Cerner la Géopolitique, savoir où elle nous mène

 »Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même » (Walter Raleigh , 1552-1618, écrivain, poète, courtisan, officier et explorateur anglais – décapité à la tour de Londres)

Depuis la décennie 1980, la géopolitique connaît un beau succès populaire en France. Elle  se présente à nous sous plusieurs définitions : ‘’formation et action des puissances politiques dans l’espace’’ (Fondation des études pour la défense nationale) ; ‘’analyse géographique de situations socio-politiques’’ (Michel Foucher, géographe et diplomate français) ; ‘’tout ce qui concerne les rivalités de pouvoirs ou d’influence sur des territoires ou sur les populations qui y vivent » (Yves Lacoste, géographe et historien, fondateur de l’Institut géopolitique Français). A l’origine, cette discipline ne désignait que les rapports de pouvoir entre États, mais son contenu s’est étendu plus généralement à l’étude, dans l’espace, de l’exercice du pouvoir, quelle qu’en soit la nature – étatique, rebelle, économique ou autre – ou l’échelle – du village au continent jusqu’au cosmos. Elle tend aujourd’hui à mettre aussi en avant les désordres de l’écosystème et du climat, particulièrement perturbateurs du système mondial. Autrement dit, elle devient la science politique de la mondialisation, reliant le fait local au système mondial, en faisant un détour par l’étude des crises, des cataclysmes, des ambitions et des excès. 

Quels buts vise-t-elle ? Yves Lacoste en définit l’objectif ainsi : ‘’les raisonnements géopolitiques aident à mieux comprendre les causes de conflit au sein d’un pays ou entre Etats » (ou mouvements armés), mais aussi à  »envisager quelles peuvent être, par contrecoup, les conséquences de ces luttes dans les pays plus ou moins éloignés et parfois dans d’autres parties du monde’’ (Yves Lacoste :  »Géopolitique, la longue histoire d’aujourd’hui » – Larousse 2006). Le géopolitologue relie ainsi l’histoire passée, riche de ses enseignements, à la prévision ou à la prévention des conflits futurs. 

– Comment est-elle arrivée jusqu’à nous ? Le premier penseur géopolitique malgré lui, Hérodote d’Halicarnasse (484-425av. JC) était, comme il se doit, historien et géographe. Il disséqua la menace constituée par les Perses et des Egyptiens pour mieux en prémunir Athènes. On ne peut mettre la géopolitique en œuvre sans coller à l’Histoire. Etudier celle-ci implique de tracer des frontières sur des cartes, de situer dans l’espace les conquêtes et les revers de souverains, de localiser et répartir les populations, etc. C’est de même dessiner des fronts militaires (ou sociaux), des lieux de batailles dont on relèvera l’issue, des infrastructures de défense, des flux humains, en évaluant leur efficacité et leur coût. L’habillage de l’espace permet d’extrapoler les rapports de force à la source des politiques (et des nombreuses erreurs fatales en la matière) et d’analyser les raisonnements et les conduites des grands acteurs, d’en expliquer alors les hauts faits comme les échecs.

De ce raisonnement dans l’espace et au travers des comportements, on tirera des axes de recherche du style :  »pourquoi en est-on arrivé là ? »,  »quels peuvent être les évolutions, les causes de rupture ? »,  »quel conflit ancien pourrait resurgir, au détour de quelle contradiction nouvelle ? ». Mais le praticien va se heurter à une foule de manipulations historiques, d’intox conscientes ou non, à la  »vérité officielle » des propagandes devenues des dogmes historiques, qui polluent, à toute époque, la justification de l’exercice du pouvoir. La géopolitique est éminemment falsifiable : c’est son moindre défaut.

– De façon inhérente à sa composante ‘’politique’’, la géopolitique est, en effet, particulièrement exposée à récupération par les gouvernants civils ou les hiérarchies militaires, même dans l’Etat de droit. Les premiers tâtonnements théoriques remontent aux écrits de Machiavel ou de Clausewitz relatifs aux  »bonnes pratiques » pour comprendre et exploiter les rapports de forces. Confisquée à son profit par le pouvoir napoléonien (pour lequel  »tout pays a la politique de sa géographie »), elle n’a émergé, en tant que science plus ou moins objective qu’au 19ème Siècle, lorsque l’histoire est rentrée dans les programmes scolaires européens et qu’un public – suffisamment large et déjà bien informé – a formulé l’exigence d’une explication rationnelle des évolutions dans l’Europe des empires. Ces personnes partageaient le souci de cerner, avant les autres, les incidences possibles sur leur vie des troubles courants plus ou moins distants du monde extérieur. Dès 1848, avec l’affirmation des nationalités en Europe, les dirigeants ‘’démocratiques’’ se sont sentis tenus d’expliquer à leurs populations leur politique étrangère. Les journaux ont ouvert des rubriques sur le sujet. Les entreprises, lancées dans l’épopée impérialiste, ont calé leurs stratégies sur ce guide de l’intérêt national. Exclusivement européo-centrée, la géopolitique d’alors, comme l’histoire, ont épousé les causes  »patriotiques » de leur époque et les intérêts et valeurs de leurs commanditaires.

– Le mot lui-même est d’usage plutôt récent. ‘’Politische Geographie’’ est apparu, en Allemagne, dans les écrits de Friedrich Ratzel (1844-1904), botaniste et géographe ‘’patriote’’, engagé dans l’expansionnisme colonial et le ‘’sea power’’ (expansion maritime) pour le compte du 1er Reich. L’universitaire suédois Rudolf Kjellen (1864-1922) contractera le terme, en 1905, en ‘’Geopolitik’’, qui avait l’avantage de pouvoir servir aussi d’adjectif. En Prusse, la science géographique était la plus avancée qu’ailleurs en Europe et l’histoire était largement enseignée. La pensée d’Emmanuel Kant y avait préparé les esprits, en parvenant à conjuguer l’étude de l’espace à celle du temps. A la même époque, le  »darwinisme social’’, appliqué aux relations entre groupes humains,cherchait à accréditer l’idée que la ‘’loi de l’espèce’’ accordait tous les privilèges aux peuples les plus forts, à l’image de l’Evolution œuvrant contre les éléments faibles, dans la nature. Cette conception raciale a connu du succès en Europe, dans la première moitié du XXème siècle. Elle a empoisonné la science de l’Histoire et donc la géopolitique qui lui est cousine.

– La cousine anglo-saxonne de l’école allemande s’est développée dans l’optique d’une domination globale à maintenir sur les océans et sur les terres.

Le  »sea power » (théorie de l’empire maritime), tel que conçu par le stratège naval américain Alfred Mahan (1840-1914) définit la puissance d’un État (en l’espèce le Royaume-Uni) par la domination des mers ou océans.Son travail consiste donc il s’est spécialisé dans l’étude des principes stratégiques historiques régissant le contrôle des mers. Mais la planète comporte aussi une  »île mondiale » au milieu des océans. Halford John Mackinder (1861-1947) pose en postulat que, pour dominer le monde, il faut dominer l’île mondiale et principalement le cœur de cette île, le Heartland,  »pivot géographique de l’histoire » (allant de la plaine de l’Europe centrale à la Sibérie occidentale et en direction de la Méditerranée, du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud). Pour rester une grande puissance mondiale, l’Angleterre doit aussi s’attacher à se positionner sur terre en maîtrisant les moyens de transport par voie de chemin de fer. L’approche géopolitique anglaise renvoie à une volonté de domination du monde via le commerce, en contrôlant les mers, puis désormais les terres. 

– Au lendemain du premier conflit mondial, l’Allemagne, prise dans  »l’étau du Traité de Versailles’’, en inaugura une nouvelle dimension, défensive et victimisée. Les spécialistes allemands théorisèrent scientifiquement les injustices imposées par les vainqueurs et justifièrent la préparation d’une revanche contre les ‘’vieilles’’ démocraties (cf. les ‘’Zeitschriff für Geopolitik’’ de Karl Haushofer, revue très prisée du monde politique allemand dans l’entre-deux-guerres). La pensée stratégique de Vladimir Poutine reflète assez bien cet état d’esprit, de nos jours.

– Dans les années 1930, le nazisme s’est emparé de cet outil, pour en faire ‘’une sorte de slogan pseudo-scientifique’’ (Yves Lacoste p 18), exaltant la population allemande dans sa guerre de conquête et d’oppression (‘’lebensraum’’/ espace vital ; ‘’Staat als Lebenform’’ / nature organique de l’Etat, etc.). Il était donc inévitable, au lendemain de la seconde guerre mondiale, que la science géopolitique, dévoyée par les propagandistes nazis, ait sombré dans la stigmatisation et le tabou. En France, cela a duré trois décennies. Hormis l’ouvrage de Vidal de la Blache ‘’France de l’Est’’, les géographes ne s’intéressaient guère au politique et les historiens préféraient travailler entre eux. 

– La géopolitique a néanmoins resurgi – sous d’autres vocables et dans une optique essentiellement stratégique – avec la guerre froide. Parmi d’autres, la crise de Berlin (1948-49) et celle des fusées à Cuba (1962) ont vu les deux blocs  »jouer » une partie au bord du gouffre, autour de cartes et de paris raisonnés sur le comportement l’un de l’autre. L’Alsace-Lorraine ‘étant plus à récupérer, pour la France, le plus géopolitique tenait aux conflits coloniaux, dont elle ne parvenait pas à s’extraire. Une nouvelle application de la géopolitique est apparue en rapport avec ce problème, appelant une approche plus civile et institutionnelle que classiquement militaire. Elle correspondait aussi  aux évolutions de la science politique : éclairer la problématique des résistances nationales, les perspectives tant d’une pérennisation des affrontements que de l’octroi des indépendances, l’atout du pétrole saharien et des sites d’expérimentation nucléaire, les choix de souveraineté dans et hors de l’OTAN. Si entre les deux blocs, on s’accuse avec acrimonie, de menées  »géopolitiques’’, (c’est dire…), dans la France du général de Gaulle, on parlera plutôt  ‘’d’options de politique étrangère’’. Mais on sait bien de quoi il s’agit.

– En décembre 1978, l’incompréhension saisit les politologues français : les communistes vietnamiens lancent une invasion contre les communistes khmers rouges, alors qu’on croyait impensable un conflit entre vainqueurs de la ‘’guerre américaine’’ du Vietnam. En février 1980, c’était au tour de la Chine communiste de ‘’punir’’ son voisin vietnamien. L’URSS met alors la Chine en garde et fait entrer sa marie en mer de Chine. Le tropisme classiquement ‘’idéologique’’ des commentateurs français s’en trouve complètement pris de court. Le Monde en conclut qu’il faudrait chercher, ‘’dans la géopolitique’’, un complément d’explication à l’histoire classique. Le monde journalistique embraye. Le terme, dont l’origine allemande était alors complètement oubliée, s’en trouve réhabilité. Il est rapidement réinvesti dans d’autres conflits atypiques (Liban, Afghanistan, Iraq-Iran et surtout l’implosion de l’URSS, en 1991, et la nouvelle donne européenne, les équipées américaines en Iraq, en 1991 et 2003, les visées chinoises en Mer de Chine, plus récemment les incursions de la Russie de Poutine dans les Etats voisins… ). Depuis 1976, une revue de géographie et de géopolitique vaut référence pour l’école française éponyme. Elle s’appelle, bien sûr, ‘’Hérodote’’.

– Dans ce blog, fort peu académique et plutôt branché sur l’actualité du monde (sans omettre l’influence de l’Histoire), je suis mon propre fil : «géopolitique = géographie + politiques + sociologie + échanges économiques + rapports de puissance, de domination ou d’émancipation ». La chronologie des  »brèves » (une ou deux par jour) s’appliquent à montrer que le monde bouge, au quotidien, dans tous ses retranchements, zones de lumière ou zones d’ombre. Il faut courir derrière pour ne pas perdre la  »grande image » de notre époque. Les cartes sont le plus souvent remplacées par des dessins d’ours, car il faut bien éviter d’assommer le client-lecteur mais les cartes sont dans la tête de l’Ours.

S’agissant d’ambitions, de rivalités ou de luttes, le cercle des acteurs concernés n’a cessé de se diversifier. Ainsi, Al Qaida et Daech sont devenus des grands classiques de l’analyse géopolitique, dans notre ère de fusionnement de toutes les sciences humaines.  Chacun d’entre nous est un micro-acteur car les grands flux de la mondialisation puisent à  source des individus  »atomisés » au sein des sociétés. Je fais mienne la théorie du Prof. Bertrand Badie (enseignant à l’IEP), comme quoi les contradictions qui s’expriment à l’international répondent à des dynamiques très comparables voire identiques à celles que l’on perçoit sur la scène sociale. Il n‘y a pas de cloisonnement de part et d’autre des frontières et des mers : les mêmes sciences humaines opèrent de la même façon. La pluralité vaut aussi pour les domaines de mise en tension, qui outre le social, le militaire, la culture et les valeurs qu’elle porte, les épopées historiques, les croyances religieuses, englobent de plus en plus la technologie (le numérique, les réseaux, les robots, les armes de destruction massive, les biotechnologies, l’espace, la météorologie, l’écologie, les réalités sociologiques, etc.). En fait, en dehors des affaires immédiates du village (quoi que…), de la routine des jours heureux, des faits divers les plus fortuits, de l’éducation de base, de la chansonnette et du sport (quoi que, encore…), la géopolitique s’intéresse à tout ce qui fait bouger le monde. Pas moins…

 

Friedrich Ratzel, fondateur (coupable) de la géopolitique

L’été géopolitique 2019 – N’espérez aucun répit !

La saison estivale laissera le souvenir de la canicule. Pourtant, l’actualité géopolitique n’a pas connu de pause (d’ailleurs, pourquoi ?) ni de baisse de température.  Si on cherche à dégager quelques tendances de fond, on pourra relever l’angoisse montante des Européens à propos du futur de notre monde ‘’invivable ». Elle contraste avec un reste du monde à la fois optimiste et belliqueux, à l’image du président Trump, de Kim Jong-Un ou de Xi Jinping. Ceux-là sont absorbés dans la recherche de gains stratégiques ou commerciaux. La scène géopolitique projette l’image du monde d’hier, sans pôle et « globalisé », glissant dans une logique de blocs antagonistes, sous l’influence de puissances conquérantes. Quelque chose des impérialismes du 19ème S et des alliances de 1914 est de retour dans l’air du temps, partout sur fond de national-populisme souverainiste. Le désordre international ne contribue pas à maintenir les liens entre les nations qu’il s’agisse du commerce, des mouvements humains, de la recherche de la Paix ou du contrôle des armements que celle-ci implique. J’y ajouterais aussi un certain cosmopolitisme des cultures, qui aide à comprendre notre temps. Sur les multiples foyers de crise et de contentieux, le populisme à courte vue ravive les braises. Mais les prises de conscience des problèmes progressent et elles peuvent aussi faire surgir de nouvelles sagesses.

Un regard sévère sur l’avenir, partagé par beaucoup

1 – La Planète finira-t-elle par se délester de l’Humanité ?

Côté ambiance, des scénarii-catastrophes planaient en préambule du G7 de Biarritz, au terme d’un mois de juillet le plus chaud de l’histoire du monde. La Sibérie et l’Amazonie, nos « poumons », se consumaient. Le dernier rapport du GIEC s’inquiétait de l’état très dégradé des terres. Parviendraient-elles à nourrir le surplus de population attendu ou, autre option, à produire les énergies renouvelables tant espérées ? La jeune Greta, 16 ans, parcourait le Nord de la planète en essemant la grève du vendredi dans les collèges et toute une génération de parents s’introspectait fermement : « avons-nous mal fait ? ». Les piques échangées entre E. Macron et J. Bolsonaro à propos de l’Amazonie en flammes ont donné un tour saisissant à cette confrontation. Maltraitance de la Terre due à notre esprit social et libertaire, « consumériste » et incapable de régulation ? Et les catastrophes s’enchaînaient : ouragans (dont le dernier, dévastateur, aux Bahamas), Ebola, séismes, parasites de l’olivier… Stopper le commerce sauvegarderait-t-il l’environnement ? Ce credo quasi-religieux a mobilisé des foules contre le CETA, avant que cet accord ne soit adopté en France, le 23 juillet, épargnant au pauvre Canada d’être traité comme notre pire ennemi. Les pays du Mercosur ont, eux, vu l’accord de libre-échange négocié depuis 19 ans avec l’UE, bloqué d’adoption par la France pour cause de « tromperie brésilienne ». Utiliser les conventions commerciales pour imposer des conditions écologiques (fidélité à l’accord de Paris – COP-21) ou couper les ponts et opter pour l’autarcie, le débat tend vers la caricature.

2 – Le délire américain, entre Grand-Guignol et avant-goût d’apocalypse

Le côté le plus délirant de la scène mondiale porte un nom : Trump. Le président américain a été à l’initiative contre tout ce qui pourrait nous assurer un avenir relativement protecteur. Si l’OMC existe encore formellement, il a désintégré tous les codes du commerce international, au profit exclusif de « l’arme du rapport de force ». Voisins, alliés comme concurrents se sont pris des taxes pour leur grade (même notre bon vin est ciblé), mais c’est encore, en direction de la Chine et de l’Iran que ces offensives ont été les plus agressives, souvent à la limite du blocus (Iran) ou de l’étouffoir (Chine). Au point que beaucoup s’interrogent sur leurs effets récessifs potentiels, voire sur une dérive militaire dans la gestion des crises : tentative avortée de bombardement par drones sur l’Iran, manœuvres de confiscation de bâtiments de commerce répondant à des sabotages, resserrement des interdictions bancaires et, concernant la Chine, livraison d’armes à Taiwan et même menace de « couler » la place financière de Hongkong ! En revanche, le Groenland plaît à Donald et il propose de l’acheter, au grand effarement des autorités tutélaires, au Danemark. Pour se constituer un arsenal contre la Chine, le 2 août, il jette aux orties le traité INF bannissant les missiles nucléaires de 500 à 5000 km de portée, qui protégeait l’Europe du péril atomique. Sous une pluie d’essais balistiques nord-coréens, il affirme sans fard que « tout va bien avec (son) ami Kim ». Dans la même veine, après un an de négociation secrète avec les Talibans, il congédie ceux-ci à leur arrivée à Camp David et décide de laisser pourrir le conflit d’Afghanistan, dont l’issue dans l’honneur est, pour le coup, un vrai casse-tête. Qu’importe ! Sur le « front électoral », primordial à ses yeux, le milliardaire manie l’insulte raciste contre des élues du Congrès (« retournez d’où vous venez ! »), la soumission des migrants latinos – même, les enfants – à de mauvais traitements, les diktats à ses industriels pour qu’ils désinvestissent en Chine ou fabriquent des véhicules polluants, etc.

3 – Le nationalisme obtus, plus contagieux qu’Ebola

La xénophobie, le protectionnisme et le nationalisme ne sont pas l’apanage d’un seul pays et l’été 2019 a illustré une propension croissante à la création de conflits, dans d’autres régions du monde. Bien qu’e principe pacifique, la grande offensive de Pékin sur les nouvelles routes de la Soie fait peur, tout en créant des opportunités. Les pays africains ont été particulièrement ciblés par cette invite à sortir du système multilatéral pour prospérer dans l’orbite chinoise. Certains laissent percevoir de la prudence, à l’image des états européens, exception faite de la Grèce, de l’Italie et de l’Europe centrale. Quelques jours après avoir célébré, au château de Chantilly, son partenariat stratégique avec la France, l’Indien Narendra Modi met fin brutalement à l’autonomie du Jammu-Cachemire, ce territoire musulman revendiqué par le Pakistan depuis la partition de 1947 et dont la population se retrouve en quasi-rétention. Islamabad ne manquera pas de riposter par le biais des groupes d’insurgés soutenus à distance. La Birmanie achève de barricader au Bangladesh ses Rohingyas. L’ASEAN, prudente, maintient un fer au feu avec la Chine et l’autre avec les Etats Unis (manœuvres communes). Mais le clash de valeurs le plus spectaculaire concerne Hongkong, dont la population est en ébullition depuis février contre la « mainmise continentale » (de Pékin) sur la vie politique locale. Centré initialement sur une volonté unanime de résistance à un projet de loi liberticide (possible déportation des suspects vers la justice communiste), l’indignation s’est mue en dénonciation des ingérences du PC chinois mennaçant les garanties d’autonomie complète (un pays – deux systèmes) accordées pour 50 ans lors de la dévolution du territoire à la Chine, en 1997. En réponse à la brutalité montante de la police et à la surdité politique du gouvernement hongkongais (qui confirme son inféodation à Pékin), la tension monte, avec son cortège de violences, à l’approche du 1er octobre, la date célébrant le 70ème anniversaire de la fondation de la RPC, à l’occasion de laquelle les dirigeants du PCC ne peuvent se permettre de perdre la face. Or, Hongkong est le poumon financier de la Chine et son plus grand port….

4 – Vers une guerre entre les USA et l’Iran ?

Sur arrière-plan de confrontation entre sunnites et chiites, des deux côtés, on s’y est préparé. Washington, en sortant de l’accord nucléaire de Vienne de 2015, seule piste praticable pour calmer le jeu de la prolifération nucléaire (et balistique), sans perte de face … mais aussi, en sanctionnant personnellement les dirigeants iraniens (confiscation des comptes bancaires) et, surtout, en bloquant tout commerce avec Téhéran en vertu de la « loi du dollar », qui bannit l’usage de cette devise pour toute transaction. Les Européens ont bien tenté, par le mécanisme de troc INSTEX de desserrer un peu le collet mais leurs entreprises, très respectueuses du Trésor américain, n’ont pas suivi. En pleine bataille d’arraisonnement de pétroliers et de tir de drones dans le golfe d’Ormuz, un ultimatum a été lancé aux Européens par le président Rohani : rétablir le commerce sous 60 jours. Le délai passé, les mollahs en viennent à se désengager par étapes de leurs obligations aux termes de l’accord nucléaire : les centrifugeuses tournent à nouveau à plein. Un peu plus au Sud du Golfe, au Yémen, la population continue de subir les bombardements aériens saoudiens et les chars emirati, avec, dans les deux cas, la très probable utilisation d’armes françaises, car, faute d’être sunnite, l’industrie de défense du Pays de Voltaire se montre foncièrement anti-chiite. La confusion règne entre alliés arabes opposés aux Houtis chiites : Riyad veut punir, nettoyer et réinstaller le président Radhi, « dégagé » par la population. Abu Dhabi cherche à s’octroyer une emprise sur le terrain, au Sud, en s’appuyant sur des milices indépendantistes ou autres. Les deux capitales laissent Daech et Al Qaeda prospérer. Rien de sérieux à signaler sur la Syrie : Idlib, une province de 3, 5 millions d’habitants – surtout des déplacés de guerre – est soumise par les troupes de Damas et l’aviation russe à blocus et à un déluge continu de bombes, mais les démocraties d’Occident ne s’en préoccupent guère. Accessoirement, la Turquie menace d’ouvrir – en direction de l’Europe – les vannes des quelque trois millions de réfugiés syriens sur son territoire, si on ne laisse pas son armée constituer, en Syrie, un glacis de 30 à 40 km de profondeur, tout au long de sa frontière sud (de peuplement kurde). L’entité autonome kurde YPG, qui a libéré la population des bandes de Daech, avec des appuis aériens occidentaux, est clairement en ligne de mire. A l’approche d’élections qui seront difficiles pour B. Netanyahou, Israël envoie aussi son aviation bombarder, en Syrie – mais aussi en Iraq et au Liban – tout ce que l’Iran compte comme éléments armés et associés dans la Région. Il est vrai que l’axe de pénétration que Téhéran tisse patiemment jusqu’à la Méditerranée constitue une vraie menace pour l’Etat hébreu. La prétention d’annexer un tiers de la Cisjordanie vise, elle, à plaire à la majorité de l’électorat, farouchement opposée à une paix en Palestine.

5 – En Afrique, un face à face stoïque de la bonne et de la mauvaise gouvernance

– Dans ce tableau général d’une « Asie qui brûle », l’Afrique s’en tire-t-elle mieux ? Comme les étudiants Hongkongais, les jeunesses du Soudan, d’Algérie et de Tunisie expriment une volonté exemplaire de refuser l’injustice et l’oppression des grands dirigeants corrompus. A Khartoum, au lendemain d’un Tiananmen sanglant le 3 juillet, les militaires – qui ont renversé le général Al Bechir – se sont ressaisis et ont fini par accepter une transition vers la démocratie de trois ans, partagée entre eux-mêmes et la société civile. L’Ethiopie a exercé ses bons offices. Une belle victoire, quoi que très fragile. En Algérie, l’après Bouteflika s’annonce sous des auspices comparables, : la population et la jeunesse en particulier ont manifesté leur ferveur démocratique et leur attachement aux libertés sans être contrés par les Islamistes, la corruption est sanctionnée, une transition est annoncée mais l’arrestation de certains démocrates et l’autoritarisme du Chef d’Etat-major, actuellement aux mannettes rend circonspect. En Tunisie, la classe politique a bien réagi à la disparition du président Beji Caïd Essebsi, un grand acteur de la révolution démocratique. On peut gager que le modèle tunisien, unique au sein du monde arabe, est en train de prendre racine. La prédiction inspire de l’optimisme, en même temps qu’elle illustre le rêve éternel de liberté et de dignité, qui n’a pas perdu son attrait, du fait de l’urgence climatique.

– Ailleurs, sur le continent noir : expansion inquiétante des zones d’exactions jihadistes à travers le Sahel et l’Afrique centrale (où les attentats jihadistes se multiplient aussi), pandémie d’Ebola qui s’étend, forêts tropicales qui partent en fumée, nouvelle vague de violences xénophobes dans les townships d’Afrique du Sud, départ de centaines de milliers de candidats à la traversée vers l’Europe, promis à des supplices en Libye ou à se noyer en Méditerranée, à portée de navires européens désormais interdits de tout secours en mer. Matteo Salvini n’aura constitué que la partie émergée, très visible, de cet iceberg d’hostilité et de déni du droit humanitaire.

– A courte portée de la Tunisie démocratique, l’anarchie libyenne fait tache. Après avoir bénéficié de soutiens militaires français, le « maréchal » Haftar met la région de Tripoli sous siège et à feu et à sang. Les milices s’en donnent à cœur joie : exactions économiques, pillages, torture et racket des exilés subsahariens (bombardés jusque dans les centres d’hébergement), tandis que l’Europe continue sa distribution de subsides à qui voudra bien endiguer le flux des Africains. Là aussi, le chaos général bénéficie aux mouvements jihadistes qui prospèrent là où les Etats dysfonctionnent ou n’existent plus.

6 – L’Europe, cahin-caha, sur une pente glissant vers l’insignifiance

Certes, tout n’a pas empiré sur le Vieux Continent. La France a eu le mérite de tenter une discrète opération pour désamorcer la bombe américano-iranienne, mais elle n‘avait pas le poids requis. Elle occupe le haut du pavé climatique et environnemental tout en ayant perdu beaucoup de son poids géopolitique, scientifique et humanitaire ou moral. Paris a occupé, pendant l’été, une place d’importance compte tenu des difficultés intérieures qui affectaient ses partenaires européens et de l’ambiance prévalente de repli sur soi. Sa diplomatie s’efforce à rééquilibrer la relation avec la Russie et à recréer, avec le « président-ennemi de tous les régimes libéraux », des éléments de convergence et de complémentarité (d’où la visite de V. Poutine au fort de Brégançon, avant le G 7). Elle espère que, ce faisant, l’Europe et la Russie pourront prévenir le risque de se voir éclipsées par le nouveau duopole sino-américain. L’idée de sauver, au passage, quelques lambeaux de l’ordre multilatéral, qui gageait la Paix, n‘est pas absente du raisonnement, même si, pratiquement, on ne peut aller loin sans l’aval des autres. Ce nouvel état d’esprit, auquel Poutine se prête pour le moment (qu’aurait-il à y perdre ?), favorise la recherche d’une solution en Ukraine. L’élection à Kiev d’un nouveau président, plus pragmatique y contribue positivement et, ainsi, des échanges de prisonniers ont été amorcés. On parle un peu du Moyen-Orient, où les deux grands acteurs sont empêtrés et pourraient vouloir conclure sur un plan politique. Reste le déploiement en cours de missiles nucléaires ciblés sur les villes européennes. Décidé en juillet, il ne favorisera pas la confiance.

– Le choc qui disqualifiera l’Europe a pour nom « Brexit ». Lancé par le referendum de juin 2016, sur fond de fureur populiste à l’égard des institutions de Bruxelles et des Européens de l’Est, jugés envahissants, le divorce d’avec le continent était devenu la quadrature du cercle sous T. May. Toutes les options étaient bloquées. Après que ses inspirateurs se sont emparés des leviers du Royaume, Boris Johnson en tête de proue, un bras de fer hargneux s’en est suivi avec le Parlement de Westminster. Ce dernier a infligé, à l’ancien maire de Londres, une belle brassée de camouflets, récusant son projet de « hard Brexit », sans accord avec l’UE, impérativement au 31 octobre (six motions sur six votées contre lui). N’en doutons pas, la suite de cette féroce bagarre fera les bons feuilletons de l’automne, mais elle achèvera aussi de projeter, à travers le monde, l’image d’une Europe en déclin et peut-être même en décomposition. Certes, c’est exagéré. Sans doute, les Etats Unis – si Trump est réélu fin-2020 -, les légions de hackers du Kremlin, Facebook et les investisseurs « routes de la soie » sauront profiter de l’aubaine. Pourtant, l’Union a plutôt bien tenu le coup face aux coups de boutoir britanniques. A la date de la rupture annoncée (aussi, celle célébrant Halloween), elle mettra en place une nouvelle équipe dirigeante, présidée – pour ce qui est de la Commission – par U. van der Leyen, ancienne ministre de la défense d’Allemagne, réputée avoir l’esprit géopolitique. Autre acquis immédiat : le reflux des personnalités populistes. En Italie, M. Salvini est tombé, après avoir essayé d’accaparer le pouvoir par la voie plébiscitaire. Le piège s’est refermé sur lui et Rome devrait retrouver, pour un temps, le chemin de Bruxelles. En Hongrie, en République tchèque (où elle a chassé un premier ministre corrompu), en Pologne, à un moindre degré, des oppositions se font entendre plus fort face aux dirigeants autoritaires. Irait-on jusqu’à espérer, si les attentats poursuivent leur déclin actuel, que les questions bien réelles concernant les nouvelles migrations, le climat, la défense et le « soft power » de l’Europe, la sécurité financière, la sécurité numérique, le développement durable, l’avenir de nos libertés, etc. soient saisies à bras le corps par une Europe suffisamment unie pour aller de l’avant. Rendez-vous au début-2020 !

Les trente-trois plaies de la boule sous nos pattes

La Force est avec l’ourson Géo. Géo dit l’avenir géopolitique

Ici, l’Ourson Géo ! Je suis comme lassé par les balivernes littéraires que vous impose mon associé humain, sur le présent blog. Pures billevesées, tous ces cochons déguisés en moutons ! Dans une optique ourso-stratégique, ce sont les « collapses » (in french : effondrements), provoqués par les humains, qui dégradent le plus inconsidérément notre Terre (Earth), où les ours ne sont plus que des « colocs » désemparés. Bertrand (le type qui lit Le Monde) n’en parle pas assez et pendant qu’il écume la banlieue sur son scooter, Moi-Je-Personnellement-in Personnae-ursidus, m’empare du clavier et vais vous révéler l’avenir.

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Mai 2018 : permettez moi un grand coup de pessimisme géopolitique

Damas sous feux croisés

En écoutant les news ce matin, je sentais les missiles iraniens et israéliens me frôler l’occiput. Je me suis dit qu’il devrait être fortement décommandé de relire l’apocalypse de l’apôtre Jean. Plus l’incandescente scène mondiale revêt un manteau crépusculaire, plus on doit – croyez-moi – s’efforcer de s’extraire des prophéties. Cela, de crainte qu’on les amène à s’autoréaliser finalement. Le principe de Günther Anders énonce que plus c’est menaçant, plus c’est réel, moins on veut le voir. Mais là, j’ouvre un cas particulier : non, Trump n’est pas (tout à fait) l’Antéchrist ! Non, Bibi Nétanyahou n’est pas (totalement) l’Archange de la fin des temps ! Non, l’ayatollah Khamenei n’est pas précisément un avatar du grand prêtre Caïphe, qui décréta la passion du Sauveur ! Oublions ça. Lire la suite

Géopolitique de l’Ours polaire

L’Ourson aurait pu bouillir d’indignation en découvrant la censure, il y peu, du film  »La sociologue et l’Ourson » (produit par Etienne Chaillou et Mathias Théry). C’était un décret contestable de la municipalité d’Argenteuil (95). J’ai essayé de le taquiner sur le thème abordé par cette œuvre – le mariage pour tous – mais il m’a renvoyé durement dans mes buts :  » je n’ai absolument aucune idée ni à priori sur un tel sujet et je ne réagis pas plus à la présence du mot  »ourson » que toi à celle de l’expression  »barbu idiot ». Et toc ! Il avait un scoop plus sérieux à traiter, nullement zoo-centré : ‘la géopolitique de l’Ours polaire’. Il préparait son coup de projecteur saisissant sur l’avenir de notre monde. Il a chaussé ses lunettes et m’a lancé :  »cette fois, j’opère tout seul, va-t’en dessiner tes Mickeys!’

Géopolitique de l'Ours polaire, l'ouvrage
Géopolitique de l’Ours polaire, l’ouvrage

L’Ours polaire, celui qui bosse en hiver et bulle en été (contrairement à l’ours brun), ce serait comme pour vous autres LE super-héros des cartoons américains : vraisemblable et mythique à la fois ! Si l’on met de côté le cousin Panda, pelucheux mais pas trop courageux et surtout  »gnan-gnan », aucun animal sur la calotte glacière ni sur la banquise ne lui arrive à hauteur de griffe, en beauté, en puissance sauvage, en signification géostratégique et globo-climatique.

– Au début, l’Homme l’a laissé tranquille : les Inuits s’en prenaient surtout aux baleines. Pythéas (fameux navigateur marseillais aux alentours de 330 avant JC) n’a pas réussi à dépasser l’Islande et n’en a donc pas croisé. Au Groenland en 982, le viking Eric le Rouge tombe nez à nez avec Arctos ( »Ours », en grec, ce qui démontre que l’Arctique est fondamentalement  »oursien »). Six siècles plus tard, le Danois Mogens Heinson réédite l’expérience : il abat l’Ours blanc de 17 coups de tromblon, puis, la peur au ventre, vend sa peau sur le marché aux voleurs de Copenhague … pour une somme rondelette.

– La menace apparaît plus tard, du fait de l’obsession d’un raccourci naval stratégique qui gagne les Scandinaves, les Anglais et les Russes depuis la fin du 16 è siècle : économiser un bon tiers du trajet en découvrant des voies navigables polaires entre l’Europe et l’Amérique ( »passage du Nord-ouest à travers le Groenland et l’archipel arctique canadien) et entre l’Europe et l’Asie orientale (passage du Nord-est, le long des côtes de Sibérie). Dans les vingt dernières années du 19 ème Siècle, une fixation se concrétise sur les pôles (géographique et magnétique), dans une situation de concurrence échevelée. Les Américains Robert Peary et Frederick Cook s’échinent à gagner la course au pôle en traîneau, sans qu’on sache trop lequel des deux a réussi le premier, en avril 1909 (on choisit généralement Peary, parce qu’il a survécu à l’épreuve). Autant vous dire que dans ce genre d’épopée suicidaire, l’Homme a mangé plus l’Ours que l’inverse ! Et toute cette violence n’a servi à rien, puisque le raid a pu être réédité en ballon (Roald Admunsen et l’Italien Umberto Nobile) puis en hydravion (1926 – Admunsen, encore), puis en avion à skis (1934 – Vodopionov et trois autres aviateurs russes) et même, au chaud dans son fauteuil, l’Américain William R. Anderson à bord du sous-marin Nautilus, en 1958. Ils auraient du commencer par là. Je ferai un cas à part du raid en moto-neige ou skidoo (1967, quatre Nord-américains), tout pétaradant. Il a foncièrement déplu à mon grand cousin blanc, lui brouillant les oreilles comme l’odorat. Pourrait-on le laisser tranquille un peu ?

– Le chenal du Nord-est a été ouvert plus tard (par le Suédois Adolph Nordenskjöld, en 1879), plus aisément et de façon plus viable que le détour par l’ouest entre Alaska et détroit de Béring. Sa capacité utilitaire tient, notamment, aux efforts accomplis par l’ex-URSS et par l’actuelle Russie dans le but d’établir sa souveraineté maritime dans la région arctique. Celle-ci s’est traduite par un maillage de ports en eaux profondes, de bases militaires et de stations de brise-glaces permettant la navigation estivale en eaux libres. Sur le plan économique, la voie a été ouverte à l’exploitation des ressources gazières pétrolières et minérales dont abondent la Mer de Barents, celles de Kara, de Laptev, de Sibérie orientale, des Tchouktches bref la moitié des eaux circumpolaires.
– Par contraste, la voie du Nord-ouest, même à demi-parcourue en 1850, par le canadien Robert Mc Clure, n’a été pratiquée de bout en bout qu’en 1906, par le Norvégien Roald Admunsen. Elle est pour l’heure, moins courue, à ceci près que l’exploitation des ressources naturelles est très active dans ce voisinage.
Je cite ces faits car il a fallu brutalement renverser le cours de la nature et brutaliser Arctos pour en arriver à ce charivari, à cette prolifération de plate-formes pétrolières géantes russes ou américaines (Alaska), voire Canadiennes, mangeant peu à peu l’écohabitat de l’Ours polaire. Depuis cette année, des cargos polaires chinois commencent à écumer la route du Nord-est. Les ours les voient passer comme les vaches regarderaient les trains. Ces mastodontes dans un environnement hyper-fragile et lent à rétablir ses équilibres vont avitailler vos supermarchés européens pour que l’ours en peluche made in PRC vous soit vendu moins cher, au risque de souiller la blancheur immaculée des pôles… et des ours.

– Premier coup de griffe humain : l’hivernage sur la banquise, pratiqué par les explorateurs naviguant à la voile (car, seulement bien plus tard, les coques en acier et la machine à vapeur permettront de parcourir la route entre fin-mai et fin-août). Comment pensez-vous que s’occupaient les rudes gaillards imbibés d’aquavit, lorsque prisonniers des glaces pendant neuf mois par an et oubliés de tous, ils jonglaient avec la mort (beaucoup y ont laissé leur peau, et pas seulement les ours) ? Ils en ont pourtant massacré, des ours blancs !

– Deuxième entorse aux bonnes manières, avec l’intrusion des compagnies marchandes, telle celle créée par les Britanniques en Baie d’Hudson en 1670 et bien d’autres. Que ramener aux actionnaires ou aux souverains, surtout quand on n’avait pas trouvé le Graal du débouché vers les mers libres? des peaux d’ours polaire, évidemment ! Aujourd’hui encore, les bureaux des grands tycoons hongkongais, des nomenklaturistes russes et les musées attrape-touristes du grand Nord recèlent des centaines de milliers de ces peaux, tapis ou trophées d’Ours polaire qui valent leur prix d’or en milliers d’Euros et attisent la sanguinaire convoitise des contrebandiers.

– Depuis les années 1990, l’Europe interdit le commerce dit des  »produits de phoque » et elle adopte, en matière de protection de l’Espèce, une politique hyper-restrictive … au point de se brouiller avec le Canada, qui met en avant les droits coutumiers des populations inuits ; Au passage, on s’empresse d’oublier que lesdites populations se sont retournées vers l’Ours … depuis que la Convention baleinière leur interdit un libre accès à la ressource en cétacés … mais aussi, depuis que les médias ont diabolisé la chasse au phoque en général et le massacre des bébés phoques, en particulier. En 1973, des images ont horrifié le monde, pour une part du fait d’une mise en scène mal-intentionnée. Les Inuits ont subi l’opprobre. Tout ceci n’a pas réellement entamé l’abondant vivier de phoques mais, en revanche, cela a mis en péril les ours en tant que ressource et proie de substitution à la fois à la baleine et au phoque (si on sauvait l’Ours, est ce que les pingouins morfleraient ?). Qui a eu raison dans cette affaire de commerce et de bonne conscience ? Ottawa avance le motif légitime de protéger les rares ressources des Inuits, alors que, par ailleurs, cette minorité a été déculturée et vit désormais de prestations sociales et d’alcool plus que de chasse ancestrale. L’Europe n’a pas eu tort de vouloir faire avancer le droit, balbutiant sous ces latitudes (contrairement à l’Antarctique, qui jouit d’un statut multilatéral par le Traité de Washington de 1949). Quand bien même, l’émotion et le choc des images ne créent à eux seuls, la rationalité ni l’équité. L’Ours, sa peau, son rapport avec le phoque et la baleine sont devenus sources de polémiques géopolitiques, encore aujourd’hui.

– La guerre froide n’a pas été plus  »oursicide » que ça, le fait mérite d’être souligné. L’installation le long des réseaux radars stratégiques, de bases militaires – la plupart,démantelées aujourd’hui – a créé une présence militaire  »intrusive » en terres autochtones, comme à Thulé (base aérienne américaine au Groenland). La gestion laxiste des déchets humains par les hommes en vert a provoqué à son tour une invasion des ours, attirés par ces  »friandises ». Les pauvres gros gourmands ont été abattus en masse pour qu’ils ne s’habituent pas à coexister avec Homo sapiens, le comble de la discrimination ! La petite communauté de zoologues soviétiques qui se sont penchés sur le sort d’Arctos – dans sa version sibérienne – ne s’est jamais heurtée à ses homologues occidentaux sur le front idéologique ni sur celui des missiles nucléaires dont les deux super-grands étaient prêts à se gratifier par la trajectoire la plus courte, celle passant par dessus les oreilles des ours. L’Ours polaire reste assez protégé par la loi russe, même si l’on doit s’inquiéter du lien de plus en plus patent entre corruption systémique et contrebande animale. De plus, la Russie qui héberge la moitié de la population plantigrade du grand Nord n’a jamais été à même d’en effectuer le recensement exact. Avec le Canada, c’est pourtant le pays le plus  »ours blanc » de la planète bleue.

– Moscou tient sa place au sein du Conseil de l’Arctique créé en 1996 (www.arctic-council.org) et de la Conférence Circumpolaire inuit. Par contre, Washington et Ottawa ont eu, récemment, beaucoup de difficultés à s’entendre sur Arctos. S’appuyant sur leur allié norvégien, les États-Unis l’ont consacré  »mammifère arctique en danger d’extinction » et l’Alaska verbalise férocement les contrevenants. Pour le Canada, il n’est ni en voie de disparition, ni même maritime. Vu d’Ottawa, la fonte de la banquise ne menace donc pas l’Ours ! Car, c’est vrai : il sait nager … comme vous.

– Vous connaissez, certes, la CITES, cette convention de 1973 organisant la protection des espèces menacées (faune et flore). Elle recense plus de 5000 espèces animales, dont l’Ours blanc et le Panda sont les plus éminents. Pourquoi pas le béluga ? C’est comme ça, ne cherchez pas. !

– Les cinq grandes nations polaires (Grand nord du Canada, Russie du Nord, Groenland, Alaska et Norvège septentrionale), celles qui regroupent 90% de l’oursosphère (humanité oursienne) se disputent allègrement quant au classement d’Arctos en annexe 1 (prohibition absolue de la chasse) et annexe 2 (prohibition sélective et quotas contrôlés) de la Convention. En 2015, les assises annuelles de la CITES se sont achevées dans la confusion. Pour  »décrocher » l’annexe 1, certains experts abolitionnistes de la chasse ont été jusqu’à prétendre qu’il était déjà trop tard pour sauver l’Espèce dans son habitat naturel et qu’il fallait d’urgence transférer les  »derniers survivants » dans des zoos ! Cette provocation n’a pas été comprise au second degré comme elle aurait du l’être : positivement zinzin ! On sait bien que l’Ours polaire ne s’adapte pas du tout à l’enfermement carcéral et qu’il s’y transforme en légume : il se met à somnambuler d’un bout à l’autre de sa cage en secouant sa pauvre tête migraineuse en tous sens, accablé qu’il est par toutes sortes de tics et autres spasmes saccadés. Il perd sa libido et l’appétit et il déprime sans fond. Il n’est pas rare que les mères – qui, en liberté, restent deux ans avec leurs petits pour les éduquer – se mettent à dévorer leur progéniture lorsqu’ emprisonnées. Jusqu’à une compagnie de cinéma animalier chinoise qui importe et dresse des oursons blancs à jouer … leur propre rôle dans les films de qui en voudra (néanmoins, pour 200.000 € le mois de tournage de l’ourson-acteur). Vous voyez d’ici le tableau !

– Foi d’animal, je vais vous confier un secret : pour des raisons propres à chacun, les fourreurs, les agences du tourisme d’aventure arctique, les méchants pétroliers, les armements maritimes allant au plus court et les propriétaires et geôliers de zoo, de même que certains zozo-écolos naïfs, alimentent le mythe de  »l’ours polaire, c’est déjà foutu ! ». Donc, Arctos est bon à transférer dans des zoos-prisons, à photographier bien vite (et cher) avant qu’il ne disparaisse, à transformer en ultime manteau ou en décoration grand luxe pour bureau de PDG, il est bon à être viré de ses réserves naturelles, puisqu’elles n’ont plus réellement de raison d’être et pourront donc être livrées bientôt à l’économie marchande. Il faut savoir qu’au cours  »parallèle », une peau d’Arctos adulte vaudrait aux alentours de 40.000 €. Le prix de la peau humaine, c’est combien déjà ?
Mais toutes ces puissantes multinationales, que feront-elles dire à leurs avocats le jour ou Paris-Match ou l’AFP publiera un cliché d’ours polaire englué dans une nappe de mazout ? Ce jour-là, elles oseront dire que nul plus qu’elles n’a jamais tant cotisé pour la préservation de l’Animal, que leurs fondations humanitaires font tout pour assurer la reproduction de l’Espèce in vitro, que leur propre logo commercial comporte justement un ours blanc immaculé, comme leur âme, etc. La géopolitique, c’est avant tout affaire d’hypocrisie et de com.

CO2 m’a tuer (et pas Omar). L’image colle à la peau de l’ours, avant même que lui-même ne soit tué et qu’elle n’ait été vendue. Pauvre petite touffe blanche, vue du ciel, dérivant sur son minuscule morceau de banquise, bientôt hors-sol et condamné à nager … vers où ? … peut-être pour finir dévorée par les orques qui, profitant des bouleversements climatiques, remontent en sens inverse du Sud vers le Nord. L’Ours a beau avoir la couleur de la mousse carbonique, l’alchimie industrielle et les effluents carbonés répandus par l’Homme vers les pôles sont destructeurs de son espace vital : adieu, la bonne vieille banquise gelée, qui permet d’accéder aux phoques (miam !). Il est donc plus que juste qu’il soit devenu l’emblème, la mascotte de l’enjeu climatique, lequel est de dimension carrément planétaire. Tout enfant de plus de trois ans percevra le lien de cause à effet : l’activité humaine réchauffe l’atmosphère et les mers, la banquise fond, l’Ours polaire et l’être humain (en zone d’altitude très faible) flottent. En même temps, comme on l’a vu, l’hypocrisie monte avec le flot. Quand les humains verront sur leurs côtes des millions et des millions de boat people, réfugiés climatiques, qui d’entre vous hésitera à faire sa peau à l’Ours, si cela pouvait aider à payer la note ?

– Si je vous dis, qu’à l’inexactitude-près (ou l’inexistence?) des statistiques russes, l’extinction n’est pas pour demain et qu’en fait la prédiction du malheur a été fortement instrumentalisée, voire monétisée, qu’en déduirez-vous :  »le massacre n’a pas été si meurtrier, poursuivons-le ! » Non, bien sûr ! En fait, la communauté Arctos compterait aujourd’hui entre 20.000 et 25.000 individus, dont un millier en prison. Plus fort encore, elle n’a pas globalement diminué au cours des trois dernières décennies, même si, localement, sur les rives glacées de la Mer de Beaufort, derricks et cheminées, produits chimiques et tuyaux font mourir ou fuir vers le Sud une frange non-négligeable de mes cousins blancs. D’autres sont restés mais ne sont plus vraiment blancs. Leur magnifique fourrure en quasi-fibres de verre, dans laquelle le soleil et la banquise se mirent, est teintée de métaux lourds et d’acides. L’intérieur ne vaut guère mieux. La bête résiste, malgré tout. Plus fort que fort encore : l’ours polaire aurait survécu, par le passé, à plusieurs phases de réchauffement climatique (c’est écrit dans le bouquin).
Un élément de réponse à cette énigme : il sait se carapater vers le sud (la taïga, voire la forêt nordique), où il rencontre Petit Ours Brun, de mon genre. Et là, multiculturalisme, brassage, changement de diète et tout le reste voire mariage pour tous … et bonjour les oursons pizzly (moitié polaire, moitié grizzly)! Vous voyez, au bout du compte, la problématique de l’Ours polaire est strictement parallèle à celle de l’Humain dans sa géostratégie actuelle !
(inspiré par ‘Géopolitique de l’ours polaire’ – par Rémy Marion et Farid Benhammou Editions Hesse 3e trimestre 2015 – 20 €)
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