* 13 juillet – Le Japon, orphelin mais plus fort

L’ancien Premier ministre, Shinzo Abbe est, mort, le 8 juillet. Il a été touché par un tireur isolé, lors d’un meeting politique à Nara en vue des élections sénatoriales. Arrêté par la police, son assassin est un ancien membre des forces maritimes d’autodéfense, âgé de 41 ans. Il affirme que son acte n’était pas inspiré par la politique et son motif paraît assez flou. Peu habitué aux attentats et très restrictif en matière de port d’arme, le Japon reste abasourdi par cet assassinat inédit. Choquée, la classe politique japonaise n’est pas pour autant en état de faiblesse : le surlendemain, le Parti libéral démocrate (PLD) a cartonné aux élections. Le PLD dispose désormais de la majorité des deux-tiers qui lui permet de modifier la Loi fondamentale. Au sein de cette formation, constamment reconduite au pouvoir, l’ex-ténor conservateur gardait une influence prépondérante.

Ce meurtre a provoqué des réactions de consternation et de surprise à travers le monde. Mais l’impression domine que le Japon, qui a changé sous Abé, ne retournera pas en arrière sous ses successeurs.

Emmanuel Macron s’est dit « profondément choqué par l’attaque odieuse ». Le Royaume-Uni, l’Italie ou encore le président du Conseil européen ont fait chorus et le secrétaire d’État américain a déclaré que les États-Unis étaient “profondément préoccupés et attristés”. Abe était un allié très proche de Washington. Le premier ministre australien, Anthony Albanese, le premier ministre singapourien, Lee Hsien Loong, et la ministre des Affaires étrangères indonésienne, Retno Marsudi – parlant au nom des pays du G20 réunis à Jakarta – ont tous exprimé leur consternation. Idem, s’agissant du Premier ministre indien, Narendra Modi, et de la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, exprimant sa tristesse  »devant une attaque menée dans un pays démocratique et doté d’un état de droit, comme Taïwan” (un habile parallèle). Les principaux amis du Japon étaient au rendez-vous.

La Chine s’est fendue d’une déclaration impersonnelle du porte-parole de son ministère des Affaires étrangères. Moscou, tout juste poli, est resté mutique sur ce que le Kremlin pensait du disparu. Aucune surprise, au total …

Sur la scène internationale Abé s’était montré déterminé à replacer le Japon parmi les grands acteurs du jeu stratégique. Sa doctrine de sécurité nationale a évolué de la non-intervention absolue (article 9 de la constitution  »pacifiste ») au ‘’pacifisme actif’’, nettement plus interventionniste. En 2013, il avait institué un Conseil de sécurité nationale au sein de son Cabinet, qui pilote désormais largement la politique extérieure du pays. Celle-ci a gagné en lisibilité. En particulier, Shinzo Abe et ses équipes ont élaboré le concept stratégique de l’Indo-Pacifique, libre et ouvert (Free and Open Indo-Pacific– FOIP). Ainsi, après le désastreux retrait des Etats-Unis décidé par Donald Trump, le Japon de Shinzo Abe a repris en main le Partenariat Trans-Pacifique (TPP), l’accord de libre-échange le plus ambitieux du monde en termes de PIB agrégé. Tokyo se targue d’avoir alors réécrit les règles des échanges commerciaux au 21ème siècle. Sa vision incorpore un projet de libre-échange économique de la zone, d’inspiration libérale (liberté d’accès et de circulation, Etat de droit, économie de marché). Son but géostratégique est de faire contrepoids à la Chine et à son initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Tokyo se place ainsi en leader des pays d’Asie attachés à l’arrimage occidental.

Le projet japonais se double d’un programme de financement des infrastructures de ses voisins émergents, invités à élargir leurs options plutôt que de se cantonner dans un face-à-face exclusif avec la Chine. Du fait de ces initiatives coordonnées, le Japon, est redevenu une puissance majeure en Asie. Le Dialogue stratégique quadrilatéral (Quad) avec les Etats-Unis, l’Inde et l’Australie, relancé en 2017 à l’initiative de Tokyo, lui permet tout à la fois d’étoffer son influence politique et de servir ses intérêts militaires.

De fait, Shinzo Abe a sensiblement fait évoluer la politique de défense japonaise, pour réintroduire l’Archipel en acteur de sécurité majeur en Asie. Ce faisant, le Japon s’est aussi positionné sur les marchés d’armement comme fournisseur de ses partenaires de défense. En 2014, la possibilité pour les forces japonaises de porter secours à un allié a été ouverte par une réinterprétation audacieuse de la Constitution, dans le cadre d’une nouvelle  »légitime défense collective ». Une intervention de sa marine, aux côtés de celle des Etats Unis, pour défendre Taïwan en cas de blocus, n’est plus une simple vue de l’esprit. Ces réformes resteront comme le grand œuvre d’Abe, même si elles ont soulevé dans l’opinion de vives controverses.

La coopération militaire de Tokyo a également diversifié ses partenariats plus lointains, avec notamment l’Australie, l’Inde, le Royaume-Uni et aussi la France. On parle depuis plusieurs décennies d’une forme de lien opérationnel du Japon avec l’Alliance atlantique : l’Alliance des mers du Globe (AMG) ?

* 11 juillet – Sri Lan-crash

Le Sri Lanka vit plus qu’une crise, un effondrement. Le président Gotabaya Rajapaksa fuit la fureur du peuple alors que le pays sombre dans l’abîme. Après son frère, l’ex-premier ministre démis le 12 mai, le président a été chassé du palais par des nuées de manifestants. Principal auteur du chaos, il a été mis à l’abri à bord d’un navire militaire, dans les eaux territoriales du sud. La résidence officielle du premier ministre a été mise à feu. Pendant ce temps, des milliers de manifestants restent mobilisés, à Colombo, pour chasser une bonne fois pour toutes la dynastie cleptomane des Rajapaksa. Aux  commandes de l’Etat depuis deux décennies, leur clan a mis en faillite l’économie de cette ile de 22 millions d’habitants et laissé un vrai désastre derrière lui. Gotabaya prétend vouloir se retirer le 13 juillet, ‘’pour assurer une transition pacifique’’. Peu importe qu’il démissionne aujourd’hui, demain ou dans les prochaines heures, ce sera toujours trop tard :  le mal est déjà fait et ses racines sont profondes. Comme tous les ‘’hommes forts’’ populistes, le personnage a été adulé par les masses, avant qu’elles ne retournent leur colère contre lui, une fois réalisés son échec et sa malhonnêteté. Ce genre d’histoire se répète à l’infini sur les cinq continents.

En convoquant une réunion de classe politique, l’actuel premier ministre, Ranil Wickremesinghe, aura tenté en vain de former un gouvernement d’union nationale. La tâche semble impossible pour celui-ci, qui avait prêté serment le 12 mai dernier, au lendemain de l’éviction de Mahinda Rajapaksa, son prédécesseur honni. Les partis de l’opposition sri-lankaise cherchent, de leur côté aussi, à mettre sur pied un gouvernement. Les démissions se sont produites en cascade au sein du pouvoir, le premier ministre proposant également la sienne. Il est peu probable que ceci ait un quelconque effet sur la foule, chauffée à blanc mais non-armée. Après le président et le premier ministre, la charge du gouvernement revient en principe au président de la Chambre des représentants, Mahinda Yapa Abeywardena. Mais, sur qui parier, dans l’atmosphère de chaos qui prévaut ?

Les manifestations monstres à Colombo sont largement dues à la grave crise économique que traverse le pays. S’y superpose une détestation tardive du clan mafieux des Rajapaksa. L’effondrement de l’économie est sans précédent depuis l’indépendance en 1948. Les Nations Unies estiment que 80 % de la population n’a plus les moyens de s’offrir trois repas par jour. La pénurie d’énergie – plus aigüe qu’en Europe – et l’effondrement de la monnaie entrainent une rareté générale de tous les produits de la vie courante et une inflation folle. Il y a quelques jours, Gotabaya Rajapaksa en était réduit à supplier Poutine de lui faire parvenir un peu de pétrole et de gaz, à crédit. Il a curieusement invité les touristes, effrayés par ce grand désordre, à revenir en nombre pour faire repartir la croissance et rééquilibrer les comptes. Le pays négocie in extremis un plan de sauvetage avec le Fonds monétaire international (FMI), lequel imposera vraisemblablement des hausses d’impôts.

Le volet international de cette crise comporte aussi de gros enjeux. Au sortir, en 2009, d’une longue guerre civile entre la majorité (bouddhiste) cinghalaise et la minorité (hindouiste) Tamoule, la diplomatie lankaise a glissé de l’orbite géopolitique de l’Inde – jugée trop favorable aux Tamouls – à celle de la Chine. Formidable forteresse stratégique sur les grandes routes maritimes entre mer d’Arabie et Golfe du Bengale, Sri Lanka était devenu un maillon fort des ‘’nouvelles routes de la Soie’’ tissées par Xi Jinping. La marine chinoise y relâche en force. Ce point d’appui peut être rapidement militarisé.

Le clan au pouvoir à Colombo avait largement sollicité l’énorme capacité d’investissement chinoise, servant ses intérêts personnels au passage et faisant fi des avis du FMI sur sa mauvaise gestion. Aujourd’hui, l’île est sans doute la plus lourdement endettée – et ceci, à court terme – parmi les alliés de Pékin dans la région. Le fardeau a atteint le point où elle a dû rétrocéder à ses créanciers chinois un port, sa zone industrielle et diverses autres infrastructures. La mise en faillite générale de l’économie menacerait de  »re-siniser », par rebond, une bonne partie de ses avoirs financiers et de faire d’elle une quasi-colonie. Dans ces circonstances, la Chine, trop liée au clan Rajapaksa, a beaucoup perdu son aura politique… et l’Inde, plus proche à tous points de vue, guette l’occasion de lui contester la place.

Sri Lanka est donc une des affaires à suivre, sur la grande scène agitée de l’’’Indo-Pacifique’’.