L’Europe, miroir aux alouettes : protéger les frontières ou les migrants ?

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Chronique partisane (parre-tisane?) n° 6
En matière d’immigration, la politique de l’Union Européenne (U.E.) reflète largement la volonté de ses Etats-membres. Les préoccupations humanitaires s’y mêlent à des objectifs prioritaires – moins nobles – tenant à la surveillance de l’accès au Vieux Continent et au refoulement des flux migratoires entrants. Plus l’Europe se ferme aux étrangers en quête de refuge, plus ceux-ci courent de risques sur leur vie, persuadés qu’ils sont de n’avoir pas d’autre choix.

– Les Directives européennes sur l’asile (dites de Dublin) organisent le  »chacun pour soi ».
Le principe mis en œuvre est celui de l’étude d’une demande individuelle d’asile par un seul pays de Schengen, le premier où un réfugié a été enregistré. On comprend l’intérêt d’éviter des demandes d’asile multiples faites par la même personne dans différents pays de l’espace Schengen. Ce faisant, le choix d’une destination d’asile devient, sinon impossible, dicté par les aléas de la géographie. Pour, ne pas être refoulés du premier pays européen qu’ils atteignent, les demandeurs vont devoir laisser prendre leurs empreintes (programme communautaire EURODAC) et se faire enregistrer. Aux termes du Règlement de Dublin, le pays qui effectue ces opérations sera le seul responsable de leur demande d’asile. Ceci, même si le candidat-réfugié se trouve alors dans un simple couloir de transit vers un autre pays où il est attendu. La France, qui pourra, par exemple, être la destination choisie, sera justifiée en vertu de Dublin I, II & III de refouler cette personne. Cela se fera rapidement, si le pays de premier transit accepte de reprendre le demandeur et, dans la négative, avant le 7ème mois de sa présence en France.

– Le règlement européen prévoit, en principe, qu’on tienne compte des risques qui seront encourus par les personnes renvoyées dans le pays de leur 1er transit. Ainsi, la Grèce, la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, officiellement soumis au règlement de Dublin, ont la réputation de ne rien accorder aux demandeurs d’asile transitant sur leur territoire. Elles ne respectent guère le principe juridique absolu de non-refoulement d’un demandeur d’asile aux frontières. En France, les personnes ‘’dublinées’’ ont la possibilité de déposer un recours en tribunal administratif pour bénéficier d’une procédure d’examen de leur dossier. Mais, ce recours n’est pas suspensif de la décision de renvoi. Avant-même l’ordonnance du juge administratif, l’administration expulse généralement ces demandeurs de protection, sans autre forme de procès. De sorte que si l’on réalisait, ultérieurement, qu’une telle la décision de renvoi était illégale, ce serait trop tard, de toute façon.

– L’agence de surveillance des frontières, FRONTEX
L’agence Frontex a été créée et installée à Varsovie en 2005, sur la base d’un mandat ambigu : assurer le respect des frontières de Schengen contre tout franchissement illégal; ne pas laisser non plus les migrants se noyer sous nos yeux et se conformer au droit maritime.

– La catastrophe maritime de Lampedusa en octobre 2013, dans laquelle 384 migrants ont péri dans les eaux méditerranéennes, a montré toute l’ambigüité d’une gestion policière des eaux frontalières de l’Europe. De quoi parle-t-on : d’intervenir pour sauver de la noyade les naufragés abandonnés à quelques brasses de nos côtes ou plutôt de dissuader le passage et les passeurs, et pour cela de renvoyer les migrants sur les côtes de l’Afrique, là où pourra ne plus voir ces embarcations délabrées et leur cargaison humaine ? Peut-on vraiment refouler vers la Libye actuelle ?

– Dans les semaines suivantes, l’Italie a lancé ’’Mare Nostrum’’, une opération de sauvetage confiée à sa marine militaire. En un an, celle-ci a permis de secourir plus de 150.000 personnes (plus de 400 naufragés par jour) et d’arrêter 351 passeurs. Elle n’a toutefois pas empêché d’autres naufrages plus loin en pleine mer : 3.300 migrants ont trouvé la mort, en Méditerranée durant l’année, plus de 4.000, en 2014. Sur ce triste bilan, ‘’Mare Nostrum’’ s’est conclue le 31 octobre pour une dépense globale de 114 millions € sur un an. Dès le 1er novembre 2014, une nouvelle opération navale aux frontières de l’Europe a pris le relais. Baptisée ‘’Triton’’, elle a été confiée à Frontex, qui coordonne les moyens mobilisés par huit pays (France, Espagne, Finlande, Portugal, Islande, Pays-Bas, Lituanie et Malte). Ceux-ci mettent à disposition, à tour de rôle, du matériel technique et des effectifs humains. Cet ensemble de moyens est jugé insuffisant.
* Concrètement, Triton ne pourra compter, au maximum, que sur le tiers du potentiel que déployait ‘’Mare Nostrum’’ : 21 navires, quatre avions, un hélicoptère et 65 agents détachés pour des durées variables, le tout représentant un budget mensuel de 2,9 Mns € (contre 9 Mns concernant l’opération précédente). L’opération se cantonnera à des patrouilles, à proximité des côtes italiennes (Sud de la Sicile, îles Pélages et Calabre). Au-delà de ce théâtre d’opérations, ce qui se passera pourra être ignoré.

– Certaines frontières de l’Europe sont les défenses d’une forteresse hostile
Entre l’Espagne et le Maroc (enclaves de Ceuta et Melilla, dans le territoire chérifien), entre la Grèce et la Turquie (île de Lesbos), entre la Hongrie et la Serbie se déroulent des quasi-guerres migratoires. On y dresse des murs – en partie financés par l’U.E – sur des centaines de kms. L’incarcération systématique des sans-papier constitue une invitation aux mauvais traitements. Il est, ainsi, impossible de demander asile à la Hongrie, parce que son gouvernement a suspendu toute procédure en la matière. Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) y dénonce l’incarcération systématique et l’usage de psychotropes pour soumettre les fugitifs à la volonté de leurs geôliers.

– A peine un réfugié sur trois trouve un abri en Turquie, pays, il est vrai, saturé par la présence de plus d’un million de Syriens. La Grèce, la Bulgarie et même l’Espagne ne se conforment plus à l’obligation d’un examen individuel, au cas par cas, de la situation de chaque arrivant. Elles les renvoient à leur point de départ, sans les interroger, ce qui est illicite au regard de la Convention de Genève de 1951. L’Italie, dépassée par le flux et ne voulant plus assumer la part majeure du fardeau, laisse assez libéralement transiter à travers ses frontières septentrionales (Menton). Elle ne respecte plus les procédures de Dublin ni celles du HCR. Le Royaume Uni, non-soumis à la mobilité dans l’espace Schengen, a installé à Calais son avant-poste migratoire pour bloquer tout accès, créant ainsi l’engorgement chez nous. Quant à la France, elle s’est engagée magnanimement à accueillir en liaison avec le HCR 500 Syriens par an (chrétiens et à condition qu’ils y aient déjà de la famille), sur les 10 millions de déplacés victimisés dans ce pays. Une telle pingrerie laisse pantois !

– De fait, sur la rive Nord de la Méditerranée, tout le monde triche avec le droit et avec les drames de ses voisins du Sud. Que ce soit pour endiguer l’afflux, le détourner ou pour transmettre la ‘’patate chaude’’ au voisin. Ces divers accrocs à la solidarité européenne et au droit international laissent percevoir que l’harmonisation des politiques souhaitée par Bruxelles n’ira pas bien loin. La Commission et le Conseil de l’U.E, en gros, font montre de compréhension ‘’sécuritaire’’, pour autant que de nouveaux drames de type Lampedusa soient évités. Le Parlement européen, lui, se tait. Avec le Traité de Lisbonne, l’UE avait adopté une Charte des droits fondamentaux valant pour tous. Elle a coulé. Existe-il encore quelques valeurs humanistes sur notre vieux continent ?


Pour aller plus loin : les textes

* Convention de Dublin du Conseil du 15/06/1990 I, (II 2003) & (III 26/06/2013), l’outil le plus mal appliqué.
* Directive 2013/32 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 relative aux procédures communes pour l’octroi et le retrait de l protection internationale (refonte)
* Directive 2013/32 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 établissant les normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale
* Directive 2011/95 sur les conditions à remplir pour bénéficier de la protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés bénéficiant de la protection subsidiaire et au contenu de celle-ci.

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