* 14 septembre – Jihad endemique et socialités contagieuses

L’expansion jihadiste procède, on l’a vu, des erreurs stratégiques et des canaux dangereux suivis par la réplique occidentale autant que du délire nihiliste d’une minorité de musulmans ultra-politisés, sorte d’ ‘’Action directe’’ à la sauce islamiste. Sans l’arrogance cynique des néo-conservateurs américains – les Dick Cheney, Donald Rumsfeldt, Paul Wolfowitz et autre John Bolton, etc. et la vacuité stratégique de George W. Bush – l’Occident aurait conservé son âme et l’image de l’agressé, pour un temps tout au moins. Malheureusement, ces dirigeants dogmatiques ont voulu Abou Ghraib, Guantanamo, les charters de la CIA, la plus terrible machine à torturer sans doute produite en terre ‘’chrétienne’’, depuis l’ère nazie. Les mêmes ont personnellement bénéficié de la privatisation de la guerre qu’ils prônaient. Sur le terrain, les Halliburton et autres Blackwater ont présidé à de nombreux massacres (en comparaison des troupes régulières). Le recours massif à des exécutions par drones tactiques, leur trop grande tolérance pour les ‘’victimes collatérales’’ (beaucoup  de familles innocentes, des assemblées de mariages…) ont  privé leurs opérations militaires de leur justification morale. La moralité s’est d’ailleurs perdue dans les deux camps.  

Ainsi, le concepteur des attentats du  11 septembre croupit encore dans une cellule de Guantanamo, en attente d’un jugement, rendu impossible par la pratique intensive de la torture à son encontre. Ni le Pakistan ni aucun autre Etat n’accepterait de reprendre chez lui Khalid Cheikh Mohammed et ses 19 complices. Leur procès tournerait inévitablement à l’incrimination de leurs geôliers – et tortionnaires – américains et de la justice américaine, elle-même. C’est l’administration Bush qui a perverti la justice américaine. Elle ne rendra pas de compte à l’Histoire. Que reste-t-il pour dire le droit face aux terroristes ?

De 2006 à 2011, la phase de ‘’contre-insurrection’’ a tenté de stabiliser le chaos produit par la riposte américaine trop extensive et non-préparée dans son volet civil (cf. la précédente brève). Al-Qaida, à l’origine plutôt hors-sol, reprend alors racine en menant des soulèvements populaires contre l’occupant, en Irak et en Afghanistan. Les pasdarans iraniens en Irak et les milices ou groupes combattants sunnites à travers toute la région se montrent habiles à s’attirer les sympathies des populations, en tablant sur leur fureur anti-occidentale. En particulier, la révolte de l’ancienne nomenklatura sunnite d’Irak accouche d’une nouvelle obédience jihadiste, plus ‘’territoriale’’ et pas moins panislamiste que la précédente, donnant naissance à Daech (Etat islamique) à Mossoul, en juin 2014. Ce califat profite de l’implosion de la Syrie et d’une sorte de complicité de Bachar (qui ouvre ses prisons et laisse passer les armes) pour se tailler un territoire à cheval sur les frontières d’Irak et de Syrie .

Avec les images de Guantánamo et des scènes d’exécutions capitales d’ ‘’impies’’, la nouvelle  nébuleuse s’adapte à l’âge numérique des médias et cible particulièrement la jeunesse révoltée (un état normal, pour la jeunesse) avec une approche calibrée, digne des meilleurs ‘’influenceurs’’ d’internet. Les mosquées européennes fournissent le ‘’présentiel’’ et le va -et-vient des propagandistes (ou artificiers) complète l’impressionnant dispositif de mobilisation jihadiste. L’exécution de Ben Laden au Pakistan, en 2011, alimente la fièvre de revanche. La mouvance se montre cependant plus prudente à attaquer directement le territoire américain – mais n’hésite pas à le faire dans le reste du monde comme sur le terrain militaire. Franchissant un pas de plus dans l’horreur, elle innove dans son mode opératoire en confiant à des enfants d’immigrés musulmans et à des convertis étrangers la mission d’accomplir des attentats contre la coalition ou sur le sol de l’Europe. Cette tactique est assurée de soulever dans les pays – visés ‘’de l’intérieur’’ – une forte hostilité à l’Islam local et une cassure intérieure des sociétés démocratiques. La blessure s’avère moins guérissable qu’une défaite militaire. A travers le monde, elle dresse les unes contre les autres les cultures occidentales et orientales et fait perdre tout contrôle sur la stabilité du monde.

 Le ‘’ califat voyou’’ ne sera réduit qu’au bout de cinq ans par les bombardements de la coalition internationale, les milliards d’euros investis dans les opérations des militaires kurdes et irakiens. Au passage, l’Occident se retrouve toujours plus en posture d’envahisseur, puisque  les attentats qui le visent apparaissent à l’opinion arabe comme une juste vengeance plutôt qu’un motif légitime d’autodéfense. La longue agonie de Daech sera émaillée d’attaques vengeresses, qui ensanglantent l’Europe comme le monde arabe (mais moins les Etats Unis). La chute des places fortes de Mossoul et Rakka, en 2017, puis du réduit de Baghouz, en mars 2019 et, finalement, la suppression du calife Abou Bakr Al-Baghdadi, par un commando américain, en octobre de la même année, annihilent  les infrastructures matérielles du califat sans vraiment éliminer ses combattants ni, a fortiori, atténuer son emprise sur les jeunes esprits. Le mal n’est plus géopolitique : il est devenu sociétal.

La donne militaire a changé après l’effondrement de Daech et le déclin d’Al Qaida, mais l’idéologie de la nouvelle génération jihadiste est identique à celle de ses anciens et elle a contaminé l’islamisme, un phénomène distinct, à l’origine. Le jihad, désormais servi par une stratégie de manipulation à distance, est l’affaire de fomenteurs de haine, omniprésents sur la Toile. Les loups qui exécutent les tâches ne sont qu’à moitié ‘’solitaires’,’  puisque  préalablement endoctrinés en distanciel  puis, en présentiel, par la fréquentation de certaines mosquées ou associations radicales. Mais ils ne reçoivent plus – directement –  des ordres d’attaque sur des cibles précises, contrairement à l’usage des organisations précédentes. La méthode a endeuillé la France à l’automne 2020, avec l’assassinat de Samuel Paty, à l’occasion du procès des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes.

 Le risque sécuritaire reste élevé, alors qu’on entame le procès des assassins du 13 novembre 2015. Ce ‘’djihadisme d’atmosphère’’ a juste besoin d’être alimenté en ’’faits glorieux ‘’ qui attirent les adeptes et  galvanisent les exécutants. Une telle matrice est particulièrement  complexe à démonter pour les services spécialisés. En France, ils  y parviennent néanmoins dans une dizaine de cas par an. La reprise de Kaboul par les talibans, le 15 août 2021, représente, pour la mouvance, une grande victoire, moins d’un mois avant la 2O ème commémoration du 11 septembre 2001 et tandis que s’ouvre à Paris le long procès précité des attentats de novembre 2015.

Le retour des talibans à Kaboul intervient au terme de deux décennies d’histoire intense du djihadisme international. L’islamisme est-il désormais étroitement associé au jihadisme voire au terrorisme tout court ? Aujourd’hui, le jihadisme s’est hélas fortement étoffé : il  rassemblerait deux à trois fois plus de combattants qu’en 2001. Dans cette vaste  nébuleuse, un flou couvre la proportion de ceux qui rejettent  l’Occident chez eux (localement terroristes, mais pas des agresseurs face à l’Occident) et de ceux qui s’en prennent à la terre entière, au nom d’une sorte de messianisme sanguinaire, en fait névrotique. Al-Qaida n’a pas gagné mais paraît à même de ressurgir un peu n’importe où, notamment en Afrique, en profitant de désordres locaux et de la mauvaise gouvernance. La France s’est placée aux premières loges.

On semble revenu à la case départ, qui sanctionnerait l’inanité de la stratégie de l’Amérique et le suivisme imbécile des Européens. Les Etats-Unis et à leurs alliés n’ont pas réussi à éradiquer le djihadisme, seulement l’Etat que celui-ci avait constitué. On est passé, de 2001 à aujourd’hui, d’une volonté d’éradication globale du mal à une stratégie d’endiguement de la menace, pondérées de concessions faites aux talibans, alliés des jihadistes et d’hésitations sur la méthode. On  arrive à nouveau à un carrefour stratégique entre la poursuite de la voie militaire, malgré ses échecs répétés, ou la reprise de la lutte contre le terrorisme, par d’autres moyens ‘’civils’’, sociaux et, éducatifs : le renseignement, les opérations secrètes, la coopération des polices, la diplomatie, les politique de développement, etc. Les Européens découvrent, à leur tour, que les ‘’socialités’’ (interactions directes entre sociétés) générées entre nations et strates sociales ne pèsent pas moins lourd que l’exportation d’un activisme militaire ou diplomatique désordonné.

Le monde a fortement changé depuis la guerre d’Afghanistan. La fin du contre-terrorisme comme priorité extérieure des Etats Unis, signifiée par  à leur retrait de Kaboul, laisse planer au-dessus l’Europe et de son voisinage africain une ombre, un vide assez sinistre. Comment classer les groupes djihadistes au Sahel : menace mondiale, guérillas régionales, terrorisme interne, dérive des comportements sous une mauvaise gouvernance ?  Ce n’est manifestement pas par la seule force du glaive qu’on règlera les problèmes sans en créer d’autres. La lutte antiterroriste devra rester plus vigilante en Europe qu’aux Etats Unis, ce qui pose encore et toujours la question lancinante de l’autonomie stratégique.

* 13 septembre – Le jihad n’est pas le fruit du hasard mais d’erreurs géopolitiques

L’anniversaire du 11 septembre est passé, faisant remonter dans nos esprits le sinistre souvenir de l’épopée jihadiste. L’actualité géopolitique et judiciaire pointe un fléau bien présent et même ‘’endémique’’. Par respect des vies innocentes qui ont été perdues le blog ne cherchera pas à exploiter un angle inédit là tout a été dit. Il passe simplement en revue l’émergence et l’emprise envahissante de cette forme du terrorisme international, qui est aussi un ressort majeur des malheurs du monde. L’Occident (essentiellement les Etats Unis) a joué à l’apprenti sorcier principal, réinventant et sur-développant la vieille version guerrière de l’Islam. Les guerres post- 11 septembre ont renforcé le phénomène, en faisant prospérer la haine des ‘’croisés’’. Une prochaine brève traitera du jihad actuel.

1 – Le djihad afghan se développe de 1979 à 1989 (sous le démocrate Jimmy Carter), dans le but qu’entretient Washington d’infliger un ‘’Vietnam’’à l’URSS. La vengeance sur 1975 (débâcle en Indochine) planne dans les esprits. Il faut punir l’armée rouge d’avoir envahi l’Afghanistan, pensant pouvoir sauver un régime communiste local chancelant. A Washington, Zbigniew Brzezinski, le conseiller pour la sécurité nationale, fait soutenir par la CIA un ‘’djihad’’ financé par les pétromonarchies de la péninsule Arabique et porté par les tribus pachtounes de tradition guerrière et banditesque.

A l’initiative du Pakistan, allié très ambigu, les services de renseignement ajoutent à ces combattants locaux une strate d’étudiants en religion (talibans) que Washington soutient en faisant feu de tout bois. C’est le point de départ du djihadisme transnational. A la veille du 15 février 1989 marquant la défaite de l’Armée rouge, la victoire américano-islamiste se trouve éclipsée par la fatwa de l’ayatollah Khomeini. Celui-ci y condamne à mort, pour blasphème, l’écrivain Salman Rushdie, auteur des Versets sataniques. Victorieux contre les Russes, les jihadistes sont dépossédés par leur échec médiatique et abandonnés par l’Occident. Pour leurs chefs, les ‘’masses musulmanes’’ n’auraient pas rejoint‘’l’avant-garde islamiste », par seule crainte de la puissance occidentale. L’Egyptien Ayman Al-Zawahiri, bras droit du saoudien Ben Laden, appelle alors à l’expansion du jihad à travers le monde musulman : Egypte, Algérie, Bosnie… l’offensive doit être mondiale. Al-Qaida naît bientôt de cette guerre sectaire intra-islamique. Ben Laden étend vite le champ du jihad à tous les ‘’impies’’ de la Terre, pour damer le pion à ses rivaux chiites et faire pénétrer la violence sacrée au cœur même de l’Occident (que ses kamikazes attaquent depuis plusieurs années déjà sur les théâtres d’opération du grand Moyen-Orient). Ce sera plus spectaculaire encore que la fatwa iranienne. Une longue série d’attentats terroristes, y compris contre des civils, s’ensuit, appuyée par d’importants financements privés ‘’religieux’’, venus du Golfe. Le passage de la résistance anti-soviétique au jihad global doit beaucoup au fanatisme de Saoudiens et de Pakistanais… et à un activisme naïf des Américains.

Les attentats du 11 septembre 2001 contre l’Amérique en constituent l’apogée. Ils font de l’orgueilleuse Amérique un colosse aux pieds d’argile. Les images d’avions percutant les tours du World Trade Center sont reprises par les chaînes satellitaires du monde entier. Lorsque l’architecte des attaques coordonnées, le Pakistanais Khalid Cheikh Mohammed – un intellectuel formé aux Etats Unis – sera arrêté, on découvrira que son projet démentiel impliquait pas moins de dix avions destinés à frapper autant de villes américaines, dont les métropoles de Californie et de l’état de Washington (sur la côte ouest). Ben Laden aurait exigé une attaque plus concentrée.

Les Etats Unis, désarçonnés, entament ‘’à l’instinct’’ une ‘’guerre globale contre le terrorisme’’ aux cibles floues mais sur fond de consensus international en béton. On ne reverra plus cela ensuite. L’humiliation infligée à l’Occident par la frappe jihadiste n‘est pas parvenue à affaiblir durablement l’Empire. Le ressaisissement patriotique de l’Amérique – en mobilisant sa puissance armée mais en se trompant de cible – va aboutir à l’opération hâtive de représailles en Afghanistan. Le pays est depuis 1996 aux mains des Talibans, qui ont accueilli les bases d’attaque des chefs d’Al Qaïda. Avaient-ils pour autant quelque levier sur leurs plans terroristes ? Le refus des Afghans de livrer Ben Laden à l’Amérique déclenche l’invasion par la coalition internationale aux côtés des forces tribales afghanes, qui feront le gros du travail. Dès février 2002, les jihadistes ont fui. Des grottes de Tora Bora, ils passent au Pakistan, abrités par les talibans locaux (leur ‘’maison-mère’’) et l’ambiguïté d’Islamabad. L’Amérique et les coalisés restent pourtant en Afghanistan. Contre toute logique, ils s’en prennent aux forces talibanes en posture de résistance face aux étrangers et en confrontation logique avec le gouvernement de seigneurs de la guerre formé sous le giron de l’Amérique. Dès lors, l’ingérence multiforme des forces de l’OTAN dans la vie intérieure de l’Afghanistan – qu’il s’agirait, comme l’Irak de ‘’reconstruire’’ – en le transformant de fond en comble offre une légitimité populaire aux talibans. Ils peuvent compter sur le temps, sachant trop bien que les étrangers devront quitter le bourbier, comme les Britanniques et les Russes avant eux.

Les conséquences du 11-Septembre ont, par ailleurs, été amplifiées par l’immixtion occidentale dans les conflits intra-musulmans. Face aux forcenés du wahhabisme sunnite, Washington se retrouve, au stade initial de sa riposte, pratiquement dans le même camp que Téhéran. Ainsi monte le sentiment d’une collusion avec l’ennemi suprême du Sunnisme, incarné par la révolution khomeyniste. Cette alliance de pures circonstances, très inconfortable, exacerbe le ressentiment des Sunnites. L’invasion de l’Irak en mars 2002 porte leur rancœur au paroxysme. A Bagdad l’Américain Paul Bremer lance la purge de l’élite bassiste (associée à Saddam Hussein) et offre aux milices chiites leur revanche : un accès sans partage au gouvernement et à l’appareil militaire irakiens. Ils s’y engouffrent de façon vengeresse. Beaucoup de cadres bien formés et rompus à l’art de la guerre passent alors à Al Qaïda puis à la nouvelle mouvance jihadiste. Dans un retour du sort, l’organisation pyramidale d’Al Qaïda succombe, autant sous les coups portés par les milices chiites irakiennes et iraniennes (coordonnées par le général des pasdarans, Ghassem Soleimani) que ceux de la ‘’guerre contre la terreur’’ lancée par George W. Bush et ses supplétifs tribaux. Laissant l’Afghanistan à son sort – négligé – les troupes US déferlent alors sur Bagdad et en Mésopotamie pour ‘’finir le travail’’ commencé par Bush senior en 1990-91.

Conséquence directe du 11 septembre 2001 les attentats contre les tours jumelles et le Pentagone ont galvanisé une nouvelle génération islamiste. L’insuccès opérationnel final d’Al-Qaida n’empêche pas une forme de succès d’estime en Europe auprès de la jeunesse en rupture d’intégration et convaincue de trouver une revanche dans la soumission d’un Occident en plein déclin. Beaucoup sont prêts à en découdre pour le hâter. Au printemps 2012, les frères Merah,commettent leurs tueries à Toulouse et à Montauban, prélude à celles de Charlie Hebdo en janvier 2015 et du massacre de Paris et Saint-Denis en novembre suivant. L’exemple est donné. On est à l’époque des printemps arabes réprimés par les dictatures. L’Occident y voit un miroir de son modèle démocratique. Pourtant, les démocrates arabes sont partout écrasés. Les jihadistes recueillent les fruits de leur combat contre les dictatures puis les éliminent sans pitié. Comme conséquence imprévue, une génération jihadiste plus impitoyable encore émerge des prisons et des tréfonds de la société, armée d’un double projet étatique et universaliste. C’est le sinistre Etat Islamique, ‘’Daech’’, avec qui les jihadistes européens font la liaison en Irak et en Syrie, puis finalement, partout sur internet. Cette seconde vague terroriste va s’avérer plus dangereuse encore que la première. Toutes les autorités confrontées au phénomène s’en trouvent totalement dépassées (à suivre).

* 26 mai – De putsch en putsch

N’avez-vous pas l’impression que l’Afrique est en passe de s’abandonner à une ruée jihado-bandito-tribaliste, qui emporte tout sur son passage y compris la soumission des peuples ? En termes strictement synonymes, le continent noir n’est-il pas  »gouverné » ou seulement pillé par des professionnels du pouvoir presqu’aussi toxiques que la vague qui déferle sur eux ? A bien considérer la suite de putschs au Mali – mais aussi au Niger et au Tchad, voisins – on devine des armées française et européennes bientôt vaincues dans la grande région du Sahel, moins par les armes adverses que par l’absence d’alliés politiques locaux qui puissent faire la liaison avec les peuples en suscitant chez ceux-ci un sursaut citoyen. L’Afrique subsaharienne n’aurait-elle aucun réflexe de défense, seulement des querelles picrocholines de pouvoir ?
Un coup d’Etat au sein d’un coup d’Etat (formule d’E. Macron, au Conseil européen), qui succède à l’autocratie d’un putschiste, qui, tout comme ses pairs, truquait régulièrement les élections avec la complicité de tous les organes de l’Etat. Et vous pouvez remonter de même jusqu’à l’indépendance. Les putschistes auto-installés pour une transition à laquelle personne ne croit vont nuitamment éliminer leurs camarades co-putschistes pour se hisser à nouveau aux affaires et à l’argent. Voici une description à peine forcée des évènements récents au Mali et au sein du G 5, qui est censé prendre le relai de l’opération Barkhane. Ces parodies tristes de vie politique, se résumant à une prédation pure, sont entretenues au sein d’un mouchoir de poche social, par les mêmes prétoriens et hauts fonctionnaires issus des mêmes familles et des mêmes circuits clientélistes ou tribaux. Trop peu de citoyens africains voient clair et cherchent à agir face à cette stratégie de mort lente (pas si lente) et leur absence de discernement vaut une forme de collaboration avec l’ennemi. Franchement, cet état des lieux est du gâteau pour toutes les franchises d’Al Qaïda ou de Daech qui travaillent à faire de ce grand continent une forteresse mondiale de l’islamo-banditisme. Les militaires français se sentent seuls et surtout sans cause porteuse à défendre auprès des populations qu’ils sont censés protéger mais qui restent étanches à toute considération géopolitique, voulant seulement qu’on cesse de tourner autour d’elles.


Au lendemain du plus récent coup de force des militaires maliens, le colonel Assimi Goïta affirme avoir dû ‘’placer hors de leurs prérogatives’’ le président intérimaire non-élu, Bah Ndaw, et le Premier ministre aux ordres, Moctar Ouane. Et alors, hormis ce langage bureaucratico-fleuri, ça va changer quelque chose ? Non. D’ailleurs, les appels ‘’citoyens’’ à se rassembler à Bamako pour protester n’ont trouvé aucun écho. Les militaires, qu’une foule un peu simplette avait accueillis avec enthousiasme, se voient, ces jours derniers, exposés au soupçon d’avoir trop pris goût au pouvoir. Rien ne change, décidemment ! On nous parle d’’’intenses activités diplomatiques’’ autour d’un Mali, plongé dans son inextricable crise et de la venue prochaine du médiateur des États ouest-africains, Goodluck Jonathan. Certes ! Un jour prochain, la crise du Mali s’éteindra d’elle-même, car il ‘y aura plus de Mali (déjà aux deux tiers dissous hors du contrôle de sa capitale) mais juste un ‘’grand Sahel islamique’’ et une ligne de défense européenne repliée sur la Méditerranée. Déprimant !

* 10 mars – Résilience africaine

Premier scrutin en principe immune du syndrome de guerre civile depuis 2010, des élections législatives se sont tenues le 6 mars en Côte d’Ivoire, selon la règle majoritaire à tour unique. Initialement prévues en octobre 2020 mais reportées de quelques mois du fait de la pandémie de covid, elles vont renouveler les 255 sièges de l’Assemblée nationale. Pour la première fois depuis les troubles civils d’il y a dix ans, les principaux partis politiques du Pays étaient en lice, à l’exception de Générations et peuples solidaires (GPS) de Guillaume Soro ainsi que d’une dizaine de partis mineurs. Mais, le Front populaire ivoirien (FPI) de l’ancien président Laurent Gbagbo avait signé son retour, après dix années d’absence. 800 candidats se sont présentés par ailleurs sans étiquette, en tant qu’indépendants. La campagne s’est plutôt bien déroulée, sur fond d’appels à la réconciliation et d’un espoir de retour à un climat politique, sinon apaisé, moins conflictuel.

Depuis le référendum constitutionnel de 2016 instaurant une Troisième République et la mise en place du bicamérisme de précédentes législatives avaient été convoquées, en décembre de la même année, dans un climat de tension extrême (87 morts et 500 blessés). Boycottées par les principaux partis d’opposition, elles avaient été emportées par le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) du président Alassane Ouattara, avec une majorité absolue de 167 sièges sur 255. Candidat à un troisième mandat, après la mort subite de son dauphin, Amadou Gon Coulibaly, Ouattara, malgré son image traditionnelle d’ ‘’Homme du Nord’’, peu crédité électoralement dans le sud du Pays, a gagné la présidentielle d’octobre 2020 face, encore, au boycott de son opposition. Cette fois-ci, le RHDP présidentiel, tout en cherchant à conserver sa prédominance parlementaire, cherche voudrait susciter un dépassement des haines et une cicatrisation des plaies du passé. Cela consoliderait sa légitimité. Est-ce réussi ?

En Afrique, les adversaires électoraux revendiquent presque toujours la victoire, sans attendre la publication des résultats (parfois eux-mêmes sujets à caution). Le scénario s’est donc produit en Côte d’Ivoire. Finalement, selon la Commission électorale indépendante, le RHDP au pouvoir aurait confirmé sa majorité législative au terme d’un décompte publié (un point positif), tout en perdant la majorité des deux-tiers et donc son contrôle absolu des institutions. Son score s’établirait à 137 sièges sur 254, contre 91 aux partis d’opposition et seulement une petite vingtaine pour les indépendants. Le parti de Gbagbo et ses divers satellites obtiennent 81 sièges. Globalement les résultats sont crédibles et l’absence de violence leur confère de la légitimité. On peut donc parler d’un processus institutionnel et civil en cours de stabilisation. Il faut s’en féliciter. Mais, alors que le Sénégal s’enflamme et que les voisins de la Côte d’Ivoire sont devenus des cibles pour la nébuleuse jihadiste – qui vise un débouché sur l’Atlantique – Abidjan n’a plus beaucoup de temps devant elle pour rétablir un minimum de cohésion et de résilience politique face au péril porteur de la bannière noire.