* 4 mai – Diversion extrême-orientale

Il y a un mois, plusieurs navires militaires russes avaient été repérés au sud-est du cap Soya, au nord d’Hokkaido. A l’issue d’exercices en mer d’Okhotsk, ces bâtiments lance-missiles et de transport de matériel militaire avaient franchi le détroit de Tsugaru entre Hokkaido et Honshu. Certains ont alors procédé à des tirs de missiles sur Etorofu et  Kunashiri, deux îles Kouriles du Sud occupées par la Russie en 1945, fermement  revendiquées par Tokyo. En plein conflit sur la Mer d’Azov, où elle a perdu un croiseur anti-aérien et un navire de transport, détruits par les forces ukrainiennes, la marine russe adopte une posture d’intimidation à l’égard du Japon. Comme pour signifier à Tokyo, qui s’est aligné sur les sanctions occidentales,  qu’elle est à même de mener bataille sur deux fronts, simultanément, aux antipodes. Déjà, au pic de la guerre froide (qui fut chaude dans cette région lors du conflit coréen), les Forces d’Auto-défense japonaises s’étaient trouvées confrontées à la perspective d’un débarquement de l’Armée rouge à Hokkaido (paradoxalement la  »bombe » d’Hiroshima et Nagasaki a levé cette hypothèque).

La 7e flotte américaine mène, certes, toujours  des exercices aux côtés des Forces maritimes japonaises d’autodéfense, mais Washington et Tokyo doivent compter, en plus, avec les provocations nucléaires et balistiques de la Corée du Nord. Pyongyang a procédé à 15 tirs de missiles depuis le début de l’année et un septième essai nucléaire pourrait intervenir bientôt. Les Etats Unis sont aussi confrontés aux prétentions de l’Armée populaire de Libération chinoise de faire de la mer du Japon, comme de celle de Chine du Sud, une mer fermée interdite aux marines occidentales. Tout cela fait déjà beaucoup.

L’USS Abraham Lincoln et son groupe aéronaval croisent dans ce théâtre de tensions. Escadres américaine et japonaise face à la flotte russe d’Extrême Orient : la mer du Japon pourrait devenir le front de diversion d’un conflit européen qui s’étendrait depuis la mer d’Azov et la Mer Noire jusqu’à celle du Japon.

Les tirs de missiles russes hypersoniques ‘’Kalibr’’ dans son environnement immédiat ont de quoi rendre l’archipel nippon nerveux. Pour rendre plus explicites encore ses intentions inamicales, Moscou a mis fin, depuis l’invasion de l’Ukraine, aux discussions bilatérales sur un Traité de paix entre les deux puissances visant à clore le passif de la seconde guerre mondiale. Le fond d’hostilité demeure. Tokyo n’a jamais été si proche de l’Alliance atlantique.

Palpable en Europe, en Afrique, dans le Pacifique, la menace russe n’est pas qu’une affaire régionale. De l’attitude de la Chine et de l’Inde peut dépendre que la guerre ne s’étende pas de l’Europe à l’Eurasie entière. Les offensives de diversion, d’ouverture d’un  »front secondaire » tournent souvent au pugilat général. Cette bonne vieille brute de Lavrov aime évoquer la  »troisième guerre mondiale » à nos portes. Alors, n’y croyons pas !