* 7 juillet – Marmousets perdus

La France vient de rapatrier trente-cinq enfants français retenus depuis quatre ans dans les camps des prisonniers jihadistes au nord-est de la Syrie. Ils sont environ deux cents, croupissant dans les prisons de Roj et d’Al-Hol, dans des conditions sanitaires honteuses. De plus, les autorités Kurdes avouent ne pas pouvoir assurer leur sécurité. Ce rapatriement (partiel) au bercail inclut également seize mères considérées comme complices de Daech. Les mineurs ont été remis aux services chargés de l’aide à l’enfance (ASE) et les mères, aux autorités judiciaires. Leur retour au pays est un sujet d’embarras intense pour le gouvernement français, en particulier vis-à-vis de son opinion publique, qui leur est hostile.

-Officiellement, la guerre de la coalition internationale contre Daech au Levant s’est achevée, il y a quatre ans, avec la chute présumée du Califat islamique. C’est le temps qu’il a fallu à la France pour se préoccuper de ses nationaux demeurés sur place. La précédente opération de transfert aérien remontait à deux ans auparavant. Mais en fait, le 3 février de cette année, Joe Biden annonçait la disparition dans un bombardement, du second Emir, un dénommé Abou Ibrahim Hashimi Al Qurashi. Il paraît peu judicieux d’occulter la résurgence de Daech au Levant, laquelle nourrit aussi toute une série de groupe armés franchisés en Afrique. Une bonne partie des jihadistes de première génération a pris la tangente et échappé à ses gardiens Kurdes. Les femmes et les enfants qui moisissent encore dans les camps, la haine au ventre, sont donc susceptibles d’être ‘’recyclés’’ dans de nouvelles opérations terroristes, pourquoi pas contre leur pays d’origine ….

– Le comité des droits de l’enfant de l’ONU a dénoncé les conditions de vie ‘’épouvantables’’ dans les camps kurdes, mettant la vie des détenus en danger. Fin avril, Claire Hédon, défenseure des Droits, avait exhorté le gouvernement à procéder au rapatriement général ‘’dans les plus brefs délais’’ de tous les enfants. Elle  invoque aujourd’hui  leur intérêt supérieur à ne pas être séparés de leurs mères.  La Cour européenne des droits de l’Homme a été saisie.

Les associations familiales, la Ligue des droits de l’Homme et Amnesty International ainsi que diverses personnalités appellent à ce que l’on rapatrie d’urgence ces enfants français et leurs mères, détenus hors de toute justification légale. Elles ont reçu le soutien de certaines des victimes de l’attentat du 13 novembre 2015. En plein procès, le symbole était fort.

– En France, les familles concernées réclament le rapatriement de leurs petits-enfants, neveux ou nièces. Le gouvernement est confronté, du fait de son immobilisme, à l’activisme du Collectif des familles unies regroupant les familles des individus capturés en zone irako-syrienne. Ces familles se battent pour faire appliquer le droit international. L’opération réalisée pour les trente-cinq enfants leur a donné un peu d’espoir. Mais, alors que la France dispose de toutes les infrastructures pour accueillir ces enfants  »perdus », le porte-parole du Collectif, Thierry Roy, s’indigne de ce que perdure dans les camps la présence de cent cinquante petits Français, avec leurs mères. Pourquoi ne pas avoir mis à profit l’avion destiné aux trente-cinq pour rapatrier tout le monde ?

– Par réticence à trancher, la France se rend donc coupable de faire obstacle au retour de ses nationaux passibles de condamnation pour des crimes contre l’humanité. Le lien de nationalité ne se renie pas, en démocratie. Il y a quatre ans, la coalition militaire anti-Daech n’avait pas non plus voulu ni vraiment essayé de mettre en place une juridiction internationale à même de juger ces présumés terroristes, dont aucune juridiction nationale ne voulait se saisir. Aussi les a-t-on relégués aux Kurdes. Ceux-ci, attaqués par la Turquie d’Erdogan et les Syriens de Bachar, auraient mieux à faire que de garder des camps pour se protéger des menaces auxquelles ils font face. On ne les remercie même pas. Il importe avant tout de ne pas froisser les citoyens occidentaux les plus méfiants ou ignorants des choses du droit. Plus dure que ses voisins européens, la France est, à cet égard un cas en Occident.

– L’Allemagne et la Suède rapatrient les enfants de leurs ressortissants jihadistes ; la France s’en tient au mieux à la politique du cas par cas. La Belgique s’est résolue, fin juin, à rapatrier la quasi-totalité de ses enfants ‘’perdus’’, dont il ne reste que cinq sur place. Agir ou pas constitue juste une question de courage politique. Faire les choses à moitié pour ne pas avoir à défendre de principes, est-ce bien une politique ?

* 30 mars – L’Afrique sur le point de bascule

Un raid-surprise de combattants jihadistes a été lancé dans le nord du Mozambique, contre la ville de Palma (75.000 habitants), nœud logistique en zone d’extraction gazière, proche de la frontière tanzanienne. Le signal de l’attaque a été l’arrivée d’un bateau chargé d’épicerie, dont l’attaque a immédiatement suivi l’accostage dans ce petit port. Des scènes de pillage et de meurtre aveugles s’en sont suivies. Le groupe djihadiste Al-Sunnah Wa Jamo (ASWJ) ou « Al-Shebab » (les Jeunes), affilié à Daech et fort d’une centaine de combattants, hante la zone depuis 2017. Il revendique cette opération et affirme contrôler la ville. Celle-ci – ce n’est pas un hasard – n’est éloignée que d’une dizaine de kilomètres du mégaprojet gazier de 60 milliards de dollars piloté par Total. Censé devenir opérationnel en 2024, le projet mené en consortium avec l’italien ENI et l’américain Exxon Mobil est à l’arrêt depuis plusieurs mois. Le calendrier ne sera pas tenu et l’ambition de doper l’économie mozambicaine pour en faire une puissance gazière s’en trouve contrariée. L’assaut a visé aussi les casernes et les administrations du gouvernement mozambicain.


Maputo (à 2300 km au Sud de Palma) évoque un bilan de plusieurs dizaines de morts dont, au moins, un ressortissant sud- africain et un sujet britannique, des sous-traitants de Total. Il y aurait entre 6 000 et 10 000 personnes réfugiées ou cherchant un abri à l’intérieur du chantier de construction du complexe gazier. La firme française indique fournir une aide humanitaire et logistique à ces populations civiles. Après le transfert de 1.400 travailleurs et civils à Pemba, port situé à quelque 200 km au sud, pirogues et voiliers traditionnels chargés de réfugiés continuent à affluer. Les agences de l’ONU présentes sur place s’efforcent de coordonner l’organisation du retour vers des zones sécurisées de milliers de civils réfugiés dans les forêts ou sur les plages environnantes. Ces victimes s’ajoutent aux 670 000 personnes ayant dû fuir les attaques au cours des dernières années. Car ce drame a des racines plus anciennes : la province du Cabo Delgado, à majorité musulmane, est l’une des plus pauvres du Pays. Le chômage généralisé des jeunes y favorise le recrutement des djihadistes, de même que les enlèvements d’enfants-soldats dans les villages. Ce jihad ‘’à bas bruit’’ n’avait pas été décelé, le cône Sud de l’Afrique étant supposé plus ou moins immune de la gangrène terroriste. Le réveil est très dur : du Nord au Sud, les gouvernants et les programmes d’aide au développement se montrent dépassés face à l’évolution de populations laissées à elles-mêmes et à leur misère, offertes aux pires prédateurs. Le Continent noir est-il en voie de basculer – avec les conséquences qu’on imagine – de Tamanrasset au Cap de Bonne Espérance ?