* 15 juillet – Le jour de résilience est arrivé

Emmanuel Macron a brièvement abordé la situation stratégique en Europe, à l’occasion de l’interview qu’il a donnée à l’occasion du 14 juillet. Bien qu’aujourd’hui ce soit vendredi, jour où l’Ours Géo fait habituellement la sieste, le fait mérite un petit commentaire. Pour une fois, il sera plutôt positif.

Les esprits simples auront retenu que la France n’est pas en guerre contre la Russie. Croyez vous ? En fait, le Chef de l’Etat a précisé qu’elle n’était pas dans une posture de confrontation militaire directe avec l’armée de Poutine… mais bien dans une guerre hybride que nous livre la Russie.

Reprenons les choses calmement : la République est bien en guerre  »par procuration » et  »par livraisons d’armes » contre les envahisseurs de l’Ukraine. Protagoniste actif, elle assume le risque de se voir absorbée dans la bataille, aux côtés de l’OTAN, si la confrontation devait se généraliser. Non pas qu’elle le souhaite, mais le choix est entre ce risque bien réel et un écrasement des libertés et de l’état de droit en Europe. La démocratie a le droit de se défendre avec des canons. Vous pouvez ne pas être du tout d’accord avec cette interprétation. Consulter alors d’autres blogs, sans poster de commentaire sur celui de l’Ours.

La guerre hybride, elle, est bien directe et elle prend l’Europe pour cible. Nous sommes depuis un bail sur le front de la cyber-guerre et de la manipulation médiatique russe. Nos positions d’influence en Afrique et dans le monde émergent sont attaquées, parfois à grands renforts de montages grossiers, comme ce prétendu charnier humain, cadeau des mercenaires de Wagner, supposé  »laissé par les forces de Barkhane », au Mali. Lorsqu’il s’agit seulement de continuer à alimenter par un corridor humanitaire les civils assiégés d’Idlib, en Syrie, Moscou jubile de bloquer l’action du Conseil de sécurité. Même chose dès que l’on essaie de faire sortir le blé des silos ukrainiens, par la Mer Noire pour nourrir les pauvres.

Le président français à trouvé curieux que les médias taisent la coupure du gaz russe à l’Europe, via le gazoduc North Stream. la fermeture des vannes est en cours. Cependant, on préfère attendre qu’elle soit totale pour en parler. La remarque présidentielle paraît fondée. Son auteur a eu le bon sens d’inviter les consommateurs français à faire des efforts de sobriété et de résilience. Excellent réflexe ! Mais il manque manifestement une clé de répartition des économies à faire, des sacrifices à consentir. Le  »QuiFaitQuoi » des sacrifices n’est pas qu’une question de modalité : la domination des choix industriels sur la justice sociale n’est plus acceptable pour beaucoup de citoyens. Voilà un sujet de politique intérieure+extérieure qui mériterait d’être porté devant l’Assemblée  »ingouvernable » issue des législatives du mois dernier. Hop ! Retour à une sieste peu-émettrice en carbone …

* 1er février – Trop dur pour y croire

Aujourd’hui, le blog de l’Ours, cite Pierre Haski, un maître en analyse géopolitique. Poutine fait ressurgir les fantômes de la guerre. Sommes nous aptes à faire face ?

 » Une guerre à l’ancienne, avec colonnes de chars et lignes de front, n’appartenait plus à notre univers mental. Or, à l’heure où les bruits de bottes russes s’amplifient aux frontières de l’Ukraine, ce risque est revenu, sous nos yeux, aux confins de  »notre » Europe, et il nous prend au dépourvu. Le maître du Kremlin en est bien conscient.

Comme tous les Européens de plus de 50 ans, j’ai grandi avec la guerre froide. Elle a façonné inconsciemment ma vision du monde. [Au point que lors de mon premier voyage de l’autre côté du rideau de fer, en Pologne dans les années 1980, je m’attendais à débarquer sur une autre planète, là où je ne découvrais en fait qu’une partie de l’Europe plus pauvre, plus triste. De même, le passage de Berlin-Ouest à Berlin-Est par Checkpoint Charlie s’accompagnait nécessairement d’une boule à l’estomac, sans doute causée par une lecture trop assidue des romans de John le Carré…] Il en fallait de l’audace pour imaginer que cette division de l’Europe disparaîtrait un jour, tant elle s’était inscrite dans nos imaginaires comme dans la géographie européenne. D’où le sentiment exceptionnel de libération à la chute du mur de Berlin en 1989, et l’euphorie – vite dissipée, hélas – qui a accompagné cette « réunification » de l’Europe.

Cette toile de fond, avec cette histoire encore fraîche dans nos mémoires, explique notre désarroi face aux bruits de bottes autour de l’Ukraine. Nous avions exclu la guerre de notre inconscient collectif. Du moins la « vraie », aux allures 1914-1918 ou 1939-1945, avec ses colonnes de chars, ses « lignes de front », le bruit de la désinformation qui, inévitablement, l’accompagne. Nous avions été traumatisés par notre impuissance lors du siège de Sarajevo et l’implosion de la Yougoslavie dans les années 1990 ; nous avons été engagés ces vingt dernières années dans des guerres lointaines en Afghanistan, au Moyen-Orient ou au Sahel ; nous avons connu le terrorisme au cœur de nos métropoles ; mais un conflit à l’ancienne, avec une puissance nucléaire de surcroît, n’appartenait plus à notre univers mental. Or ce risque est revenu, sous nos yeux, aux confins de  »notre » Europe, et il nous prend au dépourvu ».

* 17 avril – L’Ennemi, une notion  »tendance » ?

L’époque est révolue où la France se sentait sans rival. Aujourd’hui, des groupes djihadistes la voient en cible prioritaire et des Etats cherchent à l’affaiblir. La période de grâce s’est achevée au début des années 2000, dans la suite des attentats du 11 septembre 2001, à New-York et à Washington, puis lorsque AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique) l’a désignée en ennemi des croyants. Aujourd’hui, les forces françaises sont engagées au Sahel comme au Levant, Selon ses stratèges : ‘’ne pas se préparer à un conflit, c’est être (mangé) au menu de ceux qui nous veulent du mal’’. Lucidité oblige, la notion d’ennemi serait elle de retour ?


Dans un contexte international chaotique et imprévisible, où le fait guerrier redevient une culture planétaire, les armées se préparent, ces dernières années, à affronter des conflits de haute intensité – ceux qu’on n‘imaginait plus – qu’ils soient symétriques (entre armées), asymétrique (terroristes ou partisans) ou encore qu’ils combinent ces deux composantes (conflits civils à ramifications internationales). L’OTAN, aussi, planche sur les ‘’guerres du futur’’ dont on sait qu’elles sont déjà engagées – bien qu’à faible intensité – et qu’elles seront hybrides (cyber, financières, par recours aux sanctions économiques ou au blocus, aux moyens d’influence, d’espionnage, etc.). Mais la guerre se gère à distance et sa réalité n’est pas donc évidente pour tous.

Il y a quelques mois, le général Lecointre, CEMA, a présenté une formulation ‘’conventionnelle’’ de la dissuasion à la française :  »faire comprendre à nos ennemis qu’ils ne sont pas à l’abri de ripostes, s’ils nous agressent et pour cela déployer des moyens de lutte de haute intensité’’. De fait, sans se départir de sa doctrine stratégique, la France se prépare en priorité à des formes de confrontation interétatiques dans la dimension navale (accrochages avec la Turquie, la Chine, l’Iran) comme dans ses opérations terrestres outre-mer. Elle est concernée en premier lieu par la sécurité du Vieux Continent face à la menace russe – une partie au bord du gouffre se joue en Ukraine -, mais aussi par le Moyen-Orient, le Maghreb et le Sahel. La défense des départements et territoires d’outre-mer pourrait de même prendre un tour conflictuel. Comment garantir souveraineté et libre navigation, face à des dénis d’accès ? Ce sont aussi toutes ces zones interdites de survol ou d’approche installant des vides de réaction en cas d’agression car ils mettent l’attaquant hors de portée des capacités de réplique des pays frappés.


L’identification de l’adversaire s’impose dans les préparatifs opérationnels, mais on ne nomme jamais ouvertement les pays avec lesquels des affrontements risquent de se produire. En Occident, la guerre charrie un lourd relent d’immoralité, même pour qui y est confronté contre sa volonté. Bien sûr, il serait indécent d’oublier que c’est un phénomène horrible – comme l’est la pandémie – mais de-là à renoncer à se défendre… Tout devrait toujours être fait pour que personne ne se proclame l’ennemi de quiconque, même au prix d’un déni cognitif. Ainsi, la Turquie est une alliée dans l’OTAN, donc mieux vaut se méfier d’Erdogan que de son pays. La Russie est appelée à s’intégrer ‘’un jour’’ dans l’architecture de sécurité européenne (un objectif souhaitable), alors ménageons – verbalement – V Poutine… tout en s’en méfiant. On n’empêchera pas hélas que la France et l’Alliance soient catégorisées publiquement comme des ennemies et parfois même comme ‘’terroristes’’ (sic). L’URSS de Brejnev craignait l’OTAN et percevait un avantage à une détente avec l’Occident. Par contraste, la Russie de Poutine juge possible l’effondrement de l’Occident et se montre nettement plus agressive. Cette posture flatte les opinions revanchardes qui servent de légitimité au Tsar comme dans d’autres autocraties populistes. Elle stimule la mobilisation guerrière des populations et la fuite en avant générale.


La frontière entre l’ennemi et l’adversaire est bien mince. Moscou a procédé à des annexions de territoires, par la force, en Europe, mène des cyberattaques en grand nombre, assassine des opposants sur le sol européen, soumet la Biélorussie, encercle le flanc sud de l’Europe depuis la Libye, l’Afrique noire et le littoral syrien, etc. Est-ce suffisant pour être perçue en ennemie, dans le sens inexorable et ancien du terme ? Tant que des règles de comportement cohérentes et constantes perdurent – même si elles sont criminelles – il vaut mieux s’en tenir à la notion d’ ‘’adversaire stratégique’’, laquelle ménage la possibilité de dialoguer et d’agir de concert dans quelques secteurs d’intérêts communs majeurs. Cette approche réaliste et peu enthousiasmante au plan des valeurs serait aussi adaptable à l’hégémonisme chinois, si la nécessité d’un durcissement s’imposait. De même avec la Turquie, dont on peut espérer que le gouvernement sortira, de lui-même, de son aventurisme paradoxal. Mais quand les  »rivaux stratégiques » se coalisent et jouet la surenchère, ne faut-il pas avertir les populations, déjà saturées de mauvaises nouvelles, que la Paix, elle aussi, est fragile ?

* 12 octobre – Tous frères

Brèves des jours précédents

Qu’est-ce qui pourrait faire renaître un désir universel d’humanité ? Voici une forte réflexion sur le populisme, les marchés et le désordre international. Elle sort des sentiers battus de la géopolitique. Le populisme pose problème, à commencer par sa définition, car il s’oppose à toute fraternité universelle. Agir en communion avec le peuple, en respectant ses caractéristiques et ses aspirations parait, à première vue, légitime. Mais, cet affichage devient malsain dès qu’il est dévoyé par l’habilité de certains dirigeants à instrumentaliser politiquement la culture (au sens large) des peuples au service de leurs projets personnels, d’un nationalisme étriqué ou de leur maintien au pouvoir. Le sens de l’intérêt commun dépérit. Quant au libéralisme économique, il entretient une culture individualiste et naïve soumise à des intérêts économiques effrénés. Il soumet l’organisation des sociétés au service de ceux qui ont déjà trop de pouvoir… et abuse les classes modestes avec des chimères telles que la théorie magique du ruissellement, qui ne résorbe aucunement les inégalités. La politique ne doit pas se soumettre à l’économie et l’économie, aux diktats d’efficacité de la technocratie. Il faudrait rechercher, à l’inverse, une participation sociale, fondée sur un amour préférentiel pour les plus faibles.

Sur cet arrière-plan, on voit la volonté de coopération entre les Etats faiblir et, avec, leur investissement dans le règlement des conflits et dans les coopérations régionales. S’ouvrir au monde est devenu une expression monopolisée par l’économie et les finances. Construire ensemble la Paix et la Justice, l’utopie d’un autre temps. Constatons combien la paix régresse partout et comme la guerre se répand aujourd’hui. Nous sommes en fait plongés dans une troisième guerre mondiale par séquences fragmentées. Dans ce contexte, le principe, longtemps mis en exergue, de la légitime défense par la force militaire devient caduc. Nous ne devons plus penser à la guerre comme une solution. L’utilité hypothétique qu’on lui a attribuée est toujours bien moindre que les risques encourus par l’humanité. N’invoquons donc plus les critères mûris en d’autres temps pour parler d’une possible ‘’guerre juste’’. Plus jamais la guerre ! (Encyclique à la Fraternité et à l’amitié sociale – Fratelli tutti – Pape François, automne 2020).