, cyber, spatial, par les réseaux sociaux, politique et militaire…) entretient sur la détermination précise de la ‘’ligne rouge des intérêts vitaux’’.
Sommes-nous entrés dans le ‘’troisième âge nucléaire’’, celui du XXI ème Siècle, dans l’art de la piraterie nucléaire ? L’un des enseignements les moins prévus du conflit en Ukraine, lequel promet d’être long, est que la dissuasion peut être inversée. Même par une grande puissance, elle peut être utilisée en outil d’agression militaire ‘’classique’’, notamment pour isoler de ses alliés le pays-cible victime de l’offensive. On assiste là à un retournement complet de la façon dont l’atome militaire avait été considéré jusqu’ici : la dissuasion comme meilleur moyen d’empêcher une guerre entre puissances nucléaires majeures, dotées de tout le spectre de l’arme, du tactique au stratégique.
Il reste que le jeu des décideurs autour du postulat de la ‘’destruction mutuelle assurée’’ connaît, par définition, un préambule psychologique complexe. L’emploi ou non de l’Arme est précédé d’une suite d’affirmations fortes, sans preuve ni certitude aucune pour la partie adverse. En bref, Poutine parle et menace, en mode déclaratoire. Alors, il joue au poker ? On doute en effet qu’il passe jamais à l’acte, sauf à avoir perdu ses repères politiques et tout discernement. Ce serait au point de finalement provoquer la destruction de son pays, le plus vaste du monde. Le bluff participe de son style professionnel, celui d’un menteur expert du FSB. Faut-il lui accorder l’honneur de tenir ouvertement compte de ses rugissements froids et calculés ? La doctrine poutinienne sert en premier lieu de levier d’effroi et de pression sur les opinions publiques. Raison de plus pour ne pas se laisser prendre au piège en lui faisant spectaculairement écho. Les réseaux sociaux, toujours eux, s’en chargent déjà trop bien. Oublions la doctrine russe et, d’ailleurs, ni vous ni moi n’avons à en connaître, n’étant pas président !
Le conflit armé en cours n’en est pas moins sous-tendu par le spectre d’un débordement du territoire ukrainien ouvrant la voie à un élargissement à la zone OTAN dans son ensemble. On l’a perçu dans l’émoi qui a surgi autour du missile antiaérien retombé en Pologne, le 15 novembre. Après ce coup d’adrénaline, une désescalade verbale s’est fait jour dans cette ‘’crise du siècle’’.
Concentrons plutôt notre attention sur les fourbes attaques du général Hiver…