* 11 juillet – Sri Lan-crash

Le Sri Lanka vit plus qu’une crise, un effondrement. Le président Gotabaya Rajapaksa fuit la fureur du peuple alors que le pays sombre dans l’abîme. Après son frère, l’ex-premier ministre démis le 12 mai, le président a été chassé du palais par des nuées de manifestants. Principal auteur du chaos, il a été mis à l’abri à bord d’un navire militaire, dans les eaux territoriales du sud. La résidence officielle du premier ministre a été mise à feu. Pendant ce temps, des milliers de manifestants restent mobilisés, à Colombo, pour chasser une bonne fois pour toutes la dynastie cleptomane des Rajapaksa. Aux  commandes de l’Etat depuis deux décennies, leur clan a mis en faillite l’économie de cette ile de 22 millions d’habitants et laissé un vrai désastre derrière lui. Gotabaya prétend vouloir se retirer le 13 juillet, ‘’pour assurer une transition pacifique’’. Peu importe qu’il démissionne aujourd’hui, demain ou dans les prochaines heures, ce sera toujours trop tard :  le mal est déjà fait et ses racines sont profondes. Comme tous les ‘’hommes forts’’ populistes, le personnage a été adulé par les masses, avant qu’elles ne retournent leur colère contre lui, une fois réalisés son échec et sa malhonnêteté. Ce genre d’histoire se répète à l’infini sur les cinq continents.

En convoquant une réunion de classe politique, l’actuel premier ministre, Ranil Wickremesinghe, aura tenté en vain de former un gouvernement d’union nationale. La tâche semble impossible pour celui-ci, qui avait prêté serment le 12 mai dernier, au lendemain de l’éviction de Mahinda Rajapaksa, son prédécesseur honni. Les partis de l’opposition sri-lankaise cherchent, de leur côté aussi, à mettre sur pied un gouvernement. Les démissions se sont produites en cascade au sein du pouvoir, le premier ministre proposant également la sienne. Il est peu probable que ceci ait un quelconque effet sur la foule, chauffée à blanc mais non-armée. Après le président et le premier ministre, la charge du gouvernement revient en principe au président de la Chambre des représentants, Mahinda Yapa Abeywardena. Mais, sur qui parier, dans l’atmosphère de chaos qui prévaut ?

Les manifestations monstres à Colombo sont largement dues à la grave crise économique que traverse le pays. S’y superpose une détestation tardive du clan mafieux des Rajapaksa. L’effondrement de l’économie est sans précédent depuis l’indépendance en 1948. Les Nations Unies estiment que 80 % de la population n’a plus les moyens de s’offrir trois repas par jour. La pénurie d’énergie – plus aigüe qu’en Europe – et l’effondrement de la monnaie entrainent une rareté générale de tous les produits de la vie courante et une inflation folle. Il y a quelques jours, Gotabaya Rajapaksa en était réduit à supplier Poutine de lui faire parvenir un peu de pétrole et de gaz, à crédit. Il a curieusement invité les touristes, effrayés par ce grand désordre, à revenir en nombre pour faire repartir la croissance et rééquilibrer les comptes. Le pays négocie in extremis un plan de sauvetage avec le Fonds monétaire international (FMI), lequel imposera vraisemblablement des hausses d’impôts.

Le volet international de cette crise comporte aussi de gros enjeux. Au sortir, en 2009, d’une longue guerre civile entre la majorité (bouddhiste) cinghalaise et la minorité (hindouiste) Tamoule, la diplomatie lankaise a glissé de l’orbite géopolitique de l’Inde – jugée trop favorable aux Tamouls – à celle de la Chine. Formidable forteresse stratégique sur les grandes routes maritimes entre mer d’Arabie et Golfe du Bengale, Sri Lanka était devenu un maillon fort des ‘’nouvelles routes de la Soie’’ tissées par Xi Jinping. La marine chinoise y relâche en force. Ce point d’appui peut être rapidement militarisé.

Le clan au pouvoir à Colombo avait largement sollicité l’énorme capacité d’investissement chinoise, servant ses intérêts personnels au passage et faisant fi des avis du FMI sur sa mauvaise gestion. Aujourd’hui, l’île est sans doute la plus lourdement endettée – et ceci, à court terme – parmi les alliés de Pékin dans la région. Le fardeau a atteint le point où elle a dû rétrocéder à ses créanciers chinois un port, sa zone industrielle et diverses autres infrastructures. La mise en faillite générale de l’économie menacerait de  »re-siniser », par rebond, une bonne partie de ses avoirs financiers et de faire d’elle une quasi-colonie. Dans ces circonstances, la Chine, trop liée au clan Rajapaksa, a beaucoup perdu son aura politique… et l’Inde, plus proche à tous points de vue, guette l’occasion de lui contester la place.

Sri Lanka est donc une des affaires à suivre, sur la grande scène agitée de l’’’Indo-Pacifique’’.

* 29 avril – L’Inde dévorée par le Covid-19

L’Inde est le premier producteur de vaccins au monde, mais elle souffre néanmoins d’une pénurie de vaccins ; Elle s’est dotée d’excellents médecins et hôpitaux, mais ne compte qu’un praticien pour 10 000 habitants et même pour 20 000 habitants, dans les régions défavorisées. La moitié de la population reste très pauvre et désarmée face à la pandémie. Aussi, le virus Covid 19 y a fait d’énormes dégâts humains. Symbole de la gravité de la crise sanitaire, les autorités ont dû libérer de l’espace dans des parcs et même dans les rues pour y dresser des bûchers, les crématoriums ne suffisant plus à la tâche.
Au moins, deux états de l’Union sont particulièrement affectés par la diffusion du variant B.1.617 dit  »indien » : le Bengale-Occidental (est) et le Maharashtra (centre-ouest), tandis que beaucoup d’autres, mal pourvus en dispositifs épidémiologiques, restent dans le flou. À l’extérieur, le génome  »indien » a été identifié dans une vingtaine de pays ou régions, notamment à Singapour, en Guadeloupe, à Saint-Martin, en Nouvelle-Zélande, au Nigeria, mais également en Australie, en Corée du sud, Turquie, au Royaume-Uni, en Irlande, en Belgique, aux États-Unis, en Allemagne, en Suisse, en Italie et en Espagne.


On ignore encore les conséquences exactes de la quinzaine de mutations qu’il incorpore. La mutation E484K serait associée à une diminution de l’activité neutralisante des anticorps et donc à un échappement immunitaire. La mutation E484Q correspondrait à une réduction, d’un facteur dix, du pouvoir neutralisant des anticorps. La mutation 681H. modifierait le comportement du virus et provoquerait une augmentation de son infectiosité. Enfin, la mutation L452R, également présente dans d’autres variants, affaiblirait la neutralisation du virus par le plasma des sujets convalescents.
Mais la flambée actuelle du nombre de cas en Inde ne résulterait pas du seul variant B.1.617. Elle serait – aussi ou surtout – la conséquence de grands rassemblements avec abandon ou relâchement des mesures, les deux facteurs pouvant se combiner. Le virus n’a pas une contagiosité hors-norme, par rapport à d’autres variants et il semble avoir circulé longtemps à bas bruit avant de devenir virulent. Il pourrait donc être moins problématique que d’autres variants préoccupants, comme ceux initialement identifiés en Afrique du Sud et au Brésil. Des études poussées restent nécessaires.

L’Inde fait face à une explosion de cas, dépassant des seuils jamais atteints, avec 360 000 nouvelles contaminations recensées hier. Près de 6 millions de nouveaux cas se sont ajoutés pendant ce seul mois d’avril. Le nombre de morts du Covid-19 dans le pays a dépassé les 200 000, avec plus de 3 200 décès signalés en vingt-quatre heures, selon les données officielles. Près de 6 millions de nouveaux cas ont été recensés pendant le mois d’avril. De nombreux experts estiment que le véritable bilan est plus lourd. De nombreux experts estiment que le véritable bilan est encore plus élevé. Le pays a jusqu’à présent administré 150 millions de vaccins. Le programme sera bientôt étendu à toute la population adulte ( 600 millions de personnes supplémentaires). De nombreux Etats signalent toutefois que leurs stocks de vaccins sont insuffisants, notamment concernant les groupes vulnérables. Discrètement, le gouvernement de New Dehli appelle au secours.

Les premières cargaisons britanniques de ventilateurs médicaux et de concentrateurs d’oxygène sont parvenues à New Dehli, mais ces 600 unités sont loin d’être à l’échelle des besoins. La France lance aussi son opération de solidarité : huit unités de production d’oxygène médical par générateur, de conteneurs d’oxygène liquéfié permettant d’alimenter en oxygène médical jusqu’à 10 000 patients sur une journée, ainsi que du matériel médical spécialisé afin de rendre autonome en oxygène un hôpital indien pendant une dizaine d’années. Après un refus initial de partager leurs réserves de substances vaccinales, les Etats-Unis ont décidé une livraison de composants biologiques, de tests et d’équipements de protection. Quant à l’L’Union européenne, elle a promis de fournir une contribution, via son Mécanisme européen de protection civile.
L’occasion se présente de prouver que la solidarité humaine n’est pas un vain mot dans notre système international privé d’âme. Mais mimer l’aide serait tromper le peuple indien. Il faut à l’Inde une aide désintéressée et d’ampleur exceptionnelle.

* 10 février – Marchés indiens

Le mouvement de révolte des paysans indiens contre la libéralisation des marchés agricoles se propage comme une trainée de poudre. Des meetings géants se tiennent dans tout le Nord de l’Inde, sous l’effet de l’angoisse des agriculteurs. Ceux-ci sont persuadés que la réforme va concentrer la distribution aux mains de cartels privés, uniquement préoccupés à dégager des marges de profit aux dépens de la rétribution des producteurs. A leurs yeux, ce chamboulement prépare une seconde étape : le remembrement des terres et l’expropriations des petits exploitants peu performants. Ces derniers représentent 75 % de la population du Pays, travaillant pour l’immense majorité dans des conditions précaires. La fixation de prix publics minima constitue donc, pour eux, un filet de protection essentiel contre la pauvreté.


Les forces de l’ordre indiennes peinent à déloger les paysans qui, depuis deux mois assiègent New Delhi, en exigeant le retrait de trois textes de loi privatisant les marchés agricoles. Le gouvernement de Narendra Modi a rompu les discussions avec les représentants des agriculteurs et opté pour une solution musclée, au lendemain des violences survenues dans la capitale indienne. Les troubles qui ont endeuillé, le 26 janvier, le Republic Day, jour de la fête nationale, ont fait un mort et quatre cents blessés. Le Fort Rouge de New Delhi, un symbole de l’indépendance du pays, a été investi par la foule en colère, une situation comparable au raid des gilets jaunes français contre l’Arc de triomphe, à Paris. Les ‘’meneurs’’ et les personnalités de l’opposition qui les ont soutenus politiquement font l’objet de poursuites policières ou judiciaires. Trente-sept dirigeants syndicaux sont ainsi visés pour ‘’tentative de meurtre’’, ‘’émeute’’ ou ‘’conspiration criminelle’’. La police dénonce ‘’un plan préconçu et bien coordonné’’ pour rompre un accord initial sur le déroulement et le parcours de la manifestation. En Uttar Pradesh, les forces de l’ordre, dirigées par un moine nationaliste extrémiste, coupent l’eau et l’électricité aux campements dressés près des barrages routiers sans parvenir à disperser les foules qui s’y agglutinent. Avec la persistance des blocages, des contre-manifestations anti-paysannes apparaissent.
Devant la montée des tensions civiles, deux syndicats paysans se sont retirés des barrages routiers, mais l’union syndicale, qui en compte une quarantaine, poursuit le siège de la capitale. Narendra Modi détient l’insigne privilège de diriger, depuis 2014, la ‘’plus grande démocratie du monde’’ (au plan démographique s’entend : 1,3 milliard d’âmes). Mais il a bâti sa carrière politique, dès 2001, dans l’Etat du Gujarat, puis à la tête du Parti du Peuple Indien – BJP -, identitaire hindouiste et nationaliste, en prêchant l’exclusion des Musulmans et des castes basses. Beaucoup en Inde le voient comme un avatar local de Donald Trump, envers qui il ne cache d’ailleurs pas ses affinités personnelles. Ce n‘est bien sûr pas une justification acceptable pour traiter ses compatriotes comme si la bourse et les marchés – peut-être aussi le ‘’consensus de Washington’’ – allaient, comme par magie, libérer l’Inde de ses archaïsmes humains et sociaux. Aujourd’hui, la démocratie indienne branle dans le manche, alors qu’elle mérite mieux. Mauvaise nouvelle.