L’ambassade de France à Islamabad recommande – elle n’a pas le pouvoir d’ordonner – aux Français présents au Pakistan de quitter temporairement le pays, en raison de »menaces sérieuses’’ pesant sur les intérêts français. L’alerte fait suite à de violentes manifestations anti-françaises au cours de la semaine, notamment à Lahore.
Depuis l’automne, les partisans du Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), un parti islamiste proche des frères musulmans, réclament avec fureur l’expulsion de l’ambassadeur de France. Non qu’ils en veuillent personnellement à ce personnage qui n’est qu’un simple agent d’exécution de la diplomatie française, mais il représente à leurs yeux un symbole du »laïcisme » français, qu’ils exècrent. La cible réelle est bien Emmanuel Macron, du fait de ses propos au lendemain de la décapitation de l’enseignant Samuel Paty, à Conflans Sainte Honorine. Depuis plusieurs mois, les manifestants se heurtent brutalement à la police au sein de laquelle ont été tués deux agents. Leur leader, Saad Rizvi, a été arrêté après avoir appelé à une nouvelle marche contre la France. Pour le faire libérer, le TLP a alors tenté de bloquer les plus grandes villes du pays, Lahore (Est) et Karachi (Sud), ainsi que la capitale Islamabad. Il lui serait hasardeux d’appeler directement à des attentats contre le pays de la ‘’liberté de blasphémer’’, liberté à laquelle son président a dit qu’il ne renoncera pas. Mais l’idée figure, implicitement, dans son message comme dans sa culture de l’assassinat et du lynchage. Fin octobre, Imran Khan, le premier ministre pakistanais, avait accusé Emmanuel Macron d’’’attaquer l’islam. Arif Alvi, le président, s’en est pris à son homologue français à propos du projet de loi sur le séparatisme, qui, selon lui, porte atteinte aux musulmans. La ministre pakistanaise des Droits de l’Homme, Shireen Mazari, a quant à elle affirmé que ‘’Macron fait aux musulmans ce que les nazis infligeaient aux juif’’. C’est dire le ton chaleureux des relations officielles !
Constat désagréable à entendre : la France fait figure d’ennemie traditionnelle des Frères musulmans. Elle est l’incarnation vivante de la laïcité, synonyme de tout ce que l’islam politique rejette et veut détruire. La haïr est la recette parfaite pour doper les militants de l’Islam politique. L’histoire de cette animosité remonte à 1939, lorsque Hassan al-Banna, le guide fondateur de la mouvance frériste, a appelé à la vengeance contre les ‘’honteuses positions’’ françaises sur la Syrie, sur la question marocaine et le dahir berbère. Il prophétisait que le bassin méditerranéen tout entier redeviendrait un jour aux frères et à l’Islam. Depuis, les Frères musulmans trouvent systématiquement un motif ou un autre pour s’attaquer à la France. Pour les Frères, le Pays de Voltaire tient le rang de seconde tête de Turc, après Israël. Depuis la promulgation de la loi de mars 2004, qui encadre le port de signes religieux ostensibles dans les établissement scolaires, la fureur des frères ne s’est jamais calmée. Affaires du voile, caricatures de Mahomet, burkini, positions françaises au sujet de la Syrie, de la Libye, du Kurdistan, de la Méditerranée orientale, de la Grèce, de l’Arménie, du Sahel, etc., ils font feu de tout bois. Cette agressivité n’est pas représentative des sentiments des musulmans du monde – dont beaucoup sont attachés aux libertés et à la modernité – mais elle alimente l’Islam politique, au sein duquel, curieusement, se regroupent des combattants tant sunnites que chiites. Le ‘’croissant islamiste’’ où s’exerce leur emprise relie symboliquement l’Indonésie au Maroc, en passant par la Malaisie, le Pakistan, l’Afghanistan, l’Iran, le Qatar, la Turquie, la Libye, la Tunisie et l’Algérie. Il est impossible d’en repérer tous les centres actifs.
En 2014, les Émirats arabes unis ont a classé les Frères musulmans en mouvance terroriste. Les Saoudiens ont suivi en 2020 et ils cherchent désormais à se désengager de leur prosélytisme politique à l’étranger, sans parvenir à se défaire de la radicalité de leur wahhabisme ou salafisme. En décembre 2019, un sommet ‘’anti-saoudien’’ à Kuala Lumpur s’est fixé l’échéance de 2024 – centenaire de la chute du califat ottoman – pour rétablir le mode dynastique de l’Islam d’antan. A cette occasion, Mohamad Mahatir, le premier ministre malaisien, a invité les croyants à ‘’tuer des millions de Français’’.
La Turquie de R.T. Erdogan est – on l’aura deviné – le principal pilier et le moteur de cette stratégie expansionniste. Erdogan ambitionne d’émerger en nouveau calife unificateur et guide suprême de l’Islam (ou du moins, de l’islamisme). Son pays s’est doté, contre l’Europe, du levier de contrôle très sensible actionnant les flux de réfugiés, à la fois à l’Est (Mer Egée) et au Sud (Libye). Il dispose ainsi d’un outil de chantage majeur sur l’Europe. A la suite de l’assassinat de Samuel Paty, la Turquie a attisé les flammes de cette vaste mouvance frériste contre le président Macron. Parmi les porte-paroles les plus déterminés de cette francophobie idéologique, on pourrait citer certains députés islamistes marocains, des politiques qataris, koweïtiens et jordaniens ainsi que les nombreux mouvements anti-chrétiens du Bangladesh, du Bihar indien et du Pakistan,. On voit actuellement les correspondants du réseau turc au Pakistan à la manœuvre sur le thème, oh combien porteur, du blasphème.