* 25 mars – Payer la dette libyenne ?

« Nous avons une dette envers la Libye, très claire : une décennie de désordre. » Gouverner c’est aussi reconnaître ses torts devant l’Histoire. Dans le postulat de la continuité d’Etat, les erreurs tragiques ont généralement été commises par des prédécesseurs, mais il faut les assumer. Peut-être, un jour, Nicolas Sarkozy reconnaîtra-t-il qu’en 2011, sous l’aiguillon de Bernard-Henri Lévy et contre l’avis de son ministre des Affaires étrangères (Alain Juppé), il a enfreint le mandat que lui avait accordé les Nations Unies pour une opération seulement humanitaire sur Benghazi… et qu’il en a profité pour renverser le régime Kadhafi, même sans doute pour liquider son chef. Enfin, qu’en jouant au foudre de guerre, il a mis par ricochet le feu au Sahel… où les armées françaises se retrouvent embourbées face à la contagion jihadiste. C’est une cascade de désastres que la politique française a déclenché en Afrique. Et nous sommes loin de nous en être sortis.

,Le 23 mars, Emmanuel Macron a sobrement fait, devant les nouveaux dirigeants libyens, l’aveu d’une erreur stratégique majeure provocatrice d’un chaos régional. La France en est responsable, aux côtés de ses alliés britannique et américain, moins directement impliqués, cependant. En son temps, Barack Obama a confessé que l’intervention en Libye, à l’appel de Nicolas Sarkozy, était sa plus grande erreur. Pour le moment de lucidité et d’honnêteté que vit à son tour E. Macron : chapeau !


L’exercice mal maîtrisé de la démocratie pousse, comme la dictature, à la guerre, un constat triste, crève-cœur. Dans le Sahel, les dirigeants apprécieront. Ils subissent les effets portés d’une intervention irréfléchie et sans doute un peu électoraliste. La chute de Kadhafi en a privé plus d’un de la manne financière de Tripoli. Elle a aussi dispersé ses combattants en armes dans toute la région et déclenché une arrivée en masse de jihadistes du Moyen-Orient. Avec eux s’est implantée la haine de l’Occident, importée sous l’influence d’un intégrisme destructeur.


La Libye, outre ses richesses pétrolières, est un pays-clé pour le contrôle de la Méditerranée et des flux de migrants, ce, d’ailleurs, de façon très discutable quant au choix des partenaires et des méthodes. Paris souhaite y reprendre pied, conscient qu’une stabilisation de ce pays en ruines aiderait à endiguer la dérive générale du Sahel. La première étape d’un plan ‘’réparateur’’ sera la réouverture de l’ambassade à Tripoli. Fermée en 2014, elle avait été depuis déportée sur Tunis. Elle retrouvera bientôt sa place, pour – espérons-le – mieux éclairer l’action du gouvernement français. « Ce n’est pas simplement un soutien de mots ou de façade, c’est un soutien complet qui sera celui de la France », a promis le chef de l’Etat. L’évènement accompagne une avancée politique : la mise en place de nouvelles autorités. Après une décennie de luttes intestines, la Libye entame enfin une transition politique, avec la constitution d’un gouvernement intérimaire multi-partisan, Tripoli et Benghazi. Celui-ci a obtenu, le 10 mars, la confiance de son Parlement et le mandat pour organiser des élections générales, le 24 décembre. Mais la Libye avec laquelle Paris renoue n’a plus grand-chose à voir avec l’empire africain de Kadhafi. Le monde entier y est à la manœuvre et ce, jusque dans le sens militaire du terme, dans les cas de la Russie et de la Turquie, qui s’en sont fait un fief. Le passé de la France va être sans cesse réexhumé et soumis à des vengeances.

* 24 février – Dix ans en Libye, sans alibi

La tentative manquée de printemps libyen a aujourd’hui dix ans. La France avait cru ou feint de s’y investir en se portant au secours de la population de Benghazi, assiégée par les tueurs de Mouammar Kadhafi. Le sauvetage a été éphémère mais, en violation du mandat qu’elle s’était fait donner par les Nations Unies, ses avions de combat ont guidé les milices hostiles au dictateur jusqu’à celui-ci, caché dans une conduite en béton. Le régime s’est effondré avec son chef et une anarchie sanglante s’est installée en Libye. L’intervention de l’Otan, voulue par Paris et par Londres, a multiplié les frappes, sans assurer parallèlement aucun processus de reconstruction politique. Une décennie plus tard, le pays se débat toujours dans une guerre civile de type féodal, qui semble interminable. Divisée d’est en ouest, la Libye possède deux armées, deux banques centrales et deux parlements rivaux. Elle compte quelque 3000 milices armées qui pratiquent le pillage des ressources pétrolières et font régner la loi des bandits. De l’anarchie civile initiale, on est passé à un conflit par proxies, attisé par des puissances régionales assujettissant l’une ou l’autre des parties libyennes à leur hubris géopolitique. Pas de quoi pavoiser !

La France, par ses choix contradictoires (soutenir militairement les deux camps belligérants) et opportunistes a, elle aussi, contribué à la « décennie noire » vécue par les Libyens. Elle se dégage tardivement d’un bourbier d’interférences dans leurs luttes intestines, après s’être durement accrochée à la Turquie… et à l’Italie. Pour oublier ses errements, Paris s’en tient à une grille de lecture simplissime : l’islamisme, c’est le jihadisme ennemi et celui-ci, où qu’il soit sur le globe, ne poursuit qu’un but unique : commettre des attentats dans le ‘’nombril du monde’’ français. La même approximation règne d’ailleurs sur l’effort stratégique entrepris au Sahel, qui vise à protéger la France, pas vraiment les Africains. L’autre miroir simplificateur est celui des migrations : les pirates libyens nous aideraient en incarcérant les exilés. Les victimes de la crise syrienne ont payé cher le prix de ces errements libyens, sous la forme d’un blocage de tout règlement, à New-York : la Russie comme la Chine, échaudées par la crise précédente, ont trouvé motif ou prétexte à récuser des initiatives occidentales, soupçonnées d’objectifs ‘’cachés’’. Le coût de ces intrigues a été porté par une seconde population, plus proche encore de la France, qui a été, par le passé, la puissance mandataire de ce pays.


Saura-t-on jamais si Kadhafi a été exécuté de façon extra-judiciaire pour des contributions en cash très embarrassantes à la campagne présidentielle française de 2007 ? L’anarchie et la guerre ont effacé bien des pistes d’enquête. Au terme de deux guerres civiles, en 2011 et 2014, puis de la défaite de Khalifa Haftar, en 2020, après 14 mois de combat, la Libye vit une précaire accalmie des combats, mais sans rétablissement de la paix, de la justice ni de l’économie. L’ONU y a laissé une part de sa crédibilité. Toute à son insouciance et à sa pratique autocratique de la politique extérieure, la France, ne s’introspectera pas.

* 30 janvier – Sables mouvants libyens

La nouvelle administration démocrate de Joe Biden demande à la Turquie et à la Russie de retirer leurs forces de Libye : militaires comme mercenaires ‘’ recrutés, financés, déployés et soutenus » par ces pays. Il s’agit de sauvegarder l’accord de cessez-le-feu conclu entre belligérants, le 23 octobre. Aux termes de ce texte, les troupes étrangères et mercenaires devaient avoir quitté la Libye sous trois mois. Or, l’échéance du 23 janvier, est passée sans aucune amorce de désengagement et les mercenaires occupent toujours la Libye. Aux Nations Unies, l’ambassadeur américain par intérim, Richard Mills, a enjoint ces deux puissances régionales ainsi que les Emirats Arabes Unis, de respecter la souveraineté libyenne et de cesser immédiatement toute intervention armée. Il sera intéressant d’observer, en particulier, comment réagira le dictateur turc, Erdogan à ce rappel à la loi. L’Egypte n’était pas loin non plus d’intervenir du côté de Khalifa Haftar. Comme l’Europe, les Etats Unis vont encaisser des coups à s’engager sur ce dossier piégé. Vont-ils faire montre d’autorité, là où le vieux monde s’est empêtré ?


La mise en garde américaine est claire et elle dissipe le flou qui entourait la politique américaine sur la Libye. Celle-ci était généralement perçue comme traduisant la volonté de désengagement de Washington de la région. D. Trump s’était égaré, un temps, à soutenir le seigneur de la guerre de Benghazi, aux dépens du Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez El-Sarraj, il est vrai légèrement islamiste. Puis, le plan américain était devenu indécryptable, inexistant. En décembre, les Nations unies estimaient à 20.000 environ le nombre de mercenaires et militaires étrangers déployés sur le territoire libyen, au sein de dix bases d’opération majeures.
K. Haftar est soutenu par les Emirats Arabes Unis, l’Egypte et la Russie (dont le groupe ‘’privé’’ Wagner), alors que le GNA est appuyé militairement par la Turquie et des rebelles syriens transférés de Syrie. Haftar a été longtemps l’interlocuteur préféré de la France, mais ce fait s’est totalement effacé des esprits, tout comme l’origine de la guerre de 2011, livrée à Kadhafi, sans mandat pour se faire. Passons. Après en avoir quelque peu malmené la symétrie, Paris demande désormais un strict respect de l’embargo onusien sur les armes imposé aux belligérants depuis 2011. Ankara déploie des drones en vertu d’un accord militaire signé avec le GNA, que le Parlement turc a prolongé le 22 décembre pour 18 mois. Cet embargo continue d’être violé au quotidien, avec des vols d’avions-cargos au profit des deux camps. Mais, malgré tout, le cessez-le-feu tient encore, d’après l’émissaire par intérim de l’ONU, Stéphanie Williams. Sous son égide, des pourparlers entre parties libyennes devraient reprendre à Genève, dans les prochains jours. Les frères ennemis envisageraient de tenir des élections le 24 décembre, avec l’aide de l’Organisation mondiale. Il est grand temps de laisser les Libyens ouvrir une porte de sortie de cette guerre civile fortement  »internationalisée ».