* 16 juillet – Liban, un Etat totalement failli

« Il est évident que nous ne serons pas capables de nous entendre avec Son Excellence le président, c’est pourquoi je me retire de la formation d’un gouvernement. » Saad Hariri, l’ex-premier ministre congédié par la population et formateur désigné d’un gouvernement impossible, vient de jeter l’éponge. Depuis neuf mois, le Pays du Cèdre sombre sur tous les plans, sans gouvernement établi à sa tête. Le clash a été bref mais dur entre le général chrétien (pro-Hezbollah), Michel Aoun, Chef de l’Etat retranché dans une vision communautariste des institutions, et le politicien affairiste, rompu à tous les marchandages. Hariri reproche au vieux général d’avoir tenté d’intégrer des fidèles à sa personne pour constituer une minorité de blocage au sein de l’équipe ministérielle qui lui était présentée. Aoun dément et ne propose rien. La classe politique et ses traditions de répartition clanique du pouvoir ont failli depuis belle lurette et la population, très durement éprouvée, ne fait plus confiance à personne. Elle manifeste son hostilité et son désemparement mais agit peu, politiquement. Le plus stupéfiant est, en effet, que cette situation de blocage perdure depuis si longtemps sans qu’une alternative de rupture radicale n’ait fini par émerger, au sein ou en dehors de l’arène politique.


En août 2020, on s’en souvient, une gigantesque déflagration sur le port de Beyrouth, provoquée par le stockage imprudent de centaines des tonnes de nitrate d’ammonium, avait tué 200 personnes et fait plus de 6 500 blessés. Des quartiers entiers avaient été détruits par cette explosion, la plus puissante que le monde ait enregistrée hors du domaine nucléaire. L’enquête sur les responsabilités (assez évidentes) n’a pas été menée à son terme, pour ne pas mettre en cause les mafias régnantes. Le gouvernement d’alors s’est courageusement caché et a disparu. En octobre, Adib puis Hariri ont été chargés de le remplacer, toujours (implicitement) en tenant compte de la ‘’formule magique’’ de partage confessionnel du pouvoir. E. Macron et, à vrai dire, un peu tout le monde s’est avisé de stigmatiser les politiciens libanais en les rappelant à leur devoir de gouverner, alors que le Liban sombrait dans les tréfonds : écroulement de l’économie et de la monnaie, ruine des Libanais, grave crise humanitaire et sanitaire, effondrement des services publics, début d’anarchie, etc. La banque centrale et toutes les baronnies n’en poursuivent pas moins la mise en coupe réglée des dernières ressources du Pays. La faillite est aussi criminelle.


Ne va-t-il bientôt rester du Liban qu’un repère de mendiants et de bandits, où tous les prédateurs du monde pourront faire leur nid ? Nombre de descendants des Phéniciens le redoutent. Faute d’une initiative citoyenne proprement ‘’révolutionnaire’’, le sauvetage semble ne pouvoir venir que de l’extérieur, mais pour qu’il ne prenne pas la forme d’un dépeçage en règle, il conviendrait qu’une opération de reconstruction de l’Etat se fasse sous l’autorité et avec les moyens des Nations Unies. Ne rêvons pas, l’époque est aux replis nationalistes, plus aux solutions multilatérales !

17 octobre – Bonne nouvelle au Liban

Ce blog n’a pas vraiment commenté les récentes reconnaissances diplomatiques d’Israël par les Emirats Arabes Unis et par le sultanat de Bahreïn. On note aussi une mansuétude remarquable de l’Arabie Saoudite, qui ouvre désormais son espace aérien aux vols d’El Al. Tout ce qui va dans le sens d’un apaisement dans le Moyen-Orient incandescent est bon à prendre. Mais, justement, ce mieux intervient dans d’une stratégie électoraliste américaine qui le rend réversible et fragile. Cela se fait, surtout, aux dépens des intérêts légitimes des Palestiniens et, qui plus est, dans une optique de confrontation avec l’Iran. Un mieux ponctuel suffirait-il à compenser une menace sur un peuple et sur la Région ?

Depuis lors, le pays du cèdre et l’Etat hébreu, techniquement en état de guerre, ont entamé des pourparlers sur le tracé de leur frontière maritime et des deux zones économiques exclusives (ZEE). Ces négociations bilatérales se dérouleront à Naqoura, au quartier général de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Elles bénéficient ainsi d’une médiation apportée par les Nations Unies à l’étape initiale d’une normalisation négociée directement entre les deux pays voisins. C’est une première depuis 1983. L’Enjeu de la frontière terrestre, qu’il restera à sécuriser, devrait suivre assez logiquement et concerner plus directement encore la FINUL. En 2011, la diplomatie américaine avait proposé une ligne de partage attribuant 60 % de la zone disputée au Liban et 40 % à Israël. Sous l’influence du Hezbollah, elle avait été rejetée par Beyrouth, qui revendiquait une souveraineté sur les 860 km2 concernés. Il était alors exclu de traiter avec ‘’l’Ennemi juré’’. La guerre menée en 2006 contre l’armée israélienne, avait encore exacerbé ce refus.

Un accord bilatéral désormais possible pourrait débloquer l’exploitation de ces eaux, considérées par Total et par les autres pétroliers comme plus riches en gisements gaziers (et en ressources halieutiques) que la rive Nord de la Méditerranée. L’impatience est d’autant plus forte que les voisins du Liban – Israël, Chypre, l’Egypte, la Turquie et la Grèce – ont déjà pris leurs marques dans la course à l’exploitation du gaz. Pour la classe politique libanaise, conspuée par ses concitoyens, c’est un défi de légitimité à relever, si elle veut redorer un peu son blason.
Contrairement aux arrangements précités avec les pétromonarchies, un succès serait potentiellement profitable aux populations, en termes d’activité économique et de sécurité intérieure. L’aboutissement ultime pourrait prendre la forme d’un Traité de paix en bonne et due forme, qui mette le Liban à l’abri des incursions (dans les deux sens) et des hostilités récurrentes. Le Hezbollah verrait alors ses activités militaires restreintes par le droit. Sauf à se mettre totalement hors-la-loi, sa coopération pourrait desserrer le carcan infamant de ‘’terrorisme’’ dans lequel les Etats Unis l’enferment. Ceci favoriserait d’autan la cohésion politique du Pays et la sortie de crise.

Il faut donc souhaiter bonne chance au Liban et à Israël.

*28 septembre – Théâtre

Brèves des jours précédents

En règle générale, les vérités sont plutôt bonnes à dire. Encore, en fonction de sa propre situation de partie, de juge ou d’observateur, celui qui les exprime peut avir à y mettre les formes ou simplement à s’en distancier un peu. Ce n’est pas le choix qu’a pris le président français vis-à-vis de la classe politique libanaise. Celle-ci se voit dénoncée comme coupable d’une ’’trahison collective’’ de ses engagements envers les Libanais et envers E. Macron. Elle fait ‘’honte’’ à ce dernier. Un ultimatum de quatre à six semaines lui est imposé pour former un gouvernement de techniciens… et disparaitre.

Car c’est bien de son effacement général qu’il s’agit, avec un accent particulier mis sur le Hezbollah, dont il est exigé qu’il renonce à son emprise militaire sur l’Etat et à son affiliation iranienne. Rien que ça, même si, sur le fond, on se doit d’approuver l’intention ! Cet effet théâtral cache-t-il l’échec de l’implication extrême et très personnelle du premier des Français, après deux visites spectaculaires à Beyrouth destinées à mettre chacun devant ses responsabilités ? En tout cas, sa tentative de la dernière chance pour empêcher l’effondrement total du Pays du Cèdre étonne par sa brutalité et par le peu de cas fait de la souveraineté d’un Etat, certes empêtré, mais en principe toujours souverain. On chercherait en vain dans l’Histoire un précédent de classe politique clanique et corrompue qui se serait suicidée pour satisfaire à l’intérêt général et à l’attente d’un observateur extérieur. Et comment se comporteraient les techniciens appelés à s’y substituer, sinon en nouvelle caste dirigeante, elle aussi accrochée à ses privilèges ? Car c’est bien les rentres qui font vivre et le népotisme qui assure la stabilité des élus, anciens ou nouveaux.

De plus, l’engagement militaire du Hezbollah contre Israël (et contre ses propres adversaires politiques) légitime durablement celui-ci aux yeux d’une majorité des Chiites du Liban. Faire table rase de ces réalités profondément ancrées, suggère qu’on ait recours à la violence et l’imprédictibilité d’une révolution populaire, à laquelle E. Macron n‘adhère sans doute pas et qui dégénèrerait forcément en guerre civile, dans le grand conflit régional actuel. De façon étrange, le président français ne paraît pas avoir mesuré les énormes dangers jalonnant sa croisade libanaise. Il se contente d’essayer de se protéger sous le bouclier des Nations-Unies, paré duquel il reviendra à Beyrouth fin-octobre.

A l’opposé de l’affaire libanaise, il part aujourd’hui en terre balte après avoir hésité un mois durant à demander – poliment – le départ du dictateur Loukachenko. Il ne pouvait pas dire moins pour recueillir quelques applaudissements à Riga et à Vilnius pour un bien plus modeste théâtre.