Lendemains de Brexit : Gueules de bois ou gueules de fauves, de part et d’autre de la Manche ?

I can fly, all alone !
I can fly, all alone !

Tout commence maintenant pour le Royaume Uni ! Dix mois, pour se repositionner dans tous les domaines. C’est le pari bravache et même un peu hystérique de Boris Johnson, dont le pays n’entamera que le 3 mars sa négociation sur le partenariat futur avec l’Union Européenne et, dès à présent, sa reconfiguration globale vers le grand large. Car il ne s’agit pas seulement pour Londres de se repositionner face aux 27. Tous les talents des négociateurs britanniques – car ils sont grands – et l’effectif d’experts mobilisable (plus restreint) y suffiront-ils ?

Sûrement pas, lorsqu’on sait qu’un simple accord commercial de libre-échange bilatéral prend communément de deux à dix ans pour être élaboré et prendre effet. Là, tout sera à réinventer, non pas dans l’esprit de rapprocher les normes et les intérêts en jeu – comme le voudrait la pratique habituelle – mais, au contraire, de les faire diverger le plus possible. Sinon, pourquoi divorcer ?

Le cap est donc mis sur le « global », la vision du monde dont rêvent les marchés, dans laquelle aucune régulation ne les encadrerait. Synonyme : la jungle. A une grosse nuance près : il n’est pas certain qu’une majorité de Britanniques, surtout les plus pauvres, approuvent ce pari.

Si on voulait provoquer une cassure totale et définitive avec le Continent, ce serait intellectuellement simple et dix mois y suffiraient largement. Ecartons pour l’heure l’ hypothèse d’un hard Brexit suicidaire. Car, outre-Manche, on n’entend pas déboucher sur un tableau cataclysmique de régression sociale et d’affrontements en chaîne. On voudrait le meilleur de tous les mondes, aux dépens éventuels des tiers… le beurre et l’argent du beurre, selon l’adage tant ressassé.

Redéfinir radicalement, après 47 ans de vie collective, son modèle de gouvernance étatique, économique et sociale n’est pas une mince affaire. Peut-on se défaire des normes continentales pour adopter celles du grand large (existent-elles d’ailleurs ?), sans casser quelques œufs dans son panier ? L’adaptation à plusieurs normes concurrentes de production, de consommation, de sécurité, etc tient de l’acrobatie. Certes, la moitié du commerce extérieur britannique, tournée vers l’Europe, est déficitaire. Mais n‘est-ce pas là une marque de fragilité qui inspire la prudence ? Au moins, cette moitié existe. Ne devrait-elle pas être sauvegardée par rapport à l’autre sphère d’échanges, en partie virtuelle ? Dans ces conditions, hisser sa stature dans la compétition mondiale des services et des industries, modifier en conséquence sa ligne de politique extérieure (deux veto anglo-saxons, au Conseil de Sécurité), attirer à soi les Etats-Unis, les pays du Commonwealth, la sphère de l’anglophonie au point de les contraindre tous à signer des accords de libre-échange « éclair » en un claquement de doigt, sans se coincer soi-même en position désavantageuse …n’est-on pas en train de vendre une chimère du type Incredible Hulk aux sujets de Sa Majesté ?

De même, est-il réaliste de restreindre l’installation d’étrangers non-désirés, sans entraver la mobilité des sujets britanniques, par le simple jeu de la réciprocité ? La barrière avancée contre l’immigration venant du Sud restera-t-elle en place à Calais, en l’absence d’une gestion commune de la frontière ? Les questions se bousculent.

2016 Oui UK au Breaxit

L’ardeur néo-thatchérienne du Premier Ministre, son impatience simplificatrice aux parfums populistes, l’aspiration nostalgique et patriotique de beaucoup d’Anglais (je ne dis pas « Britanniques ») à renouer avec leur grandeur passée, tout cela crée une ivresse furtive du « tout est possible désormais ». Le soufflé, évidemment, va retomber. Il sera toujours temps lorsque l’enlisement en viendra à désespérer les Brexiters, de chercher des souffre-douleur parmi des partenaires extérieurs – Bruxelles en tête – eux-mêmes cabrés sur leurs propres intérêts « égoïstes ».

D’ici là, comment la Grande Bretagne, fragilisée en son sein par la fronde des Ecossais et par la méfiance des Nord-Irlandais, va-t-elle parvenir à prendre et garder l’initiative dans tous les domaines, malgré les trois ans et demi de sa quasi-léthargie à formalise le Brexit ? De son côté, comment, l’Europe, qui se sent rejetée comme une piètre maîtresse, vivra-t-elle l’obsession britannique de se différencier d’elle jusqu’au paroxysme, en revisitant aussi le passé commun sous les couleurs les plus morbides ?

Le poids économique des Îles Britanniques n’étant plus ce qu’il a été, l’amertume communautaire pourrait se muer en volonté des négociateurs européens d’avoir le dernier mot sur tout ce qui est sur la table. Avec une pointe d’autoritarisme, la tentation de « punir le renégat » ou de lui prouver sa faute sera là, corollaire du souci européen de consolider l’édifice à 27.

Une déclaration politique commune très étoffé accompagne l’accord sur le Brexit. Elle est censée cadrer la méthode et les objectifs de la négociation qui s’ouvre. S’y tiendra-t-on avec constance ? L’humeur change. Les « feuilles de route » assignées aux négociateurs des deux bords annoncent les incompréhensions et tensions du lendemain. A ce critère, les références globales et patriotiques de Boris Johnson ont des connotations passées voire archaïques. De leur côté, les trente-cinq pages de directives rédigées à Bruxelles sont sévères et de ton défensif : pas de contournement des normes, pas de dumping sur le marché unique, pas d’accès à celui-ci sans soumission aux règles communes, même si la Cour de Justice du Luxembourg devrait être flanquée d’un tribunal « frère » britannique.

La Pêche constitue assurément LE dossier sur lequel l’UE paraît la plus faible : la position désavantageuse du demandeur. C’est d’ailleurs pour cela que Bruxelles veut en traiter en début d’agenda. Johnson n‘a pas beaucoup détaillé son plan de négociation, se contentant de prôner la préférence nationale, comme le ferait Marine Le Pen. En proposant des négociations annuelles sur les quotas et l’accès de chalutiers de l’UE aux eaux poissonneuses de l’Archipel, il entend s’armer d’un levier fort sur Bruxelles, le plus longtemps possible et aux conditions qui satisferont au mieux son industrie halieutique (laquelle exporte 80 % de sa pêche … vers le Continent). On ne le blâmera pas de maximiser cet atout, mais on peut aussi deviner que la réponse prévisible du côté communautaire sera : « pas de cadeau indu pour la pêche – pas de cadeau indu d’accès au grand marché continental ». Quand toutes les corporations affectées en seront à hurler leur fureur sur la voie publique, de part et d’autre de la Manche, les politiques sauront-ils suffisamment contrôler leurs nerfs pour calmer le jeu et avancer les concessions nécessaires ? Il faut en douter si on doit vivre et négocier dans une atmosphère populiste.

L’importation sans doute massive au Royaume Uni de produits agricoles « modifiés » américains, en dépit d’une probable vigilance des consommateurs britanniques; les offensives de débauche fiscale des entreprises tierces visant le marché continental; le contournement probable des accords de libre-échange passés par l’UE par des contre-accords britanniques passés sans précaution particulière; les visées américaines sur le système de santé britannique et au-delà; … celles de l’UE sur un éclatement géographique de la City, tout cela est susceptible de relancer, dans l’esprit des gens simples, comme un goût de Guerre de cent ans. My God (Sacré vindioux) !

,

 

La politique n’est jamais toute intérieure ou extérieure. Les deux champs se confondent

Réfugiés étrangers délogés de leur campement sauvage, à Paris en 2016
Réfugiés étrangers délogés de leur campement sauvage, à Paris en 2016

Plus que d’autres, les Français conçoivent leur histoire en termes de  »ruptures » successives. Lorsque les problèmes s’accumulent sur l’horizon politique, ils ne croient guère au gouvernement par les réformes et ils s’insurgent pour renverser la table. Ailleurs, les difficultés à décrypter la  »grande image » intriquée du monde extérieur sont contournées par la tradition du consensus national en politique étrangère. Ce domaine revient aux dirigeants nationaux ou de leurs conseillers, quitte à leur demander des comptes par la suite (Tony Blair et George W. Bush, s’agissant de l’invasion de l’Irak, en 2003). En France, c’est plus compliqué, moins clair que ça.

Lire la suite

L’exil en France, un parcours du combattant

Couverture-Eux-c-est-nous-CPE_CONSEIL_20_OCTOBRE.indd
article documentaire n° 14
La réforme législative de l’asile

Dans la définition qu’en donne la Convention de Genève : la demande d’asile (protection internationale) se fonde sur la ‘’crainte == à raison == d’être persécuté par ses autorités’’ : elle ne requière pas une persécution avérée mais des éléments de situation personnelle subjectifs, laissés à l’appréciation des Etats.

* En 1951, les réfugiés étaient européens. Maintenant, ce sont des ‘’envahisseurs’’ venus du ‘’Sud’’, dont le chemin de croix n’est pas moins lourd. Notre accueil est pourtant chiche et peu humain, jalonné d’innombrables obstacles administratifs ou policiers et de délais d’attente. Le dispositif sert à extraire, parmi les demandeurs, une majorité (83 %) de cas à rejeter, implicitement pour fraude à l’asile.

* Or, en matière de besoin de protection, il existe une graduation, du ‘’tout blanc’’ jusqu’au ‘’tout noir’’. La ligne de partage n’est pas claire entre une personne fuyant le risque d’être persécutée (réfugié) et un migrant ayant tout perdu et contraint à risquer sa vie pour s’en sortir. Nécessairement, l’asile s’intègre aux flux migratoires. Par préjugé, on va les confondre dans la même suspicion (fiche sur l’accueil en France). Pratiquement, on ne peut pas, il est vrai, traiter l’asile hors du contexte général des migrations.

1 – Motifs de la Réforme (compréhensibles et parfois louables, souvent critiquables)
– L‘objectif affiché des autorités françaises : ‘’désengorger’’ le système d’accès à l’asile en triant entre ‘’vrais’’ et ‘’faux’’ demandeurs (fraudeurs présumés). L’OFPRA accumule les retards (plus d’un an d’arriérés). L’embolie n’est pas due à une invasion soudaine ou un accueil libéral de la part de la France, même si le flux global vers l’Europe explose (guerres d’Afrique et du Moyen Orient, Kosovo…).

* Parmi les causes : la réticence des préfectures à traiter les demandes d’entrée de jeu (autorisations provisoires de séjour remplacées par de simples reçus), les délais excessifs de recours ou d’obtention de l’assistance juridictionnelle (un an de plus), l’interdiction du travail (légal), le déficit d’hébergement (20 à 25 % de SDF), la formation sur le tas des officiers de protection et des juges administratifs… Pourtant, les ‘’fugitifs’’ ont franchi un point de non-retour, leur refoulement étant heureusement prohibé par la Convention de Genève. Ils vont entièrement dépendre des prestations sociales et juridiques qu’on leur accorde (rôle important, ici, des ONG).

Les chiffres sont parlants : la demande d’asile en Europe explose. Le nombre de réfugiés reconnus par la France reste égal, au fil des ans, entre 10.000 et 12.000. L’Allemagne en accueillera quatre vingt fois fois plus en 2015 ! Non sans regimber, Paris a finalement accepté de relocaliser sur son territoire 15.000 demandeurs de plus en 2016 et autant en 2017. Sur la même durée, la Suède, trois fois moins peuplée, en accueille 8 à 10 fois plus. Le Liban, quant à lui, compte 1 réfugié pour 5 habitants. Un pays hospitalier, la France ?

* Les forces armées françaises interviennent dans de nombreux pays du ‘’Sud’’ pour défendre la souveraineté d’Etats fragiles et pour protéger les populations (parfois d’elles-mêmes). Dans le même moment, tout est fait pour fermer notre porte aux fugitifs de ces mêmes pays : aux Syriens (8 millions de fugitifs et 500 places en France/an jusqu’à récemment !), Irakiens, Libyens, Maliens, Centrafricains, Kossovar, Congolais, etc. Le sort des tibétains en France est plus enviable, un effet d’empathie culturelle ?

2 – Le grand centre de tri projeté par la réforme

– Il instaurera un traitement à deux vitesses : personnes vulnérables / pays non-sûrs (traitement normal) et ‘’ tous les autres’’ : les ressortissants de ‘’pays sûrs’’, les auteurs de récits contradictoires, les ‘’lents à demander’’, les déjà déboutés, les identités mal-documentées, les demandeurs confinés dans des lieux de privation de liberté = traitement accéléré (ex-‘’prioritaire’’ = bâclé). Aujourd’hui : 1/3 des dossiers, demain : 50 % des cas sera orienté vers des recours non-suspensifs, au risque de radiation, à l’absence d’accès à l’autorité de décision. Les « hot spots » que l’Europe s’échine à improviser à sa périphérie procèdent de la même essence.

– L’OFPRA est juge et partie, sur la base des jugements qu’elle porte sur les pays d’origine des demandeurs. Son pouvoir administratif est discrétionnaire. Ses officiers de protection sont soumis à des cadences de travail éprouvantes. Ils sont seuls à décider, sous la pression de l’urgence et de la politique du chiffre. Eux aussi expérimentent des difficultés avec les traducteurs. Ils sont incités à soupçonner une fraude dans toute demande d’asile (cf. fiche ‘’parcours du combattant’’ du demandeur d’asile).

– Les demandeurs sont marqués par leurs épreuves subies, par la perte de repères, l’ignorance de la langue et du milieu d’accueil. Ils éprouvent une certaine méfiance envers les administrations et les fonctionnaires en uniforme. Cette méfiance leur a permis d’accéder jusqu’à nous en contournant les barrières migratoires. Face aux expédients visant à ‘’faire le tri’’ parmi eux, ils ne comprennent pas bien ces procédures complexes et doivent naviguer à vue entre des écueils : trop d’assurance et de précisions dans leur récit de vie = soupçon de faux témoignage. Inhibition à raconter leurs épreuves et à documenter leur dossier = désintérêt pour eux.

* La réforme introduit plusieurs motifs nouveaux pour les disqualifier, avant l’étape de la comparution: ‘’ irrecevabilité’’ de la demande, radiation de la personne, ‘’clôture du dossier’’. On sanctionnera ainsi un rendez-vous manqué à l’OFPRA ou un refus de rejoindre le CADA désigné en province. On requerra du demandeur hébergé de pointer et une autorisation d’absence s’il va contacter une ONG ou ses parents ailleurs en France.

* En fait, des nouvelles directives de l’UE, la France n’a repris que les dispositions pouvant étendre son pouvoir de contrôle, ce qui rend son dispositif plus restrictif encore.
– Demeurera le problème des recours non-suspensifs devant les juridictions administratives d’appel, dénoncé par la CEDH. Celle-ci voit dans ces démarches sous couperet, sans moyen d’aboutir (traducteur, conseil, accès à un fax, etc.) la marque d’un droit ‘’non-effectif’’= en trompe-l’œil. Dans les situations courantes, le droit de recours sera consolidé (recours en CNDA ? recours depuis les CADA) et on attendra que le juge ait statué pour expulser. Dans d’autres (Zones d’attente aéroportuaires, CRA) l’administration gardera les mains libres.

– De plus, pour diminuer le coût de fonctionnement des juridictions on s’engage vers des cours administratives siégeant avec un juge unique au lieu de trois. Les problèmes de compréhension du parcours de vie des personnes et de la situation qui les fait fuir leurs pays vont donc empirer.

3 – L’U.E protège jalousement ses frontières. Elle traite les réfugiés sans cohérence ni ménagement

– Un autre point que la réforme française ne règlera pas est l’inégalité de l’accessibilité à la protection, au niveau des Etats-membres de l’UE (cf. fiche sur l’Europe). Certains pays européens ne respectent pas leurs obligations juridiques. Ainsi, la Grèce renvoie les Afghans, la Pologne les Tchétchènes, la Hongrie et la Bulgarie ne mettent en place que l’incarcération, s’affranchissant de tout dispositif d’instruction de l’asile ; l’Italie est très libérale pour le transit, beaucoup moins pour l’installation ; la Grande Bretagne se retranche derrière ses frontières (non-appartenance à l’espace Schengen) ; la France n’est pas toujours dans les clous, on l’a vu. Seules la Scandinavie, l’Allemagne et Malte jouent plutôt bien la règle du droit.

* Ailleurs, aux frontières de l’espace Schengen, bien menacées désormais d’un retour au « chacun pour soi », des murs anti-migrants sont parfois érigés (Hongrie – Serbie & Croatie ; Grèce-Turquie ; Bulgarie – Turquie ; Enclaves espagnoles – Maroc) et des dispositifs navals policiers – ceux de l’agence Frontex – gardent les frontières contre les migrants, quitte à en sauver quelques-uns de la noyade lorsque le drame est trop visible depuis nos côtes (plus de 4000 noyés recensés en 2014).

– Une fois l’exilé parvenu, malgré tout, en Europe, la loterie sur la vie des gens est aggravée par la procédure de Dublin. A chaque passage de frontière, le clandestin risque d’être refoulé vers son premier point d’arrivée en Europe – pays auquel revient, seul, la décision d’asile – et au pire, vers son pays d’origine. Il n’y a donc pas de choix libre de destination pour un fugitif, mais un jeu du chat et de la souris, imposé par la géographie de l’UE. Le Conseil Européen de Varsovie (automne 2015) a insisté sur la nécessité de revoir tout ce dispositif, parallèlement à l’attribution de « quotas d’admission » / clé de répartition, aux Etats-membres. Mais, alors que Schengen se délite, que les Pays-Membres de l’Ouest (plus accueillants) et de l’Est se renvoient la balle, rien ne se fait dans cette direction.

¤ Conclusion : La France ne connaît pas de vague d’immigration plus importante que dans son passé récent.

– Alors que ‘’ tous les malheurs du monde’’ dirigent sur l’Europe une petite partie du vaste exode de victimes (8 réfugiés sur 10 sont accueillis dans les pays du sud), elle se situe, surtout, au carrefour de routes migratoires empruntées. Pour autant, l’afflux vers l’UE ne se retrouve pas – pour le moment – dans les statistiques de demande d’asile de l ‘OFII et de l’OFPRA (5 % des arrivants seulement sollicitent et obtiennent une protection  et l’augmentation n’est que de 8 % en 2015 par rapport à la même période de 2014!).

– Surtout, la ‘’Patrie des droits de l’Homme’’ prend quelque liberté avec le droit international en matière d’asile et sa population se montre peu accueillante aux éprouvés. La réforme ne va guère corriger cette culture du soupçon mais contribuer à expulser plus vite les supposés fraudeurs. C’est un problème de débat citoyen qui dérive, hélas, vers la paranoïa contre ces autres nous-mêmes, que l’humanisme nous invite justement à aider. A l’heure de la réforme de l’asile, il y a là un motif urgent de plaidoyer.

notre aimable sommaire au fil de l’Ourson …

L’Europe, miroir aux alouettes : protéger les frontières ou les migrants ?

Frontex - 0Couverture
Chronique partisane (parre-tisane?) n° 6
En matière d’immigration, la politique de l’Union Européenne (U.E.) reflète largement la volonté de ses Etats-membres. Les préoccupations humanitaires s’y mêlent à des objectifs prioritaires – moins nobles – tenant à la surveillance de l’accès au Vieux Continent et au refoulement des flux migratoires entrants. Plus l’Europe se ferme aux étrangers en quête de refuge, plus ceux-ci courent de risques sur leur vie, persuadés qu’ils sont de n’avoir pas d’autre choix.

– Les Directives européennes sur l’asile (dites de Dublin) organisent le  »chacun pour soi ».
Le principe mis en œuvre est celui de l’étude d’une demande individuelle d’asile par un seul pays de Schengen, le premier où un réfugié a été enregistré. On comprend l’intérêt d’éviter des demandes d’asile multiples faites par la même personne dans différents pays de l’espace Schengen. Ce faisant, le choix d’une destination d’asile devient, sinon impossible, dicté par les aléas de la géographie. Pour, ne pas être refoulés du premier pays européen qu’ils atteignent, les demandeurs vont devoir laisser prendre leurs empreintes (programme communautaire EURODAC) et se faire enregistrer. Aux termes du Règlement de Dublin, le pays qui effectue ces opérations sera le seul responsable de leur demande d’asile. Ceci, même si le candidat-réfugié se trouve alors dans un simple couloir de transit vers un autre pays où il est attendu. La France, qui pourra, par exemple, être la destination choisie, sera justifiée en vertu de Dublin I, II & III de refouler cette personne. Cela se fera rapidement, si le pays de premier transit accepte de reprendre le demandeur et, dans la négative, avant le 7ème mois de sa présence en France.

– Le règlement européen prévoit, en principe, qu’on tienne compte des risques qui seront encourus par les personnes renvoyées dans le pays de leur 1er transit. Ainsi, la Grèce, la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, officiellement soumis au règlement de Dublin, ont la réputation de ne rien accorder aux demandeurs d’asile transitant sur leur territoire. Elles ne respectent guère le principe juridique absolu de non-refoulement d’un demandeur d’asile aux frontières. En France, les personnes ‘’dublinées’’ ont la possibilité de déposer un recours en tribunal administratif pour bénéficier d’une procédure d’examen de leur dossier. Mais, ce recours n’est pas suspensif de la décision de renvoi. Avant-même l’ordonnance du juge administratif, l’administration expulse généralement ces demandeurs de protection, sans autre forme de procès. De sorte que si l’on réalisait, ultérieurement, qu’une telle la décision de renvoi était illégale, ce serait trop tard, de toute façon.

– L’agence de surveillance des frontières, FRONTEX
L’agence Frontex a été créée et installée à Varsovie en 2005, sur la base d’un mandat ambigu : assurer le respect des frontières de Schengen contre tout franchissement illégal; ne pas laisser non plus les migrants se noyer sous nos yeux et se conformer au droit maritime.

– La catastrophe maritime de Lampedusa en octobre 2013, dans laquelle 384 migrants ont péri dans les eaux méditerranéennes, a montré toute l’ambigüité d’une gestion policière des eaux frontalières de l’Europe. De quoi parle-t-on : d’intervenir pour sauver de la noyade les naufragés abandonnés à quelques brasses de nos côtes ou plutôt de dissuader le passage et les passeurs, et pour cela de renvoyer les migrants sur les côtes de l’Afrique, là où pourra ne plus voir ces embarcations délabrées et leur cargaison humaine ? Peut-on vraiment refouler vers la Libye actuelle ?

– Dans les semaines suivantes, l’Italie a lancé ’’Mare Nostrum’’, une opération de sauvetage confiée à sa marine militaire. En un an, celle-ci a permis de secourir plus de 150.000 personnes (plus de 400 naufragés par jour) et d’arrêter 351 passeurs. Elle n’a toutefois pas empêché d’autres naufrages plus loin en pleine mer : 3.300 migrants ont trouvé la mort, en Méditerranée durant l’année, plus de 4.000, en 2014. Sur ce triste bilan, ‘’Mare Nostrum’’ s’est conclue le 31 octobre pour une dépense globale de 114 millions € sur un an. Dès le 1er novembre 2014, une nouvelle opération navale aux frontières de l’Europe a pris le relais. Baptisée ‘’Triton’’, elle a été confiée à Frontex, qui coordonne les moyens mobilisés par huit pays (France, Espagne, Finlande, Portugal, Islande, Pays-Bas, Lituanie et Malte). Ceux-ci mettent à disposition, à tour de rôle, du matériel technique et des effectifs humains. Cet ensemble de moyens est jugé insuffisant.
* Concrètement, Triton ne pourra compter, au maximum, que sur le tiers du potentiel que déployait ‘’Mare Nostrum’’ : 21 navires, quatre avions, un hélicoptère et 65 agents détachés pour des durées variables, le tout représentant un budget mensuel de 2,9 Mns € (contre 9 Mns concernant l’opération précédente). L’opération se cantonnera à des patrouilles, à proximité des côtes italiennes (Sud de la Sicile, îles Pélages et Calabre). Au-delà de ce théâtre d’opérations, ce qui se passera pourra être ignoré.

– Certaines frontières de l’Europe sont les défenses d’une forteresse hostile
Entre l’Espagne et le Maroc (enclaves de Ceuta et Melilla, dans le territoire chérifien), entre la Grèce et la Turquie (île de Lesbos), entre la Hongrie et la Serbie se déroulent des quasi-guerres migratoires. On y dresse des murs – en partie financés par l’U.E – sur des centaines de kms. L’incarcération systématique des sans-papier constitue une invitation aux mauvais traitements. Il est, ainsi, impossible de demander asile à la Hongrie, parce que son gouvernement a suspendu toute procédure en la matière. Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) y dénonce l’incarcération systématique et l’usage de psychotropes pour soumettre les fugitifs à la volonté de leurs geôliers.

– A peine un réfugié sur trois trouve un abri en Turquie, pays, il est vrai, saturé par la présence de plus d’un million de Syriens. La Grèce, la Bulgarie et même l’Espagne ne se conforment plus à l’obligation d’un examen individuel, au cas par cas, de la situation de chaque arrivant. Elles les renvoient à leur point de départ, sans les interroger, ce qui est illicite au regard de la Convention de Genève de 1951. L’Italie, dépassée par le flux et ne voulant plus assumer la part majeure du fardeau, laisse assez libéralement transiter à travers ses frontières septentrionales (Menton). Elle ne respecte plus les procédures de Dublin ni celles du HCR. Le Royaume Uni, non-soumis à la mobilité dans l’espace Schengen, a installé à Calais son avant-poste migratoire pour bloquer tout accès, créant ainsi l’engorgement chez nous. Quant à la France, elle s’est engagée magnanimement à accueillir en liaison avec le HCR 500 Syriens par an (chrétiens et à condition qu’ils y aient déjà de la famille), sur les 10 millions de déplacés victimisés dans ce pays. Une telle pingrerie laisse pantois !

– De fait, sur la rive Nord de la Méditerranée, tout le monde triche avec le droit et avec les drames de ses voisins du Sud. Que ce soit pour endiguer l’afflux, le détourner ou pour transmettre la ‘’patate chaude’’ au voisin. Ces divers accrocs à la solidarité européenne et au droit international laissent percevoir que l’harmonisation des politiques souhaitée par Bruxelles n’ira pas bien loin. La Commission et le Conseil de l’U.E, en gros, font montre de compréhension ‘’sécuritaire’’, pour autant que de nouveaux drames de type Lampedusa soient évités. Le Parlement européen, lui, se tait. Avec le Traité de Lisbonne, l’UE avait adopté une Charte des droits fondamentaux valant pour tous. Elle a coulé. Existe-il encore quelques valeurs humanistes sur notre vieux continent ?


Pour aller plus loin : les textes

* Convention de Dublin du Conseil du 15/06/1990 I, (II 2003) & (III 26/06/2013), l’outil le plus mal appliqué.
* Directive 2013/32 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 relative aux procédures communes pour l’octroi et le retrait de l protection internationale (refonte)
* Directive 2013/32 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 établissant les normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale
* Directive 2011/95 sur les conditions à remplir pour bénéficier de la protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés bénéficiant de la protection subsidiaire et au contenu de celle-ci.

notre aimable sommaire au fil de l’Ourson …