* 6 décembre – Iran : bonnes mœurs et mauvais meurtres

L’Iran a-t-il vraiment annoncé l’abolition de la police des mœurs à l’origine de l’arrestation de la jeune Mahsa Amini ? La mort en détention de cette jeune femme avait provoqué une vague de contestation qui perdure depuis près de trois mois. Le procureur, Mohammad Jafar Montazeri, a avancé cette hypothèse et également annoncé que ‘’le Parlement et le pouvoir judiciaire travaillaient sur le port du voile obligatoire. Il n’a pas précisé ce qui pourrait être modifié dans la loi de 1983 l’ayant imposé quatre ans après la révolution islamique. La décision est donc encore virtuelle mais déjà difficile à interpréter. Elle survient à la veille d’une tentative de grève générale qui constituera un test décisif pour la révolution en marche. Est-on en présence d’une vraie concession faite à la jeunesse du Pays – peu suivie par les générations plus âgées – ou d’une tentative de manipulation des manifestants ? Ou encore d’un cafouillage au sein du pouvoir théocratique ?

Rappelons que cette question ultra-sensible (le droit individuel de se voiler ou non) a conduit à la mort de plus de 300 jeunes manifestants depuis la mi-septembre. De part et d’autre se joue désormais le jeu de la mise à bas du régime des mollahs ou de l’enfermement de la génération montante dans une soumission abjecte. La ‘’révolution des femmes’’ succède à la vague de contestation de juin 2009 (liée à l’élection truquée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence), à une première bronca contre le voile, en 2017, et à un mécontentement très large devant l’état calamiteux de l’économie et le chômage massif. L’avenir tiendra à la convergence des luttes en cours ou, au contraire, à leur éparpillement. La frustration des jeunes résulte aussi de l’enfermement du Pays dans un contexte de confrontation avec les pays voisins et avec l’Occident, lequel reste un phare, qui fascine la nouvelle génération.

La réponse du Guide et de son régime est toujours la même depuis 2009 : une répression sans pitié. Khamenei garde à l’esprit la fin du régime du Shah, en 1979, malgré toute une suite de réformes tardives et de concessions sociales qui n’avaient fait qu’accentuer sa posture défensive et son image de faiblesse. De plus, il n’est pas dans la mentalité des Ayatollahs, qui forment désormais une ploutocratie, de céder quoi que ce soit de leur dictature à la ‘’population d’en bas’’.

Aucun scénario ne s’impose encore : une convergence de toutes les classes d’âge pourrait faire basculer l’Iran dans la guerre civile. Une nouvelle révolution pourrait s’ensuivre. Un répit assorti de quelques desserrements des contraintes ne changera pas grand-chose et risque surtout de déboucher sur un regain ultérieur de répression faisant de nombreuses victimes. Un putsch en sous-main des Pasdarans aux dépens de l’autorité du clergé (pour sauvegarder leur Etat dans l’Etat) transformerait l’Iran en dictature militaire classique, à l’image de ses voisins arabes, englués dans leur mauvaise gouvernance.

Sauf à vivre dans l’œil du typhon, il serait vain de prendre un pari. Inch’Allah !

* 28 novembre – Dans l’œil persan du nucléaire

Le torchon brule être l’Iran et l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA). On en est même à des provocations et des représailles du côté de la République islamique. Celle-ci accélère sa course vers le nucléaire militaire. On s’en alarme à la lumière des multiples indicateurs convergents :

* Deux nouvelles usines de production d’uranium enrichi – Natanz II et Fordo – ont été mises en route avec des centrifugeuses ultra performantes ;

* Selon l’AIEA, l’Iran dispose de 386 kgs de matière fissile enrichie à 20%  et de 62 kgs, à 60%. L’engagement qu’il avait pris en 2015bspécifiait un taux limite de 3,67% ;

* La fuite en avant est ancienne. Avec la mise en service de Natanz II (ligne de production à 60 %) et la dénonciation assumée de toutes les limites par le pacte JCPOA passé en 2015 avec les six Etats mandatés par la communauté internationale (USA-Russie-Chine-France-Royaume Uni et RFA), elle a pris un tour radical depuis la reprise de contact d’avril 2021. Le retour dans les négociations des Etats Unis de Joe Biden n’a eu aucun effet positif sur l’attitude obstinée de Téhéran.

De fait, depuis quatre ans, la République islamique rejette toutes les obligations précédemment acceptées et s’affranchit de toute discipline de non-prolifération. Elle a commis presque toutes les transgressions prohibées par le TNP, hormis l’essai et l’emploi de l’Arme.

Sa ‘’nucléarisation’’ vise une capacité de domination régionale au Grand Moyen-Orient, autant, qu’une sanctuarisation de son territoire. Elle cherche à repousser l’influence américaine mais anticipe aussi de former des binômes de confrontation avec Israël et les émirats sunnites du Golfe. Dans le premier cas, l’adversaire est déjà nucléaire. Dans le second, ils pourraient rapidement se rapprocher du seuil. La région évolue dans un parti pris de prolifération entre les Etats. Le ‘’Grand diable américain’’ n’est pas – à l’image de la Corée du Nord – son unique souci obsessionnel ni sa cible, même s’il est utilisé en prétexte pour son programme nucléaire.

Les deux récentes résolutions passées au sein de l’Agence de Vienne, déplorant le manque de coopération de Téhéran ont rencontré des répliques rageuses du côté de l’intéressé. Les déclarations américaine et européenne laissant entrevoir une aggravation des sanctions n’ont pu qu’amplifier le phénomène, engendrant de nouvelles menaces de vengeance. Tous les ponts directs sont pratiquement rompus.

Le durcissement de ton de la République islamique procède d’une stratégie de rupture dont on peut imputer la responsabilité au Guide, l’ayatollah Khamenei mais qui porte aussi la marque du fer de lance du régime chiite théocratique, à savoir les Gardiens de la Révolution (Pasdarans), véritable ‘’empire au sein de l’Etat’’. L’un comme les autres sont depuis deux mois à la pointe de la répression – sans pitié – de la ‘’Révolution des Femmes’’ (qui est aussi celle des classes urbanisées). Le port du voile et l’accès au statut de puissance nucléaire de facto constituant deux facettes du système de pouvoir et de contrainte, on ne s’étonnera pas de la dérive ‘’furieuse’’ de l’Iran officiel. On peut s’attendre que le rééquilibrage des pouvoirs qui s’opère au sein des organes dirigeants accorderont un peu moins d’autorité aux prélats et plus de contrôle pour leurs prétoriens galonnés.

Quant au reste du monde, il n’a guère de recette pour enrayer le cours nucléaire de l’Iran.

* 17 novembre – Bonnes idées pour le G 20

Plusieurs bonnes idées et une certaine sagesse cartésienne imprègnent les interventions françaises à l’occasion du G 20 de Bali.

* Ce qu’il convient de retenir du discours d’Emmanuel Macron, ce sont d’abord les circonstances prenant le forme d’un dramatique incident de tir ukrainien par-delà la frontière polonaise. Cela invitait à la circonspection. Le champion du ‘’en même temps’’ s’en est bien tiré, évoquant la ‘’journée terrible pour l’Ukraine et le peuple ukrainien’’ au cours de laquelle plus de 85 missiles avaient frappé le pays agressé. Devant la presse, alors que toutes les hypothèses semblaient possibles, il a notamment recommandé la prudence et souligné l’épreuve terrible affectant les villes de Kiev, Lviv et Kharkiv touchées par des frappes russes et privées d’électricité par des températures glacées.

* Autre bonne idée : Emmanuel Macron a dit avoir discuté, avec le président chinois Xi Jinping, du principe d’une visite de sa part en Chine au début de 2023.  L’existence d’un espace de convergence – y compris avec les grands émergents, la Chine et l’Inde – devrait faciliter une intermédiation française pour pousser la Russie à la désescalade. Le président français souhaite voir la Chine jouer un rôle de persuasion sur Moscou dans l’optique d’une sortie de guerre, symétriquement aux sanctions des Occidentaux. Une première étape serait d’éviter une reprise violente de l’offensive russe au cours des prochains mois, quand le refourbissement des arsenaux, le changement des conditions météo et l’arrivée des nouvelles classes mobilisées en renfort réhausseront l’intensité des combats.

* Emmanuel Macron a sèchement lancé un appel au calme à l’Iran, dénonçant l’agressivité croissante de la République islamique à l’égard de la France. Celle-ci, dit-il, aurait toujours été dans une approche de discussion, de respect du pouvoir iranien(?!) – ça se discute – et donc déplorait les récentes  prises en otages de ses nationaux (il y en a sept, aux mains des Pasdarans et du clergé chiite), des actes ‘’inadmissibles’’. Téhéran est priée de ‘’revenir au calme’’, au respect des ressortissants français et à l’esprit de coopération. Ceci une fois dit, Paris sait réserver ‘’un chien de sa chienne’’, en retour aux mollahs. Il lui suffit de magnifier ‘’le courage et la légitimité’’ de la révolution des femmes et de la jeunesse iranienne, après des semaines de manifestations. Qui plus est, après la réception de dissidentes le 11 novembre à l’Élysée, tant fustigée par Téhéran. Plus cela sera désagréable aux autorités iraniennes, moins elle se privera de ce petit plaisir vengeur. En y rajoutant  un rien de provocation aux titre de ses valeurs universelles : ‘’Ces femmes et ces jeunes défendent nos valeurs, nos principes universels… Je dis ‘’nous’’, je ne parle pas de la France. Ils sont universels, ce sont aussi ceux de notre Charte des Nations Unies : l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de chaque être humain’’. On entend d’ici grincer les dents des théocrates barbus : ils répliquent en accusant Paris de se cacher derrière la révolution populaire en cours. In fine, la France fustige la récente série de frappes de missiles et de drones sur les communautés kurdes sur le sol iraqien. Non qu’elle fasse encore grand-chose pour ses anciens alliés.

* Autre bonne idée : au même titre que l’Union européenne qui en est membre, Paris dit soutenir l’intégration pleine et entière de l’Union africaine au G20, comme ‘’élément clé’’ de la recomposition des « règles de gouvernance des institutions internationales’’. C’est de bon sens. Cet élan de solidarité est peut-être une pure vue de l’esprit mais, formellement, elle réhaussera le crédit de l’ancienne métropole coloniale auprès des Etats-clients qui la boudent désormais.

* Le président français a également annoncé son projet de s’atteler aux conditions d’un véritable ‘’choc de financement vers le Sud’’  par la tenue, en juin prochain à Paris, d’une conférence internationale sur un nouveau pacte financier Nord-Sud. Cette logique s’impose : ‘’nous ne devons pas, nous ne pouvons pas demander à ces pays de soutenir le multilatéralisme, si celui-ci n’est pas en capacité de répondre à leurs urgences vitales’’. Bonnes idées et paroles fortes qui seront peut-être suivies d’actes. Mais le président a bien d’autres chats à fouetter…

*26 septembre – Arrêtez les ayatollahs !

Elle avait 22 ans. Le 13 septembre, alors qu’elle visite Téhéran avec sa famille, la jeune kurde-iranienne est arrêtée arbitrairement par la  »police des mœurs ». Elle portait mal son voile. Elle est alors embarquée par cette unité spéciale chargée de faire respecter par les femmes le port du voile et une coercition dans tous les domaines de la vie publique. Mahsa Amini a été violemment battue lors de son transfert en détention. Elle est tombée dans le coma a décédé trois jours plus tard à l’hôpital. 

Sa mort embrase le pays. Des protestations se répandent dans toute les villes et sont brutalement réprimées (déjà des dizaines de morts) par les autorités de la dictature théocratique. Celle-ci, qui maintient son pouvoir absolu sur la population, n’en est pas à son premier Tian An Men. Autant que dans la révolte de 1979 contre le Shah d’Iran, elle s’est construite sur l’esclavagisation des femmes, la soumission des hommes et a fait du hijab son étendard politique. Il est difficile de trouver sur terre un régime plus oppressif que celui des mollahs et des ayatollahs. Pour cette raison, il faut espérer qu’un jour la voix de peuple l’emportera. Qu’ils partiront.

En fait, ce drame après beaucoup d’autres met en lumière les trois fléaux que le régime Khamenei – Raïssi porte par son essence-même, proche du fascisme :

* L’oppression, l’arbitraire absolu et la violence comme mode de fonctionnement interne. La police des mœurs, la Bassidjis (milice cogneuse du style des S.A allemands du début des années 1930) et, derrière eux la Justice et l’Armée ont jusqu’ici réussi à faire taire toute révolte citadine. Cela ne pourra durer toujours, face à une population fortement urbaine et éduquée (les femmes, notamment).

* L’expansionnisme de puissance au grand Moyen-Orient. Il ne menace plus seulement Israël mais aussi le Liban, l’Iraq, les états du Golfe. Il fait obstacle à une paix en Syrie, intervient contre l’Arménie et soutient l’agression russe en Ukraine. Il confronte volontiers les Etats Unis et alimente  à travers l’Eurasie la haine de l’Occident. Son principal outil de subversion extérieure est constitué par les gardiens de la Révolution.

* La course à l’armement nucléaire. Personne ne croit plus que la valse des centrifugeuses iraniennes à un haut degré d’enrichissement de l’uranium serve un autre but. Les derniers développements de la querelle entretenue par Téhéran avec l’AIEA (qui a perdu le contrôle à distance) et les Etats Unis plus l’Europe  donnent à penser que Téhéran est en train d’accéder au seuil nucléaire, peut être même aux technologies de simulation qui permettent de ‘’maîtriser la bombe’’, sans avoir à la montrer. Sans doute même des sites cachés, comme autrefois celui de Natanz, lui permettent d’aller plus loin encore, sous le sceau du secret. Parvenir au seuil permet d’activer les derniers préparatifs – eux, visibles – de l’emploi de l’Arme à très court terme avant sa mise à feu.

L’Iran des ayatollahs est sans doute possible une menace pour le monde. La pire de ses agressions potentielles serait le scénario d’une première frappe nucléaire, contre Jérusalem ou Riyad.  L’embrasement serait mondial mais les vieux théocrates ne s’arrêteraient pas à ce détail. Le fait qu’ils détiennent une sorte de suprématie sur la confession chiite n’entretient pas de rapport direct avec leur agressivité. La population est, elle, dans sa majeure partie, assez pieuse mais modérée.

Une démocratie iranienne ne serait pas portée à faire de la religion une arme contre le reste du monde. Bien sûr, il existera toujours une concurrence avec le sunnisme, mais elle pourrait rester confinée dans le champs culturel. L’Iran, avec ses 80 millions d’habitants et ses potentiels technico-industriel et militaire continuera aussi à se percevoir lui-même en puissance régionale. Le plus urgent est d’éviter qu’un vieux fanatique pose le doigt sur la gâchette nucléaire. Ce n’est pas un péché d’ambitionner un statut de puissance dès lors que l’Etat de droit est établi et si la Charte des Nations Unies, le Traité de Non-prolifération nucléaire et le droit international humanitaire s’en trouvaient respectés.

Tous ces prérequis et espoirs procèdent de quelle hypothèse ? D’une victoire de la démocratie actuellement défendue par des femmes et des hommes courageux aux quatre coins du Pays. Il n’y a aucun doute : ils se battent pour nous aussi.

* 13 juin – Jeu de la barbichette nucléaire

La crise iranienne en finira-t-elle jamais ? Les responsabilités et les fautes sont multiples. Donald Trump est à l’origine du déraillement des négociations à ‘’6 + 1’’. Sa vision idéologique des choses (l’idéologie cow-boy, sauce Ubu Roi) s’est avérée aussi catastrophique que la rigidité diabolique du Guide Suprême Khamenei. La politique d’étranglement par les sanctions ne fonctionne plus, à long terme, on le sait trop bien. La quasi-absence des Nations-Unies (Conseil de sécurité mis en panne par la guerre en Ukraine) – hormis l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) – achève de paralyser le bras de fer nucléaire entre Téhéran et la communauté internationale de la non-prolifération nucléaire. En plus, on s’attend, dans ce cas, à un nouvel essai atomique nord-coréen, marqué d’une illégalité absolue provocante.

La semaine passée, la République islamique a annoncé avoir démonté vingt-sept caméras placées par l’AIEA pour contrôler sa production de matière fissile, déjà largement en excès des normes autorisées. Tout au contraire, de nouvelles centrifugeuses viennent d’être installées. Les appels à mettre fin à l’escalade, lancées par la  France, le Royaume-Uni et l’Allemagne sont purement formels. Les Européens font mine de réagir mais ils ne risquent pas d’intéresser les Ayatollahs et leur bras armé à l’international, les Pasdarans (Gardiens de la Révolution).

Des pourparlers avaient pourtant débuté, en 2021 pour tenter de réintégrer les Etats-Unis à l’accord dénoncé par eux en 2018. Mais, à Vienne, siège de l’AIEA accueillant ce processus, on voit désormais dans le dernier coup retord des Iraniens, un coup fatal risquant de mettre fin à la négociation. Non que l’Iran soit devenu plus rebelle que par le passé, mais tout simplement parce que beaucoup de temps a passé sans qu’on parvienne à brider les centrifugeuses iraniennes et que celles-ci peuvent désormais fournir la matière première de plusieurs bombes nucléaires. Et on se doute que le régime islamiste, sans le claironner publiquement (tout comme son ennemi, Israël) ne va pas s’en priver et jouer la montre.

Un autre facteur déstabilisant tient à la rigidité agressive du gouvernement ultra-conservateur arrivé l’an dernier aux affaires. Un texte de compromis était élaboré entre les six’’ et l’Iran prévoyant un échelonnement de mesures d’apaisement  par étapes symétriques : retour progressif à la discipline nucléaire sous contrôle de l’AIEA et désarmement pas à pas des sanctions imposées par l’Occident (avec l’aval de l’Agence). Téhéran a joué la surenchère comme pour se débarrasser du dernier lien entretenu avec ses censeurs. Prenant prétexte des mises en garde usuelles formulées au sein de l ’AIEA, sa diplomatie a exigé que les Gardiens de la Révolution soient retirés de la liste occidentale des organisations terroristes. Cette façon de détourner le sujet pour rendre tout dialogue inopérant a une signification rationnelle : coup de poker pour gagner la mise ou alternative, plus probable, d’une rupture qui ne s’assume pas comme telle.

Depuis belle lurette, L’Europe est hors-jeu, tout au plus taxée de complicité avec le’’ Grand Satan’’ américain. Antony Blinken, met en garde contre une crise nucléaire aggravée provoquant ‘’isolement économique et politique accru de l’Iran’’. Rien de neuf, ici-bas. On le perçoit bien plus accaparé par la Chine et le conflit en Ukraine. De fait, Téhéran dispose d’un créneau d’opportunité pour n’en faire qu’à sa guise. 

S’accrocher à des sanctions inefficaces tout en se tournant vers d’autres priorités immédiates ne construit pas une politique. Il serait temps de renoncer à celles des sanctions qui ne frappent que la population iranienne, à terme notre meilleure alliée face aux Religieux et aux Pasdarans, tout en forçant de bons offices ‘’nucléaires’’ (non-voulus) et un rappel aux règles vers Israël et la République islamique. Il faudrait empêcher ces deux Etats d’être chacun la cible et la menace nucléaire de l’autre et de mettre, au total, le monde entier en danger.

* 13 janvier – L’Iran, 3ème risque de guerre

Pendant que l’Aigle américain se frotte durement au Dragon chinois comme à l’Ours russe, un nouveau danger le guette du côté du Moyen-Orient. Washington voudrait y échapper pour concentrer son action d’endiguement sur son principal challenger : la Chine. Mais le camp occidental au sein des Nations Unies détient la responsabilité d’avoir fondé la stabilité stratégique du monde sur le traité de Non-prolifération de 1970 (TNP) : les cinq puissances  »possessionnées » du conseil de Sécurité s’y engagent à contrôler mutuellement puis à éliminer graduellement leurs armes nucléaires. En retour, les puissances dépourvues de l’Arme, s’obligent à ne pas entrer dans un processus de développement et d’utilisation de celle-ci. La prolifération, a fortiori lorsque elle est dissimulée, constitue une des plus graves menaces sur la Paix du monde : elle rend inéluctable le recours, un jour, à l’atome, qu’il soit préventif, en première frappe ou punitif. Dans tous les cas, on bascule dans un scénario d’apocalypse.

Une bonne vingtaine d’Etats ont atteint aujourd’hui le  »seuil nucléaire », voire la possession revendiquée (Pakistan, Inde, Corée du Nord) ou cachée (Israël) d’arsenaux de bombes A ou H. Pour beaucoup, particulièrement au Moyen Orient, la dissuasion ne constitue pas la justification ultime de son emploi. La résolution d’un simple différend territorial ou idéologique, une défaite militaire, l’affirmation d’une hégémonie, la protection d’un régime dictatorial justifieraient à leurs yeux une frappe-surprise, au moment  »opportun ». Et le monde est tragiquement instable. La République islamique d’Iran est encerclée par des pays arabes sunnites envers lesquels sa détestation (réciproque) est intense et sa rivalité stratégique, insurmontable.

Personne ne doute qu’elle a échappé à la surveillance in situ de l’Agence internationale de l’énergie atomique de Vienne (AIEA), gardienne du TNP. Ni qu’elle se soit patiemment hissée jusqu’au seuil nucléaire, qu’elle dispose de matières fissiles très proches du niveau d’enrichissement militaire mais aussi de moyens balistiques à courte ou longue portée pour  »délivrer » les charges sur Israël et, le cas échéant, sur des capitales arabes ou occidentales. Le plus gênant dans ce délit inavoué est que l’ordre de mise à feu viendrait de vieillards implacables, méprisant leur propre population comme leurs ennemis fantasmés. Pour le dire par une image, la possession d’un revolver au saloon – lorsque les autres cow-boys laissent leur arme au vestiaire – tourne à la catastrophe dès lors que c’est un doigt haineux qui s’est posé sur la détente. La nature névro-pathologique du tireur, sont exaltation mentale sont plus dangereuses encore que l’arme qu’il brandit.

Longues et chaotiques, les négociations des six (les cinq permanents plus l’Allemagne) ont débouché un temps, en juillet 2015 puis se sont effondrée du fait d’une surenchère de sanctions du Congrès américain, puis de leur dénonciation par l’administration Trump, en 2018. Nouvelles sanctions économiques et nouveaux épisodes de provocation se sont succédé, réduisant le théâtre multilatéral de la non-prolifération à une confrontation bilatérale obsessionnelle Iran – Etats Unis. Elle n’avait pas lieu d’être. Avec les Européens – en médiateurs quasi-transparents –, les pourparlers ont repris durant l’hiver 2021-22, à Vienne.

Entre temps, les centrifugeuses iraniennes ont pulvérisé les limites que leur fixait l’accord de 2015, enrichissant le combustible à un taux de 60 %, quand l’AIEA ne leur autorisait que 3,7 %. Pour passer de 60 % à 90 %, un taux permettant la production de l’arme, un mois suffirait aux dires des experts. Ce très court répit exacerbe la tentation israélienne, voire israélo-américaine d’une frappe préventive pulvérisant le projet nucléaire iranien. On voit bien comment s’activerait alors l’engrenage de la réplique puis de la guerre. Ceci dit, les dirigeants américains actuels sont un peu lassés de jouer partout au  »Shérif global ». Ils préfèreraient sortir – sans dégât majeur – du terrible dilemme qui se pose à eux (en fait, à nous tous) : faut-il une guerre, sur un théâtre d’opération secondaire à leurs yeux, pour arrêter la course folle de l’Iran ou temporiser jusqu’à ce que ladite course folle provoque d’indicibles embrasements et dévastations à travers le grand Moyen-Orient ?

* 28 juin 2021 – Drone de guerre

L’Iran souhaite-t-il réellement le retour des Etats Unis dans l’accord de 2015 sur le contrôle de son industrie nucléaire ? A constater la multiplication des attaques de drones menées par les milices ‘’sœurs’’ des Gardiens de la Révolution sur les installations américaines en Irak comme sur la frontière syrienne, le doute est permis. Plutôt que de s’engager dans des pourparlers diplomatiques, les stratèges de Téhéran s’appliquent à chasser les Occidentaux de leur arrière-cour chiite. Depuis février, on a ainsi compté une quarantaine d’attaques contre les bases où sont déployés les 2 500 soldats américains de la ‘’coalition internationale’’ chargée de contrer une résurgence de Daech. L’aéroport de Bagdad n’a pas été épargné et la DCA se montre peu efficace contre ses petits objets volant en rase-motte.
Il est quand même intrigant de voir la République Islamique prendre impunément le risque de protéger une centrale jihadiste sunnite, qui lui est fondamentalement hostile. La confrontation avec le ‘’Grand Satan’’ américain emporte manifestement sa priorité. Ce n’est pas le choix des Iraniens, mais leur voix ne compte pas.


En riposte aux multiples attaques de drones armés de charges explosives contre leurs implantations civiles comme militaires en Irak, les Etats Unis ont conduit le 27 juin trois ‘’frappes de précision’’ contre les dépôts d’armes (notamment, de drones) et les centres de commandement de plusieurs milices pro-iraniennes, en Irak et en Syrie. Au moins cinq miliciens auraient été tués. C’était la seconde opération de ce type, après des représailles, en janvier, dans l’Est de la Syrie. Les Américains et leurs alliés doivent donc traiter de front un ennemi terroriste mais aussi un autre, sur le plan militaire.

Aux faucons qui, à la faveur des présidentielles, ont consolidé leur influence à Téhéran, derrière la figure du nouveau président Ebrahim Raïssi (et, nécessairement, avec l’aval du Guide suprême), Joe Biden a répondu en signant ses actes. Ce sera ‘’dur contre durs’’, œil pour œil, dent pour dent’’. Ceci n’exclut pas qu’on aboutisse plus tard à des tractations américano-iraniennes, que dicterait logiquement l’épuisement économique et social de l’Iran. Mais alors, ce ne serait pas celles envisagées par l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Pas ‘’folichon’’ comme perspective, mais pas nécessairement fatal, à moins, entre-temps, d’une perte de contrôle de leurs opérations guerrières par les Pasdarans, enragés qu’ils sont à venger leur chef, tué début-2020… par un drone américain.

4 juin 2021 – Boum, quand votre cœur (nucléaire) fait Boum !

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a repéré des traces d’uranium enrichi sur trois sites non-déclarés par l’Iran. Dans un récent rapport, elle documente des irrégularités anciennes mais aussi des nouvelles, de la part des responsables du programme nucléaire iranien. Elle blâme surtout le refus de Téhéran de s’en expliquer, les transgressions commises par ce pays relevant du pouvoir suprême (le Guide Khamenei) tout comme de la surenchère guerrière pratiquée par les gardiens de la Révolution, mal contrôlés mais toujours protégés. A ces constantes du système politique iranien se greffe la perspective proche d’une élection présidentielle, dont il est acquis par avance qu’elle sera remportée par les faucons du régime (le favori déclaré étant le sinistre grand patron de la Procurature).

A l’extérieur, l’objectif des mollahs est de tester la résistance de la nouvelle administration américaine, de retour dans le jeu des négociations 6+1, sinon encore dans l’accord de règlement nucléaire dénoncé par D. Trump, en 2018. La puissance dominante du Chiisme tire donc sur la ficelle, en accumulant les petites provocations, sans rompre définitivement un dialogue de forme agressive : tout un jeu au bord du gouffre.

En fait,, le nucléaire iranien inquiète de plus en plus. Le pays a accumulé une quantité d’uranium faiblement ou moyennement enrichi seize fois supérieure au plafond que lui assigne l’accord de 2015 : 3.241 kilos – contre une limite fixée à 202,8 kilos. Qui plus est, l’AIEA n’a pu vérifier les évolutions récentes de ce stock, du fait des restrictions d’accès aux sites que lui impose depuis peu Téhéran. Plus grave, l’Agence a établi l’existence de plusieurs centres d’enrichissement non-déclarés, susceptibles de faire progresser rapidement cette masse critique, tant en quantité qu’en degré de concentration. Par extrapolation, l’acquisition d’un combustible fissile de qualité militaire pouvant armer une série de bombes atomiques est en marche. Alerte !
L’obstination de l’Iran à accélérer son programme militaire nucléaire prend à contre les Européens. A Vienne, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont exprimé leur opposition à un projet de résolution américain prônant des ‘’contre-mesures’’. Leurs diplomaties estimaient que Téhéran cherche encore un compromis négocié et les trois capitales avaient préféré missionner le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, pour de nouvelles discussions de bonne foi avec Téhéran. Les illusions sont tombées et, du côté iranien, il n’y a plus aucun signe de bonne foi, encore moins d’une acceptation d’élargissement de l’agenda nucléaire à d’autres chapitres sensibles comme l’arsenal balistique ou les menées intrusives des Pasdaran à travers le Proche-Orient.

L’impasse est assez frustrante : on n’en parle pas trop et on attend l’issue de l’élection présidentielle pour aviser. Ceci n’empêchera pas d’introduire, à distance, quelques virus informatiques dans la chaine de prolifération iranienne. Téhéran prend, en retour, des résidents occidentaux en otages (vrais espions ou malchanceux voyageurs ?).
Est-on en passe d’oublier que l’enjeu n’est pas seulement l’accession de l’Iran au statut de puissance nucléaire, d’ailleurs par la fraude (en violant ses obligations au titre du traité de Non-prolifération de 1969) ? L’enjeu à terme sera la nucléarisation consécutive d’une demi-douzaine d’autres puissances moyen-orientales, qui feront tout pour casser ce monopole. Israël, le premier, pourrait attaquer préventivement les installations illégales et s’engager dans un duel nucléaire à mort. Sans aucun doute, l’Arabie saoudite se mettrait en capacité de répliquer à l’Iran et les Emirats la suivraient, provocant une contre-réaction du Qatar. La Turquie rétablirait son hégémonie régionale en se dotant d’une dissuasion, au moyen de sa propre bombe. L’Egypte lui emboiterait le pas pour lui contester cet avantage indu et se tournerait sans doute vers ses connexions pakistanaises, celles de la  »prolifération en supermarché ». Ce défi vital pour l’Inde, provoquant un effet d’entrainement mortifère sur la Chine, ce qui mobiliserait, comme suite logique, les Etats Unis (dès l’origine impliqués dans la défense d’Israël) avec, en face d’eux, la Russie, etc. … A quel point interviendrait le petit arsenal français lorsque s’écroulerait ce château de cartes ? Aucune idée. Quand même un sacré feu d’artifice, M. l’Ayatollah, dont Darius n‘aurait jamais rêvé en son temps !

* 12 avril – Barbichette nucléaire

Le monde de la prolifération et des armes de destruction massive ne connait ni la transparence ni la négociation de bonne foi. Face au risque – avéré ou non – de l’emploi des technologies de double-usage (de recherche scientifique ou d’attaque de grande intensité), la règle reste la ruse et le recours aux sanctions. Parmi les installations suspectes observées avec attention, celle de centrifugation de l’uranium, à Natanz en Iran, est assurément l’un des sites les plus critiques de la planète. Demeuré secret pendant de longues années, il s’est extrait, étape après étape, des contrôles exercés par l’AIEA et ses inspecteurs. Sa production d’uranium enrichi à 20 % et plus dépasse de loin le seuil destiné à un usage civil, sans avoir encore atteint celui autorisant la production de combustible fissile militaire, en clair : de bombes A. Mais on s’en rapproche.


Il y a quelques années, un virus ‘’patient’’, distribué sur des clés USB hors-circuit verrouillé de l’installation elle-même, avait fini par mettre à bas son système informatique, retardant d’un an le programme iranien. Compliments d’Israël et des Etats Unis, associés. En juillet 2020, l’usine d’assemblage de centrifugeuses plus puissantes a été frappée par une mystérieuse explosion : nouveau retard, sans doute du fait des mêmes commanditaires. Hier, l’usine a connu un accident majeur d’alimentation électrique. Selon l’organisation iranienne de l’énergie atomique, aucune victime ne serait à déplorer. Les autorités de Téhéran ont néanmoins conclu à un « sabotage d’origine terroriste » (l’adjectif désignant communément tout ce qui leur est hostile). Est-il besoin d’attendre les résultats de l’enquête, dont on devine facilement les coupables pressentis ?


La veille, les autorités nucléaires iraniennes venaient de lancer de nouvelles cascades de centrifugeuses beaucoup plus performantes, prohibées par l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien. Le président Hassan Rohani avait salué la mise en route des nouveaux ateliers d’assemblage de Natanz, ordonnant dans la foulée la mise en service de trois nouvelles installations en cascade. Il ‘y a pas de hasard ou de coïncidence en la matière : deux constats s’imposent :
– l’Iran ne s’arrêtera pas dans sa quête du seuil nucléaire militaire, ce seuil n’impliquant pas la mise en batterie de missiles armés, mais la possibilité d’y parvenir rapidement en cas de crise critique. Donc, une possibilité de bascule stratégique plutôt qu’une exhibition précoce de l’arme ‘’à la nord-coréenne’’.
-La petite guerre – très réelle – autour des installations, notamment de celle de Natanz, n’est compréhensible qu’à la lumière de grandes manœuvres géopolitiques en cours. En signalant envisager de réintégrer l’accord de 2015 = = sous conditions = = les Etats Unis forcent l’Iran à se réengager aussi sur le terrain politique et diplomatique. Dans les tractations en cours avec les Cinq du Conseil de sécurité, l’Europe joue les intermédiaires de bons offices et les Américains campent en coulisse. Il s’agit de désigner un coupable : ce sera soit, celui qui s’entête à lâcher sur le Moyen-Orient les démons de la prolifération, soit celui qui sanctionne aveuglement une population civile éprouvée par ses sanctions. Aucun des deux camps ne peux renoncer à ses objectifs stratégiques ultimes, d’autant plus que les logiques d’opinion intérieures ne leur pardonneraient aucun écart. Reste la simultanéité des concessions ou semi-concessions. Washington désamorcerait un peu les sanctions et réintègrerait – pas trop officiellement – l’accord. Téhéran accepterait de parler à nouveau des contrôles de l’AIEA, étant entendu que les progrès récents réalisés dans ses programmes ne seraient pas remis en cause…Hyper complexe, dans les faits comme dans leur perception médiatique. C’est bien un combat de boucs qui se tiennent par la barbichette !

* 02 mars – Bientôt, la bombe théocratique ?

Une nouvelle série de provocations et de représailles s’ouvre entre Téhéran et ses adversaires après plusieurs mois de relative retenue iranienne. Le 1er mars, le premier ministre israélien, B. Netanyahou, a accusé Téhéran de l’attaque d’un cargo israélien, dans le golfe d’Oman, et a laissé présager d’une réplique prochaine. Ce n’est pas vraiment une surprise que Jérusalem se mette en travers des tentatives de Washington – jusqu’ici infructueuses – pour renouer le fil de la négociation nucléaire avec la République des Mollahs. Mais les mollahs sont les premiers à faire monter les enchères en testant rudement les nerfs de l’administration Biden. Téhéran refuse ainsi l’invitation européenne – qu’elle avait pourtant suscitée – à rencontrer les six signataires de l’accord de 2015, incluant les États-Unis. En signe de sa mauvaise humeur, l’Iran bloque certaines visites d’inspecteurs de l’Agence Internationale de l’Energie atomique, tout en tolérant certains contrôles à distance, par caméras. Dans le nord de l’Irak, des tirs de missiles ont été effectués contre une base américaine, suivis, en représailles, d’un bombardement de positions iraniennes en Syrie. C’était le premier acte de guerre de l’administration Biden. L’Iran est averti.


Pour J. Biden, la tâche s’annonce ardue. Ses méritoires invites au dialogue, comme ses fermes pressions, ne vont pas remettre en selle l’accord de Vienne comme par enchantement. Il va lui falloir poursuivre jusqu’au bout la partie au bord du gouffre. Les préliminaires d’une négociation ont achoppé sur l’ordre du jour. La levée totale des sanctions unilatérales américaines constitue le préalable imposé par Téhéran, ce qui reviendrait pour l’Occident, la Chine et la Russie, à concéder d’emblée tout à l’Iran, sans garantie en retour. L’idée occidentale d’élargir les pourparlers aux moyens balistiques et aux relais de miliciens armés de la République Islamique dans la région crispe assurément le Guide et ses Pasdarans (gardiens de la révolution), de même qu’elle heurte sans doute le nationalisme de beaucoup d’Iraniens, néanmoins désireux d’un retour de la Paix. La frange la plus dogmatique de la théocratie iranienne tient à exhiber son intransigeance, à l’approche d’élections qu’elle entend remporter contre la nébuleuse supposée ‘’pragmatique’’, à vrai dire difficile à cerner, en fait, contre le peuple. De là à supposer que les tirs de roquettes des Houthis yéménites sur l’Arabie saoudite et les actes de piraterie en mer des Pasdarans soient inspirés par la dictature chiite, il n’y a qu’un pas. Si l’Iran devenait une démocratie, la méfiance se dissiperait rapidement. Les classes moyennes de ce pays ne demandent qu’à frayer avec l’Europe et les Etats Unis, dans le respect de la dignité de chacun. On pourrait même spéculer que la progression de ce pays vers le seuil nucléaire – une mauvaise nouvelle, en termes de prolifération – serait en partie compensée par son insertion ‘’raisonnable’’ dans l’équilibre de la terreur. Voyez ce qui est arrivé à l’Inde, à la fin des années 1990.

* 22 février – Partie au bord du gouffre

Le jeu de poker reprend après l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, qui s’est dit prêt à revenir dans l’accord initial de 2015. Les Etats-Unis et l’Iran se renvoient la balle sur qui doit faire le premier pas et comment. Mais les règles divergent selon les joueurs. Du côté américain, la démarche, connue des électeurs par avance, est assez claire. La bonne volonté ne se concrétisera que si elle est partagée. Washington fait quelques ouvertures : recours aux bons offices des Européens, mise entre parenthèse des toutes dernières mesures prises contre Téhéran, volonté de retour à l’accord nucléaire de 2015. Mais la nouvelle administration ne peut subir le risque, face à son opinion, de se faire berner. Vu de Téhéran, qui n’est bridé par aucune contrainte démocratique, on calcule selon les intérêts des clans au pouvoir (l’élection d’un, président en juin, la mainmise des Pasdarans sur l’outil sécuritaire). L’objectif reste stratégique : hisser la théocratie jusqu’au seuil nucléaire. Il ne s’agit pas d’exhiber la bombe, ‘’à la nord-coréenne’’, encore moins d’y recourir par surprise. Le Guide vise à sanctuariser sa diplomatie (telle, la France des années 1960), à exercer une dissuasion contre Israël (possibilité d’une frappe de rétorsion, même décalée dans le temps) et finalement, à battre de vitesse tout proliférateur adverse se manifestant dans la région (l’Arabie saoudite, en particulier). La prolifération n’est plus celle des années 1990. Elle se développe sur la base d’équilibres régionaux qui échappent aux superpuissances. L’identitarisme religieux (sunnites contre chiites) y a creusé son sillon.


L’Iran a fixé au 21 février l’échéance de son ultimatum pour une levée inconditionnelle des sanctions imposées par l’administration Trump, en 2018. A défaut, Téhéran menaçait de fermer l’accès de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à ses installations militaires clandestines très suspectes. La venue in extremis du directeur général de l’Agence de Vienne, Rafael Grossi, a permis de mettre en place un ‘’compromis technique’’, certes boiteux et provisoire, mais ménageant une surveillance réduite et, surtout, un sursis de trois mois à la négociation diplomatique. Les inspecteurs de l’Agence sur place ne seraient pas expulsés sous le coup d’une loi taillée pour ce but et des contrôles inopinés resteraient même possibles, sauf future rupture, toujours à craindre. C’est donc un premier pas fragile pour sortir de l’impasse et concrétiser la perspective d’un retour des Etats-Unis dans l’accord de Vienne de juillet 2015. Mais peut-on parier sur le régime des mollahs, honni comme il l’est des forces vives iraniennes et accroché à un prosélytisme digne des croisades ?

* 6 février – Le droit a la dent dure

Coïncidence : plusieurs faits d’actualité viennent rappeler que, même en période de pandémie, les traités peuvent exercer leurs effets de façon inattendue. La principale ‘’surprise’’ tient à la décision, sans préavis, des procureurs de la Cour Pénale Internationale (CPI) de La Haye. Les territoires que les Nations Unies qualifient d’ ‘’occupés’’ par Israël tombent sous la juridiction de la Cour. Donc, les crimes de guerre ou crimes contre l’humanité qui y sont commis peuvent être instruits et jugés par celle-ci. On se doutait bien, à la Haye, que ceci ferait enrager M. Netanyahou. Peu de doute cependant sur le fait que les Etats-Unis – qui, comme l’Etat Hébreu, refusent la compétence de la CPI – feraient barrage à cette décision. Il n’empêche qu’à l’occasion de sa présence en Europe ou en Australie, etc., un Israélien (ou un Palestinien) suspecté pour des faits commis en Cisjordanie, à Gaza ou Jérusalem-Est pourrait être retenu pour enquête. D’ailleurs la seule infamie d’une suspicion de crime de masse peut être dévastatrice au plan politique, avant même que quiconque soit déféré devant un juge. La CPI confirme qu’elle est bien un formidable instrument au service d’un comportement civilisé des puissants du monde. C’est aussi un mécanisme de sauvegarde des valeurs les plus sacrées du droit. Une question, toutefois : ‘’pourquoi ne pas étendre sa juridiction à tous les territoires occupés reconnus comme tels : le Donbass et la Crimée, l’Abkhazie géorgienne, Chypre-Nord, la zone kurde de Syrie, les enclaves du Ladakh, les îlots de Mer de Chine du Sud, etc.


L’immunité diplomatique est souvent perçue comme un gadget désuet hérité du monde ancien. Elle vaut surtout comme règle de réciprocité, qui contraint à un minimum de relation pacifique les Etats intéressés à participer au ‘‘grand jeu’’ géopolitique, tout en restant tentés d’éliminer leurs concurrents de l’échiquier. Reste alors la négociation entre protagonistes protégés par un statut égal. Téhéran invoque cette immunité au bénéfice d’un de ses conseillers d’ambassade à Vienne, poseur de bombes, qui préparait en 2008 un attentat, à Villepinte, contre un rassemblement d’opposition iranien (avec de nombreux invités non-iraniens). Avec sa bande, il a été jugé et condamné par un tribunal d’Anvers. L’immunité comme argument d’impunité constitue un déni violent du droit, une tentative de légitimation juridique du terrorisme particulièrement malhonnête. On en avait fait l’expérience à Paris lorsqu’un diplomate irakien avait froidement assassiné un policier français pour se réclamer immédiatement d’un privilège d’impunité. L’impunité est une notion inhérente à l’anarchie ou au gangstérisme pur et dur. La CPI devrait le rappeler régulièrement. Elle le fait sans doute. Selon la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961, qui régit ce statut, la responsabilité individuelle d’un diplomate commence à un niveau très bas : propos sur la voie publique, respect de son bail de locatif, conformité à la réglementation sociale et sanitaire, obéissance au code de la route (dont le stationnement). C’est la norme, en tout cas, lorsqu’il s’agit du représentant d’un Etat décent et civilisé. Tous ne répondent pas à cette définition, bien que tous entretiennent des diplomates à l’étranger. Endosser le métier ne rend aucunement solidaire d’autres étrangers qui le portent en mafieux et se comportent en criminels, bien au contraire !

Quant aux trois diplomates européens basés à Moscou, soudainement expulsés par le gouvernement Poutine, leur intérêt pour le sort de ce pauvre Alexeï Navalny – parfaitement conforme à leur mission – n’est pas la cause directe de leurs déboires. Comme tous représentants de démocraties dans une autocratie sans état de droit, ils savaient bien que lorsque le climat politique russe tournerait à l’aigre, on s’en prendrait à eux. Ils y étaient préparés et, dans une certaine mesure, l’acceptaient à l’avance. Ils servent en fait de marqueur météo : le pouvoir russe voulait faire savoir que son humeur tournait à l’orage (le syndrome de l’Ours grognon). Il vaut mieux ça qu’un lancer de missile balistique, après tout.