Pour les beaux yeux de Joe Biden, l’Europe met en pause son projet d’instituer une taxe numérique. On va se reporter, à la place, sur l’accord de taxation des multinationales, récemment conclu par le G 20 de Venise, sous l’égide de l’OCDE. Bruxelles se rabat donc sur un ‘’accord historique répondant aux défis de la numérisation économique’’. Mais sans joie. Bien qu’il reste encore au G20 à s’entendre, d’ici à octobre, sur les modalités concrètes de ce dispositif nettement moins ambitieux, afin d’en assurer la mise en œuvre à l’horizon de 2023, la Commission annonce concentrer ses efforts sur cet objectif et oublier son propre projet.
L’Amérique ‘’tout sourire’’ de Papy Joe ne s’est pas départie de ses lobbies d’intérêt et de la susceptibilité inquisitoire de son Congrès. N’oublions pas que le seul vrai pouvoir de la Maison Blanche est celui consistant à convaincre les puissances régnantes. Le GAFAM, très remonté contre D. Trump, pourrait-il être négligé par son successeur ? A la tête du Trésor, Janet Yellen a su jouer sur les bons sentiments des Européens pour leur faire avaler que non. L’accord à demi-dose de l’OCDE sur la fiscalisation des multinationales invite à démanteler les taxes numériques en vigueur. Washington les rejette comme discriminatoires et n’acceptera plus les mesures de ce type adoptées à titre national. L’heure est au jeu collectif. Point. Mais en considérant bien qui mène la danse au sein de l’OCDE.
Malgré la bonne grâce et les sourires, la souveraineté collective de l’Union européenne n’en sort pas renforcée. Il paraît que ce consensus humble convient à tous les bords. Il y a peu, Bruno Lemaire maugréait sur le taux ridiculement bas de 15 % reconnu comme seuil de taxation et, surtout, sur l’impasse concernant les paradis fiscaux et autres procédures subtiles d’optimisation. Oubliés, les états d’âme. L’accord que finalisera (ou pas) l’OCDE scelle un beau consensus occidental. Géopolitiquement, ce n’est pas rien et la belle fraternité de l’OTAN n’est pas loin.
Janet Yellen a aussi assisté à la réunion des ministres de l’économie de la zone €uro, dans une ambiance de travail chaleureuse. Elle n’en a pas moins marqué son souci que tous les Etats membres de l’UE participent à l’accord sur la fiscalité mondiale. Comme toujours, la famille européenne compte quelques rebelles à bord, à commencer par l’Irlande, le principal paradis des multinationales. Au total, huit pays sur vingt-sept font dissidence, mais les ‘’grands’’ sont bien là.
En avocate zélée de l’unité des alliés, Mme Yellen encourage les partenaires européens à ‘’aller plus loin dans la construction d’une union monétaire et économique’’ (dans cet ordre-là). Ce serait ‘’bon pour l’Europe, bon pour les Etats-Unis et bon pour le monde’’. Amen. Tant de bonnes intentions politiques contre si peu d’argent à récolter : la coupe de la gratitude déborde. La Silicon Valley, dont les finances se voient épargnées, se joint au consensus. Zuckerberg, en gentil garçon hypocrite, exulte et sourirait presque.
Il reste que des pressions ‘’tout sourire’’ sont quand même des pressions. Ne jetons pas la pierre à l’administration démocrate, qui rencontre les plus grandes difficultés à orienter les votes du Congrès. L’Exécutif français ne serait, lui, guère crédible à évoquer les humeurs rétives de son Sénat comme un motif de blocage. Sauf à faire rire à la ronde, bien sûr ! Quand même, il est toujours assez pratique de faire porter au congrès américain le chapeau des indécisions ou des revers de l’administration américaine : il est fort méchant, mais il a bon dos aussi. Si l’objectif reste de développer une souveraineté collective des Européens, donnons donc des dents et un regard féroce à notre brave Parlement européen. Cela aidera à faire rentrer des recettes et à alléger nos dépenses (sans oublier le gain de démocratie, indeed !)