* 27 septembre – Faux frères italiens et autres

Pour la première fois depuis l’après-guerre, la Péninsule va être gouvernée par l’extrême droite. Giorgia Meloni, la patronne du parti postfasciste, Frères d’Italie, a remporté les législatives du 25 septembre avec une majorité relative. Paradoxalement, c’est son éloignement du pouvoir, ces dernières années, qui la propulse au pouvoir par le choix d’un électorat sceptique et désorienté. Tous les records d’abstention ont été battus. Assistera-t-on à une tentative de retour dans le passé, à  l’avènement d’une gouvernance intégriste et réactionnaire ou encore à celle d’une extrême droite populiste de type Est-européen, à la hongroise ou à la polonaise ? Peut-être un cocktail instable des deux derniers ingrédients, l’héritage fasciste étant destiné à s’estomper avec l’exercice réaliste du pouvoir.

Péché de jeunesse : à 19 ans, Mme Meloni a milité pour le parti postfasciste, Alliance nationale, héritier du Mouvement social italien (MSI), lui-même créé en 1946, par d’anciens dignitaires de la République pronazie de Salo. Marqueur d’un passé dont on sait bien au fond qu’il n’est utile qu’à la propagande, le programme du parti Fratelli, qu’elle a cofondé en 2012, ne s’identifie plus à un projet fasciste. Vingt-six ans ont passé, Giorgia  est désormais blonde et elle a ajusté sa ligne politique à la vague populiste qui déferle sur l’Europe. A la tête d’une coalition qui réunit aussi la Ligue de Matteo Salvini (en déclin) et Forza Italia de l’éternel Silvio Berlusconi, elle vient de remporter 26 % des suffrages aux législatives. Cette alliance obtient la majorité au Parlement, mais elle ne pourra pas lancer une refonte de la Constitution, qui nécessiterait de contrôler les deux tiers des votes.

Parvenu en première position de tous les partis d’Italie, Fratelli d’Italia réclame logiquement pour sa cheffe la conduite du gouvernement. Mais monter un gouvernement de coalition prend du temps en Italie, même si les ‘’combinazioni’’ s’avèrent souvent éphémères, l’instabilité de l’Exécutif restant chronique. La profession de foi de Giorgia, livrée dans son ouvrage autobiographique à succès, ‘’Io sono Giorgia’’ reste floue sur l’avenir des institutions italiennes et le sens à donner, dans ce contexte, au présidentialisme dont elle se réclame.

Malgré ses déclarations rassurantes, son parti réunit tous les ingrédients d’une extrême-droite radicale, populiste, aveugle au monde et qui plus est raciste. Le chauvinisme, la promotion de valeurs passéistes (famille traditionnelle, soutien à la natalité, anti-IVG, haine de la culture ‘’de genre’’, etc.), la volonté de grandeur en politique étrangère (syndrome anglais) sont autant de thèmes de droite qui, s’ils faisaient bien partie de la culture politique fasciste, ne lui sont pas exclusivement spécifiques. Avec des slogans pétainistes comme ‘’Dieu, patrie, famille’’ ou ‘’Je suis une femme, je suis une mère, je suis chrétienne’’, Giorgia Meloni se poste dans une version identitaire – mais pas christique – de la Religion. Surtout, elle se montre implacable à l’égard des ‘’faibles’’ et des étrangers. Les migrants, en particulier, se voient promis aux eaux profondes du cimetière de la Méditerranée. Pas de trace de christianisme, ni d’humanisme sur ces sujets.  Faut-il craindre pour la démocratie italienne, voire pour la paix en Europe ?

L’opportunisme et sa pointe de réalisme sont à l’œuvre : Giorgia a fortement corrigé son credo pour le rendre plus acceptable dans les temps présents. Elle déclare être revenue de ses outrances passées : ‘’Il y a plusieurs décennies que la droite nationale a relégué le fascisme à l’Histoire, en condamnant sans ambiguïté la privation de la démocratie et les infâmes lois antijuives’’.  L’hubris de pouvoir modère le langage et devient une motivation en soi. Les 191 milliards d’Euro que Bruxelles a marqués à destination de l’Italie (première bénéficiaire, de loin) pour relancer son économie après la crise du Covid pèsent dans l’inflexion à la baisse du souverainisme, jusqu’alors si présent dans son ADN d’opposante.

Ses déclarations de soutien Ukraine, sa fidélité toute nouvelle à l’OTAN projettent l’image d’un parti populiste au visage présentable, du moins en superficie. Mais le refus de Fratelli d’Italia et de la Ligue, le 15 septembre, de voter le texte du Parlement de Strasbourg définissant le régime d’Orban comme une ‘’autocratie électorale’’ vient à point nommé réactiver l’ADN ancien. On trouve là les limites du renouveau engagé. Sur l’Europe et l’attitude à adopter face à Poutine (que Giorgia a longtemps admiré), les trois partis alliés risquent de se déchirer. Vu le poids de l’Italie en Europe, ceci n’empêchera pas l’ ‘’axe Sud – Nord-Est’’ autoritariste et populiste de se renforcer face aux démocraties ouest-européennes et à la Commission : Italie, Pologne, Suède, Hongrie, Slovénie, Slovaquie … Cette contamination rampante est inquiétante pour l’avenir du Continent où les démocraties respectueuses du droit se retrouvent encerclées.

* 21 juillet – Offensive bunga-bunga

La super-coalition nationale parlementaire italienne aura vécu, après la démission de Mario Draghi que l’on annonce imminente. Cette perspective inquiète beaucoup de partenaires de Rome en Europe et pas seulement la Commission et les milieux d’affaires. L’aura du chef de gouvernement et sa réputation de sérieux paraissaient gager une cohérence salutaire de la politique de la troisième économie de l’UE. L’Union ne peut pas se permettre de voir son flanc sud flancher au plus fort des crises qui se superposent.

Draghi a obtenu la confiance du Sénat, mais trois partis de droite et d’extrême droite ont boycotté le vote à la chambre des députés : Draghi exigeait l’unanimité, avec la raideur moraliste qu’on lui connait. Il se voit désavoué et contré par une coalition extrémiste – des Berlusconistes de Forza Italia, des Ligueurs de Salvini et des Frères italiens, en pointe dans les sondages – ce groupe se mettant en embuscade pour investir le pouvoir. L’objectif secondaire de la droite populiste est d’étriller le parti ‘’Cinq étoiles’’, populiste, brouillon et placé en trajectoire d’effondrement, mais accessoirement à même de gouverner avec les Centristes. Les prochaines législatives devant intervenir d’ici janvier 2023, ces partis se sont dégagés de l’inhibition qu’ils avaient à casser l’union sacrée, pour préférer se compter au parlement. On s’attend désormais à des élections anticipées dès l’automne, ce qui ouvrirait une période de relatif vide du pouvoir.

La classe politique n’a pas appris grand-chose du précédent passage aux affaires d’une extrême droite populiste, incapable de gérer et d’inspirer le respect à l’international, car principalement portée par sa propagande xénophobe vulgaire et même carrément raciste. Derrière ce ‘’complot’’ contre l’unité, il est plus que  probable que l’on trouve l’inoxydable Sylvio Berlusconi. A 85 ans, le ‘’Cavalieri’’ ne cesse pas de régler ses comptes personnels, plutôt que de faire oublier son comportement corrompu et dépravé de l’époque où il était premier ministre. En sonnant l’hallali contre Draghi, il lui ‘’rend un chien de sa chienne’’. Précisément, il lui fait payer le fait d’avoir fait obstacle, en janvier, à son accession au palais Quirinal, en remplacement du président Sergio Matarella (finalement reconduit).

Voilà à quoi tient le sort d’un grand pays plongé dans les difficultés et, par-delà, à quoi pourrait tenir la solidité de l’Europe. C’est lorsqu’il faudrait dans l’urgence défendre la démocratie contre ses ennemis, que celle-ci se met à craquer de l’intérieur.  »Craquer », seulement, car rien n’est encore joué, heureusement.