
Ursula van der Leyen, la nouvelle patronne de la Commission de Bruxelles, aime à décrire celle-ci comme « géopolitique ». En Allemagne et en France, mais aussi dans les « démocratures », on se gave volontiers de ce terme, qui fait référence à une qualité de lucidité (analyser le monde et les opportunités de son système de pouvoir, de transactions et de conflits) et traduit un certain dynamisme à entreprendre. La chose la moins géopolitique serait, par exemple, le principe de précaution. Mais qu’en est-il des valeurs, celles qui vont de l’humanité palpitante, à l’indifférence polie et, au delà, tendent vers la nuisance égoïste ou la prédation féroce ? C’est simple : toutes peuvent se décliner à la sauce géopolitique, sans exception. Voyez l’histoire du 20 ème siècle !
En effet, cette discipline est carrément obtuse en matière de cœur et d’idéaux. Elle permet au bourreau aussi bien qu’à ses victimes de s’orienter au mieux de ses intérêts, craintes ou fantasmes, dans le maquis piégé de la « communauté internationale ». Elle ignore l’individu lambda et ses aspirations profondes ou ne les prend en compte que si la frustration (ou l’exaltation) porte Quidam à faire basculer des empires.
Un conseil affectueux aux géopolitologues : allez vous frotter aux gens, aimez-les ou détestez-les, aimez ou détestez aussi ce que révèlent vos analyses savantes, forgez-vous des convictions ailleurs que dans les atlas et l’infographie ! Bref, soyez votre propre personnage-citoyen international, pulsez !
Ceci dit – essentiellement pour me disculper – quel œil faudrait-il ouvrir sur l’actualité à venir, en 2020 ? Pas celui des réseaux d’infox, bien sûr, mais pas uniquement, non plus, celui des médias. Ils sont certes essentiels à l’information mais leur constance varie au gré des priorités du moment et de l’attractivité toute temporaire du sujet « vendeur ». Voici donc un petit échantillon de questions sur lesquelles on serait en droit d’être éclairé. Certaines resteront dans les nimbes :
La Syrie et l’Irak. Que va faire Bachar de sa victoire contre son peuple? L’Irak (comme le Liban) pourra-t-il trouver un équilibre démocratique hors de tout asservissement à l’Iran ? 4 Mns d’exilés syriens pourront-ils jamais rentrer chez eux, sans risque ni préjudice ? La CPI pourra-t-elle juger un jour les coupables de crimes contre l’humanité ? Les jihadistes européens vont-ils être renvoyés chez eux, faute de juridiction tierce qui leur soit applicable ? Nous en parlera-t-on ? Daech et Al Qaïda se refont-elles une santé au grand Moyen-Orient, comme on le voit surtout en en Afrique Sub-saharienne, ce, en profitant de la débandade occidentale ? Les Kurdes seront-ils durablement damnés et abandonnés ? La guerre des Sunnites contre les Chiïtes va-t-elle finir par tout préempter en générant du terrorisme de part et d’autre ? Comment cela se répercutera-t-il en France ? Paris va-t-elle cesser de vendre des armes dans les Etats du Golfe, qui répandent les hostilités à la ronde ? La France a-t-elle encore une politique arabe et iranienne visible et compréhensible ?
L’Iran : La politique de Trump va-t-elle précipiter l’accession de Téhéran à l’arme nucléaire et, plus directement, celle de l’Arabie saoudite à cette arme ? Ira-t-on alors vers un affrontement généralisé, conventionnel et nucléaire, de l’Egypte jusqu’à l’Afghanistan, susceptible d’embraser ensuite l’Inde face au Pakistan, la Turquie, la Russie, etc.
La Russie : quelle gestion pour le glacis qu’elle s’est composé dans le monde arabe et quid du risque d’affrontement avec la Turquie ? L’avenir du plan de déstabilisation de l’Europe, la capacité de menace induite par les nouveaux euromissiles, les missiles hypersoniques et autres armes « absolues » brandies par V. Poutine, comme Adolphe en son temps. L’utilisation du levier de la fourniture de gaz à l’Europe centrale. Le plan de Moscou sur l’Ukraine (Donbass) mais aussi sur la Moldavie, les deux provinces annexées de Georgie, son action anti-Baltes depuis l’enclave de Kaliningrad. La perpétuation du pouvoir sans partage de V. Poutine et la tentation de jonction stratégique avec la Chine face à l’Occident amorphe.
La recherche de solutions aux affrontements en Libye et au Yémen, où la France pêche en eau trouble et n’assume pas ses responsabilités de puissance permanente du Conseil de Sécurité. Sa solitude au Sahel, qui promet d’être « l’Afghanistan des Français », l’opération Barkhane suscitant la méfiance de ses alliés comme des bénéficiaires.
L’Europe, avec une année entière – voire bien plus – absorbée par les tractations post-Brexit. Quelle progression dans les méandres de la politique commune d’asile et quelles alternatives à l’externalisation du refoulement, confiée à des entités sulfureuses du Sud de la Méditerranée ? La prise de conscience ou non du besoin impérieux d’une défense autonome à la hauteur des défis et de son coût. La résilience à une nouvelle crise monétaire et la capacité de la zone €uro à y faire face (budget commun et règles bancaires). La mobilisation (ou non) de moyens financiers suffisants pour amorcer les transitions énergétique et agricole. La consolidation des institutions et la participation plus grande des citoyens. L’Europe sociale, etc. (j’en passe …)
Les Etats-Unis : jusqu’à quel Point laissera-t-on D. Trump détruire le système international en suscitant l’extinction du droit, les affrontements et les injustices ? Destitution ou pas de l’intéressé, les dégâts faits seront-ils réparables ? L’isolationnisme restera-t-il durablement l’orientation centrale de la politique extérieure américaine… avec néanmoins des épisodes dangereux d’emploi bref et massif de la force et une fixation hostile sur la Chine. Comme ennemi n° un de l’Islamisme politique, les Etats-Unis vont-ils contribuer involontairement à stimuler le jihadisme à travers le monde ?
Les inconnues les plus significatives touchent à l’ordre multilatéral (celui-là même que Trump veut détruire). Le blog vous assommera avec ça après le Nouvel An. En attendant, ouvrez l’œil et le bon ! Les neurones font le meilleur des casques !
